Interview de M. Jean-François Copé, ministre délégué à l'intérieur, porte-parole du gouvernement, à France 2 le 16 novembre 2004, sur le débat interne à l'UMP, la fiscalite locale et le financement de la décentralisation, la situation politique en Côte d'Ivoire et en Polynésie française.

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Média : France 2 - Télévision

Texte intégral

Q- Les Nations unies ont voté cette nuit des sanctions, à l'unanimité, contre la Côte d'Ivoire, si la situation n'est pas restaurée dans huit jours. Les Jeunes patriotes ivoiriens demandent, eux, le retrait de l'armée française. On a le sentiment que, tout de même, les choses là-bas prennent un côté très franco-ivoirien...
R- C'est en cela que, d'ailleurs, je crois qu'il est grand temps d'en appeler à l'apaisement. Parce que la situation est celle que vous décrivez et, en même temps, je crois qu'il y a aussi l'objectif pour nous de créer les conditions d'un retour vers cet apaisement, vers une solution qui soit pacifique. Je veux rappeler que, au-delà de ce que l'on vit, des tensions qu'on a vécues ces derniers jours et ces dernières semaines, la présence de la France, sous mandat de l'ONU, avec l'unanimité, et en particulier de l'Union africaine, c'est avant tout la paix, la sécurité des ressortissants français et étrangers, et au-delà de cela, la mise en oeuvre de ces accords, les fameux accords de Marcoussis, qui doivent permettre à la Côte d'Ivoire, dans un cadre de légitimité politique, de trouver les sources de l'apaisement.
Q- Que se passe-t-il si L. Gbagbo continue à changer les hommes autour de lui, c'est-à-dire à nommer à la tête des armées, quelqu'un qui a été directement mêlé au raid sur Bouaké, à limoger éventuellement son premier ministre qui lui avait été "imposé" par les accords de Marcoussis ? Est-ce que ce sont là des signes que la France doit étudier de près, des signes que la communauté internationale étudie ?
R- Je crois que ce qui est important dans le contexte qui est le nôtre en Côte d'Ivoire, c'est surtout que chacun prenne naturellement ses responsabilités, accomplisse la mission qui est la sienne. Pour ce qui concerne le rôle de la France, vous le savez, c'est la protection des ressortissants français et étrangers, et nous appelons naturellement à l'esprit de responsabilité de chacun, y compris du président Gbagbo, en termes de responsabilité et d'action, pour assurer la protection et la sécurité des personnes qui se trouvent en Côte d'Ivoire, bien sûr.
Q- Donc, il n'est pas question que l'armée française se retire pour l'instant ?
R- Non.
Q- Et quand L. Gbagbo dit qu'il a pu craindre à un moment donné un "renversement" etc. Ce sont des spéculations ?
R- Non, je crois encore une fois, que l'heure maintenant est vraiment à retrouver les conditions de l'apaisement, c'est cela l'objectif et je crois que cette résolution votée à l'unanimité à l'ONU est aussi le signal d'une volonté de trouver les conditions d'une voie pacifique.
Q- 6.000 Français ont quitté la Côte d'Ivoire. Y retourneront-ils un jour ?
R- Ce sera à eux d'apprécier, bien sûr. En tout cas, ce qui est sûr, c'est que nous, nous avons eu à coeur, notamment les différents ministres concernés, l'Intérieur, des Affaires étrangères, de veiller à ce que ces conditions se passent le moins mal possible, et que surtout les premières aides d'urgence puissent être apportées à nos compatriotes qui, pour certains d'entre eux, sont arrivés traumatisés, et bien sûr, dans des conditions de dénuement important.
Q- Si l'armée française se retirait aujourd'hui, ce serait un bain de sang, comme l'ont laissé entendre certains ?
R- En tout cas, la question n'est pas posée.
Q- Autre thème : la situation en Polynésie. Le Conseil d'Etat a annulé hier une partie du scrutin. Cela veut-il dire que le Conseil territorial va être dissout ?
