Déclaration de Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de l'écologie et du développement durable, sur le financement du traitement des déchets, Paris le 19 novembre 2003.

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Circonstance : 86ème congrès des maires de France du 18 au 20 novembre 2003 à Paris

Texte intégral

Mesdames et messieurs les élus,
La gestion des déchets constitue sans nul doute le thème au travers duquel nos concitoyens perçoivent le plus clairement l'impact que leur comportement quotidien peut avoir sur l'environnement. La grande popularité du geste de tri, confirmée par toutes les enquêtes d'opinion, est la preuve, s'il en faut une, de ce lien privilégié.
Les déchets sont aussi un des sujets majeurs d'implication des communes dans l'environnement. La loi vous a confié un rôle central dans la gestion de cette question de société, en vous rendant responsables de la collecte et de l'élimination de tous les déchets des ménages.
Les questions liées au financement de cette mission sont évidemment centrales, et ce d'autant plus que les coûts ont connu, et continuent de connaître, une croissance particulièrement rapide.
Pendant des années, la somme consacrée par les ménages aux déchets est restée modeste, de l'ordre de la quinzaine d'euros, loin derrière les dépenses de chauffage, d'électricité ou même d'eau. La taxe sur les ordures ménagères ne représentait, à cette époque, qu'une fraction très faible de la fiscalité locale.
Il n'en est plus de même aujourd'hui, vous le constatez tous. Les factures de déchets atteignent couramment 75 euros par an, voire plus. Déjà sensible dans le milieu des années 1990, la hausse de la taxe d'enlèvement des ordures ménagères ne donne pas de signe de ralentissement. Sur la période 2000-2003, la taxe a ainsi crû de 9% par an.
Je souhaite tout d'abord vous dire que la hausse du coût de traitement des déchets correspond à de réelles avancées sur les plans de l'environnement, de la santé, de la salubrité, des conditions de travail et de la qualité de service à nos concitoyens. Il ne serait en effet pas responsable d'entretenir l'illusion d'un possible retour en arrière. Au contraire, nous devons considérer avec objectivité le chemin parcouru et les progrès enregistrés, comprendre que c'est très largement le prix d'avancées réelles et souhaitées par nos concitoyens que nous payons aujourd'hui, et faire uvre de pédagogie auprès d'eux. C'est là le premier message que je veux vous faire passer.
Là où des poubelles disparates, malodorantes et lourdes étaient, il n'y a pas si longtemps que cela, collectées dans des conditions pénibles par des véhicules polluants, on voit de plus en plus souvent des machines modernes, souvent exemplaires en termes de rejets dans l'atmosphère, collecter les ordures dans des conditions respectant le personnel et notre qualité de vie, dans des sacs ou des bacs qui n'ont rien d'inacceptable. Cela a bien sûr un coût.
Le service s'est également largement développé pour prendre en compte de nouveaux besoins dans les communes et dans les villes, avec par exemple la généralisation de la collecte des déchets encombrants, et l'offre exceptionnelle d'accueil de déchets que permettent les 3 000 déchèteries françaises. Cela se paie également, mais procure un bénéfice en termes de qualité de service dont peu de Français seraient aujourd'hui prêts à se passer totalement. L'environnement et la propreté de notre pays y ont largement gagné au passage.
La dernière décennie a aussi été celle de la généralisation des collectes sélectives en vue du recyclage des matières. Je ne reviendrai pas sur les effets extrêmement positifs de cette évolution, tant sur le plan écologique qu'en terme de motivation de tous les Français à ce premier geste citoyen environnemental. Les collectivités n'ont pas été laissées seules face au financement de cette nouvelle prestation. Le financement est d'abord venu des professionnels : les quelques 350 millions d'euros distribués chaque année par les sociétés agréées Eco-emballages et Adelphe sont pour la très grande majorité redistribués à vos communes ou syndicats de communes sous forme de soutien au tonnage, de garantie de reprise des matériaux des ordures ménagères ou d'aide aux actions de communication. L'Etat a aussi fortement abondé pour réduire le coût encore à la charge des collectivités locales avec les aides apportées par l'ADEME jusqu'au 30 juin 2002, mais surtout la généralisation de la TVA à taux réduit.
