Texte intégral
Entretien dans "La Croix" du 5 juillet :
" La loi de programmation militaire doit être respectée "
Alors que sont rendus les ultimes arbitrages budgétaires, Michèle Alliot-Marie déclare qu'il ne serait "pas raisonnable" de réduire les crédits d'équipements des armées. La ministre de la défense plaide pour l'instauration d'un "service civil de deux mois". Elle dévoile les grandes lignes de la réforme du statut militaire.
La Croix :
Compte tenu de la situation budgétaire, la loi de programmation militaire 2003-2008, qui prévoit les crédits d'équipements des armées, peut-elle être revue à la baisse ?
Michèle Alliot-Marie :
Ce ne serait pas raisonnable. La loi de programmation militaire 2003-2008 ne fait que remettre notre défense à niveau, la précédente loi de programmation (1997-2002) n'ayant pas été respectée. Le monde est, en outre, de plus en plus dangereux : les crises se multiplient, la menace terroriste perdure. Notre protection ne peut être à objectif variable. Enfin, je veux insister sur le fait que la défense, avec 15 milliards d'euros investis chaque année, fournit directement ou indirectement du travail à 2,5 millions de personnes.
Le ministère de la défense ne peut-il donc faire aucune économie ?
Mais ce ministère en fait ! Depuis deux ans, j'ai multiplié les économies. Nous sommes le seul ministère à avoir fait l'effort en 2003 de ne pas remplacer 40 % des personnels civils partant à la retraite, et 50 % en 2004. Nous avons aussi procédé à une rationalisation de notre gestion. Nous continuerons à faire des économies, mais pas au prix d'une baisse de la sécurité des Français.
Pourquoi estimez-vous indispensable de renforcer le lien armée-nation, alors que l'image de l'institution militaire dans la population n'a jamais été aussi bonne ?
L'image des actions que les militaires mènent à l'extérieur des frontières, par exemple en Côte d'Ivoire, en Afghanistan ou à Haïti, est très bonne. Ils y accomplissent, au péril de leur vie, des missions de médiation exigeant d'indéniables qualités professionnelles et humaines. Mais avec la suspension du service national, il y a le risque que les Français considèrent qu'ils n'ont pas à se préoccuper de la défense. Or, ils doivent au contraire comprendre les enjeux de la défense dans ce monde toujours plus dangereux. Ils ont aussi le droit d'être informés sur les armées. Chaque année, celles-ci proposent 37 000 emplois de tous niveaux à des jeunes. Il convient d'étendre une connaissance de la défense à tout le monde et de la transmettre en de multiples occasions. Cela implique une interconnexion, une cohésion entre la nation et la défense.
Le lien entre l'armée et la nation est aussi essentiel parce que les militaires ont besoin de se sentir soutenus par la population. Les rencontres nation-défense, que j'ai lancées le 8 mai 2003, ont permis cet échange chaleureux. La deuxième édition aura lieu le 8 mai 2005.
Pourquoi venez-vous de réaménager la Journée d'appel de préparation à la défense (JAPD), qui a été instituée pour les jeunes lors de la suspension du service national ?
Je n'étais pas vraiment satisfaite de la JAPD dans sa forme initiale. Son contenu était très scolaire. Pour remplir la double mission d'information sur la défense et de transmission de l'esprit de citoyenneté, le module de présentation de la défense est devenu depuis mars, grâce aux méthodes modernes de communication, plus interactif et plus dynamique. Par ailleurs, un module d'initiation au secourisme a été ajouté avec le concours de la Croix-Rouge : l'esprit de défense, ou simplement le sens des responsabilités, implique aussi de pouvoir sauver la vie d'un concitoyen. La mise en place de cette réforme donne satisfaction : les jeunes sont heureux de tirer un enseignement concret de cette journée.
Ne faut-il envisager pas une sensibilisation plus longue ?
J'aimerais étendre la JAPD à deux jours. Elle permettrait une formation au brevet de secourisme et une familiarisation avec les matériels de la défense. Mais les armées professionnelles n'ont plus les moyens d'héberger et d'encadrer autant de jeunes. Je veux donc mener courant 2005, dans le cadre de la loi de décentralisation, une expérimentation de cette formule avec le concours de certains conseils généraux.
