Déclaration de M. Hervé Gaymard, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales sur le projet de loi de développement des territoires, tenant compte de la diversité du monde rural, visant à accélérer le développement économique et l'emploi, offrir de meilleurs services aux populations tout en préservant les zones spécifiques, au Sénat le 28 avril 2004.

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Circonstance : Examen du projet de loi relatif au développement des territoires ruraux devant le Sénat à Paris le 28 avril 2004

Texte intégral


Monsieur le Président,
Messieurs les Ministres,
Messieurs les Présidents,
Mesdames, Messieurs les Sénateurs,
C'est avec beaucoup de plaisir que je viens vous présenter le projet de loi relatif au développement des territoires ruraux, enrichi des nombreux amendements déjà adoptés en première lecture par l'Assemblée nationale. Avec d'autres dispositions prises à l'initiative du Gouvernement, ce texte doit favoriser un regain de développement du monde rural, et je sais que vous êtes nombreux à partager cette ambition avec moi.
Je suis heureux de le faire aujourd'hui devant la haute assemblée, dont je voudrais remercier le Président, Christian PONCELET, de son engagement constant en faveur des territoires et sur certains sujets qui, comme la montagne, sont au coeur du projet de loi que je soumets à votre examen.
Ce projet de loi ayant un caractère interministériel très marqué, je voudrais également souligner la contribution, à bien des égards essentielle de Gilles de ROBIEN, de Serge LEPELTIER, de Jean-François COPE, de Xavier BERTRAND et de Frédéric de SAINT-SERNIN, qui se trouvent aujourd'hui au banc du Gouvernement.
Vous me permettrez de saluer aussi le travail considérable accompli par les membres de la Commission des affaires économiques, qui, sous l'impulsion de Gérard LARCHER, auquel le Président de la République et le Premier ministre ont souhaité, depuis lors, confier de nouvelles fonctions, bénéficie d'une solide expérience sur ces difficiles questions d'aménagement du territoire.
Je veux, par ailleurs, rendre hommage aux travaux de vos rapporteurs, les Sénateurs Jean-Paul EMORINE et Ladislas PONIATOWSKY qui ont éclairé de leur expertise l'examen en Commission de ce texte souvent dense. Je souhaite également associer à ces remerciements leurs collègues Joël BOURDIN et Pierre MARTIN pour le travail important qu'ils ont accompli au sein de la Commission des Finances et de celle des Affaires culturelles, ainsi que Jean-Paul AMOUDRY et Jacques BLANC pour le rapport qu'ils ont consacré à notre politique en faveur de la montagne.
Vous me permettrez enfin de remercier l'administration du Sénat dont la réputation de qualité et de rigueur ne s'est pas démentie au cours de la préparation des travaux.
I- LA GENESE DU PROJET DE LOI
A- La mobilisation des pouvoirs publics
Ce projet de loi relatif au développement des territoires ruraux -je veux d'abord le rappeler- traduit l'engagement du Président de la République de définir une nouvelle politique en faveur de nos territoires ruraux, comme il l'avait annoncé à l'occasion d'un discours prononcé à Ussel en avril 2002.
Ce projet de loi répond également au sentiment d'abandon que ressentent un grand nombre de ceux qui vivent et travaillent en zone rurale et dont les élus de votre assemblée, qui est avant tout celle des territoires, connaissent mieux que tout autre la réalité. Je n'entends pas, par-là, sacrifier à une quelconque nostalgie ou évoquer un " bon vieux temps " mythique où l'agriculture aurait été reine.
A la fin du XIXe siècle, alors que la terre était d'abord un patrimoine et le paysan un petit propriétaire, GAMBETTA avait scellé un pacte avec la paysannerie, lui " faisant chausser les sabots de la République ". Ce pacte fut renouvelé au début des années 60 par les Gouvernements du Général de GAULLE et c'est lui qu'il s'agit aujourd'hui de prolonger et d'adapter.
Depuis l'après-guerre, nos campagnes ont connu d'importants bouleversements. Exode rural, vieillissement de la population, désertification de certaines zones, progression de la friche, enclavement des territoires, Daniel HALEVY avait naguère donné un titre à ce constat : " La terre meurt ".
