Déclaration de M. Gilles de Robien, ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer, sur le schéma national des grandes infrastructures à long terme, à Bordeaux, le 16 octobre 2003.

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Circonstance : Colloque "Quelles infrastructures de transport pour le développement économique de Bordeaux et de sa région ?" organisé par la CCI à Bordeaux le 16 octobre 2003.

Texte intégral

Monsieur le Président,
Monsieur le Président du Conseil régional,
Monsieur le Président du Conseil général,
Monsieur le Représentant du Président de la CUB,
Mesdames et Messieurs les élus,
Mesdames et Messieurs,
Permettez-moi tout d'abord de vous signifier tout le plaisir que j'éprouve d'être avec vous ; et l'honneur qui m'est accordé de clôturer votre colloque. Notre politique des transports, nos programmes d'équipement pour les prochaines années voilà des sujets qui intéressent votre auditoire, ce monde de l'entreprise pour qui l'amélioration des voies de communication est synonyme de compétitivité, de croissance des activités, de développement économique tout simplement.
Ce qui est certain c'est que sur Bordeaux et sa région nous ne manquons pas de projets. Vous en avez abondamment parlé et je perçois votre impatience à les voir se réaliser dans des délais "raisonnables".
Vous vous souvenez, tous, certainement, que, dès son arrivée, notre gouvernement a souhaité connaître l'exact état des lieux des grands projets de transport. Cela a donné lieu à un audit rendu public en mars dernier. Un audit dont l'accueil a été, il faut bien le reconnaître, assez froid. On ne doit pas s'en étonner : la situation décrite par cette photographie n'était pas belle à voir : les seuls projets retenus les auditeurs dans leur esquisse à 20 ans, c'est à dire en réalité la quasi-totalité des projets audités ont révélé une impasse de 15 Mds d'euros !
Les schémas de services pouvaient avoir fier allure vu de loin, mais en se rapprochant on apercevait très nettement qu'aucune source de financement n'avait été prévue.
A ce premier matériau sont venues se joindre plusieurs contributions. Les rapports de la DATAR, sénateurs HAENEL et GERBAUD sur le fret ferroviaire, et du sénateur de RICHEMONT sur le cabotage maritime.
Sur ces bases, nous avons pu organiser un débat très riche à l'Assemblée Nationale ainsi qu'au Sénat. Ce débat, dont je tiens à souligner la haute tenue, à confirmer le souhait de la représentation nationale que le gouvernement conduise une politique ambitieuse de développement de nos infrastructures de transport. Constatant certes le niveau d'équipement atteint, elle a compris que face à une poursuite encore soutenue de la demande de déplacement, renforcée d'ailleurs par l'élargissement de l'Europe, la France ne devait pas relâcher son effort sans risquer un déclassement par rapport à nos voisins.
L'Espagne et l'Italie, pays périphériques, affichent clairement leur volonté politique de poursuivre leur désenclavement, et affichent dans ce but des programmes résolus de grands travaux. S'agissant de l'Espagne, cela n'est pas sans conséquence sur nos propres programmes.
En tout état de cause, cette démarche, ce débat parlementaire, nous permet de préparer un schéma national des grandes infrastructures à long terme. De quels projets parle-t-on pour Bordeaux et sa région ? J'en vois au moins une dizaine.
Pour commencer, j'aimerai faire un point avec vous sur les transports collectifs urbains et sur le tramway de Bordeaux. L'État a accompagné leur développement et une formidable dynamique s'est maintenant créée dans de nombreuses villes. Ce type de projet a connu ces trois dernières années une croissance exponentielle. Les besoins potentiels sont ainsi passés de 100 à 900 millions d'euros. Face à cette augmentation des besoins, la participation de l'État est passée de moins de 20% à moins de 10%. Après la phase d'impulsion, nous sommes maintenant dans une phase de maturité avec des besoins de financement plus importants et un nouveau système à construire. C'est dans cet esprit qu'une mission a été confiée au député Christian PHILIP, vice-président du GART, pour proposer d'ici la fin de l'année, en particulier des solutions de financement adaptées à ce nouveau contexte. Dès à présent le gouvernement a retenu trois mesures pour accompagner cette transition : des aides complémentaires en 2003, une offre de financement attractive apportée par la Caisse des Dépôts, et une plus grande liberté offerte aux collectivités pour moduler le versement transport.
