Texte intégral
Messieurs les Députés,
Monsieur le Sénateur,
Monsieur le Président du gouvernement,
Messieurs les Présidents,
Mesdames et messieurs,
Voici presque deux ans, ici même, avec le Premier ministre, nous avons signé, ensemble, l'accord de Nouméa. Dix ans après les accords de Matignon, il s'agissait, pour tous, après avoir mesure le chemin parcouru en une décennie, de tirer parti des avancées, de s'affranchir des faiblesses et de s'engager résolument dans une nouvelle étape vers l'émancipation de la Nouvelle-Calédonie.
L'accord de Nouméa, son préambule qui fonde le destin commun accepte et voulu, le document d'orientation qui détermine les moyens retenus ensemble pour le construire ainsi que les engagements réciproques pris pour y parvenir ne doivent pas devenir une incantation rituelle. Nous devons le relire et nous en pénétrer car il est et doit rester le guide de notre action commune. Sanctionné par un vote du Congrès du Parlement, il a acquis une valeur constitutionnelle et participe donc au lien fondateur et original de la Nouvelle-Calédonie et de la République.
Après l'avoir approuvé, très largement, le 8 novembre 1998, les électeurs de Nouvelle-Calédonie, ont renouvelé, le 9 mai 1999, leur confiance a ceux qui l'ont négocié, signé et défendu.
L'appliquer, l'appliquer dans toutes les composantes, l'appliquer dans sa lettre et dans son esprit est donc un devoir, un devoir de fidélité à nos promesses, un devoir de loyauté vis-à-vis des citoyens de ce pays, un devoir aussi pour l'avenir, pour ceux qui nous succèderons, car la direction prise les premières années doit tracer le sentier de la réussite, mais peut aussi, si nous n'y prenons garde, attenter à un équilibre toujours fragile.
Cet impératif moral, qu'en avons-nous fait en deux ans ? Qu'en ferons-nous dans les années qui viennent ? Ce sont, me semble-t-il, les questions auxquelles les travaux d'aujourd'hui doivent nous permettre de donner une réponse commune.
Nous n'avons pas à rougir du chemin parcouru : en moins d'un an, de mai 1998 à mai 1999, la Constitution de la République a été révisée, les citoyens calédoniens consultés, la nouvelle organisation traduite dans la loi organique du 19 mars 1999 et les élections organisées le 9 mai suivant.
Dans les semaines qui ont suivi, les institutions nouvelles se sont mises en place.
Le congrès, réuni le 29 mai 1999, assure la représentation de tous les calédoniens, dans leur diversité politique et géographique. A ce titre, nulle autre enceinte ne saurait, autant que lui, être le lieu géométrique où peuvent librement s'exprimer les convergences et les désaccords de la vie politique calédonienne, le lieu ou le débat démocratique doit faire émerger la loi commune. Les assemblées de province élargies poursuivent le travail entrepris depuis 1989.
Le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, clef de voûte des nouvelles institutions, sur lequel je reviendrai, a assumé ses responsabilités, sitôt élu, le 28 mai dernier.
Le Sénat Coutumier, solennellement installé le 27 août dernier, doit apporter à l'architecture institutionnelle une légitimité qui, dans les nombreux statuts qui se sont succédé sur cette terre, n'avait pas eu la reconnaissance attendue. Il n'était pas envisageable, en effet, que la société calédonienne puisse trouver la voie d'un destin commun et pacifique sans reconnaître à la coutume le rôle fondateur, hélas trop longtemps nié, qu'elle joue comme ciment de la société kanak. Le Sénat occupe une place reconnue, non l'expression d'une légitimité concurrente du suffrage universel, mais le devoir de garantir l'identité kanak, en conseillant, sur ce point, le gouvernement et le congrès. Ce rôle, il faut, il faudra que le sénat le remplisse.
Le Conseil Economique et Social, dernière institution mise en place, doit apporter, quant à lui, l'expertise et le conseil des "forces vives ", dans toute leur pluralité. Leur concours permettra à la Nouvelle-Calédonie de conjuguer développement économique et harmonie sociale.
Ces institutions sont au service d'un projet aussi original qu'ambitieux : devenir acteur de son histoire, atteindre, pour quinze à vingt ans au moins, une stabilité oubliée depuis longtemps, mettre au coeur des objectifs partagés un développement économique, social et culturel équilibré, oser inventer une organisation qui échappe à tous les schémas théoriques.
