Texte intégral
(Point de presse de Michel Barnier lors du Conseil affaires générales et relations extérieures, à Bruxelles le 17 mai 2004) :
Bonjour à tous. Je suis heureux de vous retrouver. En fait, c'est la première fois dans cette pièce et dans le cadre du Conseil. Je vais vous dire quelques mots des points principaux que nous avons évoqués depuis ce matin et que nous continuerons d'évoquer demain matin puisque j'ai choisi de participer à la totalité de ce Conseil Affaires générales et Relations extérieures.
Nous avons commencé la discussion ce matin par la Conférence intergouvernementale (CIG) et la Constitution. Je voudrais simplement rappeler dans quel état d'esprit je me trouve dans cette dernière ligne droite :
1) Je veux travailler à un accord au mois de juin, un accord définitif au niveau des chefs d'Etat et de gouvernement. S'agissant de cette Constitution, on ne fera jamais mieux que le travail fait pendant 18 mois par la Convention de manière transparente, démocratique. C'est un vrai progrès que cette Convention. Certes, le résultat auquel elle est parvenue n'est pas idéal, mais il constitue néanmoins le meilleur résultat possible pour faire fonctionner cette Europe de vingt-cinq ou vingt-sept pays dans le moyen et le long terme. Donc, nous souhaitons parvenir à cet accord après un long moment de négociations, alors même que l'opinion publique, les citoyens, qui vont être consultés le 13 juin - la seule grande consultation européenne dans tous les pays de l'Union pour élire leurs députés européens - sont inquiets, préoccupés par de vrais sujets, qu'il s'agisse de l'emploi, de l'économie, de l'écologie, qu'il s'agisse de la sécurité, avec la situation dans le monde et en Europe. On a vu à Madrid que la démocratie européenne - pas seulement la démocratie espagnole - pouvait être touchée par le terrorisme international. Donc il y a des inquiétudes et une attente et il faut, je le répète, que la maison soit en ordre. Il faut que l'Europe marche. Et c'est l'objet de cette Constitution. Donc la France, et le président de la République le confirmera dans les semaines qui viennent, veut qu'on aboutisse à un accord le 18 juin. N'est ce pas une belle date le 18 juin ? Elle l'est en tout cas pour nous, et sans doute pour d'autres aussi... Mais cela n'a rien à voir, je le reconnais, encore qu'il s'agisse d'une certaine idée de la liberté et de la démocratie.
2) Pour autant, si nous sommes déterminés à travailler avec tous les autres pays à cet accord, nous ne sommes pas décidés à approuver une Constitution au rabais. Donc notre double ligne est la suivante. Il faut conclure, parce que cela fait très longtemps qu'on négocie, que nous sommes presque au bout, et qu'il faut adresser un signal aux citoyens pour leur dire que la maison est en ordre. On pourrait même aller un peu plus loin : comment faire comprendre aux citoyens qu'on ne règle pas le système de vote au Conseil des ministres - j'allais dire que c'est presque une question de mécanique ou de pouvoir, et je sais aussi bien que d'autres qu'elle est importante -, qu'on n'aboutisse pas à un accord sur ce sujet alors qu'il y a toutes les inquiétudes que j'ai évoquées tout à l'heure ? Mais nous ne voulons pas d'accord au rabais ! Donc nous souhaitons que la dynamique du travail de la Convention soit préservée tel qu'on en a pris acte encore sous la présidence italienne à Naples. Pour moi, le texte de référence, c'est celui sur lequel nous avons travaillé à Naples. La dynamique de la Convention et celle des résultats obtenus doivent être préservées.
Nous allons discuter demain des sujets politiques les plus sensibles : la composition de la Commission ou les systèmes de vote dont je vous reparlerai, si vous le voulez bien, quand nous nous retrouverons demain en fin de matinée. Aujourd'hui, nous avons travaillé sur des sujets qui ne sont pas négligeables et pour lesquels nous soutiendrons les efforts de la présidence irlandaise qui travaille avec beaucoup d'intelligence, je tiens à la redire une nouvelle fois parce que je le pense, la présidence irlandaise propose des accords, des solutions. Ce matin, j'ai noté par exemple que, sur les questions financières, beaucoup de délégations, dont la nôtre, ont marqué leur accord à ce que le cadre financier pluriannuel soit adopté à la majorité qualifiée. J'ai pu dire à mes collègues que, vraiment, à vingt-cinq ou vingt-sept, le droit de veto, l'unanimité, c'est le blocage ou l'impuissance assurée, notamment sur cette question des perspectives financières et du cadre financier pluriannuel. Sur la procédure budgétaire, là aussi, la présidence a fait une proposition que j'ai soutenue qui respecte l'équilibre entre le Conseil et le Parlement et qui offre une issue en cas de blocage. Sur la Charte des droits fondamentaux, j'ai dit clairement, et je suis prêt à le répéter, que nous n'accepterons pas de remettre en cause l'avancée de la Convention qui a intégré la Charte en lui donnant une valeur constitutionnelle dans le corps même de la Constitution.
J'aurai la même détermination sur un sujet - où j'ai du mal à comprendre qu'on veuille revenir en arrière ou ne pas aller vers l'efficacité - qui est celui de la Justice et des Affaires intérieures (JAI), et qui touche à la lutte contre la criminalité organisée ou le terrorisme. Franchement, nous avons davantage de raisons d'être plus efficaces dans ces domaines, depuis le 11 septembre, à New York et à Washington, depuis le 11 mars à Madrid. Donc nous devons avancer dans ces domaines ! Là encore, l'important est qu'on ne revienne pas en arrière sur les propositions de la Convention. Voilà pour ce qui concerne la Constitution.
A l'occasion du déjeuner, nous avons poursuivi deux discussions engagées depuis quelques mois et même un peu plus longtemps. Nous avons beaucoup parlé, d'ailleurs, de ces deux sujets à Washington, vendredi. Il s'agit de l'Irak et du Proche-Orient.
Sur l'Irak, après l'attentat qui a coûté la vie à M. Salim ce matin et que nous avons appris avec consternation, comme le président de la République lui-même l'a dit, nous pensons que, plus que jamais, une issue politique est nécessaire, une solution politique qu'il faut maintenant mettre en oeuvre. Il faut réussir ce processus politique qui doit se substituer à un engagement militaire. La première étape du 30 juin est tout à fait importante. C'est comme une marche. Si vous ratez la première marche, vous risquez de rater toutes les autres derrière. Donc, il faut prendre beaucoup de précautions pour réussir cette première étape du 30 juin qui consiste à donner aux Irakiens, sincèrement, réellement, le pouvoir de gouverner l'Irak et de leur donner les compétences qui découlent de cette souveraineté : la gestion de leur économie et des ressources naturelles, l'autorité sur la justice, sur la police, la gendarmerie, sur les forces reconstituées en matière militaire. Nous considérons qu'il est très important pour la crédibilité de ce gouvernement de disposer des vraies compétences liées à la souveraineté, comme il est très important, d'une manière ou d'une autre, de bien vérifier avant le 1er juillet que l'équipe qui sera proposée, notamment à partir des suggestions, des recommandations de M. Brahimi, que j'ai rencontré deux fois depuis trois semaines, que cette équipe sera acceptée par les principales communautés irakiennes et les principales forces politiques de ce pays. Voilà pourquoi nous continuons à penser que cette idée d'une conférence, peut-être à plusieurs étapes, dont la première pourrait être une table ronde entre le 1er juin et le 30 juin, en Irak, entre Irakiens. Nous sommes persuadés que l'on peut organiser une telle table ronde qui permettrait de faire cette vérification politique. Après quoi, on pourrait imaginer, après le 1er juillet, une conférence plus large et, peut-être, enfin, pour consolider ce processus politique, une conférence - je me méfie des comparaisons dans des situations qui ne sont pas toujours comparables - comme celle qui a été organisée avec succès à Berlin, pour consolider le processus politique engagé en Afghanistan. Donc, nous attachons beaucoup d'importance à la sincérité de ce transfert de souveraineté et à la crédibilité du premier gouvernement de transition en Irak qui aura comme charge de gérer les affaires et de préparer une autre échéance importante, celle du mois de janvier, avec les élections démocratiques en Irak qui donneront à ce gouvernement sa complète légitimité. Tout cela nous l'avons rappelé aux Etats-Unis où je me trouvais, dans les discussions que nous avons eues avec Colin Powell et nos collègues du G8. Nous sommes tout de même inquiets, comme je l'exprimais la semaine dernière, de ce qui se passe dans cette région, l'enchaînement de violences, de sang, d'attentats, d'actes qui démontrent un peu partout la barbarie et l'inhumanité. Nous considérons qu'il y a urgence à lancer un appel à la raison, à la conscience et à revenir partout dans le seul cadre qui est pour nous nécessaire et utile : celui des Nations unies et du respect du droit international.
