Déclaration de M. Patrick Devedjian, délégué général et porte-parole du RPR, sur la politique du gouvernement en Corse depuis l'assassinat du préfet Erignac et sur le contenu du texte de l'accord de Matignon sur la Corse, Nice le 1er septembre 2000.

Prononcé le 1er septembre 2000

Intervenant(s) : 

Circonstance : Université d'été du RPR à Nice (Alpes-maritimes) du 1er au 3 septembre 2000

Texte intégral

Personne n'aurait compris que ces Universités d'Eté aient lieu sans que nous ne parlions du problème corse qui préoccupe très profondément les Français.
Depuis longtemps, cette région de France est traversée de turbulences et reconnaissons que nous n'avons, nous-mêmes, pas connu de succès dans la politique conduite.
Quelles que soient les critiques dont le passé fait l'objet, rappelons que le record de l'échec appartient pourtant à M. Jospin : un préfet assassiné et un préfet emprisonné. Deux faces d'une même monnaie qui symbolise un Etat que n'avait jamais été autant abaissé.
C'est dans cet abîme de l'abaissement que le Gouvernement a engagé une négociation avec les extrémistes. Et naturellement, quand on négocie dans la faiblesse, l'adversaire en profite pour appuyer son avantage.
Je ne reproche pas au Gouvernement de discuter et de rechercher la paix : c'est la vocation de tous les gouvernements. Je lui reproche de le faire dans les pires conditions, en employant une fausse habileté qui ne peut pas permettre d'atteindre le but désiré de tous et qui est la paix.
Rappelons ce qu'a été la politique de ce gouvernement en Corse depuis 1997. Après l'assassinat du préfet Erignac, on décide l'envoi d'un préfet cow-boy, M. Bonnet, et on met en place, dans des conditions que le gouvernement refuse encore d'expliquer, une véritable police parallèle avec le GPS. Là où il fallait de bons techniciens, on a choisi des gens politiquement de confiance. Depuis François Mitterrand, la gendarmerie, en raison de son sens de la discipline, est souvent conçue comme une garde prétorienne. Cette équipe, partagée entre le vaudeville et la bande dessinée, croit que la restauration de l'Etat commence par les paillotes. La France entière en rit encore. Mais dès lors l'autorité de l'Etat est définitivement compromise par la faute du gouvernement. Les accords de Matignon sont directement issus de l'affaire Bonnet et de la faiblesse qui en résulte.
L'année dernière en septembre, M. Jospin affirme encore lors d'une visite en Corse : " Le préalable de l'arrêt de la violence est à mes yeux essentiel. "
" Il ne saurait y avoir de dialogue et d'évolution statutaire sans renonciation préalable à la violence. "
" Je ne crois pas que la question du statut soit une question première pour la majorité des Corses. "
" Le gouvernement ne changera pas de cap. "
" Il n'est pas envisageable d'imposer à tous l'usage de la langue corse. Ce serait contraire aux libertés individuelles. "
Après l'échec, c'est le temps de l'incantation stérile. Mais M. Jospin est déjà décidé à la reddition.
Le problème est alors de savoir comment la présenter. Pour cela on fait semblant de s'adresser aux élus de l'Assemblée de Corse et de leur proposer un plan de règlement.
Le 10 mars 2000, on soumet un projet à l'Assemblée de Corse. Mais, patatras ! les nationalistes sont isolés et la motion majoritaire est adoptée sans eux et même contre eux.
M. Jospin affecte alors de considérer qu'il y a deux motions. M. Zuccarelli qui a joué contre les nationalistes est puni par une éviction du gouvernement et le processus est recommencé. Nouvelle réunion à Matignon, nouvelle saisine de l'Assemblée de Corse qui, cette fois, acceptera l'habillage réclamé et négocié en coulisse.
Il faut toute la duplicité de M. Jospin pour nous parler de transparence dans ce processus.
La négociation et la procédure sont menées à l'insu et même contre le ministre de l'Intérieur en charge institutionnelle du dossier : ce sera la vraie cause de sa démission.
Ce texte dont il nous est dit qu'il a été " délibéré " par le Gouvernement n'a pas été soumis au ministre qui en a la charge. Et MM. Glavany et Mélanchon nous en ont suffisamment dit pour que nous soyons certains qu'ils n'ont pu délibérer à son propos.
Curieuse procédure tout de même que celle qui consiste à faire approuver le texte par l'Assemblée régionale et les deux conseils généraux qui n'ont aucune compétence légale pour cela, tandis que le Parlement ne l'examinera pas. C'est en effet un autre texte qui sera soumis à l'Assemblée nationale, celui de Matignon n'ayant aucune cohérence juridique et ne comportant aucun caractère décisoire.
