Déclaration de M. Gilles de Robien, ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer sur la politique du gouvernement en matière de logement : politique en faveur des quartiers dégradés, mixité sociale, relance de la construction, lutte contre l'habitat indigne, accession sociale à la propriété, à Paris le 2 février 2004.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Colloque de la Fondation Abbé Pierre à Paris le 2 février 2004

Texte intégral


Monsieur le président,
Monsieur l'Abbé,
Mesdames et messieurs les ministres,
Monsieur le délégué général,
Mesdames et messieurs les présidents,
Mesdames et messieurs,
Le Premier Ministre, M. Jean-Pierre RAFFARIN, m'a demandé de le représenter.
C'est pour moi un grand honneur que de prendre la parole au nom du gouvernement alors que notre pays commémore les 50 ans de votre appel à l'insurrection de la bonté, appel qui n'a cessé de stimuler l'action publique dans le domaine du logement depuis 50 ans.
Monsieur l'Abbé, votre parole a su rejoindre et toucher pendant un demi-siècle l'élan de générosité qui est au coeur de millions de Français. J'ai écouté avec une grande attention votre appel d'hier en faveur d'une implication de toutes et de tous pour ceux qui souffrent. C'est vrai qu'il y a des causes qui dépassent très largement la capacité de l'action publique à faire ou à ne pas faire et celleci en est une, bien sûr.
Pour autant je suis venu vous dire, Monsieur l'Abbé, que ce gouvernement comme tous ceux qui se sont succédés depuis votre premier appel n'esquivera pas ses responsabilités.
Depuis le premier jour, il est mobilisé pour lutter contre la grande crise du logement que nous vivons et mobilisé pour inverser la tendance. Très vite le gouvernement, partageant votre diagnostic, a ouvert de nombreux chantiers pour endiguer la crise.
Premier chantier, la mise en route d'une grande politique en faveur des quartiers dégradés.
Elle est indispensable, vous le savez bien. En effet, certains quartiers de nos agglomérations sont devenus de véritables ghettos, dans lesquels l'habitat dégradé et l'insécurité urbaine touchent les plus pauvres des habitants de notre pays. Ce n'est pas acceptable et c'est donc pour eux que cette politique de rénovation urbaine doit se faire et doit réussir.
La loi d'orientation et de programmation que Jean-Louis BORLOO a défendue devant le Parlement est un texte fondateur qui donne, non seulement une véritable perspective sur la durée à cette politique, mais aussi les outils nécessaires. C'est ainsi que l'agence nationale de rénovation urbaine qui va mobiliser les financements, comme jamais et aussi les énergies de tous les partenaires, va bientôt voir le jour.
Deuxième chantier, la mixité sociale.
Le gouvernement a aussi confirmé l'objectif de mixité sociale prévu par la loi.
C'était un signe fort en direction des maires des communes qui n'ont pas encore atteint 20% de logements locatifs sociaux. Ils l'ont compris car, en 2003, dans ces communes, pour la première fois on a construit 20.000 logements conventionnés, soit une progression de 10% par rapport à 2002.
Troisième chantier : relancer la production de logements en France pour offrir à nos concitoyens les logements dont ils ont besoin.
Alors que le besoin annuel de construction est estimé à 320.000 logements, nous n'avons jamais atteint ce chiffre depuis de nombreuses années. Résultat: le déficit de logements s'est progressivement accru sans qu'on ait pris conscience, à la fin des années 90, des conséquences pour la population. Ce retard cumulé se traduit maintenant au grand jour par toutes les difficultés de logement que nous connaissons et qui touchent d'abord les plus pauvres, mais aussi des familles qui ont des revenus moyens.
Eh bien ! Excepté l'année 1999 (fin du dispositif PERISSOL), c'est la première fois depuis quatorze ans qu'on dépasse assez largement les 310.000 mises en chantier. Nous avons, effet, construit très exactement 314.364 logements, soit presque 12.000 logements de plus qu'en 2001 ou 2002. Et les perspectives pour 2004 objectivement sont favorables, puisque près de 380.000 permis de construire ont été délivrés en 2003, soit une progression de 9% par rapport à 2002.
Toujours, en 2003, ce sont 58.000 logements locatifs sociaux qui ont été financés, soit une progression de 4% par rapport à 2002.
Et, nous avons encore beaucoup de chemin à parcourir. Notre grande difficulté, surtout dans les zones tendues, c'est la rareté du foncier.