Processus politique enfin. Nous avons été unanimes, une fois de plus, pour le dire à propos du Proche Orient. J'observe d'ailleurs que j'ai annoncé - c'est un souci que j'aurai constamment, comme ministre français des Affaires étrangères et en n'oubliant pas ce que j'ai appris pendant cinq années comme commissaire - que l'objectif sera de travailler tous les jours à l'unité politique des Européens. J'ai toujours eu, au coeur de mon engagement personnel, l'idée que l'Europe devait être bien plus qu'un grand marché, qu'elle devrait être aussi une communauté solidaire et qu'elle devrait être rapidement - d'ailleurs tout ce qui se passe dans le monde nous y oblige - un acteur global, une puissance capable de parler de politique pour elle-même et avec les autres, de politique.
Voilà pourquoi les progrès que nous faisons sur la défense et ce que nous devons faire sur la politique étrangère, avec les outils de la future Constitution, et sans attendre cette Constitution sur les sujets de l'actualité, ces progrès sont pour moi très importants. J'y travaillerai constamment. Je le fais sur l'Irak, et nous le faisons naturellement sur le Proche-Orient où, si comme cela était clair lors du Gymnich, les vingt-cinq ministres sont unanimes pour partager la même analyse. Et cette unanimité, je me permets de le faire observer, a compté, puisqu'elle a été portée à la réunion du Quartet par Javier Solana et Chris Patten, de manière extrêmement claire. Je leur ai d'ailleurs rendu hommage. Lorsque vendredi matin, le président Bush nous a reçus pour nous donner son sentiment à la Maison Blanche et qu'ensuite nous nous sommes retrouvés avec Colin Powell, j'ai observé de même, à propos de la Feuille de route et de son contenu, à propos de la négociation que nous devons continuer avec l'Autorité palestinienne et avec le président Arafat, à propos du cadre de travail sur lequel tout le monde paraissait d'accord : le Quartet, j'ai observé, de la part du gouvernement des Etats-Unis, une réaffirmation qui va dans le sens de ce que nous souhaitons. En entrant un instant dans le fond du sujet de la Feuille de route, je peux dire que, pour nous, le retrait de Gaza, tel qu'il a été annoncé, au départ, de manière unilatérale par le Premier ministre Sharon, est en lui-même un élément important puisqu'il fait partie de la Feuille de route, et qu'il faudra en effet qu'Israël se retire de Gaza. Mais se retirer de Gaza après avoir détruit Gaza, cela ne me paraît pas être la bonne voie. En d'autres termes, il faut que le retrait de Gaza s'accompagne d'autres étapes qui sont inscrites dans la Feuille de route. La Feuille de route ne se résume pas au retrait de Gaza. Si nous parlons de ce retrait, il faut que Gaza puisse vivre et que les jeunes et les femmes qui s'y trouvent, et que j'ai rencontrés il y a quelques années, qui attendent qu'on leur apporte un futur, puissent vivre. Si on crée d'un côté une tranchée, si de l'autre on détruit des centaines de maisons pour mettre un peu plus de gens à la rue et les transformer en réfugiés permanents, il y a, de mon point de vue, un problème sérieux de crédibilité du processus de retrait de Gaza. Donc, nous avons invité les parties à reprendre la négociation sur la base de cette Feuille de route, pour donner à ce retrait de Gaza, y compris dans les conditions de sa réussite, toutes ses chances.
J'ai, à l'occasion du déjeuner, également évoqué la question - je me permets de le dire pour ceux d'entre vous qui seraient intéressés par ce sujet - de la réussite du processus de stabilisation à Haïti, d'où je reviens. C'était la première visite d'un ministre des Affaires étrangères de la France depuis deux cents ans. Mon prédécesseur, Dominique de Villepin avait pris l'engagement de venir et, comme il a changé de ministère l'avant-veille de sa visite, il n'a pu l'honorer. J'ai tenu cet engagement. J'en suis très heureux parce que j'ai constaté une situation bien sûr stabilisée grâce à la présence des soldats français, américains et d'autres pays que nous remercions de la part qu'ils prennent à cette stabilisation, mais aussi que le pays demeure extrêmement fragile. Et je me suis permis de souhaiter que la Commission européenne, que l'Union, même en adaptant certaines règles, puisse agir rapidement pour qu'un progrès dans la vie quotidienne soit constaté à Haïti. Il y a beaucoup d'argent disponible dans le Fonds européen de Développement. Mais à quoi sert d'inscrire des crédits dans nos budgets si ceux à qui ils sont destinés ne sont pas en mesure de les consommer ? Et, peut-être cette idée ou cette réflexion sera utile dans d'autres cas, j'ai suggéré que l'Union européenne et la Commission, peut-être par l'envoi d'une équipe technique, puissent aider le gouvernement haïtien à pouvoir utiliser concrètement cet argent, pour remettre en marche le système électrique, faire des routes, améliorer le système de soin, en luttant notamment contre le sida ou pour améliorer le système éducatif, remettre en marche cet Etat.
Q - Sur la Constitution Monsieur le Ministre, on a l'impression que le pessimisme revient maintenant. Un de vos collègues a dit ce matin qu'il était, avant la réunion à 80/20, aujourd'hui, on revient à 50/50. Vous avez senti, entre le gouvernement polonais qui n'existe plus et puis l'Espagne qui fait marche arrière, qu'on avance doucement ?
R - Il y a toujours un gouvernement polonais ! Franchement, je ne crois pas que la discussion de ce matin soit très significative. Peut-être aurez-vous une impression plus concrète demain, en fin de matinée parce que demain, nous allons travailler sur les sujets qui ont bloqué à Bruxelles. On n'a pas bloqué à Bruxelles sur la majorité qualifiée à propos du cadre financier pluriannuel. On a bloqué sur le système de vote et puis sur deux ou trois sujets de majorité qualifiée par ailleurs. Donc je ne crois pas que l'on puisse déduire beaucoup de l'ambiance de ce matin, qui n'était pas à l'euphorie, en effet. Comme je veux rester optimiste ou volontariste, je ne vais pas me laisser impressionner par cette ambiance. Sauf pour rappeler que nous voulons obtenir un résultat et nous voulons un vrai résultat, pas un résultat au rabais. Donc, il va falloir dépasser la simple redite de nos blocages respectifs, ou l'addition de nos réserves respectives. Il va falloir, comme s'y efforce la présidence irlandaise, aboutir à des solutions ou à des propositions d'accord.
Q - Où commence un accord au rabais ? Ce genre de discours, on l'entend partout. On l'a entendu à Nice : "on ne veut pas d'accord au rabais". Puis on entend le président de la République qui dit, le matin de l'accord de Nice, "c'est un excellent accord qui est promis à un excellent avenir". Je voudrais savoir où la France estime que c'est un accord au rabais ? A 65 % ? 66,6 % ? 67 %?
R - Parlez-vous du système de vote ?
Q - Oui, c'est la seule chose qui m'intéresse.
R - Moi, je pensais que vous pouviez être aussi intéressé par les progrès que nous demandons pour la dimension sociale. Ce sont des sujets qui doivent vous intéresser plutôt que ces sujets de mécanique. La majorité qualifiée dans les domaines de la Justice et des Affaires intérieures, c'est important. La majorité qualifiée que nous demandons pour la protection sociale des travailleurs migrants, c'est important. Alors, je continue de penser que la proposition de la Convention pour le système de vote est efficace et équitable : 50 % des Etats représentant 60 % des citoyens. Spontanément, je n'ai pas envie de m'en écarter. Maintenant, il faudra trouver un accord, avec l'Espagne, avec la Pologne, peut-être avec d'autres. Donc nous sommes ouverts pour autant qu'on ne détricote pas d'autres sujets et pour autant que le résultat final pour ce problème du vote préserve une certaine efficacité. Je ne vais pas vous dire qu'on va bloquer sur 50/60, mais nous n'accepterons sûrement pas deux tiers, par exemple.
Q - Quel est votre avis sur la proposition irlandaise en ce qui concerne les langues régionales ?
R - Il y a une proposition de la présidence irlandaise sur cette question des langues, qui ne va pas aussi loin que ce que souhaitait l'Espagne, mais j'aurais du mal à aller plus loin que la proposition de la présidence.
Q - Que pouvez-vous dire de la position espagnole ?
R - Le nouveau gouvernement espagnol a accepté de discuter de la double majorité. C'est un progrès, puisque, jusqu'alors, il y avait un refus de discuter de ce système là qui est pourtant équitable et beaucoup plus simple que le système vilipendé par certains à Nice, qui était en effet un peu compliqué, je le reconnais.
Q - Vous aussi ?
R - Je viens de dire que ce système était en effet un peu compliqué. Donc c'est un progrès. Maintenant, il faut que chacun fasse un pas. On ne va pas accepter la double majorité pour réintroduire complètement les contraintes de Nice. Il faut que ce soit plus simple. Donc, je vous dis que j'aurais du mal à accepter qu'on aille aux deux-tiers des citoyens. Voilà !