Il n'est donc pas étonnant que des divergences d'interprétation, des situations non prévues par le législateur, des antagonismes du reste bien naturels sur la scène politique soient apparus au fil de l'année. Il est de règle que l'application d'un accord nécessite, plus que sa conclusion, le concours de toutes les volontés, de toutes les bonnes volontés. Alors que les thèses commencent à succéder aux articles de doctrine, tout ce que nous avons construit, ce que vous avez à faire vivre, est inédit et innovant; il ne faut pas s'alarmer de ces difficultés, il faut les dépasser pour faire la démonstration que l'esprit de l'accord est plus fort que les inévitables imperfections d'un dispositif imaginé en moins de deux mois.
Je ne suis pas sûr que la voie contentieuse, largement explorée, soit de nature à maintenir sur les rails un processus politique. Le contentieux, c'est la pathologie du droit. Confirmons plutôt ensemble, ici et maintenant, ce qui va dans le bon sens .
Au delà du travail politique, je veux saluer le savoir-faire, la disponibilité, le sens du service public des agents de l'Etat, de la Nouvelle-Calédonie ou des provinces, à qui beaucoup a été demandé, en ces mois difficiles et incertains où des domaines de compétences entiers, comme l'enseignement primaire, sont progressivement transférés à la Nouvelle-Calédonie, synonymes, souvent, de déménagements et, parfois, d'apprentissage de nouveaux métiers. A la réorganisation des services va succéder le transfert de certains établissements publics.
Je veux aussi constater devant vous, avec une grande satisfaction, que l'intérêt nouveau des Etats du Pacifique pour l'évolution de l'archipel a été accompagné, en retour, d'une plus grande implication des calédoniens dans la conduite de leurs relations extérieures, innovation importante de l'accord de Nouméa. Au mois d'octobre dernier, la Nouvelle-Calédonie a acquis le statut d'observateur auprès du Forum des Iles du Pacifique, intégrant pleinement la famille des nations océaniennes et disposant ainsi d'une assise et d'une reconnaissance internationales qui lui permettent, dans ce cadre, de participer aux grandes orientations régionales.
Les relations avec les deux grands voisins anglophones ont été renforcées par la venue, ici a Nouméa, du gouverneur général de Nouvelle-Zélande et du chef de la diplomatie australienne et par l'appréciation positive que leur gouvernement et leur peuple portent sur le processus en cours. Le Premier ministre australien, M. HOWARD, en visite la semaine dernière à Paris, l'a encore confirmé. Cette évolution se situe dans le droit fil de l'accord de Nouméa : elle s'inscrit dans l'affirmation de l'identité océanienne et pacifique de la Nouvelle-Calédonie; elle lui donne, dans un espace pacifique qui est à la pointe de la mondialisation, les moyens de son développement et de son émancipation. Il faut s'en saisir. Nous en examinerons tout à l'heure les moyens.
Mesdames et Messieurs, je le disais à l'instant, si les partenaires de l'accord de Nouméa ont décidé de réunir aujourd'hui, pour la première fois, le comité des signataires, instance essentielle pour vérifier que nous sommes toujours sur le bon chemin, sous le regard des calédoniens, de la France et de ceux qui nous entourent, c'est que le bilan de l'année écoulée doit nous encourager à poursuivre. Il ne faut pas méconnaître les difficultés qui ont surgi, il faut, aujourd'hui, franchement et dans un esprit positif, les examiner, nous en expliquer et nous donner les moyens de les surmonter. Nous sommes tous comptables, devant le Parlement et devant l'opinion publique française, de tous les espoirs dont l'accord de Nouméa est porteur : il forme un tout politique et juridique.
Il y a eu, nous le savons, des désaccords techniques sur tel ou tel article, des divergences plus fondamentales sur l'interprétation de plusieurs notions-clefs, comme la collégialité au sein du gouvernement, des malentendus, des priorités différentes. Il y a aussi, plus profondément peut-être, une certaine déception face aux difficultés d'un rééquilibrage effectif, face à la lenteur avec laquelle l'économie se diversifie, face, enfin, aux imprévus du jeu politique qui peuvent, provisoirement je l'espère, compliquer les choses.
Comme le rappelait le Premier ministre dans l'allocution qu'il a prononcée dans cette salle le 5 mai 1998, "aucun responsable ne peut douter qu'il y aura des difficultés, des conflits et des questions nouvelles imprévisibles".