Le texte de Matignon se présente en effet comme un catalogue d'intentions qui n'oblige personne et veut satisfaire tout le monde. Il organise tellement l'ambiguïté que les deux partis tirent du même document des discours opposés. Chacun veut tromper l'autre en se fondant sur un texte dont les obscurités ont pour but de provoquer un quiproquo cynique. L'explication de texte publiée dans Le Nouvel Observateur ajoute encore à l'exercice...
On comprend dès lors pourquoi le Gouvernement n'est pas pressé de soumettre un texte au Parlement. Car la loi, le Président de la République et le Conseil constitutionnel obligeront à appeler un chat un chat.
Soit la satisfaction des exigences nationalistes apparaîtra dans toute sa crudité avec son incompatibilité républicaine, soit les nationalistes verront qu'ils ont été bernés avec les risques dramatiques que cela comporte.
Retz et Mitterrand ont répété qu'on ne sort de l'ambiguité qu'à son détriment...
Analysons quelques instants le texte de l'accord de Matignon :
La simplification de l'administration territoriale Elle est renvoyée à 2004, avec les aléas des élections à venir. Sans un mot pour la Commission Mauroy saisie pourtant d'un projet de décentralisation qui devrait être examiné avant 2004.
On ne sait quel est l'électoralisme qui a dominé : celui d'un candidat à l'élection présidentielle qui semble conditionner la réforme à son élection, ou celui d'élus qui sont si peu sûrs de leur représentativité qu'ils veulent aller jusqu'à l'extrême limite d'un mandat que le suffrage universel leur a conféré dans de tout autres conditions.
La mesure prévue ne s'explique nullement par la spécificité de la Corse mais, comme il est dit, par un désir de " clarification des responsabilités " et " d'efficacité de gestion ".
Dès lors, pourquoi ne faut-il être clair et efficace qu'en Corse ? Je songe à l'Alsace qui, elle aussi, constitue une région avec deux départements. Je songe à la Martinique ou à la Guadeloupe qui cultivent la symétrie administrative jusqu'à la caricature : une région et un département pour un même territoire. Ou encore à Paris, à la fois commune et département.
La décentralisation Il est plaisant d'entendre l'ancien ministre de l'Education nationale, celui aussi qui a renvoyé M. Allègre, expliquer qu'il faut décentraliser l'Education nationale ! Oui, ô combien à la décentralisation, mais encore une fois, pourquoi faut-il la limiter à la Corse ? Qui peut croire que la spécificité soit justifiée par autre chose que la concession à la violence ?
La promesse de décentralisation prête à sourire et à scepticisme. On ne va pas chez un boucher chevalin si l'on est végétarien. Mais, après tout, elle est bonne à prendre face à un pouvoir qui en est à réglementer la pause casse-croûte dans toutes les entreprises de France...
Il en est autrement du pouvoir législatif qui est d'ailleurs traité séparément de la décentralisation dans les propositions de Matignon.
Les adaptations législatives :
Le texte de Matignon rappelle lui-même que l'article 26 du statut actuel permet à l'Assemblée de Corse de demander à " modifier " ou à " adapter " des dispositions législatives. Elle ne l'a jamais fait ! Elle n'a même pas essayé !
Pourquoi augmenter des droits qui ne sont même pas exercés ?
Il est dorénavant proposé de doter l'Assemblée de Corse d'un véritable pouvoir lui permettant d'adapter certaines lois en vigueur ou en discussion.
Faisons un peu de droit :
1°) Le fait même d'évoquer des textes " en discussion " contredit l'affirmation suivant laquelle il s'agirait " d'adaptation ". Le texte ne saurait être " adapté " avant même d'être définitif !
2°) Le fait " d'adapter " la loi est-il d'ordre réglementaire ou d'ordre législatif ? Si l'on en croit le gouvernement ce serait d'ordre réglementaire et le contrôle des délibérations de l'Assemblée de Corse serait du domaine des juridictions administratives. En outre ces délibérations " ne seraient pas soumises à une validation ultérieure obligatoire de la part du législateur ".
Ces délibérations pourraient donc, si le français a un sens, être soumises facultativement au Parlement. Ainsi des actes administratifs pourraient modifier des lois mais être eux-mêmes à nouveau modifiés par la loi, laquelle pourra à nouveau être modifiée par de nouveaux actes administratifs, etc.
C'est une nouvelle version du tonneau des Danaïdes. C'en est fini de la hiérarchie des normes sur laquelle est construit tout l'édifice juridictionnel français.