Dès mon arrivée au gouvernement, je me suis attaqué à ce manque vital pour le logement. La loi Urbanisme et Habitat a modifié les articles inutilement bloquants de la loi SRU, afin de permettre aux communes de relancer ou d'engager leurs projets d'urbanisation.
Et j'ai mobilisé autour de cette loi tous les maires de France. J'ai organisé un service après vote qui m'a amené dans toutes les régions de France à rencontrer des élus pour leur expliquer les nouvelles possibilités qui leur étaient ouvertes et, lorsque cela était nécessaire, pour leur redonner le goût de bâtir.
Pour l'Île-de-France, j'ai missionné Pierre POMMELET, ancien directeur général de l'ANAH, pour dresser la liste des terrains qui relèvent de mon ministère ou des entreprises publiques sous ma tutelle et qui sont susceptibles d'être vendus pour faire du logement. Ce travail fait, je viens de nommer, auprès de moi, un délégué à l'action foncière, Monsieur Dominique FIGEAT, chargé d'accélérer les ventes de ces terrains à bâtir.
Pour compléter les initiatives de 2003 sur le logement des Français. Je vous rappelle qu'avec mes collègues de l'Intérieur et des Affaires sociales nous avons relancé le processus de signature des schémas d'accueil des gens du voyage. A ce jour, 85 départements ont adopté un plan.
Nous avons également réorienté le prêt à taux zéro en le ciblant sur les accédants qui ont le moins de ressources et qui en ont donc le plus besoin. L'accession sociale à la propriété doit, en effet, aussi contribuer à l'offre nouvelle de logements.
Enfin, les barèmes des aides personnelles au logement seront bien actualisés de façon rétroactive, c'est-à-dire à compter du 1er juillet 2003. C'est un coût budgétaire de 120 millions d'euros qui sera supporté par l'État en 2004.
2003 était l'année de la mise en route. La mobilisation que nous appelons comme vous nécessite la confiance entre les acteurs. Une année n'était pas de trop pour établir le dialogue et la concertation et mettre en place les premières solutions à la crise actuelle.
En 2004,le gouvernement va continuer et amplifier son action. Au congrès HLM de Lille, tous les participants avaient demandé au gouvernement les moyens pour que soient réalisés en 2004 80.000 logements locatifs sociaux.
Le gouvernement a aussitôt entendu cet appel.
Sur ce chiffre, il y a deux remarques que j'entends et que je partage et deux que je n'admets pas.
La première que je n'admets pas, c'est celle sur le manque supposé de moyens financiers pour atteindre cet objectif. En effet, grâce à la baisse du taux du livret A, les organismes HLM peuvent emprunter davantage, sans rembourser plus. Les chiffres sont têtus.
Pour le programme de 80.000 logements locatifs sociaux qu'a prévu le gouvernement en 2004, la baisse du livret A c'est l'équivalent d'une subvention de 500 millions d'euros. Ce montant, vous en conviendrez est nettement supérieur à la baisse de la dotation budgétaire qui est de 200 millions d'euros. Ce sont donc 300 millions d'euros supplémentaires qui sont ainsi injectés dans le logement locatif social.
Les organismes ont donc les moyens de réaliser l'objectif de 80.000 logements que nous nous sommes fixé et je sais qu'ils y arriveront.
La seconde remarque, c'est sur le débat que je trouve très stérile sur les statistiques de logements sociaux.
J'aimerais qu'une fois pour toutes, afin de comparer ce qui est comparable, nous retenions comme base la définition des logements sociaux telle qu'elle figure dans la loi SRU. Le monde associatif avait à l'époque salué ce critère. Je trouve personnellement que les débats d'experts pour savoir si tel ou tel type de logement locatif doit être ou ne pas être pris en compte ne sont pas à la hauteur des enjeux qui nous préoccupent.
Cela dit et notamment sur ce sujet, il y a deux remarques que je fais miennes. La première, et je sais qu'elle touche particulièrement la fondation Abbé Pierre, c'est la démolition de plusieurs milliers logements sociaux. Je suis tout à fait d'accord avec vous pour dire qu'il faut déduire des 80.000 logements financés les logements qui seront démolis. Comme vous le dites, il faut aussi raisonner en production nette dans les années 90 comme dans les années 2000.