R- Les choses se passent de la manière suivante : premier point, les socialistes ont passé ont passé leur temps à nous expliquer que ce qui comptait c'était la légitimité du suffrage universel ; c'est évidemment vrai, à ceci près que, le Conseil d'Etat, pour "grave irrégularité", a annulé l'élection sur la circonscription la plus importante, dans laquelle M. Temaru avait gagné de quelques voix. Donc...
Q- C'est-à-dire que c'est la circonscription qui avait permis justement de "renvoyer" G. Flosse ?
R- Voilà. Mais à quelques voix près, et je crois que, de ce point de vue, c'est tout de même à noter. Il faut respecter l'Etat de droit, et c'est d'ailleurs ce que le Gouvernement dit depuis le début...
Q- Cette annulation a été fondée sur des irrégularités qui avaient été constatées...
R- Sur de "graves irrégularités", qui ont été constatées, et qui conduit le Conseil d'Etat à annuler cette élection et à conduire et à une élection partielle. Cela étant, l'objectif c'est aussi de faire les choses non pas dans la tension, encore moins dans la violence, mais plutôt dans un climat de dialogue, et encore une fois, d'apaisement. Je crois que l'on peut aussi se parler. Et donc l'initiative de B. Girardin, c'est de réunir tout le monde autour de la table. Certes, les conditions ne sont pas du tout réunies pour une dissolution, mais s'il devait y avoir un retour aux urnes des Polynésiens, cela vaut peut-être la peine d'en discuter de manière apaisée et c'est pour cela qu'elle réunit toutes les forces politiques la semaine prochaine.
Q- Cela veut dire que, pour l'instant, le président de la République ne va pas prendre la décision de la dissolution ? On attend, on se réunit ?
R- Mais les conditions ne sont absolument pas réunies pour cela, au plan juridique. Donc, il peut y avoir retour aux urnes, mais en aucun cas par dissolution à ce stade, puisque aujourd'hui, les conditions ne sont pas réunies.
Q- On voterait donc uniquement dans cette circonscription...
R- C'est une des hypothèses. En tout cas, cela mérite le dialogue. L'objectif est que l'on puisse se parler autour de la table.
Q- Puisque vous évoquez le dialogue, les conversations chaleureuses, qu'en est-il du dialogue Chirac-Sarkozy ? On a eu le sentiment, encore ces derniers jours, que les choses étaient un peu tendues. On a vu J. Chirac revenir beaucoup sur la scène nationale, évoquer à nouveau sa candidature, sa campagne ; N. Sarkozy, prenant position avant son élection du 28 novembre à l'UMP...
R- Vous savez, la vie est cruelle parce que, quand le président de la République est sur la scène internationale, on dit : "Ah ! Il faudrait qu'il revienne sur la scène nationale !". Et puis quand il est sur la scène nationale, on dit : "Ah, ben oui, c'est parce qu'il pense à 2007 !". Je propose que l'on voit bien une chose : c'est que le président de la République est le chef de l'exécutif et que sa mission est de s'occuper de l'ensemble des sujets sur lesquels les Français attendent l'action du Gouvernement, des réformes, du mouvement. Et donc, c'est cela l'objectif.
Q- Mais quand on entend le président de la République dire qu'il est contre l'abrogation de la loi de 1905 alors que Sarkozy est pour, on a le sentiment que ce n'est pas une franche convergence d'idées. On ne se trompe pas quand même ?!
R- Non, mais sur ce point précis, sans nul doute. Mais enfin chacun comprend bien que ce sont des débats difficiles, sur lesquels s'expriment beaucoup de monde. C'est un sujet essentiel, sur lequel le président de la République a donné sa position.
Q- Autre question, vous allez trouver que je fais du mauvais esprit...
R- Ce n'est pas votre genre !
Q- J.-L. Borloo chez les radicaux : est-ce une façon détournée, un Scud anti-UMP, pour répartir différemment les forces chiraquiennes ?
