Déclaration de M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre, sur la défense des valeurs humanistes de la France et sur la nécessité des réformes, Poitiers le 19 juin 2004.

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Circonstance : 30ème congrès des Jeunes dirigeants d'entreprises à Poitiers (Vienne) le 19 juin 2004

Texte intégral

Bonjour. Le CJD : le seul mouvement, capable d'être en forme le matin à 9 heures, malgré des soirées actives... Je suis très heureux que vous me souhaitiez la bienvenue mais, en fait, c'est à moi de vous la souhaiter, ici, dans cette région. Je suis aussi très heureux que vous soyez rassemblés pour travailler et je félicite les équipes locales de leur organisation parce que, visiblement, vous avez fait du travail sérieux. Vous m'avez posé un certain nombre de questions qui m'obligent à ne pas faire le discours qui avait été préparé, et puis, vraiment, je voudrais vous dire que cette idée de désir, envie d'avoir envie, c'est, je crois, un élément très important du débat parce qu'il faut aussi mettre du cur, de l'élan, dans l'action économique, du bonheur, parce que l'action entrepreneuriale, l'action de responsabilité, est lourde, elle est difficile, mais elle procure aussi des joies humaines. Il faut oser parler et ne pas systématiquement se plaindre de la responsabilité parce que, évidemment, les plus jeunes ne sont pas tentés par la responsabilité si la responsabilité conduit à des visages tristes et à des regards sombres. Et donc la responsabilité, elle porte en soi une dimension importante de l'épanouissement de la personne humaine, et je crois que vous en êtes des témoins, et je vous en remercie.
Je voudrais saluer votre président, Sylvain BREUZARD et former des vux déjà pour Françoise COCUELLE. Je souhaite que le CJD garde cette fraîcheur qui est la vôtre. Je participe, depuis déjà un certain temps, à certaines de vos manifestations, et je vous vois évoluer. Je vous vois participer à de nombreux débats nationaux, et toujours avec une vraie fraîcheur de pensée. Je vais revenir sur les questions que vous me posez. Je me souviens... c'est un de mes meilleurs souvenirs du débat que j'avais eu avec A. Comte-Sponville à Strasbourg. Je crois que ce débat avait posé vraiment la question clé qui est posée à tout responsable ; cette logique du déterminisme dans le matérialisme de la pensée de Comte-Sponville, qui est tout à fait respectable, mais quand il vous disait que, de toute façon, " l'entreprise est un lieu de conflit, que, de toute façon, les conflits sont menés par des forces qui sont déterminées, que le travail a sa détermination, que le capital a sa détermination ", moi, je ne le pense pas. Je pense que nous ne sommes pas déterminés, que le travail a sa détermination, que le capital a sa détermination, moi je ne le pense pas. Je pense que nous ne sommes pas déterminés, que, par le dialogue, il y a des dépassements possibles, et que l'homme et la femme, sont faits pour se dépasser, pour aller construire quelque chose par le dialogue, par un certain nombre de volontés, de capacités, d'intelligence. Il n'y a pas de limite à la créativité humaine, et la force et le destin de l'homme est de dépasser lui-même justement son déterminisme et de faire en sorte qu'il apporte sa part de liberté. C'est ça, je crois, la vraie conquête, et c'est pour ça que c'est une question de fond quand on parle d'entreprise humaine, quand on parle de dépassement, de développement. Je crois que c'est très important d'avoir cette vision humaine de l'entreprise. Ce n'est pas un lieu où les forces s'affrontent, c'est un lieu de création. Cette création est collective, chacun apportant sa part, et finalement, la création collective est plus grande que ce qu'apporte chacun des créateurs. Je crois, cette vocation entrepreneuriale qui est la votre et je trouve que ce débat qu'on avait eu à l'époque était assez clair du débat de pensée qui est porté par votre organisation.