Depuis plusieurs années, beaucoup paraissaient s'être résignés face aux évolutions du monde rural. Résignés à l'idée que les territoires ruraux ne se trouvaient plus au cur de notre politique d'aménagement du territoire. Résignés à l'idée que le monde rural devait se vider progressivement de sa population au profit des villes. Résignés à l'idée que rien ne pouvait véritablement empêcher ce mouvement inexorable. La dispersion des politiques conduites a contribué à aggraver ce sentiment. Tout au plus, espérait-on, ici ou là, pouvoir retarder cette évolution. On persistait ainsi à opposer, dans la grande tradition du Tableau de la France de VIDAL de la BLACHE, une France urbaine dynamique à une France rurale condamnée au déclin. Or, cette vision de la France appartient au passé. Aujourd'hui, la France n'a pas de meilleure richesse que ses territoires, car ce sont eux qui, dans un contexte changeant, peuvent lui apporter à la fois le dynamisme et l'équilibre dont elle a besoin.
On comprend d'autant moins que rien n'ait été sérieusement entrepris depuis la loi du 4 février 1995, dite loi PASQUA, qui créa les pays et les démarches territoriales, développa les schémas d'aménagement des territoires et un système efficace de péréquation en faveur du monde rural, à travers le Fonds de gestion de l'espace rural et les Zones de revitalisation rurale.
Avec 680 000 exploitants, les agriculteurs, même s'ils ne constituent plus l'activité dominante du monde rural, demeurent aujourd'hui encore le " coeur battant " de nos campagnes. S'ils participent au progrès, ils ont aussi trop souvent le sentiment de moins en bénéficier que les autres et leurs conditions de vie demeurent marquées par l'importance des aléas.
Même s'il comporte, bien évidemment, un volet agricole, ce projet de loi tient également compte des autres activités créatrices d'emploi dans le monde rural. S'agissant de l'agriculture, ces dispositions seront complétées par un projet de loi de modernisation agricole. Annoncé par le Président de la République, celui-ci viendra également accompagner la réforme de la PAC décidée à Luxembourg, en juin dernier. La gestion du foncier rural, la place de l'agriculture au sein de l'espace rural, l'activité agricole devraient, sans doute, constituer le lien entre ces deux projets de loi.
A travers eux, le Gouvernement conduit par Jean-Pierre RAFFARIN entend dire aux campagnes de France qu'il ne les oublie pas.
B- La prise en compte des réalités du terrain
Afin de se placer au plus près des réalités du terrain et des initiatives qui s'y développent, le Premier Ministre m'a demandé d'élaborer ce texte dans un cadre interministériel -je l'ai dit- et de façon très concertée. Avant même d'engager véritablement sa rédaction, le Gouvernement a voulu entendre les représentants des grandes associations d'élus locaux : l'Association des maires de France (AMF), l'Association des départements de France (ADF), l'Association des régions de France (ARF).
J'ai également nourri ma réflexion des nombreux échanges que j'ai pu avoir avec vous et un certain nombre d'élus locaux, à l'occasion de mes déplacements dans nos régions.
Outre l'ensemble des organisations professionnelles agricoles, nous avons également consulté la plupart des organisations qui participent à l'activité économique du monde rural : l'Assemblée permanente des Chambres d'agriculture (APCA), l'Assemblée française des Chambres de commerce et d'industrie (AFCCI), l'Assemblée permanente des Chambres des métiers (APCM), l'Union professionnelle artisanale (UPA) ou l'Observatoire des métiers.
Enfin, j'ai souhaité recueillir les propositions des différents acteurs de la ruralité : le Conseil national pour l'aménagement et le développement du territoire (CNADT), le Conseil national de la montagne (CNM), l'association Familles rurales, la Fédération nationale des foyers ruraux (FNFR), la Fédération nationale pour l'habitat et le développement rural (FNHDR), l'Association nationale pour l'amélioration de l'habitat (ANAH), l'Association nationale pour le développement de l'aménagement foncier (ANDAFAR), la Fédération nationale de la propriété agricole et rurale, le groupe Monde rural, les Conseils économiques et sociaux régionaux (CESR). Encore ne-suis-je pas exhaustif dans cette énumération.
Par ailleurs, le Gouvernement a tenu à consulter le Conseil économique et social, qui a consacré un rapport à l'examen de ce projet de loi.
Des groupes de travail, largement ouverts, ont parallèlement travaillé sur des thèmes spécifiques : la pluriactivité, les groupements d'employeurs, l'agriculture de groupe, l'action sociale, la politique en faveur de la montagne et du pastoralisme, les services aux publics, la rénovation du patrimoine bâti, ou la protection des espaces agricoles péri-urbains.
Pour être en mesure de participer plus efficacement à la définition et à la mise en uvre de cette nouvelle politique, les équipes de la DATAR et du Ministère ont été mobilisées et les services centraux de mon Ministère réorganisés, avec la création d'une Direction générale chargée des affaires rurales et de la forêt (DGFAR), issues de la fusion de deux Directions préexistantes qui ont été ainsi rationalisées.