Q - Sur l'Irak, si vous le permettez, Monsieur le Ministre, dans l'hypothèse d'une accélération du calendrier américain, je pense à des élections qui pourraient se tenir non pas le 1er janvier 2005 mais peut-être à la rentrée prochaine, est-ce que cette hypothèse remettrait en cause notre engagement de ne pas envoyer de troupes, de soldats français là-bas ? Et est-ce que c'est une hypothèse qui vous semble vraisemblable dans les différentes marches dont vous avez parlé ?
R - Nous pensons depuis le début que l'issue de la tragédie irakienne ne peut pas être militaire. Ce n'est pas par plus de soldats et plus d'opérations militaires que l'on règlera la question. C'est par l'engagement d'un processus politique, démocratique. Et cela commence par un gouvernement souverain le 1er juillet, qui prendra en charge, avec cette souveraineté, les affaires de l'Irak. Et donc, dans ces conditions, je veux dire qu'il n'y aura pas de soldats français ni maintenant, ni plus tard en Irak. Ayant dit cela, quel que soit le moment où se situeront les élections pour légitimer le gouvernement irakien, si on tient déjà le calendrier de janvier 2005, cela signifiera qu'on a réussi toutes les étapes précédentes. Le plus tôt sera le mieux, si les choses sont faites sérieusement. A ce moment là, et peut-être avant, débutera le processus de reconstruction politique et économique. Et nous allons prendre notre part dans ce processus de reconstruction politique et économique de manière forte avec l'ensemble de nos partenaires européens. Nous la prendrons, par exemple, par la formation de gendarmes ou de policiers, de forces de sécurité intérieure. Nous la prendrons, sur le plan de l'économie, par l'allègement de la dette de l'Irak. Nous la prendrons par le programme lié au développement des régions ou des collectivités territoriales irakiennes qui en ont besoin, la création d'emplois, la création de réseaux routiers. Le problème, par exemple, très concret, auquel je m'intéresse, de l'assainissement, du traitement des déchets, de l'eau potable. C'est un problème considérable en Irak actuellement. Donc sur tous ces sujets, la France prendra sa part, dans le cadre de la reconstruction de l'Irak. Mais il n'y aura pas de soldats français ni maintenant, ni plus tard.
Q - Monsieur le Ministre, est-ce que vous avez décelé aujourd'hui un raidissement dans l'attitude britannique, dans les négociations, suite à l'annonce du référendum ? Est-ce qu'on ne risque pas de se retrouver dans la négociation dans une ultime bataille autour d'une ligne rouge de M. Blair dans l'affaire de la définition de la majorité qualifiée ?
R - L'objectif de la France que je vais défendre est d'obtenir un accord le 18 juin et que ce soit un bon accord, non pas pour nous mais pour l'Union européenne. Cela vaut pour nous, cela vaut pour tout le monde. Chacun doit faire un effort. J'ai répondu tout à l'heure que nous étions ouverts à une discussion sur le problème, qui était jusqu'à présent le plus dur, qui est celui de la double majorité puisque c'est sur ce sujet-là qu'on a échoué en décembre. Il faut que chacun fasse un effort. On ne peut pas réussir un accord pour le 18 juin si chacun multiplie ses blocages, ses réserves et ses réflexes nationaux. Je n'ai pas senti, pour répondre à votre question, de la part de Jack Straw un raidissement aujourd'hui. Il a eu des positions qui ont été réaffirmées par lui, par nous. Mais je n'ai pas senti un raidissement particulier.
Q - Une question sur l'Irak, si vous permettez. Vous avez évoqué, dans un entretien que vous avez accordé au Monde, les tortures en Irak ?
R - J'ai dit, sur cette question extrêmement grave, et je peux répéter, qu'au moment où je vous parle, je ne sais pas s'il s'agit d'actes isolés de quelques soldats sadiques et pervers ou d'un système organisé, et s'il s'agit d'un système organisé, à quel niveau il a été organisé. Mais en toute hypothèse, il faudra que les enquêtes soient faites par ceux qui doivent les faire, de manière transparente. Ces actes sont déshonorants et indignes. Ils sont contraires à toutes les lois, à la Convention de Genève et aux lois de la guerre. Ils sont déshonorants et indignes. D'ailleurs, j'ai entendu de la part des plus hautes autorités américaines qui se sont exprimées sur ce sujet - et j'étais présent - des propos comparables à ce que je viens de dire. Donc, pour répondre à votre question, quels que soient ceux qui sont derrière, ces actes sont condamnables. Ils devront être condamnés. Et ceux qui les ont commis devront être sanctionnés.
Q - Concernant la Constitution, est-ce que vous êtes favorable à l'adoption de la Constitution par ceux-là seuls qui l'auront ratifiée à une date à définir ?
R - J'ai toujours du mal à me situer dans la perspective d'une situation que je ne souhaite pas, franchement. Surtout qu'on n'en est pas encore là. On n'a pas encore le texte. Je réponds à ceux qui disent : "en France, il faut un référendum !" Pourquoi pas ? Il y aura peut-être un référendum. Mais d'abord, il faudrait avoir une Constitution. Après quoi le débat dans chaque pays va être très important. Donc, j'en ai parlé encore à Paris dimanche dernier avec Tony Blair. Il m'a dit sa conviction qu'il pensait pouvoir entraîner la confiance et le vote des Britanniques sur ce texte. J'accueille cet engagement de Tony Blair de manière positive. Donc ne me faites pas dire que tel ou tel pays ne va pas voter ce texte. Mais s'il n'est pas ratifié juridiquement, il ne peut pas entrer en vigueur juridiquement.
Alors, il y a plusieurs hypothèses dans ce cas-là. Là, je parle de manière totalement neutre, presque pédagogique ou technique :
- On peut imaginer qu'on en reste là. C'est à dire au Traité de Nice dont je pense qu'il est utile mais dans le court terme. Et nous sommes dans le court terme, encore pour quelque temps. Je ne pense pas que ce Traité soit utilisable dans le moyen et le long terme pour faire fonctionner l'Europe comme je le souhaite en tant que marché, communauté et puissance politique.
- On peut imaginer ensuite que certains des pays qui veulent ce texte se disent : "mettons-le quand même en oeuvre entre nous". Mais à ce moment-là, il faudrait un Traité pour établir le type de relation entre eux et les autres. Cette hypothèse est très compliquée parce que, comme vous l'avez compris et j'en suis heureux, la Constitution telle qu'elle est sur la table, n'est pas un Traité de plus. Ce à quoi nous sommes parvenus dans la Convention, sous l'impulsion de M. Giscard d'Estaing, c'est à reconstruire, à restructurer l'ensemble des Traités précédents. Donc, ce n'est pas un étage de plus qu'on peut déconnecter du reste. Tous les Traités ont été reconstruits, réécrits de manière lisible. Donc, dire qu'on le met en oeuvre est un problème juridique qui mérite sans doute d'être étudié. C'est compliqué.
- Il y a une troisième hypothèse qui consiste, pour les pays qui voudraient aller plus loin et qui ne voudraient pas en rester là, c'est-à-dire au Traité de Nice, à faire autre chose.
- Et puis, il y a une quatrième hypothèse - si vous le permettez, d'ailleurs, je vais la rappeler - qui consiste à ne pas vouloir en rester là, c'est-à-dire à un échec, et, comme cela a été fait pour le Traité d'Amsterdam, si tel ou tel pays ne l'approuve pas, à le consulter à nouveau.
Vous voyez que j'ai essayé vraiment de vous dire comment les choses se présenteraient dans ce cas-là. Prenez cette explication comme une explication qui mérite d'être affinée sur le plan juridique et pas du tout comme l'idée que le ministre français baisserait les bras et serait déjà en train d'envisager ce qui se passerait après. Ce n'est pas mon état d'esprit. Il y a quatre hypothèses en cas d'échec, dont celle que vous avez évoquée, dont celle que j'ai évoquée moi-même qui consiste à faire autre chose. Merci beaucoup.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 19 mai 2004)
(Entretien de Michel Barnier avec Europe 1, à Bruxelles le 17 mai 2004) :
Q - Une première réaction à cet attentat qui décapite le fragile gouvernement irakien ?
R - C'est de la consternation que je veux exprimer devant l'assassinat du président en exercice du gouvernement provisoire irakien, M. Salim. Naturellement, cet assassinat est une preuve de plus de la spirale de violence qui sévit en Irak aujourd'hui, avec tout ce qu'on a vu depuis quelques mois : des civils américains assassinés, ce jeune américain, Nicholas Berg, qui a été décapité dans des conditions épouvantables.
Q - Le responsable de l'attentat de ce matin est, semble-t-il, le même que celui qui a fait décapiter Nicholas Berg ?
R - Je ne le sais pas mais on voit bien qu'il y a une spirale de violence dans ce pays et d'une manière générale, ce que l'on voit partout, à partir de l'Irak ou du Proche-Orient, c'est une perte totale de repères. Un peu partout, des actes se multiplient où l'inhumanité l'emporte sur tout le reste, avec, en Israël ou en Palestine, des attentats suicide d'un côté, des assassinats extra-judiciaires de l'autre. On touche là à ce qui est au coeur de toutes les civilisations, de toutes les religions : la personne humaine. Voilà pourquoi la France, dans cette tragédie irakienne comme dans d'autres crises, souhaite que l'on en revienne à la raison, à la conscience, et surtout au Droit international.