Vous me dites d'abord, première question, " la place du projet à long terme ? ". Je crois que c'est en effet très important, d'abord, de pouvoir tracer un horizon. " Quand l'immédiat dévore, l'esprit dérive ", Edgar MORIN, et je crois que ça, c'est très important, en effet, d'être capable de dépasser l'immédiat pour construire une stratégie, à la fois pour donner de la lisibilité, pour organiser une pédagogie, pour pouvoir montrer quel est le sens de l'action, et ça, je crois que, évidemment, la logique du projet, la logique de la stratégie est la logique de l'intelligence. Ce n'est pas toujours facile. Ce n'est pas toujours facile dans l'action politique car le politique est particulièrement dévoré par le court terme. Les mandats sont courts, seront de plus en plus courts, et les problèmes nécessitent forcément des stratégies très longues. Si vous voulez adapter l'éducation et affronter toutes les difficultés du système éducatif français, vous ne pouvez pas le faire, même pas sur une législature. Vous avez besoin d'un temps long parce qu'il s'agit de faire bouger des mentalités, de faire bouger des forces qui sont des forces culturelles, et les cultures ne bougent qu'autant qu'elles comprennent le sens du mouvement. Cependant, vous avez raison, la perspective est très importante. Elle est d'autant plus importante que la pédagogie est une des valeurs aujourd'hui de l'action publique. Et qu'il ne peut pas y avoir de pédagogie sans le sens, et le sens est une valeur essentielle de l'action publique. GUILLEBAUD nous dit que le mal qui est dans la société, qui prend toutes ces formes, que ce soit de l'individualisme quelquefois, ou que ce soit évidemment, plus gravement, le racisme, la discrimination, que l'adversaire du mal, ce n'est pas le bien. Parce que, au fond, le mal est un non-sens, et l'adversaire du mal, c'est le sens. Et pour qui veut conduire une société vers le bien il faut donc lui donner du sens, et ce sens, c'est votre projet.
Alors c'est, je crois, difficile parce que, dans l'action politique, d'abord, les grands projets sont souvent, à un moment ou à un autre, apparus comme ou des gadgets, ou, finalement, des formules ou des perspectives peu concrètes. Quand on parle de la nouvelle frontière, quand on parle de la manière dont John KENNEDY avait parlé au peuple américain avec cette ambition, il avait déclenché, par son charisme, une projection, mais au fond, l'histoire nous dit, quelque temps après, que finalement, dans cette mobilisation-là, il y a eu beaucoup de déception, et je me souviens de Jacques CHABAN-DELMAS construisant ce qu'on avait appelé la " nouvelle société ". Ca a été, je crois, un élan, mais il faut faire attention que les élans ne soient pas décevants car ils décourageraient l'opinion, le citoyen, de s'inscrire dans une pensée de longue durée. Alors, deux choses. D'abord, je crois qu'il est très important que le public... mais quand je dis le public, c'est tous les citoyens, car nous sommes tous en charge du public ; je ne crois pas que l'Etat ait le monopole de l'intérêt général de l'intérêt public, tout le monde a une part d'intérêt public. Et cet intérêt public-là, il faut que nous l'inscrivions dans une pensée, et pas seulement dans un intérêt de court terme. Alors ça, c'est très difficile. C'est vrai du pouvoir politique, c'est vrai du candidat à une élection qui va promettre des kilomètres de trottoirs, qui va essayer de rendre son message le plus concret, le plus immédiat, " pour vous, ça ira mieux devant chez vous, votre réverbère marchera jusqu'à 23h30. Et donc là, votez pour moi ! ". Cette logique-là du concret immédiat, c'est une logique utile, mais je ne crois pas que la politique trouvera sa crédibilité par toujours plus de réponses à l'individualisme. Je crois que la crédibilité de la politique, c'est la cohérence entre une pensée et une action. Et c'est cette cohérente corrélation entre la pensée et l'action qui est la source de la crédibilité politique. Encore faut-il avoir une pensée. C'est, je crois, le débat politique de faire en sorte que le débat politique ne reste pas simplement dans la promesse immédiate et concrète. Dans l'action gouvernementale, deux grandes lignes sont prioritaires pour moi. D'abord nous inscrire dans une perspective de très long terme. C'est en effet une France humaine, dans une Europe organisée. C'est-à-dire, que le projet européen fait partie du projet français, et que le projet français fait partie du projet européen. Nous avons besoin de l'Europe comme multiplicateur d'influence. Je pense que l'Europe c'est, pour nous, la nécessité continentale, et dans le monde dangereux qu'est le nôtre, avec des menaces graves... le terrorisme est une menace quotidienne, puissante mais il y a beaucoup d'autres menaces ; la destruction de la planète, la couche d'ozone sont des menaces très graves. Nous ne pouvons répondre à ces menaces que par un équilibre des continents, par une vision multipolaire du monde, et donc que l'Europe pèse de tout son poids pour éviter que, à un moment ou à un autre, il y ait une pensée unilatérale qui conduise le monde dans une mauvaise direction, dans un blocage.