Les projets routiers
Sur les routes, j'aborderais tout d'abord la fameuse RN10 dans les Landes, aujourd'hui A63. Nous voilà, avec l'élargissement de cette autoroute, en face d'une opération située sur un couloir d'échanges majeur. Le principe d'une concession avec mise à péage pour les seuls poids-lourds a été jusqu'à présent avancé pour répondre à cette question de l'élargissement. Un tel système de péage n'ayant jamais été mis en place, nous avons eu recours aux lumières du Conseil d'État. Les observations qu'il a émises avant l'été ne valident pas le dispositif envisagé ; le dispositif tarifaire porterait en effet atteinte au principe d'égalité de traitement entre les usagers. Cependant, il ressort clairement que la différenciation des tarifs peut être proportionnée au surplus de charges d'entretien et d'exploitation imputable à une catégorie de véhicules donnée.
Dans ces conditions, nous orientons notre travail vers une solution où même si l'ensemble du trafic empruntant l'A63 est soumis au péage, un différentiel de tarification élevé est introduit entre poids-lourds et véhicules légers. Par ailleurs, il nous revient de regarder finement les conséquences de ce dispositif pour les trajets locaux afin d'y apporter des réponses adaptées. Rappelons, qu'il s'agira principalement d'un péage couvrant l'exploitation de l'autoroute et secondairement d'une opération d'élargissement. Compte tenu de l'apport qui serait fait au futur concessionnaire de l'actuelle 2x2 voies, nul besoin en principe d'une subvention publique. Ce dossier rentrera dans une phase beaucoup plus active en 2004.
En tout cas retenez que sur ce dossier nous avons levé cette année la principale hypothèque qui le grevait et qu'ainsi les choses vont pouvoir s'accélérer.
Bordeaux-Pau : c'est comme un nom de code qui résonne dans toute l'Aquitaine depuis plus de dix ans. Je n'ai donc, je pense, nul besoin de rappeler tout l'intérêt et toute l'importance que revêt cette opération pour la structuration régionale de l'Aquitaine.
Le dossier avait connu bien des vicissitudes ces dernières années et son cheminement a été laborieux. Ce dossier, nous l'avons relancé grâce à l'appui des acteurs les plus concernés. L'appui d'Alain JUPPE et de François BAYROU a été également décisif. Dès la sortie de l'audit, nous l'avons remis sur les "rails" : l'appel à candidatures pour la recherche d'un concessionnaire a été lancé avant l'été et la seconde phase, sur la préparation des offres le sera prochainement. En parallèle à cette seconde phase, nous mènerons les procédures devant conduire à la déclaration d'utilité publique. Vous le voyez, nous ne perdons pas de temps, nous optimisons les procédures et là c'est une première car le schéma dans lequel nous sommes, sur ce projet, est innovant.
L'appel à concessionnaires est lancé et pourtant le tracé définitif et les limites de la concession n'ont pas été arrêtés de manière définitive ! La sélection de la meilleure offre se déroulera en deux phases.
Dans un premier temps, les candidats seront invités à procéder à une analyse approfondie des différents scénarios de programmes envisagés et à présenter ce qui constitue, selon eux, le scénario "concessif" optimal en détaillant de manière circonstanciée les éléments fondant leur analyse. Cette analyse pourra combiner, le cas échéant, les différents scénarios de base définis par le concédant. Elle pourra également résulter d'une approche innovante du candidat.
Sur cette base, et après consultation des collectivités locales, sera établi le scénario de concession sur la base duquel les candidats seront invités dans une seconde phase à présenter une offre. C'est au cours de cette seconde phase d'ailleurs que la procédure d'utilité publique sera engagée.
Tout ce travail enquête publique-mise en concession doit converger et nous conduire à 2006.
J'en viens au contournement de Bordeaux. Vous le savez, le débat public a débuté le 2 octobre. C'est donc tout récent. Nous allons au ministère le suivre très attentivement.
J'ai souhaité dès la fin de 2002 saisir la Commission Nationale du Débat Public de ce projet dont l'utilité pour l'agglomération bordelaise nous semble particulièrement fondée. Le temps est maintenant au débat pour recueillir l'avis, les observations de toutes les parties intéressées. Ce projet est-il opportun ? Si oui doit-on retenir un parti à l'ouest ou à l'est de Bordeaux telles sont les deux grandes questions posées lors de ce débat. Il est utile que nous entendions les réponses des uns et des autres à ces deux questions. Cela éclairera notre décision. J'invite d'ailleurs le maximum de personnes à participer à ce temps d'échanges démocratiques car il s'agit d'un projet d'équipement structurant à l'échelle de l'agglomération.