Enfin, outre les travaux du Commissariat général du Plan et de l'Institut national pour la recherche agronomique (INRA), j'ai pris en compte le rapport, d'une très grande qualité, que la DATAR a consacré à l'aménagement de la France rurale en 2020.
C- Une réponse à la diversité du monde rural
Ces différents rapports et auditions nous ont permis de dresser un portrait précis du monde rural et des politiques conduites en sa faveur. Il en ressort que plus que jamais, notre France rurale se nomme diversité :
- Il y a, d'abord, les campagnes des villes, où se situe près du tiers de la surface agricole utile (SAU). Ces terres se trouvent soumises à la pression croissante de l'urbanisme et de la spéculation foncière. Elles constituent, en effet, une réserve foncière pour l'aménagement et le développement d'autres activités, notamment résidentielles. Cette situation contribue à leur renchérissement à un niveau trop souvent incompatible avec le maintien de l'activité agricole, et provoque d'importants conflits d'usage.
- Il y a ensuite les campagnes plus isolées, notamment en zones de montagne, qui continuent à perdre des habitants. Beaucoup d'entre elles voient leurs espaces agricoles progressivement abandonnés et souffrent d'une mauvaise connexion aux réseaux modernes de communication. Hier, ce sentiment avait déjà prévalu lors de l'électrification. Avec le développement des nouvelles technologies de l'information et de la communication (NTIC), cette coupure prend aujourd'hui une nouvelle forme : la fracture numérique. Pour que leurs habitants ne se sentent plus isolés mais bien partie prenante de notre pays, la solidarité nationale doit s'y exercer de façon plus efficace et plus lisible.
- Il y a enfin les nouvelles campagnes, soumises à l'influence de certains centres-bourgs où l'activité entrepreneuriale est importante, des campagnes qui se développent, créent des richesses et où la population progresse. Entre 1975 et 2000, cette frange de nos espaces ruraux a ainsi gagné près d'un demi-million d'habitants. Et nos compatriotes, souvent rejoints par des ressortissants d'autres pays de l'Union européenne, sont chaque année plus nombreux à s'y établir. Les dynamiques de projet doivent, à l'évidence, y être mieux soutenues.
Si nos campagnes ont, au total, retrouvé le même nombre d'habitants qu'en 1970, ces chiffres ne doivent pas masquer leurs transformations bien réelles. Au cours de la période récente, les déséquilibres territoriaux s'y sont, en effet, accentués. La déprise des zones isolées comme le déséquilibre de nombreux espaces périurbains en sont des exemples que vous connaissez bien.
II- L'ESPRIT DU PROJET DE LOI
A- Des outils au service du monde rural
Certains soulignent le caractère éclectique, voire composite de ce projet de loi. Je veux leur dire que la variété des mesures qu'il comporte répond, avant tout, à cette diversité du monde rural et des problèmes auxquels il est confronté. Elle correspond également au souci du Gouvernement d'enrichir les outils mis à disposition des acteurs de la ruralité, c'est-à-dire les acteurs économiques et les élus locaux.
Ce projet de loi, qui privilégie tantôt la norme, tantôt l'incitation, s'inscrit, d'ailleurs, dans un dispositif plus large -j'ai parlé en plusieurs occasions d'un " bouquet rural "- comprenant les mesures décidées en Comité interministériel d'aménagement et de développement du territoire (CIADT), sous l'autorité du Premier ministre, en septembre puis en décembre dernier. Cette complémentarité voulue des dispositions législatives et des mesures du CIADT s'exprime, d'ailleurs, dès le premier chapitre du projet de loi, consacré à l'aménagement du dispositif des Zones de revitalisation rurale (ZRR).
De même, et c'est essentiel pour la cohérence de l'action gouvernementale, ce projet de loi s'articule parfaitement avec d'autres textes en cours d'élaboration, je pense sur plusieurs points au projet de loi organique sur les finances locales adopté en Conseil des ministres, le 22 octobre dernier, dont mon collègue Jean-François COPE vous parlera plus longuement, ou à la loi sur les nouvelles initiatives économiques que votre assemblée a déjà adoptée. Là où cette dernière loi offre aux entrepreneurs les libertés dont ils ont besoin pour conduire leurs activités, le projet de loi que je soumets à votre examen permettra aux collectivités locales d'accompagner le plus efficacement leurs efforts.