En 1997, lors des débats sur la suspension du service national, vous aviez, comme député, plaidé pour l'instauration d'un service civil. Qu'est devenue cette idée ?
En dehors de la JAPD, le service civil répond plus aux nécessités de la cohésion sociale qu'à celles de la défense. Une réflexion sur ce concept, menée à mon initiative par le ministère de la défense, a été transmise au premier ministre, car ce projet a une dimension interministérielle. Il s'agit de permettre, dans le cadre d'associations, que des jeunes, durant un à deux mois, participent ensemble une fois dans leur vie à des missions au service de la nation ayant un caractère social ou humanitaire. Elles illustrent le fait que tout citoyen a, à la fois, des droits et une responsabilité envers la nation. Ce service civil ne doit pas nécessairement être obligatoire mais, s'il repose sur le volontariat, il doit s'accompagner d'une reconnaissance.
L'armée professionnelle a des difficultés pour recruter des réservistes. Comment y remédier ?
Les réservistes sont indispensables aux armées professionnelles pour des missions - par exemple dans les secteurs de la santé et de l'informatique - que les conscrits remplissaient autrefois. Nous avons aujourd'hui 38 000 réservistes. Il nous en faudrait environ 60 000 en 2008. J'ai demandé aux armées de prévoir pour les réservistes des emplois intéressants à des périodes précises. Ils ne sont pas là pour jouer les supplétifs à n'importe quel moment. Par ailleurs, je souhaite que les entreprises - et bien sûr d'abord celles du secteur public et celles liées à la défense - se montrent plus compréhensives vis-à-vis de leurs personnels réservistes, dont l'expérience militaire ne peut que leur être utile en retour (expérience du commandement, du travail en équipe). Des conventions ont été élaborées afin de prendre en compte les besoins réciproques des entreprises et des armées et commencent à être signées.
Êtes-vous favorable à une plus grande liberté d'expression des militaires ?
Je viens de présenter le projet de nouveau statut militaire, sur la base d'un rapport que m'a remis en 2003 une commission présidée par Renaud Denoix de Saint-Marc, vice président du Conseil d'État. Ce projet a été approuvé unanimement par le Conseil supérieur de la fonction militaire. Il fait l'objet d'un projet de loi, qui est actuellement soumis au Conseil d'État. Il doit être examiné en conseil des ministres d'ici à la fin du mois de juillet. Il sera débattu au Parlement à l'automne et appliqué en 2005.
Le statut militaire actuel date de 1972. Depuis, la professionnalisation a changé la donne, la société française a évolué. Le nouveau statut réaffirme la spécificité de l'état de militaire, qui implique un certain nombre de contraintes dont la disponibilité, la neutralité politique et le devoir de réserve. Cela posé, des ouvertures sont créées, notamment en ce qui concerne la liberté d'expression. Savez-vous qu'encore aujourd'hui, certaines publications sont en principe interdites dans les casernes ? Cet interdit sera évidemment levé. Par ailleurs, les militaires seront désormais autorisés à s'exprimer publiquement, dans la limite du respect de leur devoir de réserve, ce qui leur permettra par exemple de s'exprimer sur l'état des matériels militaires, mais sans divulguer des informations exploitables par un ennemi potentiel. S'il ne sera toujours pas possible de s'inscrire à un parti politique (principe de neutralité) ou de se syndiquer (principe de disponibilité), le droit d'adhérer à des associations sera enfin permis, dès lors, cela va de soi, que ces associations ne s'apparentent pas à des partis ou à des syndicats.
Propos recueillis par Mathieu Castagnet et Antoine Fouchet
(Source http://www.defense.gouv.fr, le 8 juillet 2004)
Interview à "L'Express" du 12 juillet :
L'Express : Comment va l'armée française ?
Michèle Alliot-Marie : D'où venons-nous ? Avec le départ des 230 000 appelés, la professionnalisation a considérablement réduit le format des armées et, à la suite de la précédente loi de programmation militaire, la "LPM", amputée de 20 % des crédits, moins de la moitié du matériel était utilisable. On constatait ainsi que le moral des militaires n'était plus bon: ils n'avaient pas, en effet, les moyens d'accomplir leur mission et voyaient peu d'intérêt à rester dans l'armée. Nous avons donc eu des départs, difficiles à compenser. Depuis deux ans, la nouvelle LPM a été adoptée et intégralement respectée. Elle continuera de l'être.