Un autre facteur de hausse des coûts est enfin lié à l'amélioration de la protection de l'environnement au voisinage des usines d'incinérations, des décharges, et de toutes les autres installations traitant les déchets. Plusieurs étages de réglementation successifs sont venus transformer l'ancienne décharge brute, ou l'usine d'incinération polluante, en installations modernes, équipées de dispositifs de limitation des pollutions à la pointe du progrès.
Vous savez que j'ai montré dès mon arrivée ma détermination à faire appliquer strictement et sans aucune dérogation les règles relatives à l'incinération. J'ai récemment annoncé à la Baule que j'en ferais de même avec les décharges illégales qui subsistent en France, et je compte sur votre appui en ce sens. Je ne perds pas de vue non plus la nécessaire étape supplémentaire de modernisation à travers laquelle la plupart des incinérateurs devront encore passer avant fin décembre 2005, et qui sera loin d'être gratuite. N'oublions donc pas, dans les estimations que nous faisons pour le futur, ces dépenses incontournables.
Il y a dans ces investissements de dépollution avant tout un impératif de santé publique. Mais il s'agit aussi d'un enjeu d'acceptation majeur : si les responsables d'usines ou de décharges ne montrent pas rapidement au public leur capacité à présenter des installations irréprochables, l'implantation de nouveaux projets, pourtant indispensables, deviendra extrêmement délicate, voire impossible. Les coûts augmenteront alors fortement et durablement, mais pour une autre raison, la rareté croissante des exutoires, qui induira des transports sur des distances sans cesse croissantes, et une rente de situation pour les installations existantes. L'intérêt écologique rejoint ici très clairement l'intérêt économique.
L'évolution de fond est donc compréhensible et justifiée. La modernisation est amenée à se poursuivre, car le chemin n'est pas terminé, mais je souhaite que chacun, à commencer par l'Etat, garde un il vigilant sur la maîtrise des coûts.
Il est par exemple indispensable, dans les années à venir, de poursuivre les efforts pour détourner davantage de flux de déchets de la mise en décharge et de l'incinération, en explorant en particulier les possibilités ouvertes par la valorisation organique des déchets. Cela doit se faire en favorisant, à chaque fois que cela est possible, la solution la plus économique, si elle procure le même bénéfice environnemental. Si de nombreuses actions sont à initier à l'échelon national, voire européen, je suis en effet persuadée que beaucoup d'initiatives restent aussi possibles à l'échelon local, pour profiter d'occasions offertes par la présence d'un utilisateur potentiel de certains déchets collectés séparément, ou en matière de retour au sol des déchets organiques. De telles expériences, pragmatiques et ancrées dans des situations locales, permettront de faire progresser la gestion des déchets, tout en maintenant des coûts raisonnables.
La réduction à la source des déchets est un autre domaine dans lequel la préoccupation d'économie est fortement liée à la préoccupation d'écologie. Le déchet non produit n'engendre en effet aucun coût de traitement, on l'oublie trop souvent.
Les champs dans lesquels cette politique de réduction de la production de déchets peut être mise en uvre sont nombreux, et ne se limitent pas aux quelques dossiers emblématiques qui l'ont mise sur le devant de la scène récemment, comme les sacs de caisse, ou les autocollants " stop-pub " sur les boîtes aux lettres. Il est aussi possible d'agir plus profondément sur la conception des produits vendus, pour peu que les Français soient convaincus de l'intérêt de la démarche. Des enquêtes d'opinion encourageantes montrent qu'un mouvement en ce sens débute. Il ne tient qu'à vous de relayer l'action du Gouvernement auprès de vos administrés en vous engageant le cas échéant dans des initiatives locales. Vous y avez intérêt financièrement, mais aussi, sans aucun doute, politiquement.