La deuxième, c'est que les logements sociaux qui sont réalisés doivent correspondre aux capacités financières des personnes à qui ils sont destinés. Nous le savons tous, c'est un vrai sujet, et le fait de construire 80.000 voire 120.000 nouveaux logements sociaux ne change rien à l'affaire. Il faut trouver une réponse à l'attente des gens en extrême précarité, qui se sentent parfois oubliés voire exclus du logement social d'aujourd'hui et de demain si nous ne reinventons pas une offre pour eux.
Pour poursuivre cet objectif ambitieux de 80.000 logements locatifs sociaux audelà de 2004, comme l'a décidé le président de la République, le gouvernement va mobiliser tous les partenaires et notamment les organismes de logement social mais aussi les élus.
Il s'appuiera pour cela sur le formidable effet de levier d'une responsabilité déléguée aux établissements publics de coopération intercommunale et aux départements qui le souhaitent. C'est ainsi que l'on favorisera la synergie des acteurs locaux que vous appelez de vos voeux. Ce n'est pas que depuis Paris que l'on peut le mieux prendre en compte les besoins de logement, encore moins organiser la façon de "vivre ensemble" d'un quartier.
Cette décentralisation sera fondée sur des conventions, entre l'État et les autorités locales, de délégation de compétences et s'appuiera sur des objectifs partagés, prenant en compte les objectifs des programmes locaux de l'habitats et des PDALPD, les plans départementaux d'action pour le logement des personnes défavorisés.
Ainsi, l'État conserve son rôle de garant des grands principes sur lesquels doit se fonder toute politique du logement: droit au logement, mixité sociale, liberté de choix pour toute personne de son mode d'habitation.
A ce sujet je vous indique que le gouvernement demandera à l'Assemblée nationale de revenir sur l'amendement transférant aux maires le contingent préfectoral.
Répondant à la demande du Président de la République d'instituer un pilote au plan local qui donne l'impulsion et coordonne les moyens des différents acteurs en faveur du logement des personnes défavorisées, je ferai des propositions précises dans le projet de loi que je prépare pour la mi-2004 sur le logement locatif.
Je prévois une réforme des attributions des logements locatifs sociaux qui aille dans le sens d'un rôle accru des agglomérations qui pourraient ainsi être des acteurs importants dans la mise en uvre locale du droit au logement. Parlons maintenant de l'avenir. Vous proposez des pistes, moi aussi. Elles se rejoignent car nos objectifs sont les mêmes : permettre aux Français, à tous les Français de se loger dignement.
Nous sommes donc d'accord sur la première de vos solutions.
Il nous faut plus de logements, plus de logements de qualité. Mais les moyens pour y parvenir peuvent être différents ou, en tout cas, supposent un débat, et c'est pourquoi je suis ici.
D'abord, le premier objectif est de lutter contre l'habitat indigne.
Je soumettrai prochainement Une circulaire au Premier ministre pour mobiliser les préfets et les services de l'État afin de poursuivre la politique de lutte contre l'habitat indigne, notamment dans les coeurs de ville.
La loi que je présenterai à la mi-2004 renforcera la lutte contre l'exclusion par le logement et la lutte contre les "marchands de sommeil". Je proposerai, en particulier, de les priver des fruits de leur activité lorsqu'ils n'assument pas dignement leurs responsabilités pour faire les travaux ou assurer le relogement des occupants.
Ensuite, le second objectif est de construire plus de logements et en particulier plus de logements sociaux.
Notre ambition en 2004, je l'ai dit, est de construire 80.000 logements sociaux.
Je le répète, ces 80.000 sont financés.
C'est une ambition et un premier objectif. Car, ne vous faites pas d'illusion, le mouvement HLM ne pourrait pas en construire plus en 2004. C'est déjà une croissance de 50% par rapport au chiffre de 2003 qui est à son plus haut niveau historique depuis 10 ans. Il faudra déjà une grande mobilisation pour arriver à cet objectif.
Mais je veux aussi qu'on construise encore plus de logements sociaux. Une autre voie est possible pour augmenter le parc social, c'est de recourir à l'investissement privé vers le social.
Certes, cela se fait déjà avec les aides de l'ANAH, mais le nombre de logements conventionnés est loin d'être suffisant.
