Texte intégral
Nous ouvrons aujourd'hui une nouvelle phase de la construction européenne, cette "union sans cesse plus étroite entre les peuples de l'Europe" instituée voici près de cinquante ans.
Avec cet élargissement, le cinquième de son histoire, l'Europe avance avec détermination vers l'unification. Elle retrouve ainsi le visage qu'elle avait ébauché au Moyen Age, qui paraissait, au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, ruiné à jamais par la logique des blocs. En se fixant, dès la fin des années 1950, des objectifs ambitieux - la paix et la prospérité pour l'ensemble du continent -, l'Union européenne a tracé le chemin que nous empruntons aujourd'hui.
Cet élargissement représente un défi sans précédent, comme l'ont rappelé votre rapporteur et le président Balladur : le nombre des candidats, jamais égalé par le passé, leur faible niveau de développement, ont pu faire apparaître la tâche comme un chantier d'une complexité exceptionnelle. Et pourtant, nous voici parvenus au terme d'une négociation de plus de cinq ans qui nous a permis de surmonter tous les obstacles et de donner naissance à ce Traité.
Ce résultat, nous l'avons obtenu en portant haut l'exigence, d'abord, celle de la fidélité à l'histoire : nous ne pouvions laisser les pays de l'Europe orientale et centrale à l'écart de la construction européenne après tant d'années passées sous le joug des régimes communistes.
A l'heure de leur libération, comment aurions-nous pu leur refuser ce retour au sein de la maison commune ? C'est bien ce sentiment d'une même appartenance à la famille européenne qui nous a conduits, à travers des négociations souvent difficiles, au succès final en maintenant entre nous les liens de la confiance.
L'exigence, ensuite, de préservation de l'intégrité de la construction européenne : tout au long des discussions, il s'est agi de faire accepter, avec les avantages, les contraintes de l'acquis communautaire. Des périodes de transition sont ainsi prévues pour Schengen, la monnaie unique ou certains secteurs sensibles comme le marché du travail. Des mesures de sauvegarde ont été mises en place si des perturbations venaient à apparaître. Comme l'a souligné votre rapporteur, tout ceci n'a pu se faire qu'à travers un formidable effort d'adaptation des économies de ces pays aux lois du marché. Nous devons être conscients des sacrifices qu'a exigés ce processus de modernisation de chacun des nouveaux adhérents. Et le succès spectaculaire des référendums organisés dans ces pays témoigne, comme l'a rappelé M. Lequiller, que les peuples de cette nouvelle Europe ont relevé le défi.
L'exigence, enfin, de contenir dans des limites supportables le coût de cet élargissement. Le président Balladur et votre rapporteur ont rappelé que jusqu'à la fin du régime actuel des perspectives financières en 2006, la contribution de chaque citoyen européen restera d'un niveau acceptable. Au-delà, se posera inévitablement la question du financement de l'Europe à vingt-cinq : le président Balladur a souligné avec raison les risques d'une augmentation des dépenses sur notre contribution nette. Le gouvernement mesure le défi : il entend préserver les intérêts de la France en garantissant un financement viable pour les différentes politiques communes, comme nous l'avons fait pour l'agriculture, en maintenant l'évolution des dépenses européennes dans des limites raisonnables.
A la veille de l'entrée en vigueur de cet élargissement, l'Europe est à un tournant historique. L'Union européenne s'étend désormais à la plus grande partie du continent. Se pose pour elle une question fondamentale : comment apprendre à vivre ensemble et pour quels objectifs ?
La réponse s'articule autour d'un triple pari. Pari économique d'abord : l'élargissement sera-t-il pour l'Europe un nouveau moteur de prospérité et de croissance, comme l'a suggéré le président Lequiller ? Les dix adhérents connaissent des taux de croissance qui dépassent de plusieurs points ceux des Quinze. L'élargissement du marché unique à 75 millions de consommateurs dont les besoins sont immenses, ouvre des perspectives encourageantes à nos entreprises. Le défi pour l'Europe sera de tirer parti de ces marges de progrès pour retrouver sa compétitivité face à l'Amérique et à l'Asie.
Pari institutionnel ensuite : l'Europe élargie a besoin d'institutions renforcées. Le temps n'est plus où chaque Etat pouvait imposer le rythme à son gré. Une Europe plus efficace, capable de répondre aux préoccupations quotidiennes de nos citoyens, exige désormais des institutions plus démocratiques et plus transparentes - une meilleure association des parlements nationaux, une répartition claire des compétences entre l'Union et les Etats membres, une présidence stable du Conseil européen, une Commission plus resserrée, plus collégiale, un ministre européen des Affaires étrangères, une extension du vote à la majorité qualifiée.
Ce sont là les principales dispositions du projet de Constitution rédigé par la Convention européenne sous la présidence de M. Giscard d'Estaing. Nous souhaitons donc que la Conférence intergouvernementale trouve un accord sur un texte aussi proche que possible de ce projet. Si le prix à payer pour y parvenir devait être une révision à la baisse de nos ambitions, je le dis tout net, comme le président Balladur, nous ne pourrions l'accepter. Mieux vaudrait poursuivre nos travaux jusqu'à ce que se dégage un accord à la mesure de nos ambitions plutôt que de conclure sur un mauvais texte. Nous n'admettrons pas une Constitution au rabais.
Enfin, nous devons gagner le pari politique de l'Europe : l'élargissement demeure la meilleure garantie de paix et de stabilité pour notre continent. A l'heure où, face aux incertitudes du monde, les peuples réclament de la communauté internationale qu'elle soit capable d'oeuvrer pour plus de justice, de dialogue et de respect de l'autre, l'Europe se trouve en situation privilégiée pour répondre à cette attente. Berceau des idéaux de liberté et de démocratie, trait d'union entre les religions et les cultures, revenu de tant de guerres et de luttes fratricides, notre continent n'est-il pas en mesure d'offrir à ses partenaires une vision du monde propre à favoriser la paix, la stabilité et la prospérité ?
Cet élargissement, c'est aussi l'occasion, pour notre pays, de servir une grande ambition pour l'Europe, autour d'un triple objectif. D'abord, répondre à l'aspiration de nos concitoyens qui attendent de l'Europe qu'elle mette la croissance et l'emploi au coeur de leur avenir. La monnaie unique doit donner lieu aujourd'hui à une véritable coordination des politiques économique, budgétaire et fiscale et s'accompagner d'engagements concrets dans le domaine social. Une véritable gouvernance économique et sociale est nécessaire au niveau européen. L'Europe, qui depuis dix ans au moins, accuse un retard de croissance sur les Etats-Unis, doit relever le défi de la modernité. Il nous faut nous mobiliser pour rendre nos économies plus compétitives, plus modernes et plus flexibles. Education, formation professionnelle, recherche scientifique, infrastructures de transport, nouvelles technologies : autant de domaines dans lesquels nous devons multiplier les initiatives.
Ensuite, il faut développer une politique européenne de sécurité. A l'heure où nos concitoyens sont confrontés aux menaces du monde, qu'il s'agisse du crime organisé, du terrorisme ou encore de la prolifération, nous devons renforcer notre coopération en matière de police et de justice. C'est, comme l'a souligné le président Lequiller, tout l'enjeu de l'espace de liberté, de sécurité et de justice que nous voulons créer entre Européens. A cette fin, nous devrons multiplier, au sein de l'Europe élargie, les concours mutuels pour renforcer le contrôle à nos frontières et établir entre nous un climat de confiance durable.