L'attention portée aux coûts est donc un élément essentiel des politiques qui devront être mises en place dans les années à venir. Un travail d'information sur le devenir réel des déchets, sur les quantités recyclées, sur les coûts des différentes filières et des différentes technologies est en ce sens indispensable, afin de disposer d'éléments de comparaison fiables. Je sais que l'ADEME travaille à structurer le réseau des observatoires régionaux, et cela constitue un bon premier pas dans cette direction.
Le fait de progresser vers une meilleure connaissance des coûts moyens de collecte et de traitement des déchets permettra aussi aux collectivités de se situer les unes par rapport aux autres, et, le cas échéant, de corriger des dérives. Le mouvement de modernisation que nous avons vécu dans la dernière décennie a en effet conduit, comme tout mouvement rapide, à des excès, que seule une grande transparence sur les coûts des différents systèmes permettra d'identifier et de résorber. Le rapport obligatoire du maire est, bien sûr, un instrument privilégié en ce sens.
Je suis convaincue que cet aspect des futures politiques de déchets est essentiel. Nos concitoyens ont souvent adhéré au geste de tri en imaginant que le geste écologique se doublait d'un avantage économique pour la collectivité, ce qui n'est malheureusement que rarement le cas. Une poursuite, au rythme que nous connaissons actuellement, de la hausse des coûts se heurterait vite à leur incompréhension.
Je sais que vous vous interrogez souvent, avec raison, sur la question, sensible et complexe, de la répartition des coûts de collecte et de traitement entre le producteur et le contribuable. Cette question, sera bien évidemment traitée et recevra une réponse dans le futur projet de loi sur les déchets, prévu pour l'année 2004. Un des groupes de travail du Conseil National des Déchets y travaille intensément, sous l'égide de Jacques Pélissard. Les réponses sont complexes, et ne peuvent à mon sens pas se limiter à certains slogans lus ou entendus ici ou là. Mais il ne faudrait pas que ce débat qui vous occupe vous détourne de la nécessaire attention portée à la maîtrise des coûts. Quelle que soit la répartition retenue, le prix de la gestion des déchets est en effet de toute manière payé par le citoyen, soit via la feuille d'imposition du contribuable local, soit via la facture du consommateur, soit, dans certains cas, via le budget de l'Etat. C'est donc avant tout à une véritable analyse coûts-bénéfices des décisions prises pour la collectivité au sens large que je vous engage.
Ainsi par exemple des discussions tout à fait soutenues qui se déroulent actuellement avec l'ensemble des parties prenantes sur le projet d'une nouvelle filière, celle prévue par la nouvelle directive européenne relative aux déchets électriques et électroniques. L'enjeu de ces travaux, en termes de protection de l'environnement et de service au contribuable, est évident. Il reste à mettre en place un système équitable, soucieux de coller au plus près à la compétence technique de chacun des acteurs, afin de pousser la responsabilisation à son maximum et de faire réellement progresser le système. La contribution de l'AMF à ces travaux est importante, et je juge indispensable que votre association puisse être là pour faire prendre en compte la voix des communes de France.
Votre approche sur ce dossier, telle qu'on me l'a présentée, est logique. Elle repose sur le fait que les actions supplémentaires, normalement imputables au producteur ou distributeur de ces appareils, et pour lesquelles ils s'appuieront sur vos services, devront être menées sur une base volontaire, et moyennant un juste dédommagement. A contrario, les communes auront à poursuivre au minimum leur prestation actuelle, qui fait partie de leur action obligatoire en matière de déchets et encombrants ménagers. J'observe que la prise en charge par les producteurs de coûts d'élimination que supportent, de fait, actuellement vos communes, viendra alléger la facture pour le contribuable local.
