Déclaration de Mme Elisabeth Guigou, ministre de la justice, sur le rôle des services administratifs régionaux (SAR) au sein de l'administration territoriale de la justice, la modernisation des méthodes de gestion des juridictions et la formation et professionnalisation des métiers du greffe, à Dijon le 22 juin 1998.

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Circonstance : Réunion des coordonnateurs des services administratifs régionaux, à l'Ecole nationale des Greffes, à Dijon le 22 juin 1998

Texte intégral

Monsieur le directeur de l'École nationale des greffes
Mesdames et Messieurs les chefs de cours d'appel
Mesdames et Messieurs les coordonnateurs des services administratifs régionaux
Mesdames et Messieurs,
PLAN
1. Le rôle central des SAR dans le processus de déconcentration
1.1 Les différents niveaux : centrale, CA, TGI
1.2 La place de chacun : chefs de cour/coordonnateur/techniciens
1.3 Les moyens mis en place
2. La nécessité d'améliorer les méthodes de gestion
2.1 Clarifier les circuits et procédures
2.2 Une politique de gestion des ressources humaines déconcentrée
2.3 La formation à la gestion des ressources humaines
3. La professionnalisation des métiers (la gestion est un métier)
- Commission métier de greffe
- Statut d'emploi chef de SAR et secrétaires généraux/distinction
4. La formation/place de l'ENG

C'est la première fois que je rencontre les 35 coordonnateurs des services administratifs régionaux. Je suis heureuse de pouvoir le faire, ici, à l'école nationale des greffes, et en présence de nombreux chefs de cour. Je remercie les chefs de cour de marquer ainsi l'importance qu'ils attachent à vos fonctions et leur intérêt pour la gestion et l'administration des juridictions.
La journée de travail que vous avez passée ensemble a permis de dresser une première évaluation des services administratifs régionaux, dont le sigle (SAR) est désormais la dénomination courante. Je voudrais vous rappeler, à cette occasion, combien est prioritaire pour moi la construction de l'administration territoriale des services judiciaires, pour qu'elle soit digne du grand service public de la justice.
Je souhaite tout d'abord vous préciser de quelle façon les SAR doivent jouer un rôle central dans le processus de déconcentration (1) avant de voir comment ils permettront d'améliorer les méthodes de gestion (2). Je vous préciserai ensuite quels sont mes objectifs en terme de professionnalisation des fonctions de gestion (3) avant de conclure sur le rôle de l'école nationale des greffes dans la formation à ces nouveaux métiers (4).

1) LE RÔLE CENTRAL DES SAR DANS LE PROCESSUS DE DÉCONCENTRATION
La mise en place des services administratifs régionaux constitue une étape importante dans l'entreprise de modernisation du service public de la justice et plus particulièrement des services judiciaires qui doivent se doter d'un échelon déconcentré opérationnel comme toute grande administration.
Les SAR répondent à ce besoin d'organisation déconcentrée et constituent le socle d'une administration territoriale des services judiciaires.
Placé sous l'autorité directe des chefs de cour, responsables de l'administration de leur ressort, le service administratif régional assiste les chefs de cour dans la définition et la mise en oeuvre de cette gestion déconcentrée.

1.1 Les trois niveaux d'administration
Si nous pouvons considérer que l'articulation entre les services de l'administration centrale et les cours d'appel est bien définie, l'organisation des rapports entre les cours d'appel et les arrondissements judiciaires doit encore évoluer.
Trois niveaux différents d'administration et donc de responsablité doivent être identifiés :
L'administration centrale, qui pour se concentrer sur son rôle de pilotage, de répartition des moyens, de contrôle et d'évaluation, doit se réformer pour s'adapter à ses nouvelles missions et abandonner ses attributions de gestion directe. La réforme de l'inspection générale des services judiciaires, qui est en préparation, s'inscrit dans ces évolutions, puisque ce service s'ouvrira à de nouvelles compétences afin de pouvoir jouer pleinement son rôle dans le domaine du contrôle et de l'évaluation de l'administration de la justice.
Au niveau régional, les chefs de cours, avec l'assistance des services administratifs régionaux, ont, d'une part, un rôle de gestion directe de certains crédits (informatique, immobilier, vacations) et de répartition des crédits entre les juridictions et, d'autre part, un rôle d'animation des politiques locales et de contrôle des juridictions.
Au niveau local, il reste encore à préciser les responsabilités de gestion des chefs de juridictions.
Chacune des 1200 juridictions doit pouvoir exposer ses besoins, les faire arbitrer dans le cadre de procédures claires, sur des critères objectifs et débattus. L'axe doit être mis sur la responsabilisation des différents acteurs. La déconcentration, en particulier, doit laisser aux chefs des tribunaux de grande instance de réelles marges de manoeuvre grâce à des enveloppes globalisées. La déconcentration au niveau des cours d'appel doit être au service des juridictions.
Il faut aussi rationaliser l'échelon de gestion au niveau local en regroupant la gestion comptable des diverses juridictions d'un même arrondissement judiciaire (tribunaux d'instance, conseils des prud'hommes, tribunaux de commerce) autour du tribunal de grande instance. Je souhaite que l'expérimentation menée dans six cours d'appel (Amiens, Angers, Bordeaux, Bourges, Nîmes, Rouen) ainsi qu'à Bobigny soit étendue après une évaluation qui associe l'administration centrale et les juridictions concernées.
Ainsi, se construira progressivement l'administration territoriale de la justice, en intégrant aussi les mutualisations de moyens que permettra l'avancement du dossier de la carte judiciaire.