Enfin, nous devons faire de l'Europe l'un des piliers du monde nouveau en renforçant sa dimension politique. Pour peser sur les affaires du monde, aider au règlement des crises régionales comme des grands problèmes stratégiques, l'Europe doit se doter d'une véritable politique étrangère et d'une capacité de défense autonome qui lui permettront d'exercer pleinement ses responsabilités à l'extérieur. Elle en a le devoir à l'égard de ses citoyens. Son poids économique lui en donne les moyens. A elle de définir son ambition politique car, partout dans le monde, l'Europe est attendue, au Kosovo, en Macédoine ou en Ituri. Pour être à la mesure de cette ambition, l'Union devra probablement être capable d'introduire davantage de flexibilité dans ses méthodes. Avec l'Allemagne, qui a si souvent joué un rôle d'impulsion aux côtés de notre pays, nous devrons montrer le chemin à ceux qui souhaitent aller plus vite et plus loin. Comme l'a souligné le président Balladur en faisant référence à l'idée d'un "cercle avancé", l'Europe élargie aura besoin de souplesse si elle veut pouvoir relever les défis de notre monde. Nous le voyons, aujourd'hui, dans notre dialogue avec l'Iran en matière de non-prolifération ; nous en ferons certainement l'expérience demain, en Afrique comme en Amérique latine : c'est de plus en plus à travers un groupe de quelques pays que l'Europe pourra faire entendre sa voix et marquer sa différence sur la scène internationale. A nous de définir les règles de ces nouvelles formes d'action européenne en veillant à garantir l'information de tous et le respect de chacun.
Les trois orateurs qui m'ont précédé, ont souhaité, au terme de leur intervention, que les adhésions soumises ce soir à votre approbation, marquent une pause dans le long processus d'élargissement que connaît l'Europe depuis un peu plus de trente ans. A travers cette observation, c'est bien la question des frontières de l'Europe qui est posée et au-delà, celle de la nature, de l'identité, de l'avenir même de la construction européenne. Soyons à cet égard lucides et méthodiques.
Nous devons savoir distinguer entre les différents types de candidatures : Roumanie et Bulgarie appartiennent au même groupe de candidats qui feront leur entrée le 1er mai prochain. Ils représentent, à cet égard, le dernier élément de l'élargissement en cours ; l'Union s'est fixé comme objectif d'achever leurs négociations d'adhésion en 2004 pour qu'ils rejoignent l'Union en 2007. Nous devons respecter cet engagement.
La Turquie, elle, relève d'une autre logique. Dès 1963, la Communauté européenne a pris acte de sa candidature et a réaffirmé, depuis lors, à plusieurs reprises, cette perspective. Comment ne pas prendre la mesure des enjeux que pose aujourd'hui la candidature de ce pays à dominante musulmane ? Nation aux confins de l'Europe, elle porte en elle les tensions d'une région qui nous est familière mais qui peut aussi inquiéter ; son adhésion est à l'évidence source d'espoir pour son peuple comme elle peut être motif de préoccupation pour nos concitoyens. C'est à la lumière de toutes ces considérations qu'il faudra mener un débat et, l'an prochain, sur la base des travaux de la Commission européenne, faire un choix en tenant compte des espoirs et des réalités de la Turquie. En tout état de cause, il nous faudra décider avec sérieux, sérénité et dans un esprit de responsabilité, vis-à-vis de nos peuples et de nos pays, en sachant nous montrer digne de l'aventure européenne menée jusqu'à maintenant.
Enfin, nous ne devons pas oublier les pays des Balkans occidentaux.
A ceux-ci nous avons ouvert la perspective d'une adhésion à terme. Là encore, des engagements ont été pris et nous devons les assumer, même si les échéances sont à plus long terme.
Si vous donnez votre accord ce soir à ces adhésions, le nouvel élargissement de l'Europe sera effectif le 1er mai prochain. Une nouvelle étape de cette vaste entreprise collective aura ainsi été franchie. Cette étape, nous devons l'aborder avec espoir et détermination. Dans l'unité retrouvée, les Européens sauront puiser les ressources indispensables à la relance de leur histoire commune. Et par là même, ils redonneront à notre continent toute sa place au sein de la communauté internationale. C'est pour notre Europe un horizon que nous devons assumer avec fierté. Au-delà du devoir de notre génération vis-à-vis des peuples de cette autre Europe, l'élargissement est une chance et une occasion unique pour marquer notre confiance dans l'avenir. Ne gâchons pas ce rendez-vous.
Réponse à l'intervention d'un parlementaire
Monsieur de Villiers, chacun ici est sensible, j'en suis persuadé, aux inquiétudes que vous exprimez à la veille d'un élargissement de l'Union européenne d'une ampleur sans précédent. Mais je voudrais vous persuader que désormais, l'ambition que nous avons tous ici pour notre pays passe par une grande ambition pour l'Europe. Car la construction européenne rend chacun de nos Etats plus fort. La France peut y trouver à la fois un nouvel horizon et un nouvel élan.
Débattre de l'élargissement de l'Union avant que soit adoptée une Constitution pour l'Europe, ce n'est pas "mettre la charrue avant les boeufs". D'abord, le Traité de Nice, en dépit de ses insuffisances, a déjà adapté les institutions pour une Union à vingt-cinq ; les règles existent donc pour permettre à l'Europe élargie de se lancer. Les discussions en cours au sein de la Conférence intergouvernementale permettront d'aller encore plus loin en favorisant un fonctionnement de cette Union élargie plus démocratique, plus transparente et plus efficace. Il s'agit donc bien d'un processus continu que nous ne devons pas ralentir sous peine de manquer à notre devoir vis-à-vis des nouveaux adhérents. Pouvons-nous demander à ces pays d'attendre encore ? La France peut-elle prendre la responsabilité, devant l'Histoire, d'être le pays qui s'opposerait au rassemblement de la famille européenne ?
Je reviens sur les craintes que vous avez exprimées, et que je résumerai en quatre grands thèmes. La nouvelle Europe, selon vous, porterait atteinte à notre identité, affaiblirait notre sécurité, saperait les bases de notre souveraineté et de notre influence. En outre, elle violerait nos valeurs démocratiques.
Notre identité, parce que cette Europe serait un creuset où se fondraient nos valeurs collectives. Une Europe que les élargissements à venir rendraient de plus en plus atlantique, mais aussi asiatique, puisque ces deux orientations vous paraissent cheminer de pair à travers la candidature de la Turquie.
Notre sécurité, parce que l'Union élargie serait une "passoire" pour les immigrants clandestins, les activités criminelles, et les terroristes.
Notre souveraineté et notre influence, puisque le modèle choisi viserait une intégration totale sans faire pour autant de l'Europe une puissance car, à vingt-cinq, elle pèserait moins lourd qu'à quinze. Aussi le rôle de notre pays sur la scène internationale s'en trouverait-il amoindri.
Et nos valeurs démocratiques, parce que les responsables politiques nationaux seraient dessaisis au profit des fonctionnaires de Bruxelles, et notre peuple dépouillé du droit de se prononcer sur la Constitution européenne.
Au total, nous aurions commis un triple contresens historique sur les frontières de l'Union, son architecture et sa puissance.
Ces dangers, les négociateurs du Traité d'élargissement les avaient bien à l'esprit. Aussi ont-ils mis cinq années pour aboutir.
L'identité de la France, comment serait-elle affectée par le partage d'une grande ambition avec d'autres pays européens ? Tous possèdent un héritage commun de principes et de valeurs que nous retrouvons à l'article 2 du projet de Constitution européenne. Dignité humaine, liberté, démocratie, Droits de l'Homme, Etat de droit, pluralisme, tolérance, justice, solidarité, non-discrimination : aucun doute, ce sont les nôtres. La Charte des droits fondamentaux, qui sera intégrée dans la Constitution, leur apporte des garanties nouvelles. En renforçant la place de l'Europe dans le monde, l'élargissement permettra de mieux promouvoir ces valeurs.