C'en est fini de la distinction entre la loi et le règlement, des articles 34 et 37 de la Constitution. La loi n'est donc plus le monopole du Parlement.
C'en est fini du fondement du pouvoir réglementaire qui est précisément celui d'adapter la loi et qui n'appartient qu'au gouvernement. Nous voici revenus aux parlements provinciaux de l'Ancien régime.
Ce n'est pas une révision de la Constitution qui est nécessaire pour faire aboutir un tel projet :
c'est l'adoption d'une autre constitution. Ce serait alors la VI° République. Mais une VI° république limitée à la Corse, tandis que vous imaginez que les autres régions regarderaient tout cela passivement.
3°) Cette nouvelle constitution devrait en outre rompre avec les principes de la Révolution qui ont constamment été respectés depuis : la loi est l'expression de la nation toute entière et la souveraineté nationale est indivisible. On est gêné de devoir rappeler cette évidence à des républicains qui croient pouvoir bricoler avec nos institutions.
4°) C'est en vain que l'on voudrait comparer la France à l'Italie, à l'Espagne où à la Grande Bretagne pour ce qui est de la dévolution du pouvoir législatif à des instances régionales.
Il serait facile de répondre que les mafias et le terrorisme que connaissent ces pays ne convainquent pas de l'excellence de leur système. Il serait facile de répondre que notre histoire est différente et que le compromis politique s'est établi, chez nous, sur des bases qui ont permis une intégration plus forte de disparités plus extrêmes.
La réponse est à la fois plus simple et plus complexe. Chez nous le pouvoir législatif est déjà restreint : il est défini limitativement par l'article 34 de la Constitution. Chez eux le pouvoir du Parlement est illimité : tout ce dont le parlement veut traiter est, par nature, de son domaine. Voulez-vous limiter encore davantage les droits de notre Parlement ? Telle serait bien la conséquence de ce projet.
On sait trop bien ce que les nationalistes feraient de ce pouvoir que M. Jospin veut leur consentir. Ils l'ont déjà dit.
La " corsisation " de l'emploi public permettrait de réserver les emplois de fonctionnaires public sur des bases ethniques et culturelles, aggravant ainsi un phénomène de clientélisme que la gauche prétend combattre. Faut-il rappeler que c'est dans la nuit du 4 août 1789 qu'a été décrétée la fin des privilèges personnels et l'admission de tous à tous les emplois ? Ce n'est pas dans les accords de Matignon, mais avec eux ce sera possible et M. Jospin le sait puisque ses interlocuteurs nationalistes l'annoncent.
Un régime fiscal national dérogatoire à l'ensemble du pays pour la fiscalité indirecte. C'en est fini de la distinction entre impôts locaux et impôts nationaux. La confusion des régimes s'enchevêtre encore plus. En attendant des dérogations différentes pour d'autres régions.
La poursuite d'un privilège fiscal longtemps ignoré des Français et totalement inconstitutionnel devrait être pérennisé : l'exonération de tout ou partie des droits de succession pendant 15 ans.
La fiscalité d'expédients qui caractérise la décadence de l'Ancien régime frappe de plus en plus la République. Le programme des nationalistes c'est : plus de subventions et moins d'impôts en attendant l'indépendance. C'est en quelque sorte le divorce avec pension alimentaire.
L'enseignement obligatoire de la langue corse.
L'enseignement de la langue corse deviendra la règle et le refus l'exception.
Non seulement cela posera des problèmes pratiques en ce qui concerne les choix à faire parmi les neuf dialectes parlés dans l'Ile ; non seulement il faudra organiser de manière utile le temps des enfants dont les parents refuseront l'enseignement, non seulement il va falloir trouver et former les enseignants en nombre suffisants.
Mais qui ne voit l'usage détestable qui pourra être fait de cette institution à l'égard de tous ceux qui refuseront dans une région où l'on aura renforcé le clientélisme. Je pense aux continentaux installés en Corse, aux fonctionnaires en but à la " corsisation " de l'emploi. Je pense aux maghrébins souvent mal accueillis. Je pense à notre politique d'intégration des étrangers dont certains constituent sur le territoire français des minorités linguistiques beaucoup plus importantes que le corse et toutes aussi dignes d'être cultivées par ceux qui en sont issus.
L'indivisibilité de la République.
Elle a été proclamée le 25 septembre 1792 par la Convention et est reprise par la Constitution (article 2). Elle est la limite de la décentralisation et trouve toute sa signification pour la Corse dans le fait que la majorité des Corses vivent sur le continent et non dans l'île. La monarchie connaissait des collectivités territoriales hétérogènes sources d'inégalité de droits et cause profonde de la Révolution.
