Conférence de presse de M. Dominique Perben, ministre de la justice, et extraits d' un entretien avec les radios et télévisions françaises, sur l'adoption lors d'un sommet du G8 de trois recommandations en matière de lutte contre le terrorisme et les discussions franco-américaines à propos de la situation des détenus français de Guantanamo, à Washington le 11 mai 2004.

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Circonstance : Voyage à Washington à l'occasion d'un sommet du G8 réunissant les ministres de la Justice et de l'Intérieur, le 11 mai 2004

Texte intégral

(Conférence de presse de Dominique Perben lors d'un sommet du G8, à Washington le 11 mai 2004)
Je vous propose de faire un peu le point sur la réunion du G8 qui est toujours en cours mais dont la première session a permis de faire déjà la synthèse de ce qui va se passer dans la journée et puis ensuite, bien sûr, je répondrai aux questions qui peuvent vous préoccuper plus spécifiquement.
S'agissant du G8 de Washington, vous savez que la réunion d'aujourd'hui aura pour effet d'adopter trois recommandations qui sont importantes en matière de lutte contre le terrorisme. Une recommandation sur ce qu'on appelle la prévention des actes terroristes, c'est-à-dire comment faire en sorte que les outils judiciaires, et bien sûr les enquêtes judiciaires et de police, puissent intervenir avant même qu'il y ait organisation d'un attentat. D'où l'importance des évolutions législatives que les différents pays doivent réaliser et c'est, pour ce qui concerne la justice française, les éléments que j'ai introduits dans la loi dite "Perben II" sur l'infraction criminelle de direction d'un groupe terroriste qui va nous permettre, comme le souhaitaient les juges d'instruction, de poursuivre avant même l'organisation d'un attentat.
La deuxième recommandation porte sur les techniques spéciales d'enquête avec une incitation des différents Etats de mettre en place des techniques spéciales d'enquête efficaces contre le terrorisme. Encore une fois, nous l'avons fait : c'est toujours la même loi de mars 2004 - dite "Perben II" - qui nous permet maintenant d'utiliser un certain nombre de techniques d'enquêtes, comme la surveillance, l'infiltration, le système des repentis, tout cela sous le contrôle des juges bien entendu et avec une dimension intéressante qui est la possibilité donnée par la loi française à des services étrangers de poursuivre des infiltrations sur le territoire français.
La troisième recommandation, qui est en débat aujourd'hui, est celle sur le partage du renseignement et la question difficile, mais très importante, de savoir comment on peut passer du renseignement au traitement judiciaire d'une information. La réponse française est à cet égard intéressante puisque, comme vous le savez, le procureur dans le système judiciaire français est celui qui dirige l'enquête et il y a donc une possibilité assez facile dans le droit français de passer du renseignement à l'enquête et à l'utilisation judiciaire. Mais cela implique que le renseignement soit transmis à l'institution judiciaire.
La question seconde, qui se pose ensuite, est de savoir comment protéger le renseignement lorsqu'il est un élément dans une procédure judiciaire. C'est une limite importante, car il arrive un moment où, pour protéger les sources, il ne faut pas non plus livrer dans le cadre judiciaire une information qui ferait comporter des risques à ceux qui nous l'ont communiquée.
Les pays qui sont ici sont des pays très directement impliqués dans la lutte contre le terrorisme et l'ambiance est très positive. Les trois recommandations que je viens d'exposer ont été adoptées par l'ensemble des huit pays.
Q - Récemment à Guantanamo, vous avez rencontré John Ashcroft. Avez-vous évoqué une date pour la libération des Français ?
R - J'ai rencontré John Ashcroft hier après-midi à mon arrivée à Washington. J'ai évoqué ce dossier avec lui, comme je l'ai fait déjà un certain nombre de fois lorsque je le rencontre. Comme vous le savez sans doute, à la suite des conversations engagées depuis bien longtemps, les Américains nous ont transmis une note présentant leur position sur les prisonniers français de Guantanamo. Le gouvernement français, qui a donc été destinataire de cette note, l'étudie pour voir dans quelles conditions des discussions pourraient aboutir au retour en France de ces détenus, tous ou une partie d'entre eux. Cela fait partie des discussions. Nous procédons en particulier à une évaluation juridique de la proposition américaine et nous souhaitons aboutir le plus vite possible, étant précisé que s'il devait y avoir retour des ressortissants français, il appartiendrait aux autorités judiciaires françaises d'étudier, au cas par cas, la situation judiciaire de ces personnes. Ce sera d'abord le travail des juges d'instruction.