Q - Je voudrais justement que l'on en vienne aux conséquences que l'on peut tirer. Pardonnez-moi cette question directe mais est-ce que, finalement, vous n'avez pas le sentiment que seul, à terme, après la transition du pouvoir, un retrait des troupes américaines d'Irak permettrait que le calme revienne ? Parce que l'on ne voit pas autre chose qu'une escalade de la violence actuellement.
R - Comme vous le dites, ce sera au terme de la transition politique. En effet, il faudra que les troupes d'occupation, qui vont se transformer - nous verrons bien dans quelles conditions - en troupes de stabilisation, quittent l'Irak lorsque le nouveau gouvernement irakien le demandera. Je ne sais pas quand ce gouvernement le demandera.
Q - Cela pourrait être après le 30 juin puisque le transfert du pouvoir c'est le 30 juin ?
R - Je ne crois pas que l'on puisse stabiliser l'Irak aussi rapidement dans l'état où ce pays se trouve. Prenons les choses dans l'ordre. Le 30 juin, c'est le moment important, pour nous la première étape de ce processus politique qui consiste à mettre en place un gouvernement véritablement souverain. C'est un moment de vérité. On va voir s'il y a de la sincérité dans ce transfert de souveraineté, si le nouveau gouvernement irakien, à partir des propositions de nomination de ministres que fera M. Brahimi, l'envoyé spécial du Secrétaire général des Nations unies, si ce gouvernement disposera vraiment de la capacité de gérer l'économie, les ressources naturelles, la police, la gendarmerie et les forces militaires irakiennes. Après quoi, ce gouvernement va devoir préparer pendant quelques mois - c'est pour cela qu'il faut un peu de temps - tout en gérant les affaires irakiennes, le deuxième moment important qui est celui de l'élection au suffrage universel d'une Assemblée nationale irakienne en janvier 2005.
Q - Mais vous voyez bien que nous sommes dans une atmosphère qui est quand même plus proche de la guerre civile que de la progression vers une démocratie. Tout cela, c'est donc un calendrier. Mais, actuellement, pour reprendre le titre d'un ouvrage célèbre de Bernard-Henri Levy, on est plutôt dans la "barbarie à visage humain" que dans l'apprentissage de la démocratie ?
R - Naturellement, mais on sort de cette barbarie, de ce que j'ai appelé cette spirale d'inhumanité, j'ai même parlé d'un trou noir qui peut emporter le Proche et le Moyen-Orient, et le monde avec. Nous n'en sortirons que par un processus politique, en franchissant les étapes une à une. La première étape, c'est un gouvernement de transition souverain, un changement d'attitude et de statut des forces qui occupent l'Irak, c'est un mandat des Nations unies qui encadrera ce processus, et puis la seconde étape ce sera, pendant quelques mois, en faisant très attention, jour après jour, la préparation des élections du mois de janvier 2005.
Q - Dernier point qui me paraît important, est-ce que vous n'avez pas le sentiment aussi que seule la disparition, ou en tout cas l'échec, de Bush aux prochaines présidentielles américaines peut calmer la situation ?
R - Ne me demandez pas, comme ministre des Affaires étrangères de la France, de faire des commentaires ou des prévisions sur ce qui se passe aux Etats-Unis. J'ai moi-même eu l'occasion de rencontrer le président Bush, avec les sept autres ministres du G8, vendredi matin à Washington. Nous avons longuement, toute la journée, discuté avec Colin Powell, et je pense que les plus hautes autorités américaines ont compris qu'il fallait réussir ce processus politique, qu'il fallait opérer un vrai transfert de souveraineté au nouveau gouvernement irakien, qu'il fallait également condamner, comme nous l'avons fait, l'attitude déshonorante d'un certain nombre de soldats américains qui ont perpétré des tortures ou des sévices sur des prisonniers irakiens.
Q - Avec peut-être la responsabilité de Rumsfeld ? Ou en tout cas un feu vert tacite ?
R - Ceux qui sont responsables, qu'il s'agisse d'un système organisé d'interrogatoire et de torture, ou de soldats qui se sont comportés comme des sadiques, doivent être reconnus et condamnés. En tout cas, on ne peut pas en rester là. La seule issue - et la France le demande depuis le début je sors d'une réunion des ministres européens - c'est l'issue politique, c'est la transition politique que nous devons préparer maintenant.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 21 mai 2004)
(Entretien de Michel Barnier avec des radios françaises, à Bruxelles le 17 mai 2004) :
Q - Un nouvel attentat a coûté la vie à un haut dirigeant du gouvernement irakien ?
R - Oui, en effet, ce matin, le président en exercice du gouvernement provisoire irakien, M. Salim, a été assassiné. C'est une preuve de plus de cette spirale de violence, de sang, de terreur, d'assassinat en tout genre et dans tous les sens, qui s'empare de cette région, à partir de l'Irak et malheureusement pas seulement à partir de l'Irak. Je suis très frappé de cette spirale d'inhumanité qui embrase cette région du Moyen-Orient, du Proche-Orient. C'est la raison pour laquelle j'ai réitéré cet appel à la raison et à la conscience et cette exigence que nous soutenons de revenir au droit international, de sortir de ces crises par la négociation politique.
Q - Sur le retrait annoncé par le Premier ministre israélien de la bande de Gaza, quel regard les vingt-cinq ont-ils porté ?
R - Ce retrait, en lui-même, est un élément qui fait partie de la Feuille de route, c'est-à-dire le plan de reconstruction politique pacifique entre Israël et l'Autorité palestinienne. Je rappelle que cette Feuille de route a un objectif très précis : que l'on ait au bout de cette route, deux Etats vivant côte à côte. Un Etat d'Israël vivant dans la sécurité, et nous, Français, nous ne transigerons jamais avec la sécurité d'Israël, et un Etat palestinien viable. C'est l'objectif. Et pour arriver au bout de cette route, il y a un certain nombre d'étapes. Le retrait de Gaza est une étape mais elle ne peut pas être déconnectée ou séparée des autres et donc ce n'est pas à la place du plan de paix, à la place de la Feuille de route que l'on doit se retirer de Gaza, c'est une étape, un élément de cette Feuille de route et, ayant dit cela, il faut aussi que ce retrait soit crédible, qu'on en fixe les conditions. Je suis inquiet de voir que, au moment où le Premier ministre Sharon annonce ce retrait, qui est en lui-même positif, on veut détruite des centaines de maisons et mettre dans la rue des milliers de Palestiniens. On veut, du côté de l'Egypte, créer une sorte de fossé. Il ne faut pas détruire Gaza avant de se retirer. Il faut que Gaza puisse vivre, que les hommes et les femmes qui sont dans cette bande de territoire et notamment les jeunes qui attendent désespérément un avenir, un futur, que tous ces gens puissent vivre.
Q - C'est une visite attendue en Haïti qui a été la vôtre ?
R - Oui, elle était attendue depuis assez longtemps puisque cela fait maintenant deux cents ans qu'aucun ministre des Affaires étrangères n'était venu. Dominique de Villepin avait promis cette visite. Il n'a pas pu tenir cette promesse puisqu'il a changé de poste. Et donc j'ai voulu tenir cet engagement et établir avec le gouvernement de transition à Haïti, des relations de travail. Nous sommes dans une situation très fragile et très grave dans ce petit pays auquel la France doit être attachée puisque tous les gens que j'ai rencontrés, tous les jeunes, y compris dans une école d'agronomie, parlent tous français. Il faut donc les aider. Nous les aidons avec des forces militaires, des gendarmes, qui font un travail formidable actuellement sur place. J'ai rendu hommage à la force française, à son action sur place, qui, avec d'autres soldats américains, stabilise le pays mais, au-delà, il faut le reconstruire et il faut reconstruire un Etat. J'ai dit à mes collègues européens aujourd'hui qu'il y avait urgence à pouvoir débloquer cet argent européen qui est disponible, à pouvoir l'utiliser pour reconstruire un système électrique, pour faire des routes, pour faire redémarrer l'éducation, pour lutter contre le sida. Il y a une urgence à ce que l'Europe aide ce petit pays à retrouver lui aussi un avenir.
Q - Pensez-vous que la stabilisation est acquise maintenant ? Qu'elle est durable ? Est-ce que le processus politique interne a redémarré ?
R - Il y a un processus politique et la préparation d'élections mais, quand on va sur place et qu'on écoute tous les dirigeants politiques de tous les côtés, que j'ai écoutés, il faut bien comprendre que, pour que ce processus politique soit stable, il faut qu'il y ait un progrès dans l'économie, il faut que les gens aient un avenir, il faut que l'éducation remarche, qu'il y ait des routes. Il faut donc que le gouvernement soit capable de montrer un progrès dans la vie quotidienne. Et c'est pour cela que l'aide européenne doit être très vite débloquée et utilisée sur place.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 21 mai 2004)
Bonjour à tous. Je suis heureux de vous retrouver. En fait, c'est la première fois dans cette pièce et dans le cadre du Conseil. Je vais vous dire quelques mots des points principaux que nous avons évoqués depuis ce matin et que nous continuerons d'évoquer demain matin puisque j'ai choisi de participer à la totalité de ce Conseil Affaires générales et Relations extérieures.