Aussi, je pense que nous devons orienter l'épargne solidaire vers le logement. C'est là que nous pouvons faire la différence en plus à condition de s'assurer que les populations défavorisées seront les premiers bénéficiaires de cette épargne solidaire. Sur ce point, le recours aux associations est déterminant, dans leurs divers rôles de médiation, de gestion locative, de maîtrise d'ouvrage. Sur ce sujet, le dispositif existant est malheureusement resté totalement confidentiel, il n'a pas permis de développer une offre de logements sociaux privés. Je suis très favorable à son remplacement par un dispositif plus efficace pour loger les personnes défavorisées.
Enfin, l'accession sociale à la propriété, à condition qu'elle soit vraiment sociale et accompagnée de mécanismes de sécurisation, est aussi un moyen de construire plus de logements sociaux au profit de familles à ressources modestes, tout en allégeant la pression de la demande qui s'exerce sur le locatif HLM. Tel est bien l'objet des 10.000 logements supplémentaires au 80.000 prévus dés de 2004 pour le régime de la location-accession sociale.
Puisque j'évoque l'accession sociale, je voudrai lever une fausse interprétation.
Je vois, écrit ici ou là, que le gouvernement veut vendre le parc HLM.
C'est inexact. Ce serait insensé !
L'objectif est de répondre à une aspiration des Français modestes qui souhaitent devenir propriétaires sans, pour autant, quitter le logement dans lequel ils se trouvent bien. Le récent sondage CSA montre que, même sans évoquer la question du prix, un locataire HLM sur 4 se dit prêt à acheter son logement. Pourquoi les en priver ?.
A condition bien sûr que cette politique soit bien maîtrisée, qu'elle tienne compte de la situation locale de l'habitat, qu'elle ne conduise pas à créer des copropriétés dégradées, que le produit de la vente des logements à leurs occupants serve à construire des nouveaux logements locatifs sociaux
je prépare.
Toutes ces voies visent à construire plus, ce qui est notre objectif commun pour répondre à la demande des Français et d'abord à celle des plus pauvres. Mais nous devons aussi répondre aux besoins urgents. C'est pourquoi le gouvernement poursuivra la politique de Mme Dominique VERSINI pour l'hébergement d'urgence et les maisons-relais: 1000 places de maisons-relais sont à nouveau programmées en 2004 et pour les années à venir.
Le logement est un domaine multiple et complexe. J'ai entendu votre demande que soit organisé dans toute la France un vaste débat sur ce besoin essentiel des Français. J'ai la conviction, comme vous, qu'au-delà des besoins d'aujourd'hui, qu'au-delà des urgences aux quelles nous faisons face depuis deux ans, nous sommes à la croisée des chemins, en particulier sur la question du logement des plus démunis.
Il est temps que tous les hommes de bonne volonté se réunissent dans chaque territoire pour comprendre, débattre et surtout imaginer l'avenir. J'y suis pour ma part très favorable.
Pour conclure, c'est à vous, Monsieur l'abbé, que je m'adresserai, à vous qui êtes, malgré toute votre modestie, la conscience de notre pays. Votre cri de l'hiver 54 restera comme l'une des plus belles manifestations d'humanisme du siècle passé. Votre appel à "l'insurrection de la bonté" vise à construire des logements pour les plus pauvres certes mais surtout à bâtir un autre monde.
Ceux qui ont connu les guerres, la Shoah ou le totalitarisme, nous rappellent que notre planète a souvent traversé des ténèbres, réussissant toujours à se relever grâce aux hommes de bonne volonté.
Prophétiser le bonheur reste insolent mais tellement nécessaire dans cette société mondialisée du XXIéme siècle. Nous sommes collectivement responsables de nos jeunes, de nos voisins isolés, de nos anciens.
Les plus démunis ont besoin de logement, mais aussi d'un travail, d'une scolarité, d'une sécurité sociale viable, de respect et d'amour.
Notre capacité d'indignation devant tant d'injustice doit se transformer en capacité à mobiliser. Tous les moyens doivent être réunis, sans exclusive, compétence des organismes, dévouement des associations, générosité des particuliers, contribution des autorités publiques nationales et locales.
Cette cause nationale doit non nous diviser mais nous réunir pour agir car c'est du sort de nos concitoyens et de l'avenir de nos enfants qu'il s'agit. Et, nous le savons tous, sans logement décent, la dignité humaine et la cohésion sociale sont compromises.
Soyez sûrs que nous sommes tous prêts et résolus à répondre "présent" à
votre appel.
(Source http://www.equipement.gouv.fr, le 4 février 2004)