Q - Vous saviez qu'on est en train de terminer les discussions ?
R - En tout cas, les discussions sont entamées. J'ai commencé en vous exposant les choses, en vous rappelant que c'est un sujet que j'ai abordé plusieurs fois avec M. Ashcroft, à chaque fois que je le rencontre, je lui en parle, et deuxièmement il y a eu depuis, et avant cette rencontre entre les autorités américaines et le gouvernement français, des réunions interministérielles sur la réponse à apporter, sur laquelle nous travaillons actuellement. Donc, les choses avancent.
Q - Combien y a-t-il de personnes concernées par ces discussions ? De prisonniers français à Guantanamo ?
R - Il y a sept personnes et nous poursuivons les discussions de façon pragmatique et efficace.
Q - Cela va se résoudre dans combien de temps pensez-vous ?
R - Je pense que c'est maintenant une affaire de quelques semaines.
Q - On parlait de sept prisonniers, on a vu des listes de prisonniers et on voit dix prisonniers français, de nationalité française.
R - Je ne sais pas de quelle liste vous parlez .
Q - Cela provient du Washington Post. C'est une liste qui a été rendue publique et qui mentionne dix Français.
R - Pour les autorités françaises, il y a sept Français et dans les discussions que nous avons avec les autorités américaines, ils considèrent, eux aussi, qu'il y a sept Français. C'est très clair dans les discussions entre nos deux pays.
Q - Est-ce que vous avez évoqué les conditions de détention à Guantanamo dans le cadre du scandale sur les prisonniers irakiens ?
R - Nous n'avons pas évoqué les conditions matérielles, mais les conditions juridiques, la nécessité, comme je l'ai évoqué dans le passé, de sortir d'une situation qui m'apparaît juridiquement ambiguë.
Q - Dans la note que vous préparez aux Américains, est-ce qu'il y a quelque chose qui pose problème ?
R - Je ne vais pas au-delà dans l'analyse de la note aujourd'hui. Vous savez bien que nous n'avons pas encore, en ce qui nous concerne, répondu aux autorités américaines. C'est d'ailleurs une affaire interministérielle, je ne tiens pas m'étendre davantage sur le contenu. L'objectif de cet échange de notes, c'est d'aboutir à une solution pragmatique.
Q - Quand on dit quelques semaines, cela veut dire qu'il vous faudra quelques semaines pour répondre à cette note ou c'est par rapport à des échéances américaines ou par rapport au Sommet du 6 juin ?
R - Cela ne m'apparaît pas conditionné par autre chose que le propre traitement de ce dossier.
Q - Est-ce que, dans votre esprit, certains de ces prisonniers qui auraient contribué de façon efficace par exemple aux renseignements à travers les différents interlocuteurs qu'ils ont eus que ce soit ceux de la DST ou de la DGSE, pourraient avoir un avenir allégé sur le plan judiciaire une fois qu'ils seront revenus en France ?
R - Nous n'en sommes pas là pour l'instant. Comme je vous l'ai dit tout à l'heure, il appartiendra aux juges d'examiner au cas par cas la situations des intéressés.
Q - Avez-vous des outils, l'arsenal juridique, pour appréhender ces personnes ? Est-ce qu'on dispose en France d'un arsenal proche du "Patriot Act" qui permette d'appréhender et de réprimer l'intention de la participation potentielle à un attentat terroriste ?
R - J'ai évoqué tout à l'heure la loi dite "Perben II" du 9 mars 2004 qui effectivement introduit un délit criminel, une incrimination possible, pour participation à une organisation criminelle organisée. Ce sont des choses que j'ai introduites dans la loi du 9 mars, étant entendu qu'il existe en France, depuis bien longtemps, l'association de malfaiteurs qui a été bien utile dans la lutte contre le terrorisme, puisqu'un des points clé de la discussion d'aujourd'hui, c'est justement comment faire en sorte que l'institution judiciaire française ou d'un autre pays puisse entrer en mouvement contre le terrorisme avant la commission d'un acte préjudiciable. C'est un point très important. Je crois pouvoir dire qu'aujourd'hui, grâce en particulier à la loi du 9 mars 2004, que nous avons l'arsenal juridique nous permettant de lutter contre le terrorisme avant même qu'il y ait attentat.