B- Un projet faisant toute sa place aux différents acteurs
Ce projet de loi est également cohérent avec la vision d'une France décentralisée, qui est celle du projet de loi relatif au développement des initiatives locales, que vous examinerez à la suite de ce texte. Une France décentralisée dans laquelle l'Etat n'a pas vocation à tout faire, ni à tout laisser faire, mais où, restant garant de la cohésion nationale et de l'équité territoriale, il doit jouer pleinement son rôle de " facilitateur ". C'est ainsi qu'il pourra accompagner la dynamique des projets de territoire. Les accompagner sans se substituer aux acteurs de terrain, tout en créant un cadre propice à la libération des énergies et tenant compte des spécificités de nos zones rurales.
C- Un projet de loi corrigeant la dispersion des politiques actuelles
Ce projet de loi veut également mettre fin à la dispersion des politiques conduites en faveur du monde rural.
Initiées dans les années 60 par Michel DEBRE et Georges POMPIDOU, les premières politiques d'aménagement du territoire ont permis de rééquilibrer notre territoire et d'échapper au " scénario de l'inacceptable " décrit par Jean-François GRAVIER dans son ouvrage Paris et le désert français. Mais au fil du temps, les approches et les intervenants se sont multipliés : les collectivités locales -régions, départements, communes- les intercommunalités, les pays et massifs ont mis en uvre des politiques, sans toujours trouver les dispositifs nationaux ou européens d'accompagnement souhaitables. L'empilement est devenu tel que l'instance interministérielle d'évaluation des politiques de développement rural a pu récemment regretter que les dispositifs en faveur du monde rural obéissent à des logiques trop sectorielles et cloisonnées, faisant souvent appel à des mécanismes nombreux et insuffisamment articulés entre eux.
Le temps est aujourd'hui venu pour nous d'aller plus loin, de redéfinir une véritable ambition pour nos campagnes et d'apporter une plus grande cohérence et une meilleure lisibilité à l'action de l'Etat dans ce domaine.
Il est temps, pour cela, de donner une plus grande liberté d'action aux décideurs locaux. L'heure doit être à l'initiative et à l'accompagnement des porteurs de projets. Le nouvel essor de nombreux territoires doit également nous rendre plus solidaires de tous ceux qui restent en difficulté, je pense, notamment aux communes de montagne soumises à d'importants handicaps. Le projet de loi est particulièrement attentif à cet enjeu de solidarité, qui est aussi un enjeu de cohésion nationale.
Notre politique doit tenir compte de la diversité du monde rural. Elle doit pour cela adapter ses outils à la situation particulière de chaque territoire et apporter des réponses aussi concrètes et aussi complètes que possibles aux différentes attentes de nos concitoyens vivant dans le monde rural. Des attentes qui touchent à la fois :
- au développement économique et donc à l'emploi ;
- à l'offre de meilleurs services aux publics ;
- et au respect des équilibres et des traditions.
III- LES DISPOSITIONS DU PROJET DE LOI
Sans me livrer à un exposé exhaustif de ces différentes dispositions, je souhaiterais évoquer avec vous quelques-unes des dispositions du projet de loi qui sont au coeur des préoccupations de nos concitoyens ruraux et parmi les plus significatives de la volonté du Gouvernement en ce domaine.
A. Accompagner le développement économique et agir pour l'emploi
o Conforter le développement économique
A travers ce projet de loi, nous devons, tout d'abord, -c'est notre premier objectif- conforter le développement économique des territoires en déclin démographique, en y faisant jouer la solidarité nationale de façon plus efficace et plus lisible.
Pour cela, le projet de loi propose d'aménager le dispositif des Zones de revitalisation rurale, d'en actualiser les zonages, en tenant compte des intercommunalités à fiscalité propre, et de mettre en uvre diverses mesures incitatives prenant appui sur ces Zones de revitalisation rurale (ZRR).
L'Assemblée nationale a renforcé les incitations économiques, à travers plusieurs mesures telles que l'exonération de taxe foncière sur les propriétés bâties en ZRR en faveur des logements privés sociaux conventionnés, l'extension du bénéfice de l'amortissement exceptionnel aux travaux de rénovation d'immobilier d'entreprises artisanales, commerciales et industrielles, ou encore la possibilité d'exonération de taxe professionnelle pour les professionnels de santé humaine et animale.
Le projet de loi propose également de créer des Sociétés d'Investissement pour le Développement Rural (SIDER), de façon à soutenir l'installation d'entreprises innovantes en zone rurale et à faciliter, à l'instar de dispositifs analogues existant en milieu urbain, les projets économiques et les entreprises de petite dimension.
S'agissant des activités agricoles et touristiques, le projet de loi introduit des dispositions fiscales et financières et des mesures de simplification de nature à favoriser les dynamiques locales.