1.2 La place de chacun : chefs de cour, coordonnateurs et techniciens
La cellule régionale d'administration doit fonctionner sur une logique d'équipe, avec trois types de fonctions :
les chefs de cour sont mis en mesure de prendre les décisions essentielles pour une politique globale de gestion à l'échelon du ressort ;
les coordonnateurs proposent et préparent les décisions. Ils doivent bénéficier de délégations claires afin d'être en mesure d'assurer pleinement toutes leurs responsabilités dans la mise en oeuvre et le suivi de la gestion administrative et financière du ressort.
une équipe de cadres, professionnels dans les domaines de la gestion budgétaire, de la gestion des ressources humaines, de l'informatique et de l'équipement constitue le niveau opérationnel de la mise en oeuvre technique.

1.3 Les moyens mis en place
A ce jour, toutes les cours d'appel à l'exception de Papeete (dont le SAR sera créé l'an prochain) disposent d'un service administratif régional ; au total, 336 fonctionnaires y sont affectés.
Les services administratifs régionaux vont encore être renforcés afin de consolider la déconcentration de la gestion financière et de permettre de vraies délégations de responsabilité dans la gestion des personnels.

2) LA NÉCESSITE D'AMÉLIORER LES MÉTHODES DE GESTION DES JURIDICTIONS
Cette nouvelle approche organisationnelle de la justice passe nécessairement par la modernisation de ses méthodes de gestion.
Un récent rapport de synthèse de la Cour des Comptes sur la gestion administrative et financière des juridictions judiciaires a largement été commenté dans la presse. Je sais combien vous avez été sensibles à certaines présentations caricaturales et je vous ai fait diffuser immédiatement le communiqué pris par la chancellerie à ce propos.
Ce contrôle, qui a démarré en juin 1995, a soulevé de vraies questions et donné lieu à une série d'observations pertinentes, qui ont d'ores et déjà été prises en compte.
Des solutions ponctuelles ont déjà été apportées, mais, d'une manière générale, c'est la réforme de la gestion des juridictions qui est la réponse aux dysfonctionnements relevés.
La construction d'une administration territoriale, la déconcentration de la gestion financière et des ressources humaines, la mise en place d'un contrôle de gestion, la clarification du rôle des trois niveaux de responsabilité - [l'administration centrale qui pilote et contrôle ; la cour d'appel qui gère directement les crédits d'intérêt régional et anime les politiques locales ; les juridictions qui gèrent au quotidien de manière autonome mais responsable, le tout selon des méthodes rationalisées] - toute cette architecture qui se met en place est la condition de la modernisation du service public de la justice.

2.1 Clarifier les circuits et les procédures budgétaires
A chaque niveau territorial est associé un niveau de dépenses et de gestion des moyens :
Les dépenses d'intérêt régional (l'informatique, le mobilier, la formation des personnels, les crédits de rémunération des vacataires) et les dépenses d'intérêt commun (celles qui relèvent d'une politique d'achat régionale) sont gérées par le service administratif régional.
Je tiens à préciser que la gestion des dépenses dites d'intérêt commun doit être déterminée de manière concertée entre la cour d'appel et les juridictions : il s'agit d'une mutualisation destinée à mettre en place une politique d'achat commune à l'ensemble des juridictions pour ce qui concerne le fonctionnement courant comme, par exemple, les fournitures de bureau, l'achat de mobilier, les contrats de maintenance.
Enfin, les dépenses d'intérêt local ou de proximité sont gérées directement, de manière tout aussi mutualisée et toujours dans la concertation, au niveau de l'arrondissement par le tribunal de grande instance.
Ces circuits de gestion des moyens s'accompagnent de la mise en place d'un outil informatique d'aide à la gestion destiné à suivre en permanence la situation des crédits, à permettre la transparence des décisions à tous les niveaux, et à exercer un véritable contrôle de gestion.

