Interview de Mme Brigitte Girardin, ministre de l'outre-mer, à RFI le 13 octobre 2004, sur le renversement, du gouvernement de Polynésie présidé par Oscar Temaru (mouvement indépendantiste), sur la vie politique locale et la majorité "étroite" issue des élections territoriales du 23 mai 2004, et sur la baisse de l'activité économique en Polynésie.

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Circonstance : Renversement du gouvernement de Polynésie, présidé par Oscar Temaru (indépendantiste) le 9 octobre 2004, après le vote d'une motion de censure

Média : Radio France Internationale

Texte intégral

Q- Le gouvernement du leader indépendantiste polynésien O. Temaru a été renversé samedi soir par une motion de censure. N'est-il pas prématuré de dénoncer l'incapacité de l'actuel gouvernement à diriger le pays, alors qu'il n'est au pouvoir que depuis quatre mois ?
R- Il ne m'appartient pas de juger de la façon dont la Polynésie a été gérée pendant ces quatre mois. Je rappelle que le statut de la Polynésie est un statut de très large autonomie. Ce sont les Polynésiens et eux seuls qui, non seulement choisissent leurs autorités, mais portent le jugement qui leur appartient, et à eux seuls, sur la façon dont leur territoire est géré. Et ce qui s'est passé en Polynésie est conforme aux dispositions statutaires, et c'est un processus démocratique qui se déroule en Polynésie. Et le rôle de l'Etat est essentiellement de veiller à ce que ses institutions fonctionnent normalement et démocratiquement, conformément au statut qui prévaut dans ce territoire.
Q- Mais vous, en tant que ministre de tutelle, vous avez quand même une idée sur la façon dont est géré un territoire. Est-ce que vous avez l'impression qu'il y a eu des changements de modes de fonctionnement depuis qu'O. Temaru est au pouvoir ?
R- En ce qui concerne l'Etat, lorsque j'ai reçu O. Temaru au mois de juillet, d'abord je faisais sa connaissance puisqu'il n'avait pas souhaité avoir de contacts avec moi auparavant, malgré mes nombreuses invitations. Je l'ai immédiatement rassuré sur le fait que s'agissant de la politique de l'Etat en Polynésie, nous ne changerons rien à l'aide et à la solidarité que nous manifestons à l'égard des Polynésiens. Je rappelle que la population de Polynésie a apporté à la France quelque chose d'exceptionnel, a permis à notre pays d'avoir les possibilités d'affirmer sa souveraineté...
Q- Vous parlez des essais nucléaires...
R-...de défendre son territoire, et cette dette nucléaire, effectivement, ne doit jamais s'éteindre. Et c'est l'honneur de ce gouvernement, du gouvernement Raffarin, et à la demande du président de la République, d'avoir pérennisé tous les transferts financiers à l'égard de la Polynésie, du même montant qu'à l'époque des essais nucléaires. Car nous considérons que les Polynésiens ont apporté à la France et à la République quelque chose qui n'a pas de prix, notre sécurité, et que nous devons, nous sommes redevables à leur égard, de façon pérenne.
Q- Quel que soit le gouvernement en Polynésie.
R- Absolument, absolument.
Q- Vous disiez qu'il n'y avait pas eu de changement de votre part à l'impression que le gouvernement polynésien changeait vis-à-vis de vous ?
R- Non. Moi, j'ai eu des relations tout à fait normales et courtoises avec O. Temaru. Peu importe les élus qui sont au pouvoir en Polynésie.
Q- Mais vous pouvez quand même avoir un jugement sur leur activité, puisque leur activité, actuellement, est mise en cause par l'opposition...
R- Oui, mais encore une fois, nous sommes dans un territoire très autonome. Tout ce qui concerne le développement économique et social de la Polynésie, ce n'est pas de la responsabilité de l'Etat, c'est de la responsabilité de la collectivité de Polynésie française, donc nous n'avons pas à interférer, et je n'ai pas à juger, ce sont les Polynésiens qui jugent, en votant, en élisant donc leurs représentants, et les élus décident de l'avenir de leur territoire. Mais, la solidarité de l'Etat, sur le plan économique et financier, ne change pas en fonction de la nature des gens, de la couleur politique des gens qui sont au pouvoir en Polynésie. Notre devoir, il est vis-à-vis des Polynésiens, quelles que soient les autorités qui dirigent.
Q- Donc, vous voulez dire que le changement de gouvernement n'a rien changé dans les relations avec Paris ?
R- Absolument pas au niveau des flux financiers qui ont été maintenus et j'ai immédiatement rassuré O. Temaru qui m'a posé la question dès notre première entrevue.
Q- Alors, est-ce qu'il y a des raisons pour accuser O. Temaru d'incapacité et d'incompétence ?