Au-delà des grandes valeurs communes, notre modèle de société est au coeur du projet de Constitution. Ce dernier lui apporte de nouvelles sûretés, avec l'inscription de la charte, dans les objectifs ou dans les politiques de l'Union, de nombreux droits sociaux, d'une garantie pour les services publics, d'une ambition de plein emploi... Ces éléments font du modèle européen une synthèse entre principes libéraux et valeurs de solidarité, qui nous met à l'abri des grandes remises en cause. La recherche du développement durable, la solidarité avec les pays moins avancés figurent dans le projet de Constitution. L'exception culturelle garantit notre droit à promouvoir les uvres de l'esprit. L'élargissement des frontières offre de nouvelles opportunités pour le rayonnement de notre langue. Bref, la nouvelle Europe sera un meilleur vecteur pour diffuser nos valeurs et notre modèle de société bien au-delà de nos frontières.
Parler de l'identité européenne, c'est aussi évoquer les frontières de l'Europe. A cet égard, la candidature turque vous paraît comporter des menaces pour la cohésion de l'ensemble. L'Union a décidé, il y a moins d'un an à Copenhague, de trancher définitivement cette question à la fin de 2004. La France entend prendre ses responsabilités, le moment venu, en pesant tous les termes d'un débat difficile mais essentiel. Elle le sera au vu des progrès accomplis en matière de démocratie et de Droits de l'Homme, et à la lumière des enjeux concernant l'équilibre stratégique de notre continent. Elle le fera aussi en s'interrogeant sur le type de coopération que l'Union doit établir avec ses voisins, qu'ils soient ou non des candidats potentiels à l'adhésion. Car l'Europe doit devenir à terme un pôle de croissance capable de porter le développement de ses voisins et de créer un mouvement général de prospérité. Nos frontières ne seront-elles pas mieux protégées si nous construisons avec nos voisins une relation plus dense ? Il nous faut prévenir ce choc des civilisations que chacun redoute comme le cauchemar de notre monde.
Dans l'immédiat, la sécurité de l'Europe élargie a été prise en compte dans tous ses aspects. Sécurité des acquis communautaires, que tous les nouveaux membres appliqueront dès leur adhésion : des mécanismes de suivi et des clauses de sauvegarde permettront d'y veiller. Sécurité du marché du travail : des dispositions transitoires préviendront les perturbations liées aux différences dans les niveaux de salaire. Sécurité des personnes et des biens dans toutes ses dimensions, y compris la sécurité alimentaire ou nucléaire.
Déjà, dans la perspective de l'adhésion, les pays candidats ont entrepris de se doter d'une police et d'une justice fiables. Ils ont adopté des stratégies de lutte contre la drogue, le crime organisé ou la corruption. La maîtrise de l'immigration clandestine progressera par le contrôle renforcé des frontières communes et la coordination de l'action des polices nationales, mais aussi des accords de réadmission avec certains pays d'origine et une meilleure intégration des immigrants réguliers. C'est donc un véritable espace de liberté, de sécurité et de justice qui se mettra en place à l'échelle d'un continent enfin réunifié.
Quant à la souveraineté de la France, elle serait en question si l'on avait mis à profit l'élargissement pour transformer l'Union en Etat fédéral se substituant aux Etats actuels. Mais il n'en est rien : le projet de Constitution respecte la nature spécifique et originale de la construction européenne, à la fois union d'Etats et union de peuples. Il la consacre même, à travers la nouvelle règle de vote à la double majorité des Etats et de la population.
Il n'a jamais été question que l'Europe fasse tout. En revanche, nous devons lui donner l'ambition et les moyens d'agir partout où elle peut renforcer l'action des Etats. Le projet de Constitution clarifie le partage des compétences entre l'Union et ses membres. Mieux : il donne aux parlements nationaux de nouveaux moyens pour s'assurer que ce partage est respecté.
Cette Europe, l'élargissement la rendra plus forte. L'Union à vingt-cinq signifie plus d'expansion, les dix nouveaux adhérents connaissent une croissance soutenue, supérieure de 1 à 2 % à la moyenne des Quinze. Elle offrira de nouveaux débouchés à nos entreprises, en particulier à nos agriculteurs, qui verront les aides actuelles maintenues et le modèle agricole européen renforcé. Notre pays bénéficiera directement de l'élargissement, porteur de nouvelles solidarités politiques pour assurer la promotion de la croissance et de l'emploi. Le nouvel horizon de l'Europe nous permettra aussi d'accroître notre influence économique, politique et culturelle.
Le projet de Constitution donnera également plus de moyens à l'Europe pour peser sur la scène internationale, en particulier dans le domaine de la défense. Déjà, la politique étrangère et de sécurité commune se renforce et se concrétise sur de nombreux terrains, dans les Balkans comme en Afrique. L'élargissement va développer ses assises, accroître le poids de l'Union dans le système des Nations unies et les organisations internationales, rendre plus crédible la volonté européenne de jouer un rôle mondial.
Cette volonté existe. Après les hésitations que l'on sait, la crise irakienne a éclairé beaucoup de nos partenaires sur la nécessité d'une Europe parlant d'une seule voix et capable d'interventions autonomes dans les affaires du monde, pour contribuer à la solution des crises régionales et des grands problèmes stratégiques.
Vous revendiquez enfin, Monsieur de Villiers, une Europe plus démocratique. L'Europe, j'en conviens, souffrait jusqu'alors d'un déficit propre à nourrir des inquiétudes sur la possibilité, pour les peuples, de conserver la haute main sur sa construction. Le projet de Constitution va dans le bon sens, puisqu'il permet un fonctionnement des institutions plus transparent et plus efficace. Mieux : il contribue à résorber le déficit démocratique, car il reconnaît un rôle important aux parlements nationaux dans la vie de l'Union, en particulier pour le contrôle de la subsidiarité, et il offre aux citoyens de nouvelles possibilités de participation. Les pouvoirs du Parlement européen sont considérablement accrus, avec une extension sans précédent du champ de la codécision à plus de quarante nouveaux domaines. La création d'une présidence stable du Conseil européen en renforcera l'efficacité et l'autorité. La légitimité de la Commission européenne sera confortée avec l'élection de son président par le Parlement européen.
Mais bien entendu, le peuple devra avoir le dernier mot. Notre Constitution prévoit deux procédures lui permettant d'exercer sa souveraineté : la voie parlementaire, et celle du référendum. Il reviendra au président de la République de faire son choix. Quelle soit sa décision, l'important est qu'un vrai débat sur l'Europe ait lieu et que le peuple français puisse se faire entendre sur ce sujet. Veillons cependant à ce qu'il s'agisse bien d'un débat sur l'Europe, et qu'il ne soit pas détourné vers des enjeux internes. L'avenir de la construction européenne exige que nos compatriotes fassent connaître leurs opinions, directement ou à travers leurs élus, sans arrière-pensées ni détour.
Le monde change. Nul ne peut nourrir l'illusion de se barricader contre le cours du temps et de l'Histoire. L'espoir d'un ordre international plus juste et plus sûr se profile, mais également la menace d'un univers désorganisé, déshumanisé et dangereux.
La solution ne peut résider ni dans le confort du statu quo, ni dans le mirage d'un retour au passé. Il faut rejeter la tentation du repli sur soi. Quand l'Histoire menace de nous imposer sa loi, il ne reste plus qu'à devenir soi-même acteur de l'Histoire pour en infléchir le cours.
Cette influence, l'Europe peut nous la donner. Si nous savons lui insuffler une grande ambition collective, traduire cette ambition en politiques et en actions, et nous doter des moyens nécessaires à cet effet. Avançons donc ensemble sur la recherche, l'éducation, les nouvelles technologies, les infrastructures de transport. Elaborons une initiative commune de croissance. Et dès lors que nous affirmons notre communauté de destin, rassemblons nos énergies autour d'une politique étrangère commune et donnons-nous les moyens de faire face aux menaces, dans le respect de la solidarité atlantique et la perspective d'un partenariat rénové.
(...)
Réponse à des interventions de parlementaires
Je vous remercie de vos interventions, qui témoignent de votre engagement pour l'Europe comme de votre accueil à la fois chaleureux et lucide des pays qui rejoignent l'Union.