2.2 La mise en place d'une véritable gestion des ressources humaines déconcentrée.
L'efficacité globale d'une organisation est déterminée par la manière dont elle gère ses ressources humaines.
La gestion des ressources humaines représente un enjeu tout aussi fondamental pour notre institution que la gestion des moyens. La modernisation du service public de la justice passe nécessairement par la modernisation de ses méthodes de "management" des ressources humaines, en particulier des 19.700 fonctionnaires de greffe.
Leur effectif s'est fortement accru, et cette progression va encore se poursuivre. Vous l'avez constaté avec l'augmentation du budget 1998 et le plan d'urgence pour les juridictions qui ont permis le recrutement de 800 nouveaux fonctionnaires des greffes.
Je souligne aussi que les crédits consacrés à la formation continue des fonctionnaires des greffes ont atteint 11 MF en 1998.
Il faut aujourd'hui se concentrer aussi sur l'aspect qualitatif de la gestion des fonctionnaires, l'objectif étant de trouver la meilleure adéquation possible entre les besoins de l'administration et les compétences des personnels destinés à les satisfaire. Cela passe par une clarification du rôle des trois différentes catégories (A, B, C) de fonctionnaires exerçant dans les greffes, par une meilleure professionnalisation notamment en matière de gestion, par une formation professionnelle dynamisée et rénovée.
Celà passe aussi par une responsabilité accrue des cadres dans le domaine de la gestion des ressources humaines, par l'acquisition d'une nouvelle culture de la délégation, par la mise en place d'un dialogue social ouvert et responsable qui ne doit pas se limiter à la réunion imposée des instances traditionnelles de concertation mais doit aussi se développer dans les relations quotidiennes de travail.
Celà passe enfin par la possibilité de déconcentrer à l'échelon territorial un certain nombre d'actes de gestion encore centralisés nationalement.

2.3 La formation à la gestion des ressources humaines
Négligée dans les parcours universitaires, la formation à la gestion des ressources humaines doit être considérée comme une matière à part entière dans les enseignements dispensés à l'École nationale de la magistrature et à l'École nationale des greffes.
La formation à la gestion des hommes et des moyens doit constituer un élément prioritaire dans les formations de longue durée qui doivent précéder l'accès à des niveaux de responsabilités dans lesquels l'aptitude au "management" est décisive.
Ce nouvel état d'esprit doit conduire à une articulation de la formation initiale et continue afin de permettre le perfectionnement et la spécialisation des agents dans certaines fonctions tout au long de leur carrière.

3) LA NÉCESSAIRE PROFESSIONNALISATION DES MÉTIERS DE GREFFE
D'une manière générale, je souhaite que l'on réfléchisse à l'évolution des métiers et à une meilleure répartition des tâches au sein des juridictions.
A côté de la nécessaire polyvalence pour certaines fonctions traditionnelles du greffier en tant que collaborateur du magistrat dans ses fonctions juridictionnelles, cette meilleure utilisation des compétences et aptitudes nécessite une autre organisation du travail par exemple dans le traitement de certains contentieux ou pour renforcer les structures d'accueil des justiciables. Une spécialisation est aussi nécessaire en matière de gestion, les rôles et les responsabilités devant être précisés.
Une réflexion a été menée ces derniers mois sur les métiers des greffes par la commission animée par M. NADAL, Inspecteur général des services judiciaires et M. GRANGE, premier président de la cour d'appel de PAU.
Je vous ferai diffuser ces prochaines semaines les propositions de cette commission qui s'est réunie à la sous-direction des greffes en associant des magistrats et fonctionnaires des juridictions. Cette réflexion sera soumise aux personnels, aux organisations syndicales et discutée dans les instances de concertation.
Dans cette logique de spécialisation, la création d'un statut d'emploi de chefs de service administratif régional s'avère aujourd'hui nécessaire afin de permettre une ouverture et un choix plus large de professionnels de la gestion et de bénéficier de compétences spécifiquement adaptées à cette fonction de gestionnaire.
Cette évolution est commune à tous les secteurs de notre administration. Ainsi, par exemple, le statut d'emploi des directeurs régionaux et départementaux de la protection judiciaire de la jeunesse vient d'être publié.
Le chef de service administratif régional doit être, sous l'autorité des chefs de cour, le responsable de l'organisation administrative et financière du ressort.
Je tiens à ce que ce projet de statut soit soumis avant la fin de l'année à une concertation avec l'ensemble des responsables locaux et les organisations syndicales de magistrats et de fonctionnaires.
De nouvelles fonctions dans le domaine de l'équipement et de l'informatique peuvent aussi être confiées à des techniciens extérieurs au monde judiciaire.
Je prendrai comme exemple le magistrat délégué à l'équipement. Ces magistrats qui ont oeuvré souvent efficacement dans un contexte difficile, doivent désormais être recentrés sur leur métier qui est de juger.
A leur place, dans les cours d'appel, doivent être recrutés des techniciens en équipement, comme il existe déjà des techniciens en informatique.
Toujours dans la perspective de rationaliser les tâches de gestion et de recentrer les magistrats et les fonctionnaires sur leurs métiers respectifs, doit être aussi abordée la question des "secrétaires généraux". Il existe actuellement 6 emplois statutaires de secrétaires généraux, à la Cour de Cassation et dans les cours d'appel de Paris et de Versailles.
Dans de nombreuses cours d'appel, les chefs de cour ont confié un certain nombre de tâches à des magistrats placés auprès d'eux, "chargés de mission" ou "secrétaires généraux" de fait.
Ces tâches de "secrétaires généraux", avec ou sans statut, ont évolué en même temps que les SAR montaient en puissance. Il convient aujourd'hui de trouver un équilibre et un partage de compétence sans ambiguïté entre les fonctions de gestion, dont les chefs de SAR sont responsables, et les missions des secrétaires généraux.
Ainsi, les chefs de cour d'appel ont besoin d'être personnellement aidés dans l'accomplissement de toute une série de tâches qui ne peuvent être effectuées que par des magistrats qu'ils choisissent à cette fin. Ces tâches peuvent être énumérées :
Représentation
Gestion personnelle des magistrats : notation; discipline
Ordonnance de roulement
Rapports avec les auxiliaires de justice et les autorités locales
Remplacement des collègues absents aux audiences....
Je souhaite que le directeur des services judiciaires, en concertation avec les chefs de cour et les organisations professionnelles, me propose rapidement le profil d'emploi, le statut et la définition précise des compétences des magistrats occupant ces fonctions centrées sur la gestion personnalisée des magistrats et la gestion de l'activité juridictionnelle.