Donc pour que les valeurs de la France, pour que ces valeurs, dont vous parlez dans votre deuxième point, soient des valeurs que nous puissions continuer à porter, nous avons besoin du multiplicateur d'influence qu'est l'Union européenne. C'est pour ça que je suis très heureux de vous parler aujourd'hui, au moment où le Conseil européen a adopté la Constitution. Je crois que c'est une étape très importante. C'est un progrès inéluctable, c'est un progrès qui ne reculera plus jamais. Nous sommes, naturellement, dans un processus qui avance à son rythme parce que, à 25, on ne construit par l'Histoire avec brutalité, et donc il faut nécessairement... on ne veut plus construire l'Histoire avec brutalité, et donc nécessairement, il faut du temps, mais nous avons maintenant les principes d'une Constitution qui vont apporter à l'Europe des valeurs auxquelles vous tenez, je pense à la responsabilité ; un président élu pour deux ans et demi à l'Union européenne, ce n'est pas la même chose qu'une présidence tournante tous les six mois qui, naturellement, empêche toute constance, toute vision. C'est le summum du court terme, c'est le summum, finalement de la non-responsabilisation. Là, nous avons un dispositif avec de la subsidiarité, avec un ministre des Affaires étrangères qui va nous obliger à coordonner nos politiques étrangères, même si ça prendra du temps, et même si, évidemment, il y a encore pour un grand nombre d'années des divergences, nous serons obligés de coordonner un certain nombre de prises de position parce que cette personne-là devra mener une action au nom de l'Union européenne et devra donc, en amont, chercher toujours la cohérence. Donc nous allons franchir cette étape. Je crois qu'il n'y a pas de projets français qui ne puissent intégrer l'Europe, et donc nous avons deux valeurs : la construction européenne, et nos valeurs de l'humanisme, nos valeurs, finalement, républicaines, notre pacte social. Donc pour nous, je crois que l'ambition de notre pays, c'est d'inspirer l'Europe, que l'Europe ne soit pas une Europe des procédures, une Europe des directives, une Europe des injonctions, mais que les valeurs, ce qui fait le pacte social français, ce qui fait notre pacte républicain, nous puissions injecter tout cela dans l'Europe, pour que l'Europe soit autre chose que cet ultra-libéralisme ou que cette organisation qui ferait confiance simplement à des mécanismes, et notamment des mécanismes de marché, qui oublierait la personne, et qui oublierait les valeurs dans son pacte. Ça, ce n'est pas gagné parce qu'il y a, naturellement, au sein de la construction européenne, ceux qui voudraient que l'Europe ne soit qu'un marché, qu'une zone de libre-échange, et donc il nous faut développer cette cohérence.
Notre perspective, elle est là, et elle est là avec beaucoup de détermination. Il faut aller vite pour faire l'Europe parce que nous avons besoin d'organiser le monde, nous avons besoin d'organiser, de moderniser l'ONU. Nous voulons faire de l'ONU la source du droit, le lieu où se construit la paix. Si nous voulons éviter un certain nombre de processus que nous avons connus dans le passé, c'est-à-dire qu'un pays seul s'engage dans une action dont les conséquences concernent l'ensemble de la planète, il nous faut un lieu de droit. Ce lieu de droit, c'est l'ONU. Ce lieu de droit, il faut le bâtir, le réformer, le renforcer. Nous avons besoin d'une réforme de l'ONU, nous avons besoin d'une réforme de l'OMC, pour un développement plus juste vis-à-vis du tiers monde et vis-à-vis des pays du sud, notamment. Nous avons besoin d'une organisation mondiale de l'environnement. Il faut mettre le protocole de Kyoto en organisation pour pouvoir l'appliquer. Kyoto, l'OMC et l'ONU, on voit bien qu'on a besoin d'une gouvernance mondiale. Cette gouvernance est en marche. Il ne faudrait pas que l'Europe s'organise trop tard pour ne pas peser sur l'organisation du monde.
