Interview de M. François Baroin, porte-parole de l'UMP, à France-inter le 13 novembre 2003, sur la laïcité dans la loi de 1905, l'idée d'un code de la laïcité et les conclusions de la mission parlementaire présidée par Jean-Louis Debré en faveur d'une législation interdisant le port visible de signes religieux à l'école.

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Média : France Inter

Texte intégral

Pour la préservation de la laïcité et contre la montée du communautarisme, va t on vers le principe d'une loi interdisant le port visible de tout signe religieux ou politique dans les établissements scolaires publics ? Les 31 députés de la mission parlementaire multiparti sur la question des signes religieux à l'école se sont prononcés en faveur d'une législation. Ce document constitue la première contribution qui nourrira la réflexion du président de la République. J. Chirac prendra sa décision en fin d'année, après que la commission Stasi, chargée de rendre un avis au chef de l'Etat, se sera elle aussi prononcée.
Vous avez, vous aussi, rendu en mai dernier un rapport sur la laïcité au Premier ministre. La France est une nation laïque, mais n'oublions pas à quel prix. En 1905, les parlementaires qui ont voté la loi de séparation de l'Eglise et de l'Etat avaient été excommuniés... Est ce qu'on ne risque pas aujourd'hui, en posant à nouveau la question d'une loi, qui prolongerait ou qui modifierait la loi de 1905, de ranimer des querelles ou des passions ?
Il faut en effet être très calme et très responsable, dans ce débat qui n'est pas médiocre, qui suppose le respect des positions des uns et des autres, et qui suppose de bien s'entendre aussi sur la définition de la laïcité. Qu'est ce que c'est ? C'est la liberté pour les croyants, qu'on soit musulman, qu'on soit protestant, qu'on soit catholique, de vivre leur culte, de pratiquer ce culte dans la ferveur qui est celle de tout croyant. C'est aussi la liberté pour les agnostiques, pour ceux qui sont indifférents, ceux qui sont sceptiques, ceux qui doutent, de vivre aussi cette liberté de doute sans aucune pression. Nous avons une chance en France, c'est que nous vivons sur la base d'un texte formidable, qui est un pilier de la République, qui ne doit pas être touché, qui est dans le bloc de constitutionnalité, qui est la loi de 1905. Et qui était la conclusion de plusieurs siècles d'Histoire, une conclusion douloureuse, vous l'avez rappelé, mais un bon équilibre et un bon consensus. Puisque nous vivons sur cet équilibre, il n'est pas inutile, dans un temps où la société est secouée, où la laïcité elle même est un peu attaquée, de rappeler ce principe de liberté dans lequel nous vivons, qui est un peu une exception dans l'Union européenne et qui fait aussi la tradition et l'Histoire de la France. Donc la laïcité, c'est la liberté. Et puisqu'il y a en effet des éléments de doute, de suspicion sur la pratique de la laïcité, en particulier dans l'école publique, et que nous sommes peut être un peu légers en terme de cadre législatif, alors, oui, la mission des parlementaires a conclu à un cadre législatif dans l'école publique, pour supprimer tout signe religieux et politique, vis à vis de consciences qui sont en formation, qui sont nos enfants."
Vous venez de rappeler une belle définition de ce qui est la laïcité. Est ce qu'un "code de la laïcité" ne suffirait pas ? Faut il décidément légiférer ?