Nous avons commencé la discussion ce matin par la Conférence intergouvernementale (CIG) et la Constitution. Je voudrais simplement rappeler dans quel état d'esprit je me trouve dans cette dernière ligne droite :
1) Je veux travailler à un accord au mois de juin, un accord définitif au niveau des chefs d'Etat et de gouvernement. S'agissant de cette Constitution, on ne fera jamais mieux que le travail fait pendant 18 mois par la Convention de manière transparente, démocratique. C'est un vrai progrès que cette Convention. Certes, le résultat auquel elle est parvenue n'est pas idéal, mais il constitue néanmoins le meilleur résultat possible pour faire fonctionner cette Europe de vingt-cinq ou vingt-sept pays dans le moyen et le long terme. Donc, nous souhaitons parvenir à cet accord après un long moment de négociations, alors même que l'opinion publique, les citoyens, qui vont être consultés le 13 juin - la seule grande consultation européenne dans tous les pays de l'Union pour élire leurs députés européens - sont inquiets, préoccupés par de vrais sujets, qu'il s'agisse de l'emploi, de l'économie, de l'écologie, qu'il s'agisse de la sécurité, avec la situation dans le monde et en Europe. On a vu à Madrid que la démocratie européenne - pas seulement la démocratie espagnole - pouvait être touchée par le terrorisme international. Donc il y a des inquiétudes et une attente et il faut, je le répète, que la maison soit en ordre. Il faut que l'Europe marche. Et c'est l'objet de cette Constitution. Donc la France, et le président de la République le confirmera dans les semaines qui viennent, veut qu'on aboutisse à un accord le 18 juin. N'est ce pas une belle date le 18 juin ? Elle l'est en tout cas pour nous, et sans doute pour d'autres aussi... Mais cela n'a rien à voir, je le reconnais, encore qu'il s'agisse d'une certaine idée de la liberté et de la démocratie.
2) Pour autant, si nous sommes déterminés à travailler avec tous les autres pays à cet accord, nous ne sommes pas décidés à approuver une Constitution au rabais. Donc notre double ligne est la suivante. Il faut conclure, parce que cela fait très longtemps qu'on négocie, que nous sommes presque au bout, et qu'il faut adresser un signal aux citoyens pour leur dire que la maison est en ordre. On pourrait même aller un peu plus loin : comment faire comprendre aux citoyens qu'on ne règle pas le système de vote au Conseil des ministres - j'allais dire que c'est presque une question de mécanique ou de pouvoir, et je sais aussi bien que d'autres qu'elle est importante -, qu'on n'aboutisse pas à un accord sur ce sujet alors qu'il y a toutes les inquiétudes que j'ai évoquées tout à l'heure ? Mais nous ne voulons pas d'accord au rabais ! Donc nous souhaitons que la dynamique du travail de la Convention soit préservée tel qu'on en a pris acte encore sous la présidence italienne à Naples. Pour moi, le texte de référence, c'est celui sur lequel nous avons travaillé à Naples. La dynamique de la Convention et celle des résultats obtenus doivent être préservées.
Nous allons discuter demain des sujets politiques les plus sensibles : la composition de la Commission ou les systèmes de vote dont je vous reparlerai, si vous le voulez bien, quand nous nous retrouverons demain en fin de matinée. Aujourd'hui, nous avons travaillé sur des sujets qui ne sont pas négligeables et pour lesquels nous soutiendrons les efforts de la présidence irlandaise qui travaille avec beaucoup d'intelligence, je tiens à la redire une nouvelle fois parce que je le pense, la présidence irlandaise propose des accords, des solutions. Ce matin, j'ai noté par exemple que, sur les questions financières, beaucoup de délégations, dont la nôtre, ont marqué leur accord à ce que le cadre financier pluriannuel soit adopté à la majorité qualifiée. J'ai pu dire à mes collègues que, vraiment, à vingt-cinq ou vingt-sept, le droit de veto, l'unanimité, c'est le blocage ou l'impuissance assurée, notamment sur cette question des perspectives financières et du cadre financier pluriannuel. Sur la procédure budgétaire, là aussi, la présidence a fait une proposition que j'ai soutenue qui respecte l'équilibre entre le Conseil et le Parlement et qui offre une issue en cas de blocage. Sur la Charte des droits fondamentaux, j'ai dit clairement, et je suis prêt à le répéter, que nous n'accepterons pas de remettre en cause l'avancée de la Convention qui a intégré la Charte en lui donnant une valeur constitutionnelle dans le corps même de la Constitution.
J'aurai la même détermination sur un sujet - où j'ai du mal à comprendre qu'on veuille revenir en arrière ou ne pas aller vers l'efficacité - qui est celui de la Justice et des Affaires intérieures (JAI), et qui touche à la lutte contre la criminalité organisée ou le terrorisme. Franchement, nous avons davantage de raisons d'être plus efficaces dans ces domaines, depuis le 11 septembre, à New York et à Washington, depuis le 11 mars à Madrid. Donc nous devons avancer dans ces domaines ! Là encore, l'important est qu'on ne revienne pas en arrière sur les propositions de la Convention. Voilà pour ce qui concerne la Constitution.
A l'occasion du déjeuner, nous avons poursuivi deux discussions engagées depuis quelques mois et même un peu plus longtemps. Nous avons beaucoup parlé, d'ailleurs, de ces deux sujets à Washington, vendredi. Il s'agit de l'Irak et du Proche-Orient.
Sur l'Irak, après l'attentat qui a coûté la vie à M. Salim ce matin et que nous avons appris avec consternation, comme le président de la République lui-même l'a dit, nous pensons que, plus que jamais, une issue politique est nécessaire, une solution politique qu'il faut maintenant mettre en oeuvre. Il faut réussir ce processus politique qui doit se substituer à un engagement militaire. La première étape du 30 juin est tout à fait importante. C'est comme une marche. Si vous ratez la première marche, vous risquez de rater toutes les autres derrière. Donc, il faut prendre beaucoup de précautions pour réussir cette première étape du 30 juin qui consiste à donner aux Irakiens, sincèrement, réellement, le pouvoir de gouverner l'Irak et de leur donner les compétences qui découlent de cette souveraineté : la gestion de leur économie et des ressources naturelles, l'autorité sur la justice, sur la police, la gendarmerie, sur les forces reconstituées en matière militaire. Nous considérons qu'il est très important pour la crédibilité de ce gouvernement de disposer des vraies compétences liées à la souveraineté, comme il est très important, d'une manière ou d'une autre, de bien vérifier avant le 1er juillet que l'équipe qui sera proposée, notamment à partir des suggestions, des recommandations de M. Brahimi, que j'ai rencontré deux fois depuis trois semaines, que cette équipe sera acceptée par les principales communautés irakiennes et les principales forces politiques de ce pays. Voilà pourquoi nous continuons à penser que cette idée d'une conférence, peut-être à plusieurs étapes, dont la première pourrait être une table ronde entre le 1er juin et le 30 juin, en Irak, entre Irakiens. Nous sommes persuadés que l'on peut organiser une telle table ronde qui permettrait de faire cette vérification politique. Après quoi, on pourrait imaginer, après le 1er juillet, une conférence plus large et, peut-être, enfin, pour consolider ce processus politique, une conférence - je me méfie des comparaisons dans des situations qui ne sont pas toujours comparables - comme celle qui a été organisée avec succès à Berlin, pour consolider le processus politique engagé en Afghanistan. Donc, nous attachons beaucoup d'importance à la sincérité de ce transfert de souveraineté et à la crédibilité du premier gouvernement de transition en Irak qui aura comme charge de gérer les affaires et de préparer une autre échéance importante, celle du mois de janvier, avec les élections démocratiques en Irak qui donneront à ce gouvernement sa complète légitimité. Tout cela nous l'avons rappelé aux Etats-Unis où je me trouvais, dans les discussions que nous avons eues avec Colin Powell et nos collègues du G8. Nous sommes tout de même inquiets, comme je l'exprimais la semaine dernière, de ce qui se passe dans cette région, l'enchaînement de violences, de sang, d'attentats, d'actes qui démontrent un peu partout la barbarie et l'inhumanité. Nous considérons qu'il y a urgence à lancer un appel à la raison, à la conscience et à revenir partout dans le seul cadre qui est pour nous nécessaire et utile : celui des Nations unies et du respect du droit international.