Le débat sur cette nouvelle filière est loin d'être clos. Mais il me paraît important, sur ce dossier comme sur tous les autres, que nous nous attachions à construire des systèmes incitatifs, beaucoup plus que nous ne l'avons fait jusqu'à présent, afin que chacun ait la responsabilité, y compris financière, de faire progresser les choses. C'est là la seule manière d'éviter de nouvelles dérives.
Cette volonté d'incitation trouve sa parfaite illustration dans le débat sur le financement du service public des déchets, dont le caractère non-incitatif est souvent dénoncé. Effectivement, mis à part quelques cas très particuliers, tant la taxe que la redevance restent aveugles à la production individuelle de chaque ménage et aux efforts qu'il fait pour réduire ou mieux traiter les déchets qu'il produit. Compostage à domicile des déchets verts, tri et dépôt à la déchèterie de matériaux valorisables pouvant bénéficier d'un traitement adapté, participation systématique aux collectes sélectives, qu'elles soient en apport volontaire ou par bac spécial : aucune de ces attitudes citoyenne n'est prise en compte.
L'évolution en la matière, vous le savez, est difficile. Plusieurs rapports ont été remis, dont celui établi par l'association AMORCE et le secrétariat d'Etat au budget. Le Conseil National des Déchets, qui consacre un groupe de travail à cette question, a rendu de premières propositions en mai dernier. Le travail est loin d'être achevé, et je réfléchis avec mon collègue des finances pour que des améliorations opérationnelles et pragmatiques puissent être rapidement proposées quant aux modes de perception et de calcul de la taxe et de la redevance.
Sans attendre, j'appelle cependant instamment ceux d'entre vous qui ne l'ont pas encore mise en place à créer la redevance spéciale pour les producteurs de déchets non ménagers. A peine un millier de communes en disposent en France, alors que cet outil existe depuis de nombreuses années. Il ne servirait à rien qu'une réforme soit engagée si les instruments existants ne sont pas pleinement utilisés. L'instauration de la redevance spéciale relève par ailleurs d'un souci évident de justice entre les divers producteurs de déchets qui bénéficient du service public.
Je ne saurais conclure cette table ronde sans évoquer la décentralisation en matière de déchets, puisque tel est le fil conducteur de votre congrès. En la matière, j'ai proposé à la représentation nationale de confier l'élaboration des plans départementaux d'élimination des déchets aux conseils généraux. Nulle intention donc chez moi de transférer telle ou telle compétence de gestion des déchets d'un niveau de collectivité à une autre. Je considère qu'une telle évolution ne répondrait pas à un besoin écologique ou opérationnel réel.
Par contre, il est de plus en plus clair que la France va au devant d'importants problèmes de capacité de traitement de ses déchets, je l'ai évoqué au début de mon propos. Cette situation, je l'ai dit, est non seulement préoccupante sur le plan écologique, mais elle l'est aussi vivement sur le plan financier.
Afin d'enrayer cette évolution, il est indispensable de disposer d'un outil de planification, car c'est la vision d'ensemble des problèmes auxquels sera confronté un territoire qui seule peut inciter les décideurs à affronter les oppositions inévitables qui se cristallisent autour de chaque nouveau projet.
Nous disposions d'un outil en ce sens, le plan départemental, mais son utilité restait modérée, parce que son pouvoir de responsabilisation des élus était faible là où il était élaboré par le préfet. J'ai donc choisi d'en confier l'élaboration aux élus, en optant pour un niveau géographique départemental, assez large pour que la planification ait un sens, assez précis cependant pour rester au contact des réalités du terrain. Je vous engage à apporter votre soutien à cette évolution, qui, vous l'avez compris, n'est pas sans lien avec le sujet de votre table ronde d'aujourd'hui.
Je vous remercie.
(Source http://www.environnelent.gouv.fr, le 20 novembre 2003)