"Pour résumer et pour aller à l'essentiel, il faut faire une grande distinction entre la sphère publique et la sphère privée. La sphère privée, c'est pouvoir vivre son culte dans la rue, aller dans son lieu de culte, rencontrer ses amis. Je dirais que là, dans le cadre des lois de la République, chacun fait ce qu'il veut, comme il le sent et comme il souhaite vivre sa foi. Dans la sphère publique, c'est différent, parce que ça, c'est la définition de la laïcité : neutralité de l'Etat. Nous avons les textes pour l'administration. Vous avez l'exemple récent de la jeune femme voilée à la mairie de Paris. Le texte existe, ils ont attendu deux ans, il y avait un dialogue, c'est peut être un peu long, mais il n'y a pas de nécessité de nouveau texte, même si vous avez raison, c'est que j'ai proposé dans le rapport remis au Premier ministre une codification, c'est à dire qu'une mise en forme de toutes les circulaires, les règlements et les lettres ministérielles peut être une caisse de résonance utile. Ce n'est pas un texte nouveau, c'est une caisse de résonance, à l'Assemblée nationale et au Sénat, pour un code comme il en existe par exemple pour le code civil, pour le code pénal ou autre. Et puis, il y a un zoom particulier sur l'école, on le voit depuis de très nombreuses années, depuis 1989. Et il ne faut pas non plus se cacher la réalité : il y a une volonté, de la part d'un certain nombre d'acteurs, sur le terrain français, de secouer cette laïcité. Ils n'acceptent pas la société occidentale, ils la testent. Eh bien, la société occidentale et la République française répondent par une force politique, qui est un cadre : oui, dans l'école, parce que les consciences sont en formation, parce qu'elles ne doivent subir aucune pression d'aucune sorte, nous devons les protéger et mieux les protéger. Et c'est vrai qu'en l'état actuel des textes, nous vivons sur la base d'un avis du Conseil d'Etat. C'est un peu technique, mais je crois qu'il n'est pas inutile de rappeler cet exemple : prenons les jeunes filles d'Aubervilliers. Elles ont été exclues, à l'unanimité du conseil de discipline de l'établissement scolaire. Elles vont faire un recours, ce recours sera examiné par une juridiction qui s'appelle le tribunal administratif. Elles auront tort, elles perdront devant le tribunal administratif, parce que, à l'évidence, il y a eu une forme de provocation, une forme d'ostentation de cette affirmation religieuse au sein de l'école publique. Elles vont aller au Conseil d'Etat. Le Conseil d'Etat ne va pas se déjuger et elles perdront également probablement. Et puis elles vont aller à la Cour européenne des droits de l'homme, qui est la juridiction suprême. Et là, en l'état actuel de nos textes, il est fort probable que la Cour européenne des droits de l'homme va dire que l'établissement d'Aubervilliers doit réintégrer ces jeunes filles. Quelles sont les conséquences de cela ? L'humiliation pour le corps enseignant, pour l'établissement, pour le conseil de discipline, l'affaiblissement immense du principe de laïcité et donc aussi d'une certaine idée du pacte républicain. Donc il nous faut un texte, c'est d'ailleurs ce qu'a dit le vice président de la Cour européenne des droits de l'homme. Non seulement une loi est possible, mais elle est probablement souhaitable si la France veut conserver son degré constitutionnel de laïcité parmi les plus élevés en Europe."
En deçà du texte, puisqu'on est toujours dans un espace de réflexion et qu'aucune décision n'est encore prise même si en effet tout indique du côté des parlementaires qu'ils sont plutôt favorables à un texte législatif , néanmoins, vous venez de parler de l'école, est ce que ce n'est pas là d'abord qu'un effort de réflexion, peut être même qu'un effort de pédagogie, pour rappeler ce que sont ces valeurs magnifiques de laïcité, telles que vous les avez rappelées à l'instant, et qui permettrait peut être d'éviter d'avoir recours un texte. On reviendra sur la question de Strasbourg et les enjeux européens après, mais n'est ce pas, là, d'abord à l'école et dans les établissements d'enseignement, qu'en effet tout le travail doit se faire sur cette question de la laïcité ?