Processus politique enfin. Nous avons été unanimes, une fois de plus, pour le dire à propos du Proche Orient. J'observe d'ailleurs que j'ai annoncé - c'est un souci que j'aurai constamment, comme ministre français des Affaires étrangères et en n'oubliant pas ce que j'ai appris pendant cinq années comme commissaire - que l'objectif sera de travailler tous les jours à l'unité politique des Européens. J'ai toujours eu, au coeur de mon engagement personnel, l'idée que l'Europe devait être bien plus qu'un grand marché, qu'elle devrait être aussi une communauté solidaire et qu'elle devrait être rapidement - d'ailleurs tout ce qui se passe dans le monde nous y oblige - un acteur global, une puissance capable de parler de politique pour elle-même et avec les autres, de politique.
Voilà pourquoi les progrès que nous faisons sur la défense et ce que nous devons faire sur la politique étrangère, avec les outils de la future Constitution, et sans attendre cette Constitution sur les sujets de l'actualité, ces progrès sont pour moi très importants. J'y travaillerai constamment. Je le fais sur l'Irak, et nous le faisons naturellement sur le Proche-Orient où, si comme cela était clair lors du Gymnich, les vingt-cinq ministres sont unanimes pour partager la même analyse. Et cette unanimité, je me permets de le faire observer, a compté, puisqu'elle a été portée à la réunion du Quartet par Javier Solana et Chris Patten, de manière extrêmement claire. Je leur ai d'ailleurs rendu hommage. Lorsque vendredi matin, le président Bush nous a reçus pour nous donner son sentiment à la Maison Blanche et qu'ensuite nous nous sommes retrouvés avec Colin Powell, j'ai observé de même, à propos de la Feuille de route et de son contenu, à propos de la négociation que nous devons continuer avec l'Autorité palestinienne et avec le président Arafat, à propos du cadre de travail sur lequel tout le monde paraissait d'accord : le Quartet, j'ai observé, de la part du gouvernement des Etats-Unis, une réaffirmation qui va dans le sens de ce que nous souhaitons. En entrant un instant dans le fond du sujet de la Feuille de route, je peux dire que, pour nous, le retrait de Gaza, tel qu'il a été annoncé, au départ, de manière unilatérale par le Premier ministre Sharon, est en lui-même un élément important puisqu'il fait partie de la Feuille de route, et qu'il faudra en effet qu'Israël se retire de Gaza. Mais se retirer de Gaza après avoir détruit Gaza, cela ne me paraît pas être la bonne voie. En d'autres termes, il faut que le retrait de Gaza s'accompagne d'autres étapes qui sont inscrites dans la Feuille de route. La Feuille de route ne se résume pas au retrait de Gaza. Si nous parlons de ce retrait, il faut que Gaza puisse vivre et que les jeunes et les femmes qui s'y trouvent, et que j'ai rencontrés il y a quelques années, qui attendent qu'on leur apporte un futur, puissent vivre. Si on crée d'un côté une tranchée, si de l'autre on détruit des centaines de maisons pour mettre un peu plus de gens à la rue et les transformer en réfugiés permanents, il y a, de mon point de vue, un problème sérieux de crédibilité du processus de retrait de Gaza. Donc, nous avons invité les parties à reprendre la négociation sur la base de cette Feuille de route, pour donner à ce retrait de Gaza, y compris dans les conditions de sa réussite, toutes ses chances.
J'ai, à l'occasion du déjeuner, également évoqué la question - je me permets de le dire pour ceux d'entre vous qui seraient intéressés par ce sujet - de la réussite du processus de stabilisation à Haïti, d'où je reviens. C'était la première visite d'un ministre des Affaires étrangères de la France depuis deux cents ans. Mon prédécesseur, Dominique de Villepin avait pris l'engagement de venir et, comme il a changé de ministère l'avant-veille de sa visite, il n'a pu l'honorer. J'ai tenu cet engagement. J'en suis très heureux parce que j'ai constaté une situation bien sûr stabilisée grâce à la présence des soldats français, américains et d'autres pays que nous remercions de la part qu'ils prennent à cette stabilisation, mais aussi que le pays demeure extrêmement fragile. Et je me suis permis de souhaiter que la Commission européenne, que l'Union, même en adaptant certaines règles, puisse agir rapidement pour qu'un progrès dans la vie quotidienne soit constaté à Haïti. Il y a beaucoup d'argent disponible dans le Fonds européen de Développement. Mais à quoi sert d'inscrire des crédits dans nos budgets si ceux à qui ils sont destinés ne sont pas en mesure de les consommer ? Et, peut-être cette idée ou cette réflexion sera utile dans d'autres cas, j'ai suggéré que l'Union européenne et la Commission, peut-être par l'envoi d'une équipe technique, puissent aider le gouvernement haïtien à pouvoir utiliser concrètement cet argent, pour remettre en marche le système électrique, faire des routes, améliorer le système de soin, en luttant notamment contre le sida ou pour améliorer le système éducatif, remettre en marche cet Etat.
Q - Sur la Constitution Monsieur le Ministre, on a l'impression que le pessimisme revient maintenant. Un de vos collègues a dit ce matin qu'il était, avant la réunion à 80/20, aujourd'hui, on revient à 50/50. Vous avez senti, entre le gouvernement polonais qui n'existe plus et puis l'Espagne qui fait marche arrière, qu'on avance doucement ?
R - Il y a toujours un gouvernement polonais ! Franchement, je ne crois pas que la discussion de ce matin soit très significative. Peut-être aurez-vous une impression plus concrète demain, en fin de matinée parce que demain, nous allons travailler sur les sujets qui ont bloqué à Bruxelles. On n'a pas bloqué à Bruxelles sur la majorité qualifiée à propos du cadre financier pluriannuel. On a bloqué sur le système de vote et puis sur deux ou trois sujets de majorité qualifiée par ailleurs. Donc je ne crois pas que l'on puisse déduire beaucoup de l'ambiance de ce matin, qui n'était pas à l'euphorie, en effet. Comme je veux rester optimiste ou volontariste, je ne vais pas me laisser impressionner par cette ambiance. Sauf pour rappeler que nous voulons obtenir un résultat et nous voulons un vrai résultat, pas un résultat au rabais. Donc, il va falloir dépasser la simple redite de nos blocages respectifs, ou l'addition de nos réserves respectives. Il va falloir, comme s'y efforce la présidence irlandaise, aboutir à des solutions ou à des propositions d'accord.
Q - Où commence un accord au rabais ? Ce genre de discours, on l'entend partout. On l'a entendu à Nice : "on ne veut pas d'accord au rabais". Puis on entend le président de la République qui dit, le matin de l'accord de Nice, "c'est un excellent accord qui est promis à un excellent avenir". Je voudrais savoir où la France estime que c'est un accord au rabais ? A 65 % ? 66,6 % ? 67 %?
R - Parlez-vous du système de vote ?
Q - Oui, c'est la seule chose qui m'intéresse.
R - Moi, je pensais que vous pouviez être aussi intéressé par les progrès que nous demandons pour la dimension sociale. Ce sont des sujets qui doivent vous intéresser plutôt que ces sujets de mécanique. La majorité qualifiée dans les domaines de la Justice et des Affaires intérieures, c'est important. La majorité qualifiée que nous demandons pour la protection sociale des travailleurs migrants, c'est important. Alors, je continue de penser que la proposition de la Convention pour le système de vote est efficace et équitable : 50 % des Etats représentant 60 % des citoyens. Spontanément, je n'ai pas envie de m'en écarter. Maintenant, il faudra trouver un accord, avec l'Espagne, avec la Pologne, peut-être avec d'autres. Donc nous sommes ouverts pour autant qu'on ne détricote pas d'autres sujets et pour autant que le résultat final pour ce problème du vote préserve une certaine efficacité. Je ne vais pas vous dire qu'on va bloquer sur 50/60, mais nous n'accepterons sûrement pas deux tiers, par exemple.
Q - Quel est votre avis sur la proposition irlandaise en ce qui concerne les langues régionales ?
R - Il y a une proposition de la présidence irlandaise sur cette question des langues, qui ne va pas aussi loin que ce que souhaitait l'Espagne, mais j'aurais du mal à aller plus loin que la proposition de la présidence.
Q - Que pouvez-vous dire de la position espagnole ?
R - Le nouveau gouvernement espagnol a accepté de discuter de la double majorité. C'est un progrès, puisque, jusqu'alors, il y avait un refus de discuter de ce système là qui est pourtant équitable et beaucoup plus simple que le système vilipendé par certains à Nice, qui était en effet un peu compliqué, je le reconnais.
Q - Vous aussi ?
R - Je viens de dire que ce système était en effet un peu compliqué. Donc c'est un progrès. Maintenant, il faut que chacun fasse un pas. On ne va pas accepter la double majorité pour réintroduire complètement les contraintes de Nice. Il faut que ce soit plus simple. Donc, je vous dis que j'aurais du mal à accepter qu'on aille aux deux-tiers des citoyens. Voilà !