Jacques Barrot a insisté sur le devoir historique, moral et politique que représente cet élargissement. Nicolas Perruchot a souligné le caractère décisif qu'il représente dans l'histoire de l'Europe. Jean-Marc Ayrault a parlé de "projet historique", Jacques Floch et Lionnel Luca nous ont rappelé ce que la famille européenne doit à l'Histoire. Comme l'a dit Jean-Claude Lefort, les murs cèdent la place aux ponts : belle image pour illustrer le rôle de passeurs que nous remplissons ensemble aujourd'hui ! Je souhaite que nous soyons tous portés par le même enthousiasme que René André, mais aussi par le même réalisme. Hier "laboratoire du crépuscule", selon la formule de Milan Kundera, l'Europe centrale et orientale est aujourd'hui une terre rendue à l'espoir.
Je veux en premier lieu vous assurer de la détermination du gouvernement à garantir un fonctionnement optimal de l'Europe élargie : c'est tout le sens des travaux en cours au sein de la Conférence intergouvernementale.
Nicolas Perruchot a porté un jugement sévère sur le Traité de Nice. La vérité est que celui-ci s'est limité aux modifications strictement nécessaires pour que l'Union élargie puisse fonctionner. Plusieurs orateurs ont regretté qu'on ratifie l'élargissement avant d'avoir adopté la future Constitution de l'Union, mais le seul préalable institutionnel à l'élargissement, c'est le Traité de Nice : les discussions au sein de la Conférence intergouvernementale, qui visent à améliorer le fonctionnement de cette Union élargie, ne sauraient constituer un nouveau préalable.
Nous voulons dépasser le Traité de Nice en fixant une nouvelle ambition pour la construction européenne. C'est ce qu'a réussi la Convention, sous la direction du président Valéry Giscard d'Estaing et avec la participation de vos représentants Pierre Lequiller et Jacques Floch.
Le projet de Constitution vise à approfondir l'intégration européenne, condition indispensable pour réussir l'élargissement, sans pour autant créer un Etat fédéral. Il respecte la nature spécifique de la construction européenne, à la fois union des Etats et union des peuples. Aussi, comme l'a dit Christian Philip, il faut transformer l'essai de la Convention. Avec Jean-Marc Ayrault, le gouvernement aurait souhaité encore plus d'avancées ; l'équilibre fragile atteint par la Convention doit être défendu avec d'autant plus de vigueur.
M. Myard propose un "pacte des nations européennes" qui consacre la vision d'une organisation intergouvernementale classique et correspond en réalité au choix d'une intégration réduite ; ce n'est pas là l'ambition que nous avons fixée à l'Europe élargie.
Il reste que cette union à vingt-cinq ne pourra pas faire l'économie d'une réflexion sur la flexibilité dont Jacques Barrot, René André ou Christian Philip ont bien souligné le caractère indispensable. Il faut aborder cette question sans tabou. A mesure que l'Union s'agrandit, nous devons concilier intégration et différenciation, donc réfléchir à des formes de coopérations renforcées, suffisamment souples pour être viables, mais suffisamment encadrées pour ne pas menacer l'intégration. Cela ne veut pas dire créer des distinctions artificielles entre les membres de l'Union, ni décerner des prix de "bons" ou de "mauvais" Européens, ni même créer un directoire au coeur de l'Union. Il s'agit au contraire de respecter pleinement les préoccupations de ceux qui ne sont pas prêts à aller de l'avant, sans pour autant empêcher les autres d'avancer.
J'en viens aux frontières de l'Europe et à ses relations avec ses voisins. En ce domaine, l'Union a deux obligations : répondre aux aspirations de ses voisins les plus proches et définir les formes d'un partenariat renforcé ; mais aussi rassurer nos concitoyens, qui peuvent légitimement s'inquiéter de l'extension progressive de l'Union.
Nous devons construire avec nos voisins les plus proches de l'est de l'Europe et du sud de la Méditerranée une coopération plus approfondie, un "partenariat privilégié" pour reprendre l'expression de Christian Philip et François Loncle. Pourquoi ne pas envisager, comme l'a suggéré Michel Hunault, une association de ces pays dans un deuxième cercle ? Cela pourrait se traduire par leur participation à certaines politiques communes comme la recherche, l'environnement ou les transports. Tel est le sens, d'ailleurs, des réflexions en cours à Bruxelles sur l'initiative de "nouveau voisinage".
C'est dans cet esprit que le Sommet de Saint-Pétersbourg entre l'Union européenne et la Russie, en mai dernier, a décidé la création, sur la base d'une proposition française, de quatre espaces communs de coopération : économie, sécurité intérieure, recherche et éducation, politique étrangère et défense.
Il en va de même, comme le souhaitait Jean-Louis Bianco, des pays méditerranéens avec lesquels il importe aujourd'hui de donner un nouvel élan au processus lancé en 1995 à Barcelone. Ce sera l'objet de la réunion des ministres du Partenariat euro-méditerranéen, la semaine prochaine, à Naples. Au-delà, l'Union devra développer les coopérations spécifiques qu'elle entretient depuis de nombreuses années avec l'Afrique, mais aussi avec l'Asie et l'Amérique latine.
Enfin, vous avez été plusieurs à vous interroger sur la nécessité d'un rôle international de l'Union qui soit à la hauteur de son poids économique et démographique. Cette identité européenne forte, à laquelle a fait référence Jacques Barrot, nous devons la porter haut et loin sur la scène mondiale.
S'agissant de la question chypriote, cette "blessure à notre flanc sud" évoquée par Jean-Claude Lefort et François Loncle, l'Union européenne contribue à la recherche d'une solution juste et viable. Elle engage régulièrement les parties concernées, en particulier la Turquie et les dirigeants chypriotes turcs, à reprendre les pourparlers sur la base des propositions du Secrétaire général des Nations unies. Le temps presse si nous voulons éviter l'adhésion d'une île divisée.
Mais notre priorité reste une politique étrangère et de sécurité commune. Il s'agit tout d'abord pour les Etats européens d'assurer la sécurité de leurs citoyens comme la défense de leurs intérêts dans le monde. Ensuite, l'affirmation de l'Union sur la scène internationale est le corollaire de son poids économique. Première puissance commerciale, sa monnaie rivalise avec le dollar, et elle fournit plus de la moitié de l'aide au développement dans le monde. Elle dispose donc des atouts pour être un acteur majeur de la gouvernance mondiale, comme c'est déjà le cas au sein de l'Organisation mondiale du commerce ainsi que le rappelait Jacques Barrot.
C'est dans cet esprit que l'Union doit assumer ses responsabilités collectives dans la prévention des conflits et le règlement des crises, y compris par la mobilisation de ses moyens militaires.
L'année écoulée a marqué une étape dans le développement de la politique européenne de sécurité et de défense. Avec ses coopérations militaires - Concordia en Macédoine, Artémis en Ituri - comme avec ses opérations de police en Bosnie et en Macédoine, l'Union est désormais pleinement opérationnelle. Elle y a gagné, Monsieur Perruchot, une crédibilité nouvelle.
Il faut accompagner cette montée en puissance d'une véritable politique européenne de l'armement. La France y est résolue et je rejoins Jacques Barrot dans son analyse. La semaine dernière à Bruxelles, nous avons lancé les travaux qui conduiront dans les prochains mois à la mise en place d'une agence européenne de l'armement.
En matière de défense, l'Europe doit disposer dans l'intérêt de tous, d'une autonomie stratégique, et je rejoins sur ce point Jean-Claude Lefort. Pour autant, comme l'a rappelé le président de la République hier à Londres, notre conception de la défense européenne doit se concilier avec notre appartenance à l'Alliance atlantique. C'est d'ailleurs la position exprimée par René André.