Au terme d'une année, force est de constater que ces difficultés n'ont pas brisé la dynamique d'espoir suscitée voilà deux ans. Notre responsabilité est que ce ne soit jamais le cas, en veillant au bien commun qu'est l'accord de Nouméa. Le comité des signataires doit favoriser l'approfondissement de la confiance entre les partenaires et rappeler les priorités qui doivent guider leur action.
Trois thèmes me semblent devoir retenir notre attention.
La collégialité du gouvernement, garante du bon fonctionnement de l'exécutif calédonien, doit apporter l'équilibre institutionnel, la stabilité politique et le succès au processus de Nouméa, en conjuguant l'association des calédoniens dans leur diversité et le souci de permettre la décision. Même si elle ne l'exclut pas, elle diffère de la logique majoritaire qui, sur une terre qui a été aussi divisée que la vôtre, a abouti - et aboutirait, de manière implacable, à creuser un fossé entre deux camps, deux communautés, deux formations politiques; elle ne saurait, non plus, déboucher sur un attentisme qui mènerait le gouvernement à l'immobilisme. Dans un gouvernement comme le vôtre où chaque membre est chargé, sous la conduite du président, d'animer et de contrôler un secteur - et non de le diriger, la collégialité implique d'abord, au quotidien, la transparence et l'information commune en temps utile de tous les membres du gouvernement; elle implique ensuite la recherche préalable et systématique du consensus, qui garantira la solidité des décisions prises; le recours au vote majoritaire, s'il s'avère nécessaire, ne doit être que le point ultime pour éviter tout blocage, sachant que son résultat engagera, solidairement, l'ensemble du gouvernement. En bref, non pas dominer, mais convaincre d'abord pour assumer ensemble ensuite.
L'instauration d'un climat social plus serein me paraît également au rang des priorités calédoniennes. A l'évidence, le monde du travail calédonien est, dans son ensemble, encore trop peu enclin à la concertation et au dialogue. Nombreux sont les conflits qui, au cours de l'année écoulée, ont pris des proportions sans rapport avec leurs enjeux et ont semblé porter dans le monde du travail les germes de discordes venues d'ailleurs, ce qui peut aboutir, dans certains cas, à transférer dans le champ social des tensions qui n'en relèvent pas. Certains conflits donnent une image dégradée des relations sociales, qui n'est pas de nature à renforcer la confiance des investisseurs ou des touristes qui sont indispensables pour la croissance économique de la Nouvelle-Calédonie. Il est, par conséquent, de l'intérêt des partenaires sociaux qu'ils engagent un dialogue, comme ils ont commencé à le faire à l'initiative du gouvernement et comme cela se pratique dans toutes les démocraties, pour s'accorder sur les règles du jeu. Le principe d'un pacte social me parait positif. L'Etat soutient cette démarche et souhaite qu'elle puisse déboucher. Il exerce, quant à lui, avec sérénité et équité, ses responsabilités en terme de respect de la règle de droit et de maintien de l'ordre public.
Le troisième objectif qui doit être le vôtre, qui est le nôtre, sans doute le plus vaste, c'est de mettre la Nouvelle-Calédonie sur la voie d'un développement qui soit au service du rééquilibrage, sous toutes ses formes.
Rééquilibrage entre les deux communautés, en reconnaissant à la culture kanak son rôle, mais surtout en offrant aux jeunes de ce pays, si nombreux, les meilleures chances pour prendre en main leur avenir, grâce au réseau des établissements scolaires et d'enseignement supérieur. J'accorde une importance toute particulière au travail pionnier qui a été accompli, depuis les Accords de Matignon, par le programme "quatre cents cadres" qui, en l'espace de dix ans, a formé près de quatre cent cinquante jeunes, dont soixante-dix pour cent d'origine mélanésienne. Parallèlement à la poursuite de ce programme, les efforts en matière de formation doivent partout être redoublés. Nous en traiterons tout à l'heure.
Mais rééquilibrage géographique aussi, entre les Iles et la Grande Terre, entre le Nord et le Sud, entre la côte Ouest et la côte Est qu'une nouvelle route transversale, voulue et poursuivie depuis dix ans, la Koné-Tiwaka, reliera bientôt.
Les voies du rééquilibrage sont multiples.