Q - Sur l'Irak, si vous le permettez, Monsieur le Ministre, dans l'hypothèse d'une accélération du calendrier américain, je pense à des élections qui pourraient se tenir non pas le 1er janvier 2005 mais peut-être à la rentrée prochaine, est-ce que cette hypothèse remettrait en cause notre engagement de ne pas envoyer de troupes, de soldats français là-bas ? Et est-ce que c'est une hypothèse qui vous semble vraisemblable dans les différentes marches dont vous avez parlé ?
R - Nous pensons depuis le début que l'issue de la tragédie irakienne ne peut pas être militaire. Ce n'est pas par plus de soldats et plus d'opérations militaires que l'on règlera la question. C'est par l'engagement d'un processus politique, démocratique. Et cela commence par un gouvernement souverain le 1er juillet, qui prendra en charge, avec cette souveraineté, les affaires de l'Irak. Et donc, dans ces conditions, je veux dire qu'il n'y aura pas de soldats français ni maintenant, ni plus tard en Irak. Ayant dit cela, quel que soit le moment où se situeront les élections pour légitimer le gouvernement irakien, si on tient déjà le calendrier de janvier 2005, cela signifiera qu'on a réussi toutes les étapes précédentes. Le plus tôt sera le mieux, si les choses sont faites sérieusement. A ce moment là, et peut-être avant, débutera le processus de reconstruction politique et économique. Et nous allons prendre notre part dans ce processus de reconstruction politique et économique de manière forte avec l'ensemble de nos partenaires européens. Nous la prendrons, par exemple, par la formation de gendarmes ou de policiers, de forces de sécurité intérieure. Nous la prendrons, sur le plan de l'économie, par l'allègement de la dette de l'Irak. Nous la prendrons par le programme lié au développement des régions ou des collectivités territoriales irakiennes qui en ont besoin, la création d'emplois, la création de réseaux routiers. Le problème, par exemple, très concret, auquel je m'intéresse, de l'assainissement, du traitement des déchets, de l'eau potable. C'est un problème considérable en Irak actuellement. Donc sur tous ces sujets, la France prendra sa part, dans le cadre de la reconstruction de l'Irak. Mais il n'y aura pas de soldats français ni maintenant, ni plus tard.
Q - Monsieur le Ministre, est-ce que vous avez décelé aujourd'hui un raidissement dans l'attitude britannique, dans les négociations, suite à l'annonce du référendum ? Est-ce qu'on ne risque pas de se retrouver dans la négociation dans une ultime bataille autour d'une ligne rouge de M. Blair dans l'affaire de la définition de la majorité qualifiée ?
R - L'objectif de la France que je vais défendre est d'obtenir un accord le 18 juin et que ce soit un bon accord, non pas pour nous mais pour l'Union européenne. Cela vaut pour nous, cela vaut pour tout le monde. Chacun doit faire un effort. J'ai répondu tout à l'heure que nous étions ouverts à une discussion sur le problème, qui était jusqu'à présent le plus dur, qui est celui de la double majorité puisque c'est sur ce sujet-là qu'on a échoué en décembre. Il faut que chacun fasse un effort. On ne peut pas réussir un accord pour le 18 juin si chacun multiplie ses blocages, ses réserves et ses réflexes nationaux. Je n'ai pas senti, pour répondre à votre question, de la part de Jack Straw un raidissement aujourd'hui. Il a eu des positions qui ont été réaffirmées par lui, par nous. Mais je n'ai pas senti un raidissement particulier.
Q - Une question sur l'Irak, si vous permettez. Vous avez évoqué, dans un entretien que vous avez accordé au Monde, les tortures en Irak ?
R - J'ai dit, sur cette question extrêmement grave, et je peux répéter, qu'au moment où je vous parle, je ne sais pas s'il s'agit d'actes isolés de quelques soldats sadiques et pervers ou d'un système organisé, et s'il s'agit d'un système organisé, à quel niveau il a été organisé. Mais en toute hypothèse, il faudra que les enquêtes soient faites par ceux qui doivent les faire, de manière transparente. Ces actes sont déshonorants et indignes. Ils sont contraires à toutes les lois, à la Convention de Genève et aux lois de la guerre. Ils sont déshonorants et indignes. D'ailleurs, j'ai entendu de la part des plus hautes autorités américaines qui se sont exprimées sur ce sujet - et j'étais présent - des propos comparables à ce que je viens de dire. Donc, pour répondre à votre question, quels que soient ceux qui sont derrière, ces actes sont condamnables. Ils devront être condamnés. Et ceux qui les ont commis devront être sanctionnés.
Q - Concernant la Constitution, est-ce que vous êtes favorable à l'adoption de la Constitution par ceux-là seuls qui l'auront ratifiée à une date à définir ?
R - J'ai toujours du mal à me situer dans la perspective d'une situation que je ne souhaite pas, franchement. Surtout qu'on n'en est pas encore là. On n'a pas encore le texte. Je réponds à ceux qui disent : "en France, il faut un référendum !" Pourquoi pas ? Il y aura peut-être un référendum. Mais d'abord, il faudrait avoir une Constitution. Après quoi le débat dans chaque pays va être très important. Donc, j'en ai parlé encore à Paris dimanche dernier avec Tony Blair. Il m'a dit sa conviction qu'il pensait pouvoir entraîner la confiance et le vote des Britanniques sur ce texte. J'accueille cet engagement de Tony Blair de manière positive. Donc ne me faites pas dire que tel ou tel pays ne va pas voter ce texte. Mais s'il n'est pas ratifié juridiquement, il ne peut pas entrer en vigueur juridiquement.
Alors, il y a plusieurs hypothèses dans ce cas-là. Là, je parle de manière totalement neutre, presque pédagogique ou technique :
- On peut imaginer qu'on en reste là. C'est à dire au Traité de Nice dont je pense qu'il est utile mais dans le court terme. Et nous sommes dans le court terme, encore pour quelque temps. Je ne pense pas que ce Traité soit utilisable dans le moyen et le long terme pour faire fonctionner l'Europe comme je le souhaite en tant que marché, communauté et puissance politique.
- On peut imaginer ensuite que certains des pays qui veulent ce texte se disent : "mettons-le quand même en oeuvre entre nous". Mais à ce moment-là, il faudrait un Traité pour établir le type de relation entre eux et les autres. Cette hypothèse est très compliquée parce que, comme vous l'avez compris et j'en suis heureux, la Constitution telle qu'elle est sur la table, n'est pas un Traité de plus. Ce à quoi nous sommes parvenus dans la Convention, sous l'impulsion de M. Giscard d'Estaing, c'est à reconstruire, à restructurer l'ensemble des Traités précédents. Donc, ce n'est pas un étage de plus qu'on peut déconnecter du reste. Tous les Traités ont été reconstruits, réécrits de manière lisible. Donc, dire qu'on le met en oeuvre est un problème juridique qui mérite sans doute d'être étudié. C'est compliqué.
- Il y a une troisième hypothèse qui consiste, pour les pays qui voudraient aller plus loin et qui ne voudraient pas en rester là, c'est-à-dire au Traité de Nice, à faire autre chose.
- Et puis, il y a une quatrième hypothèse - si vous le permettez, d'ailleurs, je vais la rappeler - qui consiste à ne pas vouloir en rester là, c'est-à-dire à un échec, et, comme cela a été fait pour le Traité d'Amsterdam, si tel ou tel pays ne l'approuve pas, à le consulter à nouveau.
Vous voyez que j'ai essayé vraiment de vous dire comment les choses se présenteraient dans ce cas-là. Prenez cette explication comme une explication qui mérite d'être affinée sur le plan juridique et pas du tout comme l'idée que le ministre français baisserait les bras et serait déjà en train d'envisager ce qui se passerait après. Ce n'est pas mon état d'esprit. Il y a quatre hypothèses en cas d'échec, dont celle que vous avez évoquée, dont celle que j'ai évoquée moi-même qui consiste à faire autre chose. Merci beaucoup.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 19 mai 2004)
(Entretien de Michel Barnier avec Europe 1, à Bruxelles le 17 mai 2004) :
Q - Une première réaction à cet attentat qui décapite le fragile gouvernement irakien ?
R - C'est de la consternation que je veux exprimer devant l'assassinat du président en exercice du gouvernement provisoire irakien, M. Salim. Naturellement, cet assassinat est une preuve de plus de la spirale de violence qui sévit en Irak aujourd'hui, avec tout ce qu'on a vu depuis quelques mois : des civils américains assassinés, ce jeune américain, Nicholas Berg, qui a été décapité dans des conditions épouvantables.
Q - Le responsable de l'attentat de ce matin est, semble-t-il, le même que celui qui a fait décapiter Nicholas Berg ?
R - Je ne le sais pas mais on voit bien qu'il y a une spirale de violence dans ce pays et d'une manière générale, ce que l'on voit partout, à partir de l'Irak ou du Proche-Orient, c'est une perte totale de repères. Un peu partout, des actes se multiplient où l'inhumanité l'emporte sur tout le reste, avec, en Israël ou en Palestine, des attentats suicide d'un côté, des assassinats extra-judiciaires de l'autre. On touche là à ce qui est au coeur de toutes les civilisations, de toutes les religions : la personne humaine. Voilà pourquoi la France, dans cette tragédie irakienne comme dans d'autres crises, souhaite que l'on en revienne à la raison, à la conscience, et surtout au Droit international.