R- Non, je ne l'ai pas compris comme cela. J.-L. Borloo a sensibilité qui est très connue...
Q- Il était à l'UDF avec F. Bayrou, il s'est rapproché de l'UMP, maintenant il va chez les radicaux...
R- Oui, enfin tout cela est quand même, à la fois, dans la même mouvance, et puis dans la même logique, qui est celle, bien sûr, d'incarner la diversité de l'UMP. Par ailleurs, J.-L. Borloo fait un travail assez remarquable en termes de cohésion sociale dans le ministère qu'il tient. Je voudrais dire que sur toutes les mesures qu'il prend, elles auraient pu être prises depuis longtemps, si on avait eu le courage politique de le faire. Je prends un exemple : il faut sortir de l'assistanat pour aller vers l'esprit de responsabilité, donner du sens à une politique de cohésion sociale plutôt qu'une logique de rajouter sans cesse des subventions. Cela veut dire quelque part moderniser notre pays.
Q- Les maires de France tiennent congrès à partir d'aujourd'hui. Ils ne sont pas contents. Ils disent que la décentralisation va leur coûter cher. Le PS partage leur point de vue, puisque le PS va sortir un livre noir. Que leur dites-vous ?
R- D'abord, je propose que l'on distingue les deux : les maires d'un côté et le PS de l'autre. Les maires, c'est normal qu'ils soient inquiets ; ils sont traumatisés par ce que le gouvernement Jospin leur avait fait dans les années 1990, en donnant des nouvelles compétences sans donner l'argent qui va avec. Les 35 heures ont été imposées d'en haut et il n'avaient pas l'argent pour les financer ; idem pour l'Allocation prestation autonomie pour les départements. Donc évidemment qu'ils sont inquiets. Je veux, c'est mon boulot, les rassurer, en leur disant très clairement que nous avons désormais changé la Constitution, pour que toute compétence nouvelle qui leur est donnée soit compensée à l'euro près. Alors le deuxième sujet, c'est le PS, qui fait campagne tous azimuts - c'est normal, ils sont dans l'opposition. Donc ils tapent sur tout, quitte à être d'ailleurs amnésiques, voire à rentrer un peu dans le bal des hypocrites. Parce que, ce que nous mettons en oeuvre en matière de décentralisation, c'est ce que eux-mêmes ont préconisé sans le faire quand ils étaient dans la majorité, il y a seulement quatre ans. Et deuxième élément, il faut tout de même rappeler que la décentralisation, quand on est Paris dans les salons mondains, tout le monde est pour ; et quand on est sur le terrain, on dit : on a peur ! C'est ce que demandent les Français. Ils en ont marre qu'on décide depuis Paris, pour que l'on fasse les choses sur le terrain. C'est cela que l'on a mis en uvre. Et l'objectif, c'est le faire en transférant à l'euro près, pour qu'il n'y ait pas d'augmentation d'impôts. Donc si les socialistes dans les régions augmentent les impôts, cela veut dire que c'est pour financer leurs promesses électorales, ce qui est légitime, mais ce n'est sûrement pas pour finance la décentralisation.
Q- Vous voulez dire que maintenant que les socialistes ont gagné toutes les régions de France sauf une, c'est de leur faute si les impôts augmentent ?
R- Ce sera leur décision, ce ne sera pas du fait de la décentralisation. Quand vous avez tel président de région socialiste qui a promis des ordinateurs gratuits ou des livres scolaires gratuits, je comprends qu'il ait besoin d'augmenter les impôts. Ce que je ne comprends pas, c'est qu'ils fassent croire aux gens que c'est parce qu'ils veulent financer la décentralisation. C'est faux. La décentralisation est financée à l'euro près ; l'Etat donnera l'argent qui va avec. C'est en cela d'ailleurs que les temps ont changé, et c'est cela que je vais dire au Congrès de l'Association des maires de France.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le16 novembre 2004)