De même, l'harmonisation du statut des entreprises équestres proposé par le projet de loi a été sensiblement complété en accord avec le Gouvernement, dans le domaine de la fiscalité des revenus des activités de préparation et d'entraînement.
o Agir pour l'emploi
Le Président de la République a fait de l'emploi une priorité pour notre pays. Et celui-ci est également un enjeu majeur du développement des territoires ruraux. Dans le projet de loi, l'emploi fait l'objet de dispositions importantes, que le débat parlementaire est, d'ailleurs, venu enrichir.
Pour mieux reconnaître la pluri-activité, le projet de loi propose de simplifier les règles de rattachement aux régimes sociaux pour les pluri-actifs non-salariés ; il encourage la mutualisation de l'emploi entre différents employeurs et élargit la possibilité de cumuler un emploi public et un emploi privé à tous les agents de la fonction publique territoriale employés par des communes de moins de 3 500 habitants. Une commune pourra ainsi, par exemple, partager avec une entreprise de travaux agricoles un emploi de conducteurs d'engins.
Que ce soit en encourageant la pluriactivité ou en soutenant la démarche des groupements d'employeurs, le Gouvernement veut favoriser le décloisonnement et la synergie des différentes activités économiques du monde rural.
Autre volet du dispositif en faveur de l'emploi : la promotion de l'emploi saisonnier.
Trop souvent, l'emploi saisonnier ne peut être pourvu faute d'une offre suffisante de logement pour les salariés. Parfois, son coût ou les frais de déplacement peuvent également limiter l'intérêt pour le salarié d'accepter un emploi saisonnier. Afin de favoriser l'hébergement des saisonniers, le projet de loi prévoit un amortissement accéléré des gros travaux d'amélioration ainsi qu'un aménagement de la taxe d'habitation et de la taxe foncière sur les propriétés bâties.
Le projet de loi encourage enfin la formation professionnelle des salariés, notamment saisonniers, et des conjoints collaborateurs. Il habilite ainsi les partenaires sociaux à adapter les conditions d'accès au congé individuel de formation des salariés en contrat à durée déterminée. Les secteurs de l'agriculture et du tourisme, gros pourvoyeurs d'emplois saisonniers, pourront désormais adapter les durées d'emploi, de façon à leur offrir la possibilité d'accéder à une formation. A ce titre, une personne ayant accompli une campagne saisonnière en agriculture parallèlement à une autre activité pourra désormais bénéficier d'une formation la qualifiant pour l'emploi durable.
o Valoriser le patrimoine bâti pour améliorer l'offre de logements
Nous devons également améliorer l'attractivité des territoires ruraux, afin d'y promouvoir l'installation et la reprise d'entreprises. Or, nous nous trouvons confrontés à une situation à la fois nouvelle et paradoxale : une crise profonde du logement en milieu rural.
L'offre de logements reste insuffisante dans les campagnes, en nombre comme en qualité. Des maisons de village se dégradent sans qu'on puisse ni les louer, ni les acheter, et trop de corps de fermes sont laissés à l'abandon, les repreneurs des terres n'ayant pas besoin de ces bâtiments, souvent inadaptés pour l'élevage ou la culture. Combien d'entre nous n'ont-ils pas été frappés par l'état d'abandon ou de ruine, d'un grand nombre de bâtiments agricoles anciens, parfois même de caractère, alors que le manque de logements est réel dans la commune ? En laissant ainsi son patrimoine se dégrader, la France rurale s'appauvrit.
Pour augmenter l'offre de logements destinés aux actifs, nous devons à la fois favoriser la rénovation du patrimoine bâti et développer l'habitat locatif dans les ZRR. Le texte qui vous est soumis comporte sur ce point plusieurs dispositions que j'ai demandées à Nicolas FORISSIER de vous présenter tout à l'heure.
B- Garantir une meilleure offre de services aux populations
Nous devons aussi -et c'est notre deuxième objectif- garantir à nos concitoyens l'égalité d'accès aux services, car elle est essentielle à l'attractivité économique, à la qualité du cadre de vie et, plus largement, à l'égalité des chances que notre pays doit à ses enfants. Une offre de services satisfaisant leurs besoins quotidiens, telle est également l'attente de ces nouveaux habitants venus chercher à la campagne une qualité de vie qu'ils trouvent de moins en moins dans les grandes métropoles.
Nous souhaitons pour cela faire prévaloir une nouvelle logique de l'organisation des services rendus au public, fondée sur la polyvalence des services et des partenariats. C'est dans cet esprit que le projet de loi propose de simplifier et d'adapter le régime juridique des Maisons de service public, afin de pouvoir y accueillir des services privés, dans le respect des règles de la concurrence. De même, l'Office national des forêts, dont le maillage territorial doit être mis au service des communautés rurales, pourra apporter son concours technique au sein des Maisons de service public.