Les ambitions minières, en premier lieu, doivent être à la hauteur des réserves calédoniennes. Comment d'ailleurs ne pas être optimiste en voyant avancer positivement le projet d'usine du Nord qui, d'ici 2006, devrait permettre de produire cinquante mille tonnes de nickel par an et de créer près de mille emplois directs, alors même que la transformation et la valorisation des latérites du Sud s'annoncent ?
Fidèle à ses promesses, l'Etat a pris les mesures pour que la Nouvelle-Calédonie rentre dans le capital de la plus grande société minière et métallurgique, la SLN, et aussi de sa société-mère, ERAMET. Les conditions de répartition du capital et des pouvoirs entre les trois provinces, actuellement en discussion, seront, il le faut, précisées prochainement. Nous devons dépasser les blocages constatés depuis un an. J'en appelle au sens des responsabilités de chacun.
Les voies du rééquilibrage passent également par une politique de développement des activités touristiques dans l'ensemble des provinces, dont le potentiel, aussi varié que riche, annonce un essor prometteur.
Elles doivent, enfin, viser à intensifier le développement agricole, en particulier par une meilleure mise en valeur des terres coutumières, tâche confiée aux provinces avec le concours de l'agence de développement rural et d'aménagement foncier.
Tous ces défis que je viens d'évoquer, vous les surmonterez car vous en avez les moyens.
Vous en avez les moyens économiques. Le quart des réserves mondiales de nickel, des ressources halieutiques considérables, un potentiel touristique important peuvent faire demain de ce pays un pôle d'attraction dans le Pacifique Sud.
Vous en avez aussi, depuis l'accord de Nouméa, les moyens politiques. Le transfert de l'exécutif au gouvernement peut se traduire par une impulsion nouvelle.
Vous pouvez, enfin, compter sur le plein engagement de l'Etat pour soutenir un processus dont il est un acteur à part entière.
Cet engagement, dont vous connaissez l'ampleur, se matérialise par des concours financiers qui contribuent de manière décisive au développement : investissements publics, mesures de défiscalisation, contrats de développement dont les montants seront accrus, je n'énumèrerai pas tous les chantiers - lycées, routes, aérodromes, ports - qui, avec son appui, sont lancés. Au cours des dix dernières années, la Nouvelle-Calédonie a échappé à la politique de rigueur que connaît le budget de l'Etat, et une telle exception doit être rappelée.
Soutien indispensable, l'Etat est aussi le garant de l'application de l'accord de Nouméa. Parce que partenaire de l'accord, il est le gardien de l'esprit constructif qui a présidé a sa négociation; parce qu'aussi il doit veiller avec attention, selon les principes républicains, à la mise en oeuvre d'un processus qui a été approuvé par les parlementaires, à leur quasi-unanimité, et par la population de la Nouvelle-Calédonie, a une très large majorité.
C'est pourquoi je ne conçois pas les années qui sont devant nous comme une période d'attente passive : il s'agit de créer une conscience commune et d'inventer un nouveau modèle, dans la double fidélité à l'idéal républicain et aux traditions de cette terre. Ce projet ne sera couronné de succès que si toutes les volontés, celles des partenaires de l'accord de Nouméa et celles de la société civile, maintiennent vivante la dynamique du 5 mai 1998. Le respect mutuel, la maturité et le sens des responsabilités, qui ont permis en 1988 et en 1998 de donner l'exemple, doivent nous guider au quotidien.
Ce retour aux sources positives, partage par M. Jacques LAFLEUR et M. Roch WAMYTAN, est à l'origine de la décision de tenir, deux ans après la signature de l'accord, un comité des signataires. Avec votre concours, des travaux préparatoires ont eu lieu, sur quatre points qui ont paru déterminants pour l'avenir de la Nouvelle-Calédonie : la politique de formation, qui doit s'adapter aux attentes d'une jeunesse nombreuse; l'identité kanak et la culture, domaines ou la mise en oeuvre de l'accord de Nouméa est, peut-être, la plus délicate, en particulier en matière foncière; les relations extérieures, dont j'ai déjà souligné le caractère primordial; et la préparation de l'accord particulier avec le territoire des Iles Wallis-et-Futuna, enjeu sensible en raison de la présence d'une forte communauté Wallisienne-et-Futunienne en Nouvelle-Calédonie.
Pour construire cet avenir que nous avons choisi, il faut, sans tarder, nous mettre au travail.
(Source http://www.outre-mer.gouv.fr, le 9 mai 2000)