Q - Je voudrais justement que l'on en vienne aux conséquences que l'on peut tirer. Pardonnez-moi cette question directe mais est-ce que, finalement, vous n'avez pas le sentiment que seul, à terme, après la transition du pouvoir, un retrait des troupes américaines d'Irak permettrait que le calme revienne ? Parce que l'on ne voit pas autre chose qu'une escalade de la violence actuellement.
R - Comme vous le dites, ce sera au terme de la transition politique. En effet, il faudra que les troupes d'occupation, qui vont se transformer - nous verrons bien dans quelles conditions - en troupes de stabilisation, quittent l'Irak lorsque le nouveau gouvernement irakien le demandera. Je ne sais pas quand ce gouvernement le demandera.
Q - Cela pourrait être après le 30 juin puisque le transfert du pouvoir c'est le 30 juin ?
R - Je ne crois pas que l'on puisse stabiliser l'Irak aussi rapidement dans l'état où ce pays se trouve. Prenons les choses dans l'ordre. Le 30 juin, c'est le moment important, pour nous la première étape de ce processus politique qui consiste à mettre en place un gouvernement véritablement souverain. C'est un moment de vérité. On va voir s'il y a de la sincérité dans ce transfert de souveraineté, si le nouveau gouvernement irakien, à partir des propositions de nomination de ministres que fera M. Brahimi, l'envoyé spécial du Secrétaire général des Nations unies, si ce gouvernement disposera vraiment de la capacité de gérer l'économie, les ressources naturelles, la police, la gendarmerie et les forces militaires irakiennes. Après quoi, ce gouvernement va devoir préparer pendant quelques mois - c'est pour cela qu'il faut un peu de temps - tout en gérant les affaires irakiennes, le deuxième moment important qui est celui de l'élection au suffrage universel d'une Assemblée nationale irakienne en janvier 2005.
Q - Mais vous voyez bien que nous sommes dans une atmosphère qui est quand même plus proche de la guerre civile que de la progression vers une démocratie. Tout cela, c'est donc un calendrier. Mais, actuellement, pour reprendre le titre d'un ouvrage célèbre de Bernard-Henri Levy, on est plutôt dans la "barbarie à visage humain" que dans l'apprentissage de la démocratie ?
R - Naturellement, mais on sort de cette barbarie, de ce que j'ai appelé cette spirale d'inhumanité, j'ai même parlé d'un trou noir qui peut emporter le Proche et le Moyen-Orient, et le monde avec. Nous n'en sortirons que par un processus politique, en franchissant les étapes une à une. La première étape, c'est un gouvernement de transition souverain, un changement d'attitude et de statut des forces qui occupent l'Irak, c'est un mandat des Nations unies qui encadrera ce processus, et puis la seconde étape ce sera, pendant quelques mois, en faisant très attention, jour après jour, la préparation des élections du mois de janvier 2005.
Q - Dernier point qui me paraît important, est-ce que vous n'avez pas le sentiment aussi que seule la disparition, ou en tout cas l'échec, de Bush aux prochaines présidentielles américaines peut calmer la situation ?
R - Ne me demandez pas, comme ministre des Affaires étrangères de la France, de faire des commentaires ou des prévisions sur ce qui se passe aux Etats-Unis. J'ai moi-même eu l'occasion de rencontrer le président Bush, avec les sept autres ministres du G8, vendredi matin à Washington. Nous avons longuement, toute la journée, discuté avec Colin Powell, et je pense que les plus hautes autorités américaines ont compris qu'il fallait réussir ce processus politique, qu'il fallait opérer un vrai transfert de souveraineté au nouveau gouvernement irakien, qu'il fallait également condamner, comme nous l'avons fait, l'attitude déshonorante d'un certain nombre de soldats américains qui ont perpétré des tortures ou des sévices sur des prisonniers irakiens.
Q - Avec peut-être la responsabilité de Rumsfeld ? Ou en tout cas un feu vert tacite ?
R - Ceux qui sont responsables, qu'il s'agisse d'un système organisé d'interrogatoire et de torture, ou de soldats qui se sont comportés comme des sadiques, doivent être reconnus et condamnés. En tout cas, on ne peut pas en rester là. La seule issue - et la France le demande depuis le début je sors d'une réunion des ministres européens - c'est l'issue politique, c'est la transition politique que nous devons préparer maintenant.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 21 mai 2004)
(Entretien de Michel Barnier avec des radios françaises, à Bruxelles le 17 mai 2004) :
Q - Un nouvel attentat a coûté la vie à un haut dirigeant du gouvernement irakien ?
R - Oui, en effet, ce matin, le président en exercice du gouvernement provisoire irakien, M. Salim, a été assassiné. C'est une preuve de plus de cette spirale de violence, de sang, de terreur, d'assassinat en tout genre et dans tous les sens, qui s'empare de cette région, à partir de l'Irak et malheureusement pas seulement à partir de l'Irak. Je suis très frappé de cette spirale d'inhumanité qui embrase cette région du Moyen-Orient, du Proche-Orient. C'est la raison pour laquelle j'ai réitéré cet appel à la raison et à la conscience et cette exigence que nous soutenons de revenir au droit international, de sortir de ces crises par la négociation politique.
Q - Sur le retrait annoncé par le Premier ministre israélien de la bande de Gaza, quel regard les vingt-cinq ont-ils porté ?
R - Ce retrait, en lui-même, est un élément qui fait partie de la Feuille de route, c'est-à-dire le plan de reconstruction politique pacifique entre Israël et l'Autorité palestinienne. Je rappelle que cette Feuille de route a un objectif très précis : que l'on ait au bout de cette route, deux Etats vivant côte à côte. Un Etat d'Israël vivant dans la sécurité, et nous, Français, nous ne transigerons jamais avec la sécurité d'Israël, et un Etat palestinien viable. C'est l'objectif. Et pour arriver au bout de cette route, il y a un certain nombre d'étapes. Le retrait de Gaza est une étape mais elle ne peut pas être déconnectée ou séparée des autres et donc ce n'est pas à la place du plan de paix, à la place de la Feuille de route que l'on doit se retirer de Gaza, c'est une étape, un élément de cette Feuille de route et, ayant dit cela, il faut aussi que ce retrait soit crédible, qu'on en fixe les conditions. Je suis inquiet de voir que, au moment où le Premier ministre Sharon annonce ce retrait, qui est en lui-même positif, on veut détruite des centaines de maisons et mettre dans la rue des milliers de Palestiniens. On veut, du côté de l'Egypte, créer une sorte de fossé. Il ne faut pas détruire Gaza avant de se retirer. Il faut que Gaza puisse vivre, que les hommes et les femmes qui sont dans cette bande de territoire et notamment les jeunes qui attendent désespérément un avenir, un futur, que tous ces gens puissent vivre.
Q - C'est une visite attendue en Haïti qui a été la vôtre ?
R - Oui, elle était attendue depuis assez longtemps puisque cela fait maintenant deux cents ans qu'aucun ministre des Affaires étrangères n'était venu. Dominique de Villepin avait promis cette visite. Il n'a pas pu tenir cette promesse puisqu'il a changé de poste. Et donc j'ai voulu tenir cet engagement et établir avec le gouvernement de transition à Haïti, des relations de travail. Nous sommes dans une situation très fragile et très grave dans ce petit pays auquel la France doit être attachée puisque tous les gens que j'ai rencontrés, tous les jeunes, y compris dans une école d'agronomie, parlent tous français. Il faut donc les aider. Nous les aidons avec des forces militaires, des gendarmes, qui font un travail formidable actuellement sur place. J'ai rendu hommage à la force française, à son action sur place, qui, avec d'autres soldats américains, stabilise le pays mais, au-delà, il faut le reconstruire et il faut reconstruire un Etat. J'ai dit à mes collègues européens aujourd'hui qu'il y avait urgence à pouvoir débloquer cet argent européen qui est disponible, à pouvoir l'utiliser pour reconstruire un système électrique, pour faire des routes, pour faire redémarrer l'éducation, pour lutter contre le sida. Il y a une urgence à ce que l'Europe aide ce petit pays à retrouver lui aussi un avenir.
Q - Pensez-vous que la stabilisation est acquise maintenant ? Qu'elle est durable ? Est-ce que le processus politique interne a redémarré ?
R - Il y a un processus politique et la préparation d'élections mais, quand on va sur place et qu'on écoute tous les dirigeants politiques de tous les côtés, que j'ai écoutés, il faut bien comprendre que, pour que ce processus politique soit stable, il faut qu'il y ait un progrès dans l'économie, il faut que les gens aient un avenir, il faut que l'éducation remarche, qu'il y ait des routes. Il faut donc que le gouvernement soit capable de montrer un progrès dans la vie quotidienne. Et c'est pour cela que l'aide européenne doit être très vite débloquée et utilisée sur place.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 21 mai 2004)