Les élus locaux seront désormais mieux informés des réorganisations de services publics ou de proximité, des réorganisations qui seront, par ailleurs, plus étroitement encadrées.
Faire progresser l'égalité d'accès aux services de santé doit être notre maître-mot. Car elle est aussi un facteur essentiel de l'équité territoriale.
Il est proposé, à cette fin, de mieux coordonner les aides accordées aux professions médicales par les diverses collectivités territoriales et les organismes d'assurance maladie, de façon à favoriser l'exercice en cabinets de groupe ainsi que la constitution de pôles de soins, et à assurer une présence médicale sur l'ensemble du territoire. Désormais, les étudiants en médecine pourront bénéficier d'une indemnité d'étude s'ils s'engagent à exercer comme médecin généraliste au moins cinq ans en zone déficitaire. De leur côté, les collectivités territoriales pourront accorder des indemnités de logement et de déplacement aux étudiants de troisième cycle de médecine générale lorsqu'ils effectuent leurs stages dans les zones déficitaires.
Dans les ZRR, les médecins et les vétérinaires pourront également, à l'initiative des collectivités, bénéficier de 2 à 5 années d'exonération de taxe professionnelle pour leur installation ou leur regroupement. La mesure est étendue hors des ZRR aux vétérinaires intervenant sous mandat sanitaire et pour les médecins s'installant dans de petites communes. De même, les collectivités pourront soutenir la mise en place de structures, telles que les maisons médicales, participant à la permanence des soins.
C- Préserver les espaces spécifiques ou sensibles et protéger l'environnement
L'agriculture et la forêt occupent 80% de notre territoire. Au-delà de la dimension économique de ces activités, leur rôle d'occupation de l'espace, souhaité et reconnu par la société, se heurte à l'étalement urbain, aux risques de déprise et de banalisation des espaces pastoraux et humides, à la perspective d'un morcellement de la propriété et d'une multiplication des dégâts de gibier en forêt. Le projet de loi cherche -c'est son troisième objectif- à apporter des réponses spécifiques aux problèmes de ces différents types d'espaces : les espaces périurbains, les zones de montagnes, les forêts et les zones humides.
o Un outil foncier efficace pour protéger les zones péri-urbaines
Alors que le tiers des exploitations agricoles se trouve désormais en zones péri-urbaines, nous ne disposons pas d'un instrument foncier efficace comme il en existe pour aménager les territoires urbains. Alors que 20 millions de nos compatriotes vivent également dans ces zones périurbaines, il est pourtant essentiel d'y protéger l'agriculture, non seulement en raison de son importance économique, mais aussi pour sa contribution à l'entretien des paysages et du cadre de vie.
Pour ce faire, le projet de loi ouvre la possibilité aux départements de créer des périmètres de protection et de mise en valeur de ces espaces. Cohérente avec le parachèvement de la décentralisation de l'aménagement foncier, l'implication des départements se justifie également par le fait qu'ils disposent des outils d'une véritable politique d'aménagement. En accord avec les collectivités intéressées, ceux-ci pourront délimiter des périmètres rendus inconstructibles, après consultation de la Chambre d'agriculture et enquête publique. Ces périmètres seront gérés selon des programmes d'action élaborés en accord avec les communes et leurs groupements.
o Des dispositions pour favoriser la restructuration des forêts privées
Afin de préserver nos forêts et de soutenir la filière-bois, le projet de loi introduit des incitations fiscales favorisant la restructuration et la gestion durable des forêts privées. Le projet de loi aménage également certaines dispositions existantes, de façon à encourager les pratiques pastorales remplissant des fonctions économiques et environnementales, telles que la lutte contre l'embroussaillement.
o Un mécanisme de protection et de valorisation des zones humides
Grâce à une fiscalité adaptée et à des programmes d'actions spécifiques, le projet permettra également une meilleure prise en compte des zones humides. Longtemps considérées comme des territoires insalubres qu'il convenait de conquérir, elles constituent, en réalité, un important patrimoine faunistique et floristique, en même temps qu'un réservoir d'eau superficiel qui régularise l'écoulement des eaux et prévient les risques d'inondations. Le projet de loi reconnaît clairement l'enjeu de leur préservation et de leur gestion. Il prévoit d'accorder une exonération totale ou partielle de la taxe foncière, moyennant un engagement de préservation, et d'adapter les baux dans les zones présentant un intérêt stratégique pour l'eau.
o Un outil d'aménagement foncier renouvelé
Le projet de loi modernise, d'autre part, le dispositif du remembrement, pour le simplifier et en faire un outil mieux adapté à la préservation de l'environnement et à l'approfondissement -voulu par le Gouvernement- de la décentralisation.
o Une attention particulière portée à la montagne
Outre de nombreuses mesures qui bénéficieront particulièrement aux territoires montagnards, dont elles renforceront l'attractivité et favoriseront une gestion durable, le projet de loi cherche enfin à apporter une réponse à ses problèmes spécifiques.