Il faut donc que la France pèse sur l'Europe et l'Europe pèse sur le monde. C'est ça notre projet autour de nos valeurs, faire que cette France humaniste puisse inspirer la construction européenne pour qu'elle-même soit un équilibre continental dans l'organisation du monde. Dans ces conditions-là, dans cette perspective-là, comment construire la société française et quels sont, je crois, l'avenir que nous devons donner à notre pays ? D'abord, il faut libérer notre pays d'un certain nombre d'impasses. Notre pays a vécu trop longtemps sans regarder les réformes nécessaires qu'il devait affronter. Ces réformes, elles sont posées par notre évolution démographique. Elles sont inscrites. Alors, on peut mettre la tête dans le sable, mais la réforme des retraites, était inscrite. A partir du moment où vous avez de moins en moins de cotisants et de plus en plus de retraités, évidemment que la réforme des retraites est inscrite dans le temps. On la fait tôt, on la fait tard, il faut la faire, et plus on la fait tôt, et moins elle est douloureuse. De même que la réforme de la santé. On va vivre... on a des espérances de vie qui vont nous conduire progressivement au-delà de 100 ans. Il est évident qu'on va être de plus en plus consommateurs de santé. On fait reculer la mort, la vie s'allonge. Il faut que cet allongement de la vie soit du bonheur, soit du mieux être, que cet allongement serve la cause humaine, serve l'humanité. Donc il faudra des efforts de santé, donc il faut réorganiser notre système de santé pour nous adapter à cette situation. Il ne faut pas considérer que l'allongement de la vie, c'est une difficulté. Il ne faut pas considérer que l'allongement de la vie, c'est un problème. L'allongement de la vie, c'est un bonheur. Et ce bonheur, il faut trouver à le structurer, et c'est à nous de nous adapter. Plutôt que considérer que les statistiques sont des données qui nous sont imposées, c'est à nous d'agir pour que ce qui est la donne qui est l'allongement de la vie soit compatible avec notre société. De même le handicap, de même les personnes âgées. Nous avons donc tout un pacte social qui est à refonder pour libérer notre pays d'un certain nombre d'impasses. C'est ce que nous faisons. Je pense que nous aurons achevé les grandes infrastructures du renouveau de notre pacte social à la fin du mois de juillet. A la fin du mois de juillet, nous aurons engagé structurellement la réforme des retraites. Nous aurons restructuré l'assurance maladie et les perspectives de santé avec les nouvelles offres de soins, avec un nouveau pilotage, avec de nouveaux financements. Nous aurons fait une loi sur le dispositif de lutte contre les dépendances avec les personnes âgées et les personnes handicapées, neuf milliards d'euros d'ici 2008. Et nous allons, avec Jean-Louis BORLOO, proposer le plan de cohésion sociale pour essayer de lutter contre toutes les ruptures sociales, et notamment contre les trois ruptures sociales qui sont souvent conjuguées dans la vie et qui mettent le citoyen en dehors de la société : le chômage, le logement. Un des faits nouveaux de la société, c'est que vous voyez des gens dans la rue, qui ont un travail mais qui n'ont pas de logement. C'est-à-dire que le logement, le manque de logement est une des ruptures majeures dans la société aujourd'hui, le chômage, le logement et toutes les formes de discrimination que nous avons dans notre société et contre lesquelles il faut lutter pour l'égalité des chances. Nous avons réuni dans un même ministère ces trois sujets pour pouvoir conjuguer les leviers d'action. Nous présenterons, avant le 14 juillet, dans un Conseil des ministres fin juin, le plan de cohésion sociale pour lutter contre ces trois ruptures sociales qui sont en fait des obstacles à la cohésion sociale. Tout ça pour dire que nous aurons, fin juillet, libéré notre pays d'un certain nombre d'impasses qui lui pèsent forcément lourdement, et sur son organisation financière et budgétaire, et surtout sur sa capacité d'organisation sociale pour l'avenir, et qui nous empêche d'avoir ce goût du futur, ce goût de l'avenir que toute société doit pouvoir affronter. Dans ce contexte-là, la perspective au-delà, une fois qu'on a libéré le pays des pesanteurs, des impasses, qu'on lui a redonné un avenir, quel est le projet au niveau d'un gouvernement ? Pour moi, le projet, c'est une nouvelle prospérité mieux partagée. Une nouvelle prospérité mieux partagée. Je pense qu'il faut qu'on repense le concept de prospérité. Ce n'est pas qu'un concept quantitatif, c'est aussi un concept qualitatif. Il nous faut trouver cette nouvelle prospérité. Cette nouvelle prospérité est en marche. C'est naturellement la croissance, la croissance pour laquelle nous avons fait un certain nombre d'efforts. Je suis convaincu que la croissance 2004 sera supérieure à ce que nous avons prévu. Nous avons prévu 1,7. Je suis convaincu que nous serons largement au-delà de ce qui a été prévu. Tous les indicateurs, aujourd'hui, nous montrent pour la consommation, pour l'investissement, pour la dynamique économique, nous sommes très largement au-delà des 1,7, c'est-à-dire que nous sommes à nouveau revenus dans un dispositif où la croissance crée l'emploi et nous sortons de la période où la rupture de croissance a détruit des emplois. C'est un préalable.