Dernier élément l'Union doit se doter d'une analyse commune des menaces et identifier les moyens d'y répondre. Tel est l'objet des réflexions en cours sur une stratégie européenne de sécurité confiées à Javier Solana. Ainsi, l'Union met progressivement en place toutes les pièces d'une politique de défense solide, sérieuse et efficace.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 27 novembre 2003)
Avec cet élargissement, le cinquième de son histoire, l'Europe avance avec détermination vers l'unification. Elle retrouve ainsi le visage qu'elle avait ébauché au Moyen Age, qui paraissait, au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, ruiné à jamais par la logique des blocs. En se fixant, dès la fin des années 1950, des objectifs ambitieux - la paix et la prospérité pour l'ensemble du continent -, l'Union européenne a tracé le chemin que nous empruntons aujourd'hui.
Cet élargissement représente un défi sans précédent, comme l'ont rappelé votre rapporteur et le président Balladur : le nombre des candidats, jamais égalé par le passé, leur faible niveau de développement, ont pu faire apparaître la tâche comme un chantier d'une complexité exceptionnelle. Et pourtant, nous voici parvenus au terme d'une négociation de plus de cinq ans qui nous a permis de surmonter tous les obstacles et de donner naissance à ce Traité.
Ce résultat, nous l'avons obtenu en portant haut l'exigence, d'abord, celle de la fidélité à l'histoire : nous ne pouvions laisser les pays de l'Europe orientale et centrale à l'écart de la construction européenne après tant d'années passées sous le joug des régimes communistes.
A l'heure de leur libération, comment aurions-nous pu leur refuser ce retour au sein de la maison commune ? C'est bien ce sentiment d'une même appartenance à la famille européenne qui nous a conduits, à travers des négociations souvent difficiles, au succès final en maintenant entre nous les liens de la confiance.
L'exigence, ensuite, de préservation de l'intégrité de la construction européenne : tout au long des discussions, il s'est agi de faire accepter, avec les avantages, les contraintes de l'acquis communautaire. Des périodes de transition sont ainsi prévues pour Schengen, la monnaie unique ou certains secteurs sensibles comme le marché du travail. Des mesures de sauvegarde ont été mises en place si des perturbations venaient à apparaître. Comme l'a souligné votre rapporteur, tout ceci n'a pu se faire qu'à travers un formidable effort d'adaptation des économies de ces pays aux lois du marché. Nous devons être conscients des sacrifices qu'a exigés ce processus de modernisation de chacun des nouveaux adhérents. Et le succès spectaculaire des référendums organisés dans ces pays témoigne, comme l'a rappelé M. Lequiller, que les peuples de cette nouvelle Europe ont relevé le défi.
L'exigence, enfin, de contenir dans des limites supportables le coût de cet élargissement. Le président Balladur et votre rapporteur ont rappelé que jusqu'à la fin du régime actuel des perspectives financières en 2006, la contribution de chaque citoyen européen restera d'un niveau acceptable. Au-delà, se posera inévitablement la question du financement de l'Europe à vingt-cinq : le président Balladur a souligné avec raison les risques d'une augmentation des dépenses sur notre contribution nette. Le gouvernement mesure le défi : il entend préserver les intérêts de la France en garantissant un financement viable pour les différentes politiques communes, comme nous l'avons fait pour l'agriculture, en maintenant l'évolution des dépenses européennes dans des limites raisonnables.
A la veille de l'entrée en vigueur de cet élargissement, l'Europe est à un tournant historique. L'Union européenne s'étend désormais à la plus grande partie du continent. Se pose pour elle une question fondamentale : comment apprendre à vivre ensemble et pour quels objectifs ?
La réponse s'articule autour d'un triple pari. Pari économique d'abord : l'élargissement sera-t-il pour l'Europe un nouveau moteur de prospérité et de croissance, comme l'a suggéré le président Lequiller ? Les dix adhérents connaissent des taux de croissance qui dépassent de plusieurs points ceux des Quinze. L'élargissement du marché unique à 75 millions de consommateurs dont les besoins sont immenses, ouvre des perspectives encourageantes à nos entreprises. Le défi pour l'Europe sera de tirer parti de ces marges de progrès pour retrouver sa compétitivité face à l'Amérique et à l'Asie.
Pari institutionnel ensuite : l'Europe élargie a besoin d'institutions renforcées. Le temps n'est plus où chaque Etat pouvait imposer le rythme à son gré. Une Europe plus efficace, capable de répondre aux préoccupations quotidiennes de nos citoyens, exige désormais des institutions plus démocratiques et plus transparentes - une meilleure association des parlements nationaux, une répartition claire des compétences entre l'Union et les Etats membres, une présidence stable du Conseil européen, une Commission plus resserrée, plus collégiale, un ministre européen des Affaires étrangères, une extension du vote à la majorité qualifiée.
Ce sont là les principales dispositions du projet de Constitution rédigé par la Convention européenne sous la présidence de M. Giscard d'Estaing. Nous souhaitons donc que la Conférence intergouvernementale trouve un accord sur un texte aussi proche que possible de ce projet. Si le prix à payer pour y parvenir devait être une révision à la baisse de nos ambitions, je le dis tout net, comme le président Balladur, nous ne pourrions l'accepter. Mieux vaudrait poursuivre nos travaux jusqu'à ce que se dégage un accord à la mesure de nos ambitions plutôt que de conclure sur un mauvais texte. Nous n'admettrons pas une Constitution au rabais.
Enfin, nous devons gagner le pari politique de l'Europe : l'élargissement demeure la meilleure garantie de paix et de stabilité pour notre continent. A l'heure où, face aux incertitudes du monde, les peuples réclament de la communauté internationale qu'elle soit capable d'oeuvrer pour plus de justice, de dialogue et de respect de l'autre, l'Europe se trouve en situation privilégiée pour répondre à cette attente. Berceau des idéaux de liberté et de démocratie, trait d'union entre les religions et les cultures, revenu de tant de guerres et de luttes fratricides, notre continent n'est-il pas en mesure d'offrir à ses partenaires une vision du monde propre à favoriser la paix, la stabilité et la prospérité ?
Cet élargissement, c'est aussi l'occasion, pour notre pays, de servir une grande ambition pour l'Europe, autour d'un triple objectif. D'abord, répondre à l'aspiration de nos concitoyens qui attendent de l'Europe qu'elle mette la croissance et l'emploi au coeur de leur avenir. La monnaie unique doit donner lieu aujourd'hui à une véritable coordination des politiques économique, budgétaire et fiscale et s'accompagner d'engagements concrets dans le domaine social. Une véritable gouvernance économique et sociale est nécessaire au niveau européen. L'Europe, qui depuis dix ans au moins, accuse un retard de croissance sur les Etats-Unis, doit relever le défi de la modernité. Il nous faut nous mobiliser pour rendre nos économies plus compétitives, plus modernes et plus flexibles. Education, formation professionnelle, recherche scientifique, infrastructures de transport, nouvelles technologies : autant de domaines dans lesquels nous devons multiplier les initiatives.
Ensuite, il faut développer une politique européenne de sécurité. A l'heure où nos concitoyens sont confrontés aux menaces du monde, qu'il s'agisse du crime organisé, du terrorisme ou encore de la prolifération, nous devons renforcer notre coopération en matière de police et de justice. C'est, comme l'a souligné le président Lequiller, tout l'enjeu de l'espace de liberté, de sécurité et de justice que nous voulons créer entre Européens. A cette fin, nous devrons multiplier, au sein de l'Europe élargie, les concours mutuels pour renforcer le contrôle à nos frontières et établir entre nous un climat de confiance durable.