J'ai personnellement tenu à ce que le projet de loi comporte un titre entièrement consacré à la montagne.
Convaincu de la nécessité d'une politique des massifs de montagne différenciée et attentive au développement durable, j'ai également veillé avec un soin particulier à ce que le projet de loi améliore la collaboration des collectivités et la coordination des structures administratives concernées par la gestion d'un même massif montagneux. Etabli sur ce point en concertation étroite avec la Commission permanente du Conseil national de la montagne (CNM) et l'Association nationale des élus de la montagne (ANEM), dont je salue le Président JARLIER, le projet de loi actualise la loi Montagne de 1985, pour tenir compte de la décentralisation et de la diversité des territoires de montagne et permettre un meilleur équilibre entre leur protection et leur développement. Le projet de loi prévoit également de favoriser la coordination des collectivités et des structures administratives concernées par la gestion d'un même massif montagneux, dans le cadre d'ententes de massifs. Il propose enfin de simplifier le régime des Unités touristiques nouvelles (UTN), qui régit les aménagements touristiques en montagne.
Les modifications des règles d'urbanisme en montagne ont fait l'objet d'une réflexion plus globale, dans le cadre d'un groupe de travail associant les parlementaires soucieux de favoriser le maintien et de développement des activités agricoles, pastorales et forestières en montagne. Les amendements qui seront soumis à votre examen sont directement issus de cette réflexion très consensuelle.
o La recherche d'un équilibre entre les activités agricoles et forestières et la chasse
Afin de valoriser la chasse dans le respect d'un équilibre avec l'agriculture et la forêt, le projet de loi propose de mieux assurer la protection contre les dégâts du gibier et de mieux organiser la lutte contre sa prolifération. Le projet de loi permet ainsi à un propriétaire de demander au bénéficiaire du plan de chasse ou à l'Etat, dans certaines conditions, le remboursement de dépenses de protection. Deux sujets sont principalement ressortis des longs débats consacrés par l'Assemblée nationale aux dispositions relatives à la chasse :
- la représentation des chasseurs au sein du Conseil d'administration de l'Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS), pour laquelle un amendement gouvernemental a permis de trouver un bon équilibre ;
- la protection des peuplements forestiers contre les dégâts de gibier, pour laquelle le Gouvernement a notamment précisé la notion d'équilibre agro-sylvo-cynégétique.
Le Gouvernement est très attaché à ce que cet équilibre entre la chasse, l'agriculture et la forêt, atteint lors de l'examen par l'Assemblée ainsi que sa prise en compte dans les orientations régionales de gestion et de conservation de la faune sauvage et de ses habitats soit bien maintenus dans le texte.
D. Renforcer les capacités d'intervention de certains établissements publics
Dans son avant-dernier titre, le projet de loi propose de renforcer les capacités d'intervention des établissements publics partenaires des territoires ruraux. Il s'agit, d'une part, des Chambres d'Agriculture, dont le champ d'action est étendu et le réseau conforté. Il s'agit, d'autre part, des établissements d'enseignement agricole, dont les capacités d'intervention seront renforcées.
Il vous est également proposé de faire du Domaine national de Chambord un établissement public.
A l'instar du Conseil national de la montagne, les députés ont, par ailleurs, décidé la création d'un Conseil national du littoral, et je sais pouvoir compter sur les élus de la haute assemblée pour préciser la rédaction de cette disposition.
Enfin dans son dernier titre, le projet de loi prévoit que l'adaptation et l'application de certains articles de la loi dans les DOM, à Saint-Pierre-et-Miquelon et à Mayotte se fera par ordonnance, après avis des organisations professionnelles agricoles.
IV- LES TRAVAUX DU SENAT
Telle est donc, Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs les Sénateurs, l'économie générale du projet de loi que je soumets à votre examen. Ce texte -je le sais- a suscité beaucoup d'attentes.
L'importance de ces attentes est, d'ailleurs, à la mesure du " spleen " que connaissent depuis quelques années beaucoup de zones rurales. Le mouvement des hommes, des activités et des services vers les grands centres urbains est aujourd'hui moins net que dans le passé. Mais il nourrit une inquiétude légitime pour l'avenir de ces territoires parmi ceux qui y vivent ou y travaillent.