Dans l'immédiat, la rocade doit être adaptée afin de faire face à la croissance des déplacements sur l'agglomération. Sa partie Est est d'ores et déjà à 2x3 voies. S'agissant de sa partie Ouest, les efforts sont aujourd'hui portés sur le pont d'Aquitaine à la fois pour sa réparation et pour son élargissement. Cet effort ne se limite pas au seul pont de franchissement de la Garonne mais aussi au viaduc d'accès. C'est une opération très lourde financièrement : l'Etat assume à 100% les travaux du pont d'Aquitaine (46 M d'euros) et très contraignante pour la circulation urbaine. L'élargissement de la chaussée devrait être terminé en 2004.
L'élargissement du viaduc d'accès est inscrit au contrat de plan.
L'opération concerne en réalité la mise à 2x3 voies de la rocade A630 entre l'échangeur n° 4 de Labarde en rive gauche de la Garonne et, en rive droite, les échangeurs n° 3 de Mireport et n° 2 de Croix-Rouge suivant les sens de circulation. La mise en service est envisagée à l'été 2005.
Les études pour l'élargissement du reste de la rocade sont en cours. Ce sera assurément une priorité forte du prochain contrat. Que l'on ne se méprenne pas d'ailleurs : cet élargissement est vital pour le fonctionnement de l'agglomération sur le court terme ; le grand contournement actuellement en débat vise à traiter la question du trafic de transit sur une perspective de moyen-long terme et non le trafic urbain par nature captif de la rocade. Il n'y a donc pas incompatibilité entre ces deux projets.
Les projets ferroviaires
Concernant la ligne à grande vitesse Sud Europe Atlantique (SEA), le gouvernement a acté le principe de mener simultanément les deux parties du projet, entre Tours et Angoulême, et entre Angoulême et Bordeaux. Nous sommes convaincus que c'est la réalisation des deux parties ensemble qui est la solution là plus pertinente, avec un gain de 50 minutes par rapport à 3h actuellement.
Une étude pour optimiser le financement a été engagée et les étapes incontournables sur les sujets techniques avancent à bon rythme.
L'avant-projet sommaire (APS) devrait être validé avant la fin de l'année pour la section entre Angoulême et Bordeaux. L'APS entre Tours et Angoulême pourrait être engagée avant la fin de l'année, dès que la convention de financement sera signée.
Au niveau de la Commission européenne, nous avons obtenu que ce projet fasse partie des projets de grands axes européens de transport prioritaires, avec son prolongement Bordeaux-Dax-Espagne. Ceci permet de rendre la ligne éligible à des cofinancements européens. Ce sujet du financement est un élément clef pour réaliser dans des délais raisonnables des projets aussi importants, mais j'y reviendrai.
Nous examinons aussi d'autres projets comme Bordeaux-Toulouse qui permettrait de mettre en réseau ces deux grandes métropoles. A plus court terme, les opérations pour traiter le problème de la saturation ferroviaire de Bordeaux sont maintenant bien engagées. C'est la plus grosse opération que nous avons sur le réseau classique ; la procédure d'IMEC que nous avons supprimée va permettre de lancer l'enquête publique dans les prochaines semaines. Sur l'amélioration de la desserte ferroviaire du port autonome, nous avons bouclé la convention de financement et les travaux viennent de commencer. Nous comptons évidemment sur vous pour utiliser pleinement cet investissement dès son homologation prévue pour mi-2004.
Au-delà des projets ponctuels que je viens d'évoquer, nous sommes face aujourd'hui, vous le savez, à un grand défi. Il concerne le financement de ces grands projets. L'impasse financière de 15 Mds d'euros mise en évidence par les auditeurs pose en effet une importante équation financière à résoudre. Les projets que je viens de décrire nous pourrons prendre corps que si nous résolvons cette équation.
Quelles sont les pistes de réponse ? Vous en avez beaucoup entendu parler, une des pistes c'est la redevance kilométrique sur les poids-lourds. Son périmètre concernerait dans un premier temps l'ensemble des axes à 2x2 voies du réseau national. Un de ses mérites est de permettre de faire supporter le coût des infrastructures par tous les utilisateurs, y compris les étrangers, mais c'est aussi une piste complexe. J'ai, avec Dominique BUSSEREAU, toujours mis plusieurs conditions fortes à la mise en place d'une telle redevance : il s'agit en particulier de ne pas entraver la compétitivité de nos entreprises et d'utiliser la ressource pour l'amélioration des réseaux de transport. Ce sont des conditions essentielles de son acceptabilité.