Pour la dynamique économique, ça ne suffit pas. Dans la nouvelle prospérité, il y a tous les aspects qualitatifs, notamment ceux du temps choisi, dont vous parliez tout à l'heure, qui font partie de cette nouvelle prospérité, c'est-à-dire la capacité aussi de bénéficier du temps de vie que nous avons pu libérer, mais aussi naturellement tout le développement et l'intégration de la France dans la société de l'information parce qu'il y a, là aussi, une nouvelle prospérité. Je crois qu'il est très important de voir que la France est entrée de plain-pied, au cours de l'année 2003 principalement, dans la société de l'information. Nous avons fait un bond considérable dans le haut débit. Nous avons gagné deux millions d'internautes en une année. Nous nous approchons des 30 millions d'internautes. Nous sommes engagés maintenant dans la société d'information. C'est assez amusant d'ailleurs de voir comment la société française bouge, évolue. Elle regarde pendant très longtemps un sujet. Vous n'étiez pas né, j'étais étudiant, je lisais les livres de Jean-Jacques SERVAN-SCHREIBER qui nous expliquait que, un jour, nous aurions des téléphones avec lesquels on pourrait regarder la télévision, la cybernétique, tout cela allait changer toute notre organisation. Tout ça, ça fait 30 ans qu'on en parle... Et finalement, on le réalise en deux ou trois ans, c'est-à-dire qu'on est en train d'avoir cette révolution aujourd'hui, numérique, de la société de l'information avec tous les problèmes que cela peut poser d'ailleurs, mais nous l'avons à une vitesse accélérée, naturellement, ce qui pose des problèmes à toutes les professions. Toutes les professions aujourd'hui ont un certain nombre de difficultés à affronter parce qu'elles doivent faire face à cette nouvelle donne. Mais il y a là des sources d'une nouvelle prospérité. Cette nouvelle prospérité, elle doit être mieux partagée, et notamment, je crois qu'elle doit être partagée avec les citoyens dans l'organisation sociale. Nous avons connu une période de prospérité, de croissance importante en l'an 2000. Nous avons connu ensuite une rupture de croissance. Je crois que la raison pour laquelle nous avons connu cette rupture de croissance, c'est que la croissance a profité davantage à l'appareil d'Etat qu'aux citoyens. Quand on regarde bien ce qu'on fait de la croissance, si la croissance va pour gonfler l'appareil d'Etat, cette croissance échappe aux citoyens et ne s'inscrit pas dans l'avenir parce que c'est le citoyen qui fait bouger, par sa consommation et son investissement dans le travail, et dans ses loisirs, c'est le citoyen qui fait bouger la société. Et l'appareil d'Etat s'est gonflé, s'est structuré, s'est renforcé d'un certain nombre de structures, de commissions et d'autres organisations toutes naturellement très utiles. Ne croyez pas, pour moi, que j'attaquerais l'appareil d'Etat, mais il est évident que si vous mettez l'argent de la croissance dans l'appareil d'Etat, il est clair que vous ne trouvez pas là le ressort dynamique qui fait qu'il y a une pérennité de la croissance, que la croissance durable est possible, car la seule façon que la croissance soit durable, c'est qu'elle soit partagée. C'est ça, je crois, qui est très important.
Donc il nous faut ce plan de cohésion sociale, il nous fait faire en sorte qu'on puisse travailler avec une capacité de perspectives. Donc en résumé, notre projet, c'est une France pour le très long terme, une France attachée à ses valeurs, une France qui regarde le monde avec ses dangers, qui choisit l'Europe pour agir sur le monde, mais qui choisit une Europe qu'elle va inspirer de ses valeurs, inspirer de ses valeurs de responsabilité, et l'ensemble de ce que vous avez, tout à l'heure, développé. En ce qui concerne donc le gouvernement, notre projet, c'est ce projet de nouvelle prospérité mieux partagée, et là, il faut qu'on trouve les formes de partage plus créatives que ce que nous avons systématiquement, en disant : je prends et je redistribue. Parce que, avec cette logique-là, il y a de la perte en ligne. Donc il faut qu'on trouve un certain nombre de dispositifs pour que nous puissions faire en sorte que, par des systèmes de crédit d'impôts, par des systèmes qui soient plus des allègements de charges que des distributions de primes, on puisse avoir des dispositifs qui soient des dispositifs efficaces, qui soient des dispositifs plus proches des réalités de terrain.