Enfin, nous devons faire de l'Europe l'un des piliers du monde nouveau en renforçant sa dimension politique. Pour peser sur les affaires du monde, aider au règlement des crises régionales comme des grands problèmes stratégiques, l'Europe doit se doter d'une véritable politique étrangère et d'une capacité de défense autonome qui lui permettront d'exercer pleinement ses responsabilités à l'extérieur. Elle en a le devoir à l'égard de ses citoyens. Son poids économique lui en donne les moyens. A elle de définir son ambition politique car, partout dans le monde, l'Europe est attendue, au Kosovo, en Macédoine ou en Ituri. Pour être à la mesure de cette ambition, l'Union devra probablement être capable d'introduire davantage de flexibilité dans ses méthodes. Avec l'Allemagne, qui a si souvent joué un rôle d'impulsion aux côtés de notre pays, nous devrons montrer le chemin à ceux qui souhaitent aller plus vite et plus loin. Comme l'a souligné le président Balladur en faisant référence à l'idée d'un "cercle avancé", l'Europe élargie aura besoin de souplesse si elle veut pouvoir relever les défis de notre monde. Nous le voyons, aujourd'hui, dans notre dialogue avec l'Iran en matière de non-prolifération ; nous en ferons certainement l'expérience demain, en Afrique comme en Amérique latine : c'est de plus en plus à travers un groupe de quelques pays que l'Europe pourra faire entendre sa voix et marquer sa différence sur la scène internationale. A nous de définir les règles de ces nouvelles formes d'action européenne en veillant à garantir l'information de tous et le respect de chacun.
Les trois orateurs qui m'ont précédé, ont souhaité, au terme de leur intervention, que les adhésions soumises ce soir à votre approbation, marquent une pause dans le long processus d'élargissement que connaît l'Europe depuis un peu plus de trente ans. A travers cette observation, c'est bien la question des frontières de l'Europe qui est posée et au-delà, celle de la nature, de l'identité, de l'avenir même de la construction européenne. Soyons à cet égard lucides et méthodiques.
Nous devons savoir distinguer entre les différents types de candidatures : Roumanie et Bulgarie appartiennent au même groupe de candidats qui feront leur entrée le 1er mai prochain. Ils représentent, à cet égard, le dernier élément de l'élargissement en cours ; l'Union s'est fixé comme objectif d'achever leurs négociations d'adhésion en 2004 pour qu'ils rejoignent l'Union en 2007. Nous devons respecter cet engagement.
La Turquie, elle, relève d'une autre logique. Dès 1963, la Communauté européenne a pris acte de sa candidature et a réaffirmé, depuis lors, à plusieurs reprises, cette perspective. Comment ne pas prendre la mesure des enjeux que pose aujourd'hui la candidature de ce pays à dominante musulmane ? Nation aux confins de l'Europe, elle porte en elle les tensions d'une région qui nous est familière mais qui peut aussi inquiéter ; son adhésion est à l'évidence source d'espoir pour son peuple comme elle peut être motif de préoccupation pour nos concitoyens. C'est à la lumière de toutes ces considérations qu'il faudra mener un débat et, l'an prochain, sur la base des travaux de la Commission européenne, faire un choix en tenant compte des espoirs et des réalités de la Turquie. En tout état de cause, il nous faudra décider avec sérieux, sérénité et dans un esprit de responsabilité, vis-à-vis de nos peuples et de nos pays, en sachant nous montrer digne de l'aventure européenne menée jusqu'à maintenant.
Enfin, nous ne devons pas oublier les pays des Balkans occidentaux.
A ceux-ci nous avons ouvert la perspective d'une adhésion à terme. Là encore, des engagements ont été pris et nous devons les assumer, même si les échéances sont à plus long terme.
Si vous donnez votre accord ce soir à ces adhésions, le nouvel élargissement de l'Europe sera effectif le 1er mai prochain. Une nouvelle étape de cette vaste entreprise collective aura ainsi été franchie. Cette étape, nous devons l'aborder avec espoir et détermination. Dans l'unité retrouvée, les Européens sauront puiser les ressources indispensables à la relance de leur histoire commune. Et par là même, ils redonneront à notre continent toute sa place au sein de la communauté internationale. C'est pour notre Europe un horizon que nous devons assumer avec fierté. Au-delà du devoir de notre génération vis-à-vis des peuples de cette autre Europe, l'élargissement est une chance et une occasion unique pour marquer notre confiance dans l'avenir. Ne gâchons pas ce rendez-vous.
Réponse à l'intervention d'un parlementaire
Monsieur de Villiers, chacun ici est sensible, j'en suis persuadé, aux inquiétudes que vous exprimez à la veille d'un élargissement de l'Union européenne d'une ampleur sans précédent. Mais je voudrais vous persuader que désormais, l'ambition que nous avons tous ici pour notre pays passe par une grande ambition pour l'Europe. Car la construction européenne rend chacun de nos Etats plus fort. La France peut y trouver à la fois un nouvel horizon et un nouvel élan.
Débattre de l'élargissement de l'Union avant que soit adoptée une Constitution pour l'Europe, ce n'est pas "mettre la charrue avant les boeufs". D'abord, le Traité de Nice, en dépit de ses insuffisances, a déjà adapté les institutions pour une Union à vingt-cinq ; les règles existent donc pour permettre à l'Europe élargie de se lancer. Les discussions en cours au sein de la Conférence intergouvernementale permettront d'aller encore plus loin en favorisant un fonctionnement de cette Union élargie plus démocratique, plus transparente et plus efficace. Il s'agit donc bien d'un processus continu que nous ne devons pas ralentir sous peine de manquer à notre devoir vis-à-vis des nouveaux adhérents. Pouvons-nous demander à ces pays d'attendre encore ? La France peut-elle prendre la responsabilité, devant l'Histoire, d'être le pays qui s'opposerait au rassemblement de la famille européenne ?
Je reviens sur les craintes que vous avez exprimées, et que je résumerai en quatre grands thèmes. La nouvelle Europe, selon vous, porterait atteinte à notre identité, affaiblirait notre sécurité, saperait les bases de notre souveraineté et de notre influence. En outre, elle violerait nos valeurs démocratiques.
Notre identité, parce que cette Europe serait un creuset où se fondraient nos valeurs collectives. Une Europe que les élargissements à venir rendraient de plus en plus atlantique, mais aussi asiatique, puisque ces deux orientations vous paraissent cheminer de pair à travers la candidature de la Turquie.
Notre sécurité, parce que l'Union élargie serait une "passoire" pour les immigrants clandestins, les activités criminelles, et les terroristes.
Notre souveraineté et notre influence, puisque le modèle choisi viserait une intégration totale sans faire pour autant de l'Europe une puissance car, à vingt-cinq, elle pèserait moins lourd qu'à quinze. Aussi le rôle de notre pays sur la scène internationale s'en trouverait-il amoindri.
Et nos valeurs démocratiques, parce que les responsables politiques nationaux seraient dessaisis au profit des fonctionnaires de Bruxelles, et notre peuple dépouillé du droit de se prononcer sur la Constitution européenne.
Au total, nous aurions commis un triple contresens historique sur les frontières de l'Union, son architecture et sa puissance.
Ces dangers, les négociateurs du Traité d'élargissement les avaient bien à l'esprit. Aussi ont-ils mis cinq années pour aboutir.
L'identité de la France, comment serait-elle affectée par le partage d'une grande ambition avec d'autres pays européens ? Tous possèdent un héritage commun de principes et de valeurs que nous retrouvons à l'article 2 du projet de Constitution européenne. Dignité humaine, liberté, démocratie, Droits de l'Homme, Etat de droit, pluralisme, tolérance, justice, solidarité, non-discrimination : aucun doute, ce sont les nôtres. La Charte des droits fondamentaux, qui sera intégrée dans la Constitution, leur apporte des garanties nouvelles. En renforçant la place de l'Europe dans le monde, l'élargissement permettra de mieux promouvoir ces valeurs.
Au-delà des grandes valeurs communes, notre modèle de société est au coeur du projet de Constitution. Ce dernier lui apporte de nouvelles sûretés, avec l'inscription de la charte, dans les objectifs ou dans les politiques de l'Union, de nombreux droits sociaux, d'une garantie pour les services publics, d'une ambition de plein emploi... Ces éléments font du modèle européen une synthèse entre principes libéraux et valeurs de solidarité, qui nous met à l'abri des grandes remises en cause. La recherche du développement durable, la solidarité avec les pays moins avancés figurent dans le projet de Constitution. L'exception culturelle garantit notre droit à promouvoir les uvres de l'esprit. L'élargissement des frontières offre de nouvelles opportunités pour le rayonnement de notre langue. Bref, la nouvelle Europe sera un meilleur vecteur pour diffuser nos valeurs et notre modèle de société bien au-delà de nos frontières.