L'importance de ces attentes est également à la mesure de la place essentielle que la ruralité conserve dans la société française et dans l'équilibre de notre pays.
Au cours des dernières semaines, j'ai pris connaissance avec plaisir des nombreux commentaires favorables au projet de loi. Ils rendent justement hommage à la qualité des expertises et des concertations, qui ont contribué à sa préparation. Ils confortent aussi ma conviction de vous proposer, à travers lui, une gamme d'outils bien adaptés aux besoins du monde rural comme aux objectifs poursuivis par le Gouvernement. Ils rejoignent ainsi l'appréciation portée par votre Commission des Affaires économiques qui voit dans ce texte non un " point d'aboutissement " mais bien " un signal politique et un cadre général " pour l'action. Et c'est dans cet esprit que j'accueille très favorablement votre amendement prévoyant l'organisation d'une conférence annuelle de la ruralité. Car c'est pour moi le gage que le travail engagé au travers de ce projet de loi sera le prélude à d'autres dispositions pour l'avenir de nos campagnes.
Mais j'ai aussi bien entendu les commentaires, les réserves, voire la circonspection de certains sur ce projet. Certains d'entre vous ont relevé le caractère nécessairement éclectique de ce projet de loi. En vérité, la variété des dispositions s'est imposée d'elle-même, au cours de mes nombreux déplacements et de mes échanges avec les acteurs de la ruralité et avec mes collègues Ministres. En élaborant ce projet de loi, je n'ai pas cherché à faire uvre esthétique mais plutôt à rédiger un texte qui se place au plus près des réalités du terrain et qui soit en phase avec les préoccupations, elles-mêmes très diverses, qui s'y manifestent.
Avant de conclure, je voudrais encore remercier les membres de votre Commission des Affaires économiques pour les efforts qu'ils ont accomplis, afin de clarifier et de recentrer le texte sur son objet essentiel : l'avenir des territoires ruraux. Ce souci les a souvent conduits à supprimer des dispositions issues du débat à l'Assemblée nationale, qui, pour pertinentes qu'elles étaient, n'en sortaient pas moins du cadre de ce projet de loi et relevaient plutôt d'autres dispositifs législatifs, tels que le projet de loi de modernisation agricole ou le projet de loi sur l'eau.
CONCLUSION
Messieurs les Ministres,
Monsieur le Président,
Messieurs les Présidents de Commission,
Mesdames, Messieurs les Sénateurs,
" Notre espace rural mérite une véritable ambition. Il est de plus en plus perçu par les Français comme une richesse, comme un facteur d'équilibre social et comme un lieu d'épanouissement ", déclarait le Président de la République à Ussel, le 13 avril 2002.
Diversité de nos terroirs, richesse de notre espace, rôle du monde rural dans l'équilibre de notre pays : le développement de nos territoires ruraux est, de tous ces points de vue, un enjeu national. Il est aussi une chance pour la France, qui trouvera dans leur développement un surcroît de richesse.
Cette politique repose sur une vision de l'équilibre de notre pays. Longtemps, ce fut essentiellement celle des ingénieurs et des aménageurs. Aujourd'hui, ce doit être également celle des citoyens, des élus et des acteurs économiques. C'est, d'ailleurs, tout le sens de ce texte que je soumets à votre examen.
Je fais confiance à votre assemblée pour l'enrichir, le recentrer ou l'adapter encore, en exerçant pleinement -comme cela est très légitime- son droit d'amendement. Au cours de ce débat, je serai, pour ma part, très attentif aux préoccupations dont vous me ferez part. De mon côté, j'ai demandé à mes services de procéder sans délai à l'élaboration de ses décrets d'application, de façon à ce que ce projet de loi puisse pleinement entrer en vigueur dès que vous l'aurez adopté.
Avec votre expertise et votre appui, j'espère que nous pourrons ainsi rendre au monde des villes et au monde des campagnes des perspectives communes. Nos territoires ruraux comptent trop de volontés, d'énergies et de projets pour qu'on puisse se résoudre à leur effacement. Mais on ne réformera pas notre pays en dressant une France contre l'autre. On ne le fera qu'en surmontant les divisions et les querelles entre ses diverses composantes.
Avec les autres dispositifs du " bouquet rural ", j'ai confiance en ce que ce projet de loi nous aide à préserver l'unité française, à restaurer l'égalité des chances entre ses enfants et à refonder avec l'ensemble des Français un pacte de solidarité et de développement. Tel est l'esprit qui anime le Gouvernement et dont, avec votre soutien, je suis prêt à assumer ma part aujourd'hui.
Je vous remercie.
(source http://www.agriculture.gouv.fr, le 29 avril 2004)