Je voudrais dire que je partage votre attachement au fait PME. Je ne crois pas que, ni la France, ni l'Europe, ne trouveront leur avenir dans le gigantisme, dans la concentration, dans tout ce qui est toujours plus grand, toujours plus fort. Aujourd'hui, cette organisation-là n'est pas l'organisation la mieux adaptée. L'organisation la mieux adaptée, c'est la PME en réseau. C'est l'organisation humaine qui reste humaine dans sa gestion, qui reste humaine dans sa vie, dans sa biologie, c'est-à-dire qui fait de la personne humaine sa constituante, mais qui s'inscrit dans un réseau pour avoir accès à la puissance, car tout seul, on ne peut pas avoir accès à la puissance. Mais si on pense avoir accès à la puissance dans une société numérique que par le gigantisme et par la concentration, on se trompe parce que, là, on rentre dans des systèmes qui sont inhumains. Tout notre problème est de concilier puissance et humanisation, et pour ça, je crois que les technologies aujourd'hui, l'ensemble des dispositifs, ce que vous faites vous-mêmes, c'est l'organisation en réseau. Je crois, vraiment, qu'il nous faut développer pour trouver la puissance, et c'est pour ça qu'il faut conduire les petites et moyennes entreprises à se rassembler, à construire les grades d'entreprises, à construire un certain nombre de systèmes d'organisation, de manière à ce qu'on puisse avoir cette logique de petites entreprises capables de créer des emplois. C'est quand même aujourd'hui très important de mesurer qu'il y a une aspiration fondamentale à la création d'entreprises. Nous étions dans une période de croissance où on ne créait pas d'entreprises ; nous sortons d'une période de rupture de croissance, et dans cette période de rupture de croissance, on a pris un rythme de 200.000 créations d'entreprises par an, un million d'entreprises tous les cinq ans. Cela veut donc dire qu'il y a un fort potentiel. Pour ça, il nous faut accompagner évidemment la création de ces entreprises, il faut pouvoir les développer et notamment trouver des formes nouvelles. Et pour la transmission d'entreprise, nous allons faire une deuxième loi. Je sais que vous avez reçu Renaud DUTREIL, vous l'aviez peut-être invité en tant que ministre des PME, et vous l'avez reçu en tant que ministre de la Fonction publique, mais enfin, je le connais assez habile pour avoir pu parler des deux à la fois
Le projet de sa deuxième loi sur l'initiative économique dans le prolongement de ce qu'il a fait, de manière très utile pour notre pays, sur la création d'entreprise, portera notamment sur la transmission d'entreprise, sur un certain nombre de sujets aussi importants que la protection de l'entrepreneur et le développement des entreprises, mais je tiens beaucoup à des idées comme la création de sociétés d'employeurs en temps partagé. Vous savez que le groupement d'employeurs est une logique seulement qui est associative, je crois qu'on doit pouvoir passer en société. Je pense qu'il faut qu'on trouve des formes où l'action entrepreneuriale puisse s'organiser de manière pluraliste pour pouvoir assumer un certain nombre de responsabilités, et notamment permettre aux acteurs de pouvoir travailler en réseau. Vous avez développé ce sujet, je crois que c'est très important, valeurs d'entreprise humaniste, la responsabilité, le respect de l'autre Le respect de l'autre, il est très important. Et je tiens à dire que je suis favorable à la baisse des prix des grandes surfaces, mais je tiens à dire que je serais très vigilant sur l'avenir des PME, et que je ne me laisserai pas faire pour qu'il puisse y avoir, dans la chaîne, de l'ensemble de la production jusqu'à la distribution, un profit qui soit seulement accumulé vers l'aval de la filière. Il faut que les marges soient réparties tout au long de la filière, et qu'on soit très attentif aux petites et moyennes entreprises, aux commerces de centre-ville, à tout ce qui est la valeur de la proximité, à tout ce qu'est l'équilibre social de notre organisation urbaine sociale, à nos marchés, à nos commerces de quartier, à ce qui crée du lien social. Car le commerce, l'activité commerciale, elle est aussi en charge de la cohésion sociale. Et donc, il est très important que l'on puisse faire en sorte que les prix baissent, mais il faut faire aussi attention à ce que les prix baissent notamment en faisant faire des efforts à ceux qui ont l'argent pour que ces prix baissent, mais pas en écrasant le travail de ceux qui, en amont, fournissent les produits sur lesquels on veut faire des marges supplémentaires. Donc il est très important d'avoir cette vision-là. Je reste très déterminé, très attentif, je suis très heureux qu'on s'engage dans cette direction, mais je souhaite que l'effort ne soit pas toujours sur les mêmes épaules et de manière à ce que le profit du consommateur puisse être partagé, et notamment que l'on protège les petites entreprises, l'artisanat, le commerce, dont on oublie trop souvent le rôle dans l'emploi mais aussi le rôle dans la cohésion sociale et dans notre structuration d'entreprise.