L'analyse de ce système sous les angles techniques, juridiques et financiers a progressé depuis l'audit. Néanmoins, à ce stade, les résultats auxquels nous arrivons incitent à une certaine prudence tant sur le rendement, que sur les frais de gestion et de contrôle. Nous observons par ailleurs avec attention et grand intérêt la mise en place d'un système, semblable dans sa finalité, chez nos voisins allemands. Les difficultés qu'ils rencontrent actuellement, même si elles ne sont sans doute que temporaires, confortent cette prudence.
Seule, une étude plus poussée permettra au gouvernement d'avoir tous les éléments pour prendre une décision. Il s'agit d'éviter tout jugement prématuré et toute décision hâtive alors que l'ensemble des paramètres n'a pas été expertisé dans le détail.
Son rendement, voisin de 300 M d'euros par an en première analyse, ne se révèle malheureusement pas à la hauteur de tous les enjeux.
La piste certainement la plus prometteuse aujourd'hui fait appel aux sociétés d'autoroutes et aux ressources de plus en plus importantes qu'elles dégagent d'ici 2032, date de fin des concessions.
Souvenons-nous que la révolution qu'a connu notre système autoroutier, sous le précédent gouvernement avec la fin de l'adossement n'a fait que révéler la "rente autoroutière" si on peut employer ce terme. Cette rente depuis 1955 était recyclée dans la construction de nouveaux tronçons.
Et, c'est tout de même grâce à ce système que nous avons pu équiper le pays, dans un laps de temps finalement assez court, le réseau autoroutier que vous connaissez, et en particulier l'autoroute Paris-Bordeaux ! Maintenant, cette rente est "externalisée" par la voie de dividendes et d'impôts sur les sociétés. Cette rente ne représente pas moins de 34 Mds d'euros cumulés. Il faut la comparer avec les besoins que nous identifions à l'aune du débat parlementaire (5 Mds d'euros pour les autoroutes, 23 Mds d'euro pour le ferroviaire, 2 Mds d'euros pour le fluvial).
J'ai de surcroît le sentiment que les pouvoirs publics ont la capacité plus que ne peut le faire un acteur privé d'optimiser le versement de cette rente et au fond de mieux valoriser cet actif. Comme vous le savez sans doute les acteurs privés sont contraints par les marchés à des normes d'endettement au regard de leur fonds propres. Ils ont de surcroît une aversion plus grande au risque et au long terme. L'État est, de fait, moins sensible à ces normes, plus à même de maîtriser les risques, qu'il connaît particulièrement bien, et bien entendu d'intégrer des perspectives de long terme.
Vous aurez compris alors qu'un point est fondamental à mes yeux : l'affectation des ressources. J'ai parfaitement entendu le message que beaucoup nous ont adressé lors du débat parlementaire. Leurs observations guident notre réflexion actuelle et notre proposition. C'est à ce prix que nous gagnerons la confiance des utilisateurs de participer à l'effort d'investissement, que nous gagnerons aussi celle des français en général. Garantir la traçabilité de la dépense c'est assurément un gage d'acceptabilité social et de crédibilité politique. C'est aussi offrir une visibilité essentielle à l'ensemble des acteurs : des décideurs aux constructeurs.
Cette démarche parvient aujourd'hui à son terme. Le gouvernement dispose en effet de l'ensemble des cartes en mains pour prendre maintenant des orientations fortes. Elles seront prises prochainement.
Je voudrais terminer ce propos par la question des délais. Vous le savez, l'audit a mis en évidence un allongement considérable des délais de production des opérations d'infrastructures de transport avec un quasi doublement en dix ans. Aujourd'hui il faut compter de 14 à 17 ans entre les premières études d'opportunité et la mise en service. Cela veut dire qu'un projet de LGV par exemple dont les études seraient lancées cette année verrait ses premières rames circuler qu'en 2020 !
Mon premier objectif c'est d'éliminer les procédures inutiles. A cet égard, l'IMEC, que beaucoup ici connaissent, et bien évidemment Alain JUPPE qui en avait fait sa bête noire, a été supprimée dans une ordonnance parue en septembre. Nous travaillons déjà sur des améliorations supplémentaires dans le champ des débats publics et des enquêtes publiques.
Je vous remercie de votre attention.
(Source http://www.equipement.gouv.fr, le 17 octobre 2003)