"Il y a un gros travail de pédagogie en effet à mener au sein de l'école, c'est d'ailleurs l'une des conclusions de la mission parlementaire présidée par J. L. Debré. Il y a un gros travail de pédagogie également pour l'ensemble des Français, et en particulier les Français qui viennent sur notre territoire : laïcité et intégration sont étroitement liées. Il ne faut pas non plus s'offusquer de voir des gens qui viennent en France et qui ne comprennent pas ce principe de laïcité, parce qu'ils ont souvent vécu leur adolescence et un peu le début de leur âge adulte sur des territoires, dans des pays où la religion était d'Etat. Et donc, vivre dans un pays où, au fond, la laïcité, c'est à dire la liberté, prend une forme tout à fait nouvelle, suppose beaucoup d'explications. C'est un peu le sens du contrat d'intégration que J. Chirac a proposé, c'est un peu le sens de la politique d'intégration que nous devons mener, c'est un peu le sens aussi de la politique d'une immigration maîtrisée, qui permet aux uns et aux autres de vivre dans la République française, comme nos prédécesseurs l'ont fait et comme les jeunes qui nous suivront le feront."
Il y a la République française bien sûr, mais l'espace européen ? Parce qu'on ne peut plus raisonner en dehors de l'espace européen. Va t on vers une exception française ?
"Elle existe, elle est déjà là et, de ce point de vue, il y a deux concepts qui s'opposent. A l'intérieur de la Convention européenne des droits de l'homme, vous avez un article, qui est l'article 9, et qui porte sur la liberté de conscience. Mais la Cour européenne des droits de l'homme, qui est chargée de juger l'application de ce texte, dit précisément qu'au fond, c'est à chaque pays, dans le cadre du périmètre à l'intérieur duquel la Cour européenne a autorité, de lui dire quel est son degré constitutionnel de laïcité. La France a un degré très élevé, parce que c'est son Histoire. La Turquie en a un autre même si elle n'est pas à l'intérieur de l'Union européenne, elle est sous jugement de la Cour européenne..."
Au passage, c'est précisément sur cette question de la laïcité que la Turquie a revendiqué à un moment donné son adhésion à l'Union européenne. C'est dire si ce point là, aujourd'hui, dans le débat politique, constitue un point de référence...
"C'est d'ailleurs la référence en terme de jurisprudence, c'est à dire que tous les jugements effectués par la Cour européenne des droits de l'homme portent sur des cas [inaud] turcs où ça va beaucoup plus loin. Le voile est interdit dans l'université en Turquie ; nous ne le proposons pas en France, puisqu'il s'agit de faire une grande différence entre les mineurs et les majeurs. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle l'école publique primaire, collège et lycée est un périmètre souhaitable et raisonnable, nous ne proposons pas d'aller jusqu'à l'université."
Votre commentaire sur cette réflexion de l'Eglise de France. Je cite à peu près les mots qui résument la pensée exprimée par beaucoup au sein de l'Eglise : il y a "un mariage de raison fragile entre la République et les grandes religions, attention de ne pas le compromettre".
"Je comprends parfaitement la position des églises. D'ailleurs, elle est parfaitement légitime et c'est significatif et révélateur de voir toutes les églises être sur la même position. Je crois qu'il faut assumer ce débat politiquement. Il faut savoir ce que l'on veut : est ce que notre projet, c'est encore la liberté, c'est encore la laïcité, c'est donc encore l'intégration ? Ou est ce que notre projet, c'est le développement du communautarisme ? Est ce que c'est donner des dérogations exorbitantes au droit commun pour des jeunes femmes dans les piscines ? Est ce que c'est autoriser des compartiments dans les transports en commun ? Est ce que c'est accepter des places séparées dans les cinémas ? Est ce que c'est exiger d'un maire un compartiment particulier pour les femmes à l'Etat civil ? Est ce que c'est exiger, quand on arrive aux urgences des hôpitaux, d'avoir une femme pour être consultée, parce qu'on est une femme accompagnée par son époux ? Ce n'est pas possible. Ou si c'est possible, c'est un autre projet et, en tout cas, ce n'est pas le nôtre."
(Source http://www.u-m-p.org, le 14 novembre 2003)