Je ne m'appesantirai pas sur la question de l'amnistie dont M. Jospin nous dit qu'il n'en sera jamais question et dont M. Talamoni dit : " Lorsque des étapes décisives auront été franchies, nous pourrons alors parler de ce sujet que le premier ministres, à son retour du Japon, il y a quelques mois, avait comparé à la négociation des jours de grève après un conflit social. "
Alors de M. Jospin ou de M. Talamoni, qui est le menteur ?
Les accords de Matignon promettaient une paix durable. Depuis, nous avons connu notamment un double assassinat, la tentative de meurtre du sous-préfet de Sartène, et la destruction totale d'un immeuble administratif, sans compter quelques autres actions de moindre envergure...
Les accords de Matignon ne peuvent pas ramener la paix pour trois raisons fondamentales :
La première tient au fait que les nationalistes n'ont renoncé à rien tandis que l'Etat a
échoué dans ses tentatives de maintenir l'ordre : il arrête bien peu de gens et n'en fait condamner que moins encore.
" Le pré-accord de Matignon n'est que la première étape, un pas de plus vers la souveraineté " (Jean-Guy Talamoni)
" L'Etat colonial ne comprend que les rapports de force. " (Jean-Guy Talamoni) " Notre solidarité avec ceux du maquis est évidente " (Paul Quastana)
Il n'y a que ceux qui ne veulent pas entendre qui n'entendent pas.
La deuxième raison tient à la mécanique : il est impossible de rassembler toutes les composantes de la galaxie nationaliste corse parce qu'elles sont rivales entre elles et qu'elles ont des intérêts divergents. Dès lors, il y en aura toujours quelques-unes pour continuer à commettre des attentats.
La troisième raison est que la paix, pour désirable qu'elle soit, ne peut être achetée à n'importe quel prix. En particulier, il n'y a pas de paix possible sur le sacrifice républicain : la " corsisation " des emplois et les privilèges fiscaux, c'est la préférence régionale, ce n'est que la déclinaison de la préférence nationale. La leçon de Munich n'est pas réservée au nazisme. Ou alors c'est qu'on n'a rien compris.
Ayant dit tout ce que la politique actuelle avait de détestable, j'ai le devoir de dire ce que je préconise pour une Opposition revenue au pouvoir.
1) Je n'ai aucune objection contre les mesures de décentralisation, de simplification et de clarification administratives. Je souhaite même leur généralisation au pays tout entier.
2) Les soutiens à l'économie ont naturellement leur utilité, encore que la création de richesse par habitant en région Corse soit supérieure à celle du Languedoc-Roussillon.
3) Il faut faire apparaître clairement la volonté politique de tous ceux qui habitent en Corse : on peut y arriver par une dissolution de la Assemblée de Corse - dont beaucoup d'élus actuels préconisent une politique contraire à celle qu'ils ont proposé au corps électoral. On peut y arriver aussi par tout autre consultation de la population.
4) La France a des devoirs à l'égard de la Corse. Cette région est de celles qui ont payé le plus lourd tribut dans toutes les guerres. Quels que soient leurs engagements, les Corses sont toujours courageux. Et par conséquent la culture locale mérite le respect et elle mérite d'être protégée.
Elle est l'héritière des grands civilisations méditerranéennes.
5) Il est scandaleux que la Corse soit la seule grande île de la Méditerranée dépourvue d'autoroute. La liaison Ajaccio-Bastia est une priorité. Les autoroutes ont été en Sicile le meilleur instrument de lutte contre la mafia. L'enclavement de la Corse favorise le clanisme. La facilité des circulations est facteur d'homogénéité et d'unité nationale.
6) La présence policière en Corse est insuffisante, les moyens techniques de la police sont faibles, les ressources de la loi ne sont pas utilisées dans toutes leurs facultés, la recherche du renseignement ne dispose pas des moyens financiers indispensables. La presse peut écrire que M. Colonna, recherché par toutes les polices de France, serre la main des gendarmes à la terrasse d'un café et Mme Guigou confirme que c'est très probable car, dit-elle, il est " protégé "...
En 1998, deux ministres actuels du gouvernement (Glavany et Paul) signaient un rapport sur la Corse en concluant " que soit définitivement abandonnée l'idée que la paix civile s'achète ou se vend, à coup de nouvelles dérogations fiscales, de dettes effacées ou d'amnisties excessives. "
Leur gouvernement fait le contraire.
La Corse demande du courage, de la générosité, de la persévérance et une conviction républicaine.
(Source http://www.rpr.fr, le 01 septembre 2000).