Parler de l'identité européenne, c'est aussi évoquer les frontières de l'Europe. A cet égard, la candidature turque vous paraît comporter des menaces pour la cohésion de l'ensemble. L'Union a décidé, il y a moins d'un an à Copenhague, de trancher définitivement cette question à la fin de 2004. La France entend prendre ses responsabilités, le moment venu, en pesant tous les termes d'un débat difficile mais essentiel. Elle le sera au vu des progrès accomplis en matière de démocratie et de Droits de l'Homme, et à la lumière des enjeux concernant l'équilibre stratégique de notre continent. Elle le fera aussi en s'interrogeant sur le type de coopération que l'Union doit établir avec ses voisins, qu'ils soient ou non des candidats potentiels à l'adhésion. Car l'Europe doit devenir à terme un pôle de croissance capable de porter le développement de ses voisins et de créer un mouvement général de prospérité. Nos frontières ne seront-elles pas mieux protégées si nous construisons avec nos voisins une relation plus dense ? Il nous faut prévenir ce choc des civilisations que chacun redoute comme le cauchemar de notre monde.
Dans l'immédiat, la sécurité de l'Europe élargie a été prise en compte dans tous ses aspects. Sécurité des acquis communautaires, que tous les nouveaux membres appliqueront dès leur adhésion : des mécanismes de suivi et des clauses de sauvegarde permettront d'y veiller. Sécurité du marché du travail : des dispositions transitoires préviendront les perturbations liées aux différences dans les niveaux de salaire. Sécurité des personnes et des biens dans toutes ses dimensions, y compris la sécurité alimentaire ou nucléaire.
Déjà, dans la perspective de l'adhésion, les pays candidats ont entrepris de se doter d'une police et d'une justice fiables. Ils ont adopté des stratégies de lutte contre la drogue, le crime organisé ou la corruption. La maîtrise de l'immigration clandestine progressera par le contrôle renforcé des frontières communes et la coordination de l'action des polices nationales, mais aussi des accords de réadmission avec certains pays d'origine et une meilleure intégration des immigrants réguliers. C'est donc un véritable espace de liberté, de sécurité et de justice qui se mettra en place à l'échelle d'un continent enfin réunifié.
Quant à la souveraineté de la France, elle serait en question si l'on avait mis à profit l'élargissement pour transformer l'Union en Etat fédéral se substituant aux Etats actuels. Mais il n'en est rien : le projet de Constitution respecte la nature spécifique et originale de la construction européenne, à la fois union d'Etats et union de peuples. Il la consacre même, à travers la nouvelle règle de vote à la double majorité des Etats et de la population.
Il n'a jamais été question que l'Europe fasse tout. En revanche, nous devons lui donner l'ambition et les moyens d'agir partout où elle peut renforcer l'action des Etats. Le projet de Constitution clarifie le partage des compétences entre l'Union et ses membres. Mieux : il donne aux parlements nationaux de nouveaux moyens pour s'assurer que ce partage est respecté.
Cette Europe, l'élargissement la rendra plus forte. L'Union à vingt-cinq signifie plus d'expansion, les dix nouveaux adhérents connaissent une croissance soutenue, supérieure de 1 à 2 % à la moyenne des Quinze. Elle offrira de nouveaux débouchés à nos entreprises, en particulier à nos agriculteurs, qui verront les aides actuelles maintenues et le modèle agricole européen renforcé. Notre pays bénéficiera directement de l'élargissement, porteur de nouvelles solidarités politiques pour assurer la promotion de la croissance et de l'emploi. Le nouvel horizon de l'Europe nous permettra aussi d'accroître notre influence économique, politique et culturelle.
Le projet de Constitution donnera également plus de moyens à l'Europe pour peser sur la scène internationale, en particulier dans le domaine de la défense. Déjà, la politique étrangère et de sécurité commune se renforce et se concrétise sur de nombreux terrains, dans les Balkans comme en Afrique. L'élargissement va développer ses assises, accroître le poids de l'Union dans le système des Nations unies et les organisations internationales, rendre plus crédible la volonté européenne de jouer un rôle mondial.
Cette volonté existe. Après les hésitations que l'on sait, la crise irakienne a éclairé beaucoup de nos partenaires sur la nécessité d'une Europe parlant d'une seule voix et capable d'interventions autonomes dans les affaires du monde, pour contribuer à la solution des crises régionales et des grands problèmes stratégiques.
Vous revendiquez enfin, Monsieur de Villiers, une Europe plus démocratique. L'Europe, j'en conviens, souffrait jusqu'alors d'un déficit propre à nourrir des inquiétudes sur la possibilité, pour les peuples, de conserver la haute main sur sa construction. Le projet de Constitution va dans le bon sens, puisqu'il permet un fonctionnement des institutions plus transparent et plus efficace. Mieux : il contribue à résorber le déficit démocratique, car il reconnaît un rôle important aux parlements nationaux dans la vie de l'Union, en particulier pour le contrôle de la subsidiarité, et il offre aux citoyens de nouvelles possibilités de participation. Les pouvoirs du Parlement européen sont considérablement accrus, avec une extension sans précédent du champ de la codécision à plus de quarante nouveaux domaines. La création d'une présidence stable du Conseil européen en renforcera l'efficacité et l'autorité. La légitimité de la Commission européenne sera confortée avec l'élection de son président par le Parlement européen.
Mais bien entendu, le peuple devra avoir le dernier mot. Notre Constitution prévoit deux procédures lui permettant d'exercer sa souveraineté : la voie parlementaire, et celle du référendum. Il reviendra au président de la République de faire son choix. Quelle soit sa décision, l'important est qu'un vrai débat sur l'Europe ait lieu et que le peuple français puisse se faire entendre sur ce sujet. Veillons cependant à ce qu'il s'agisse bien d'un débat sur l'Europe, et qu'il ne soit pas détourné vers des enjeux internes. L'avenir de la construction européenne exige que nos compatriotes fassent connaître leurs opinions, directement ou à travers leurs élus, sans arrière-pensées ni détour.
Le monde change. Nul ne peut nourrir l'illusion de se barricader contre le cours du temps et de l'Histoire. L'espoir d'un ordre international plus juste et plus sûr se profile, mais également la menace d'un univers désorganisé, déshumanisé et dangereux.
La solution ne peut résider ni dans le confort du statu quo, ni dans le mirage d'un retour au passé. Il faut rejeter la tentation du repli sur soi. Quand l'Histoire menace de nous imposer sa loi, il ne reste plus qu'à devenir soi-même acteur de l'Histoire pour en infléchir le cours.
Cette influence, l'Europe peut nous la donner. Si nous savons lui insuffler une grande ambition collective, traduire cette ambition en politiques et en actions, et nous doter des moyens nécessaires à cet effet. Avançons donc ensemble sur la recherche, l'éducation, les nouvelles technologies, les infrastructures de transport. Elaborons une initiative commune de croissance. Et dès lors que nous affirmons notre communauté de destin, rassemblons nos énergies autour d'une politique étrangère commune et donnons-nous les moyens de faire face aux menaces, dans le respect de la solidarité atlantique et la perspective d'un partenariat rénové.
(...)
Réponse à des interventions de parlementaires
Je vous remercie de vos interventions, qui témoignent de votre engagement pour l'Europe comme de votre accueil à la fois chaleureux et lucide des pays qui rejoignent l'Union.