Je suis d'accord sur dialogue et concertation dans l'entreprise, vous en avez parlé. Je crois qu'il faut, là, voir comment ce qui a été engagé par François FILLON peut évoluer sur le dialogue social, sur la représentativité syndicale, sur le dialogue de branche. Je pense que, là, nous avons un dialogue social qui n'est pas à maturité. Je pense que nous devons développer notre dialogue social . Nous avons un système, là, aujourd'hui, qui est un système qui n'est pas assez créatif, qui n'est pas assez décentralisé. Il faut l'ouvrir, il faut permettre à ce que la négociation sociale, la discussion sociale se fasse au plus près possible du terrain. Je pense que nous avons des progrès à faire de manière à ce que la représentativité des forces syndicales puisse être confortée, que, globalement, on puisse trouver des systèmes sociaux qui soient des systèmes sociaux à la fois créatifs, débouchant sur des accords, et en même temps représentatifs. Il faut, là, je pense, que nous puissions avancer pour que le dialogue social dans notre pays fasse partie du déblocage de la société pour éviter les affrontements brutaux, que le dialogue, quand il n'est pas vivant, risque de générer. Vous avez parlé d'harmonisation. Je pense qu'il est très important, au niveau européen, de penser à l'harmonisation fiscale, à l'harmonisation sociale. Je voudrais vous dire que nous avons des adversaires sur ces sujets. Vous savez, quand je suis avec Tony BLAIR et Gerhard SCHRODER, les ultra-libéraux ne sont pas ceux qu'on pense. Oui oui... J'en connais qui disent : un an d'indemnisation de chômage, et puis terminé ! Parce que plus on indemnise le chômage longtemps, plus on empêche les gens d'avoir envie de retravailler. Je connais un de mes bons collègues, très à gauche, qui s'engage sur cette logique : un an, point final. J'en connais d'autres qui disent : il faut créer des hôpitaux, et on va créer des hôpitaux et on va mettre de l'argent privé, et avec du personnel privé. Tout ceci dans une logique qui est une logique pas tout à fait cohérente avec la tradition sociale française. Et je vois ces différentes personnalités, surtout, se méfier de la contagion sociale, et donc rester dans des dispositifs qui seraient pour eux des systèmes où leur avantage social, c'est-à-dire en fait leur insuffisance sociale, serait un élément de dynamique économique. Je crois que, ça, l'Europe ne peut pas l'accepter. Elle ne peut pas l'accepter ni pour le dumping social, ni pour les écarts qui sont excessifs en matière de politique sociale. Alors, c'est un élément très important sur lequel nous travaillons. Je pense notamment à certains pays, que je respecte ; je connais un des nouveaux pays entrants qui veut bénéficier à la fois des fonds structurels européens et mettre son impôt sur les sociétés à zéro. L'Europe ne peut pas... on peut quand même difficilement aller lever l'impôt au CJD et puis aller le distribuer à l'Estonie, qui, par ailleurs, ne fera pas payer d'impôts aux entreprises installées en Estonie. Il y a besoin, là, d'un caractère équilibré de notre dispositif fiscal. Donc nous sommes en train de corriger ces effets-là.
Je pense que nous y arriverons par, en effet, des logiques telles que vous les avez appelées, des logiques filet, des logiques de seuil, je pense que nous y arriverons. Je crois aussi que nous y arriverons parce que les peuples sont des peuples moteurs. La seule inquiétude que j'ai, vraiment profonde, que j'ai eue à ces élections européennes - beaucoup de gens pensaient que je devais être très inquiet, j'étais attentif Mais la vraie inquiétude est venue du faible taux de participation des nouveaux pays entrants. Ça, je crois que c'est un élément très important parce que, pour eux et pour cette politique sociale, il faut que l'Europe soit un progrès. Il faut que l'ouvrier polonais ou l'ouvrier slovaque, ait envie de vivre à l'Européenne parce que c'est comme ça que nous pourrons avoir cette cohérence sociale au niveau européen. Je suis convaincu qu'aucun de ces citoyens n'a envie, ou a comme perspective politique d'être le prolétariat de l'Europe et de travailler à bas prix dans des conditions difficiles pour pouvoir financer le progrès ailleurs en Europe. Donc je ne crois pas à ce projet politique. Je crois que leur projet politique est forcément d'atteindre le niveau de vie moyen de l'Union européenne. Il faut surveiller cette déception-là parce qu'il semblerait que cette idée n'ait pas été suffisamment développée, parce qu'elle n'a pas été en tout cas très attractive puisque si elle avait été attractive, il y aurait eu un taux de participation plus élevé. Il faut qu'on soit très vigilant sur ces sujets-là pour que les pays qui entrent soient vraiment dans la perspective d'entrer pour partager un progrès et non pas pour pouvoir rester dans une forme de marginalité qui serait une marginalité dangereuse pour la France.