R- J'observe, en essayant de rester vraiment complètement objective, que, au niveau de l'économie polynésienne, il y a eu à l'évidence un ralentissement de l'activité. On m'a indiqué comme information qu'il y avait par exemple une baisse de la consommation d'électricité en Polynésie française ; c'est un signe de ralentissement de l'activité économique.
Q- Mais est-ce que c'est la faute d'O. Temaru ?
R- Non, mais les investisseurs, ils ont besoin d'avoir de la visibilité, ils ont besoin d'un climat de confiance. Donc est-ce qu'il y a eu un sentiment d'attentisme ? Peut-être. Moi, je ne me suis pas rendue en Polynésie depuis que O. Temaru était à la tête de ce territoire. J'observe simplement qu'il y avait des indicateurs économiques qui n'étaient pas très positifs, mais encore une fois, cela pouvait être quelque chose de transitoire, de passager. Moi, je ne porte pas de jugement sur la façon dont les choses se passaient. Encore une fois, c'est aux Polynésiens, c'est leur affaire, c'est à eux de décider de ce qu'ils souhaitent pour leur avenir.
Q- Justement, il n'y a pas eu de changement de majorité en Polynésie comme l'a dit un député socialiste hier à l'Assemblée nationale. O. Temaru a été renversé par la défection d'un des membres de son camp. Est-ce que ce n'est pas un peu discréditer la démocratie polynésienne ?
R- Non, alors là, il faut...
Q- "Ça fait magouille", comme dirait l'opposition...
R- Non. Il faut être très clair, parce que je vois beaucoup de choses mensongères qui sont dites à ce sujet. Le résultat des élections du 23 mai dernier, c'est quoi ? C'est que aucun parti en Polynésie n'a obtenu la majorité en sièges ; tout s'est fait à une voix.
Q- Mais, d'après monsieur Dosière, il y a eu 10 000 voix de plus pour
monsieur O. Temaru.
R- Non, c'est faux. Je suis désolée, c'est faux, je ne sais pas d'où monsieur Dosière tire de telles informations, il y a quand même des faits objectifs. Le parti de monsieur Flosse a fait plus de 54 000 voix et l'union constituée autour de monsieur Temaru a fait moins de 44 000 voix. Ça, ce sont les chiffres.
Q- Donc, vous considérez que l'élection de monsieur Temaru, finalement, est illégitime.
R- Non, mais pas du tout. Monsieur Temaru, pas plus que monsieur Flosse, n'avait la majorité en sièges à l'Assemblée de Polynésie. Quand on n'a pas une majorité pour son parti, qu'est-ce qui se passe ? Des alliances doivent se conclure pour avoir la majorité en sièges ; c'est ce qui s'est passé. Monsieur Temaru, si je reprends l'expression de monsieur Dosière, est aller "débaucher" pour conclure une alliance de circonstance avec des autonomistes et aussi avec, d'ailleurs, quelqu'un qui adhérait au parti de G. Flosse.
Q- Mais justement...
R- Et qui depuis, d'ailleurs, est revenu vers G. Flosse. Et qu'est-ce qui se passe aujourd'hui ? Nous avons un renversement d'alliances, et ça, c'est une situation, je dirais, classique. Vous avez de nombreuses collectivités locales en France où vous avez des majorités très étroites ou des majorités relatives, et vous avez des systèmes d'alliances pour avoir le pouvoir et la majorité, donc il n'y a rien d'exceptionnel à la situation en Polynésie en ce moment.
Q- O. Temaru demande la dissolution de l'Assemblée territoriale, ce que vous lui avez refusé ; vous l'aviez accordée à G. Flosse en mars...
R- Non, alors là, encore une fois, soyons clairs. Pourquoi considérons-nous que la dissolution n'est pas une chose possible aujourd'hui ? Premièrement, il n'y a pas de blocage des institutions de la Polynésie qui fonctionnent normalement.
Q- Mais il y a, d'après l'opposition, une magouille...
R- Je vous réponds pourquoi on juge la dissolution inadaptée aujourd'hui. Il n'y a pas de blocage des institutions, ce qui est prévu par le statut - quand il y a blocage, on dissout. Chaque fois que l'on a dissout l'Assemblée de Polynésie, c'était lié à l'entrée en vigueur d'un nouveau statut. Nous l'avons fait en 2004 comme F. Mitterrand l'avait fait en 1984 sur la proposition de L. Fabius. D'autre part, le Conseil d'Etat, je vous le rappelle, est en train d'examiner un recours en annulation des élections du 23 mai. Ce serait peu convenable vis-à-vis du Conseil d'Etat, qu'on ne le laisse pas juger de ces élections et qu'on dissolve l'Assemblée, provoquant de nouvelles élections. Enfin, je vous rappelle que dans les collectivités de la République, c'est très souvent le cas que nous avons une majorité très étroite et ce n'est pas pour autant que l'on dissout leur assemblée. Donc il n'y a aucune raison aujourd'hui de dissoudre l'Assemblée de Polynésie. Si on se trouve dans une autre configuration, à ce moment-là, la situation sera différente.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 3 novembre 2004)