Jacques Barrot a insisté sur le devoir historique, moral et politique que représente cet élargissement. Nicolas Perruchot a souligné le caractère décisif qu'il représente dans l'histoire de l'Europe. Jean-Marc Ayrault a parlé de "projet historique", Jacques Floch et Lionnel Luca nous ont rappelé ce que la famille européenne doit à l'Histoire. Comme l'a dit Jean-Claude Lefort, les murs cèdent la place aux ponts : belle image pour illustrer le rôle de passeurs que nous remplissons ensemble aujourd'hui ! Je souhaite que nous soyons tous portés par le même enthousiasme que René André, mais aussi par le même réalisme. Hier "laboratoire du crépuscule", selon la formule de Milan Kundera, l'Europe centrale et orientale est aujourd'hui une terre rendue à l'espoir.
Je veux en premier lieu vous assurer de la détermination du gouvernement à garantir un fonctionnement optimal de l'Europe élargie : c'est tout le sens des travaux en cours au sein de la Conférence intergouvernementale.
Nicolas Perruchot a porté un jugement sévère sur le Traité de Nice. La vérité est que celui-ci s'est limité aux modifications strictement nécessaires pour que l'Union élargie puisse fonctionner. Plusieurs orateurs ont regretté qu'on ratifie l'élargissement avant d'avoir adopté la future Constitution de l'Union, mais le seul préalable institutionnel à l'élargissement, c'est le Traité de Nice : les discussions au sein de la Conférence intergouvernementale, qui visent à améliorer le fonctionnement de cette Union élargie, ne sauraient constituer un nouveau préalable.
Nous voulons dépasser le Traité de Nice en fixant une nouvelle ambition pour la construction européenne. C'est ce qu'a réussi la Convention, sous la direction du président Valéry Giscard d'Estaing et avec la participation de vos représentants Pierre Lequiller et Jacques Floch.
Le projet de Constitution vise à approfondir l'intégration européenne, condition indispensable pour réussir l'élargissement, sans pour autant créer un Etat fédéral. Il respecte la nature spécifique de la construction européenne, à la fois union des Etats et union des peuples. Aussi, comme l'a dit Christian Philip, il faut transformer l'essai de la Convention. Avec Jean-Marc Ayrault, le gouvernement aurait souhaité encore plus d'avancées ; l'équilibre fragile atteint par la Convention doit être défendu avec d'autant plus de vigueur.
M. Myard propose un "pacte des nations européennes" qui consacre la vision d'une organisation intergouvernementale classique et correspond en réalité au choix d'une intégration réduite ; ce n'est pas là l'ambition que nous avons fixée à l'Europe élargie.
Il reste que cette union à vingt-cinq ne pourra pas faire l'économie d'une réflexion sur la flexibilité dont Jacques Barrot, René André ou Christian Philip ont bien souligné le caractère indispensable. Il faut aborder cette question sans tabou. A mesure que l'Union s'agrandit, nous devons concilier intégration et différenciation, donc réfléchir à des formes de coopérations renforcées, suffisamment souples pour être viables, mais suffisamment encadrées pour ne pas menacer l'intégration. Cela ne veut pas dire créer des distinctions artificielles entre les membres de l'Union, ni décerner des prix de "bons" ou de "mauvais" Européens, ni même créer un directoire au coeur de l'Union. Il s'agit au contraire de respecter pleinement les préoccupations de ceux qui ne sont pas prêts à aller de l'avant, sans pour autant empêcher les autres d'avancer.
J'en viens aux frontières de l'Europe et à ses relations avec ses voisins. En ce domaine, l'Union a deux obligations : répondre aux aspirations de ses voisins les plus proches et définir les formes d'un partenariat renforcé ; mais aussi rassurer nos concitoyens, qui peuvent légitimement s'inquiéter de l'extension progressive de l'Union.
Nous devons construire avec nos voisins les plus proches de l'est de l'Europe et du sud de la Méditerranée une coopération plus approfondie, un "partenariat privilégié" pour reprendre l'expression de Christian Philip et François Loncle. Pourquoi ne pas envisager, comme l'a suggéré Michel Hunault, une association de ces pays dans un deuxième cercle ? Cela pourrait se traduire par leur participation à certaines politiques communes comme la recherche, l'environnement ou les transports. Tel est le sens, d'ailleurs, des réflexions en cours à Bruxelles sur l'initiative de "nouveau voisinage".
C'est dans cet esprit que le Sommet de Saint-Pétersbourg entre l'Union européenne et la Russie, en mai dernier, a décidé la création, sur la base d'une proposition française, de quatre espaces communs de coopération : économie, sécurité intérieure, recherche et éducation, politique étrangère et défense.
Il en va de même, comme le souhaitait Jean-Louis Bianco, des pays méditerranéens avec lesquels il importe aujourd'hui de donner un nouvel élan au processus lancé en 1995 à Barcelone. Ce sera l'objet de la réunion des ministres du Partenariat euro-méditerranéen, la semaine prochaine, à Naples. Au-delà, l'Union devra développer les coopérations spécifiques qu'elle entretient depuis de nombreuses années avec l'Afrique, mais aussi avec l'Asie et l'Amérique latine.
Enfin, vous avez été plusieurs à vous interroger sur la nécessité d'un rôle international de l'Union qui soit à la hauteur de son poids économique et démographique. Cette identité européenne forte, à laquelle a fait référence Jacques Barrot, nous devons la porter haut et loin sur la scène mondiale.
S'agissant de la question chypriote, cette "blessure à notre flanc sud" évoquée par Jean-Claude Lefort et François Loncle, l'Union européenne contribue à la recherche d'une solution juste et viable. Elle engage régulièrement les parties concernées, en particulier la Turquie et les dirigeants chypriotes turcs, à reprendre les pourparlers sur la base des propositions du Secrétaire général des Nations unies. Le temps presse si nous voulons éviter l'adhésion d'une île divisée.
Mais notre priorité reste une politique étrangère et de sécurité commune. Il s'agit tout d'abord pour les Etats européens d'assurer la sécurité de leurs citoyens comme la défense de leurs intérêts dans le monde. Ensuite, l'affirmation de l'Union sur la scène internationale est le corollaire de son poids économique. Première puissance commerciale, sa monnaie rivalise avec le dollar, et elle fournit plus de la moitié de l'aide au développement dans le monde. Elle dispose donc des atouts pour être un acteur majeur de la gouvernance mondiale, comme c'est déjà le cas au sein de l'Organisation mondiale du commerce ainsi que le rappelait Jacques Barrot.
C'est dans cet esprit que l'Union doit assumer ses responsabilités collectives dans la prévention des conflits et le règlement des crises, y compris par la mobilisation de ses moyens militaires.
L'année écoulée a marqué une étape dans le développement de la politique européenne de sécurité et de défense. Avec ses coopérations militaires - Concordia en Macédoine, Artémis en Ituri - comme avec ses opérations de police en Bosnie et en Macédoine, l'Union est désormais pleinement opérationnelle. Elle y a gagné, Monsieur Perruchot, une crédibilité nouvelle.
Il faut accompagner cette montée en puissance d'une véritable politique européenne de l'armement. La France y est résolue et je rejoins Jacques Barrot dans son analyse. La semaine dernière à Bruxelles, nous avons lancé les travaux qui conduiront dans les prochains mois à la mise en place d'une agence européenne de l'armement.
En matière de défense, l'Europe doit disposer dans l'intérêt de tous, d'une autonomie stratégique, et je rejoins sur ce point Jean-Claude Lefort. Pour autant, comme l'a rappelé le président de la République hier à Londres, notre conception de la défense européenne doit se concilier avec notre appartenance à l'Alliance atlantique. C'est d'ailleurs la position exprimée par René André.
Dernier élément l'Union doit se doter d'une analyse commune des menaces et identifier les moyens d'y répondre. Tel est l'objet des réflexions en cours sur une stratégie européenne de sécurité confiées à Javier Solana. Ainsi, l'Union met progressivement en place toutes les pièces d'une politique de défense solide, sérieuse et efficace.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 27 novembre 2003)