Nous avançons dans cette direction. Je crois que, d'abord, l'Europe est porteuse de réformes. L'Europe est porteuse de réformes parce que les nouveaux pays entrants ont fait beaucoup de réformes, et que les autres pays sont confrontés aux mêmes sujets, que ce soit le sujet du chômage, que ce soit le sujet de la santé, que ce soit le sujet des pensions, comme on dit, en Europe. L'ensemble de ce dispositif aujourd'hui économique et social fait que nous sommes tous confrontés à l'exigence de réforme. Nous avons une réforme de l'Etat à faire en France particulièrement importante, mais tous les Etats ont des réformes très importantes à faire pour atteindre les critères nécessaires à une bonne gestion, et notamment les critères du pacte de stabilité et de croissance. Et je souhaite qu'on puisse rénover ce pacte de stabilité en pouvant donner de la force à l'idée de croissance, parce que l'idée de croissance, elle est essentielle à la stabilité, et je crois que, là, c'est un élément très important de la réforme. Mais je pense vraiment qu'il faut qu'on accepte l'idée que la réforme en France, c'est une réforme de progrès. Ce n'est pas une réforme de contrainte. Ce n'est pas une réforme qui est imposée, ce n'est pas une réforme qui est, aujourd'hui, une difficulté de la société simplement parce qu'il y aurait, derrière, une ambition idéologique de la réforme.
La réforme, c'est la modernisation. La réforme, c'est la justice. Aujourd'hui, il faut faire la réforme de l'assurance malade pour que l'assurance maladie reste juste. Si on ne fait pas une aide à la complémentaire pour les deux millions de foyers qui n'ont pas les moyens d'avoir la complémentaire, la réforme de l'assurance maladie ne sera pas juste. Et si on ne fait pas un droit à la retraite pour ceux qui ont commencé à travailler à 14, 15 ou 16 ans, la réforme ne sera pas juste. Et la justice, c'est d'assurer de l'avenir à notre patrimoine social. La réforme est une réforme qui n'est pas idéologiquement portée sur l'objectif de réforme, mais sur l'objectif de justice, de progrès. Je pense qu'il est très important qu'on mesure bien que nos sociétés doivent se réformer pour garder leurs valeurs. C'est pour ça que j'apprécie beaucoup votre mouvement engagé autour des valeurs. Le problème, c'est qu'il ne faut pas se mobiliser sur le moyen de la réforme, mais sur la valeur, la perspective, le projet, et c'est ça qui compte. Je me souviens, quand j'étais étudiant, un grand publicitaire, très créatif, engagé à gauche, qui n'a pas gagné toutes ses campagnes malgré ses grands talents, mais que, par ailleurs, j'aime quand même beaucoup parce que c'est un grand professionnel, disait : " Et dire qu'il y a des commerçants qui vendent des perceuses et qui s'imaginent que leurs clients achètent des perceuses. Non, ils achètent des trous. Car leur besoin, c'est le trou, ce n'est pas la perceuse ". Donc, le besoin, c'est la justice. C'est la perspective - je rejoins ce que vous disiez sur le projet - c'est la perspective. C'est cela qu'il faut aujourd'hui, faire en sorte que l'idée soit partagée en Europe. Nous avons besoin, pour défendre les valeurs de la France, pour défendre les valeurs humanistes qui rassemblent notamment les créateurs qui sont réunis dans des petites et moyennes entreprises, ces valeurs-là, il faut les défendre, et donc il faut assumer un certain nombre de réformes. Je continuerai sur cette voie des réformes parce que je considère vraiment que mon devoir, c'est de faire en sorte que la France, dans le 21ème siècle, soit capable de faire face à tous ces défis. Les défis sont nombreux. Certains sont prévisibles, d'autres sont imprévisibles. Il faut être près à les assumer en permanence. Notre seul danger, c'est l'immobilisme. C'est d'attendre que les réformes se fassent dans la brutalité, dans la tension. Il faut les anticiper, il faut les anticiper autour de nos valeurs. C'est pour ça que je crois vraiment qu'un vrai projet politique, aujourd'hui, c'est cette perspective-là : une nouvelle prospérité en l'enrichissant à la prospérité traditionnelle, et un meilleur partage de cette prospérité avec le citoyen parce que c'est le citoyen qui, par sa dynamique sociale et économique, est le véritable moteur de la France. Voilà le projet qui est le nôtre. Merci de mettre vos talents, votre bonne humeur, au service de cette belle cause : " la France, réussite en Europe ". Merci."

(Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 25 juin 2004)