L'autre élément de l'arsenal juridique indispensable, ce sont ces moyens exceptionnels d'enquête qui ont fait débat en France au moment de la discussion de la loi, qui seront utilisés bien sûr sous le contrôle du juge judiciaire, indépendant. Toutes ces techniques paraissent indispensables lorsqu'il s'agit de lutter contre des organisations aussi efficaces, aussi secrètes et violentes. La France a vraiment fait, en un an, un gros effort d'adaptation de son arsenal juridique pour pouvoir lutter contre le terrorisme et la loi dite "Perben II" est vraiment un outil juridique efficace pour lutter contre le terrorisme
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 17 mai 2004)
(Extraits d'un entretien avec les radios et télévisions françaises lors d'un sommet du G8, à Washington le 11 mai 2004)
Q - A la suite de ce qu'on a appris des conditions de détention en Irak dans les prisons américaines, vous êtes-vous inquiété des conditions de détention des Français à Guantanamo ?
R - S'agissant des conditions de détention dans certaines prisons irakiennes, vous savez la position de la France, qui a été rappelée à plusieurs reprises, en particulier par Michel Barnier : nous avons dit notre émotion, nous avons condamné un tel irrespect des conventions internationales de Genève.
S'agissant de Guantanamo, comme j'ai l'habitude de le faire chaque fois que je rencontre John Ashcroft, l'Attorney general, nous avons évoqué ce sujet. Et je peux indiquer qu'à la suite de ces différents contacts, une note nous a été envoyée par le gouvernement américain. Celle-ci est en cours d'examen au niveau français, pour examiner les conditions dans lesquelles les prisonniers français pourraient, pour tout ou partie d'entre eux, rejoindre la France. Et nous étudions actuellement le cadre juridique dans lequel cela pourrait se réaliser dans les prochaines semaines.
Q - Dans combien de temps pensez-vous que les sept Français pourront revenir en France ?
R - Il est difficile de fixer la date aujourd'hui. Le processus est maintenant vraiment très sérieusement et très techniquement engagé.
Q - Est-ce qu'il y a des points qui choquent ?
R - Il n'y a pas de problème particulier. Simplement, nous devons préciser les choses d'un côté comme de l'autre, américain comme français, déterminer dans quel cadre juridique cela peut se faire.
Q - Vous avez l'impression que la situation en Irak, et notamment cette histoire de prisonniers, change un petit peu la donne et que les Américains sont plus enclins à nous écouter et à libérer les Français plus rapidement ?
R - La démarche américaine d'envoi d'une note au gouvernement français à la suite de la mission de l'ambassadeur Prosper montre incontestablement une évolution et un assouplissement de la position américaine.
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Q - Lorsque Colin Powell disait récemment "c'est un dossier qui est en voie de règlement", vous avez pris cela plutôt comme une bonne nouvelle parce que les Américains ont fait un pas en avant ou alors parce que cela correspond effectivement à l'état du dossier tel que vous l'avez discuté avec eux ?
R - Je pense que la position américaine résulte certainement de considérations intérieures américaines, mais elle résulte certainement aussi des observations que les autres pays concernés, en particulier la France, ont pu exprimer au cours des mois passés. Et j'avais régulièrement indiqué à mon collègue américain de la justice qu'il m'apparaissait nécessaire de sortir de cette situation de non-droit dans laquelle était en fait un certain nombre de citoyens français.
Q - Certains juges d'instruction ont donc signalé qu'il y avait plusieurs de ces prisonniers qui étaient passibles d'être interrogés parce qu'ils sont impliqués dans des affaires. Est-ce que, pour vous, il faut faire revenir en France tous les prisonniers français de Guantanamo ou uniquement ceux qui doivent voir un juge ? Ou alors uniquement ceux qui ne sont pas concernés par des affaires judiciaires ?
R - Nous sommes en discussion avec les Américains sur le dossier, comme je viens de vous l'indiquer, donc il est prématuré d'aller aussi vite. Ce que je souhaite, c'est qu'à terme l'ensemble des Français concernés puissent avoir accès à des procédures judiciaires classiques.
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Q - Est-ce que l'on peut parler d'un accord passé entre le gouvernement français et le gouvernement américain, ou est-ce que c'est encore trop tôt ?
R - Quand il y aura un accord, il sera tout à fait explicite./
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 17 mai 2004)