4) LA FORMATION. LA PLACE DE L'ÉCOLE NATIONALE DES GREFFES
Si le professionnalisme et les compétences des fonctionnaires des greffes sont aujourd'hui reconnus au sein des juridictions, c'est grâce à l'effort constant d'adaptation qu'a réalisé l'École nationale des greffes en matière de formation initiale et continue.
Pour répondre aux exigences accrues de leur métier, les fonctionnaires de greffe ont déjà fait progresser leurs compétences et adapté leurs méthodes de travail. Il faut poursuivre cet effort, dans le cadre d'un plan de formation.
Chacun mesure combien la formation professionnelle des fonctionnaires des greffes doit être attentive à l'évolution des besoins des juridictions et des métiers. Elle constitue un levier essentiel de modernisation.
Il est donc de première importance que l'École nationale des greffes, dans ses programmes de formation initiale donne une place primordiale à l'acquisition d'un savoir faire indispensable à l'exercice des responsabilités confiées aux fonctionnaires des greffes.
La formation continue doit s'incrire dans ces mêmes exigences et réaliser une meilleure complémentarité entre les programmes national et régionaux.
Je sais qu'un travail est entrepris dans ce sens par l'École nationale des greffes avec les responsables de la gestion de la formation au sein des services administratifs régionaux.
La spécificité des métiers des greffes et des missions des magistrats n'est pas un obstacle à la recherche d'une culture commune et à la définition de méthodes et de savoirs partagés.
Dans ce but, j'attends de l'École nationale des greffes et de l'École nationale de la Magistrature, mais aussi de l'École nationale de l'administration pénitentiaire et l'Institut de formation de la protection judiciaire de la jeunesse, qu'elles renforcent et développent leurs relations par des actions communes en matière de formation continue, notamment dans les domaines de la gestion des ressources humaines, s'intégrant dans un plan de formation de tous les cadres de notre ministère.
Les écoles de formation devront prendre une part essentielle dans l'organisation de ces formations communes à la gestion et me faire rapidement des propositions en ce sens.
Mesdames et messieurs, il me paraît de très bonne augure pour les évolutions futures de voir rassemblés, sur des objectifs partagés, les responsables de l'administration centrale, les chefs de cour et les coordonnateurs des SAR.
Vous avez, tout au long de cette journée, mis en commun vos savoirs et vos savoir-faire. Il s'agit du meilleur investissement possible pour aider à moderniser la gestion des juridictions. Mieux notre administration sera gérée, et plus facilement nous dégagerons des marges et nous obtiendrons les budgets dont la justice a vraiment besoin.
Je remercie chacun d'entre vous pour sa participation.
(Source http://www.justice.gouv.fr, le 22 octobre 2001)