L'Express : Pensez-vous que l'opinion approuve cet effort financier ?
Michèle Alliot-Marie : Après la chute du mur de Berlin, certains pensaient qu'une ambiance pacifiste allait faire fondre les budgets militaires, que nous allions tirer les dividendes de la paix... Ils se trompaient. Aujourd'hui, selon un sondage de l'institut BVA, 75 % des Français trouvent justifiés le maintien ou l'augmentation du budget de la Défense.
L'Express : Les dépenses ont-elles été efficaces ?
Michèle Alliot-Marie : La disponibilité des matériels s'améliore, mais cela prend du temps: nous sommes passés de 50 à 65 %. L'arrivée de l'hélicoptère Tigre, des Rafale, de l'avion de transport A400M, du troisième sous-marin nucléaire ou des satellites Helios 2 et Syracuse 3 va améliorer encore la situation. Le moral des militaires est donc meilleur, même s'il est toujours fragile, tant ils ont été maltraités dans le passé. Et, chaque année, les rumeurs sur le budget des armées les rendent inquiets...
L'Express : La "lettre cible" de Bercy exige de vous 10 % d'économies en 2005 : inacceptable ?
Michèle Alliot-Marie : C'est comme tous les ans, même si l'intitulé a changé et s'il y a eu beaucoup d'agitation.
L'Express : Le conseil de défense du 5 juillet s'est mal passé entre le président et Nicolas Sarkozy
Michèle Alliot-Marie : Ce sont des réunions secrètes, je n'en dirai rien. Ma position est celle du président : notre effort de défense, qui n'est pas si considérable, doit être poursuivi afin de nous donner les moyens strictement suffisants pour protéger nos concitoyens. Il faut corriger les insuffisances du gouvernement précédent et bâtir l'armée de 2015.
L'Express : Etaler l'actuelle LPM sur six ans, ce que suggère Bercy, est-il envisageable ?
Michèle Alliot-Marie : C'est une idée irréaliste. D'abord parce que le monde est de plus en plus dangereux et qu'il faudra de plus en plus intervenir à l'étranger : avec quels moyens ? Ensuite, si on ajoute un an, que fait-on ? On arrête les chaînes de production ? On a un demi-Rafale et construit le reste dans deux ans ? Enfin, pensons à l'impact économique et social d'un tel étalement : premier investisseur public, la Défense injecte 15 milliards d' dans l'économie et donne de l'activité à 2,5 millions de personnes, surtout dans les PME : en Aquitaine, 1 PME sur 2 travaille pour la Défense. Chaque année, nous faisons entrer 2 milliards d' de TVA dans les caisses de l'État et nous rapportons de 4 à 5 milliards avec les exportations d'armements. Nous rendons donc, en quelque sorte, la moitié de ce que le pays nous donne... Sans oublier la recherche : quand je lance un démonstrateur de drones, c'est aussi pour permettre à des entreprises, à la fin de l'actuelle génération d'avions de combat, de garder leurs compétences en attendant la prochaine, en 2020. Malgré leur immense effort de recherche, il n'y a pas de fossé technologique entre les États-Unis et la France : on le voit avec nos avions et nos missiles. Même le Leclerc, qui a, il est vrai, du mal à se vendre, est considéré comme le meilleur char du monde.
L'Express : Nicolas Sarkozy exige des économies parce que la situation économique est difficile
Michèle Alliot-Marie : Dès 2002, j'ai dit qu'il fallait répondre à l'immense effort financier de la LPM en justifiant du meilleur emploi de chaque euro. Ce ministère est à la pointe de la modernisation de l'État. En 2003, nous n'avons pas remplacé 40 % des personnels civils partis à la retraite, économisant 17,5 millions d'. En 2004, la même mesure porte sur 50 % de ce personnel. J'ai créé l'économat des armées pour rationaliser des services d'achats ; je cherche par ailleurs à réformer les indemnités de départ, à mieux gérer les déplacements des gendarmes mobiles, à diminuer le budget de communication, etc. Soit 200 millions d'économies en 2004. Il reste des marges, par exemple en ce qui concerne les archives, que je suis en train d'unifier. J'attends aussi plus d'efficacité et moins de dépenses de l'externalisation de certaines missions, comme la gestion des immeubles de la gendarmerie, qui accapare 1 200 personnes, la gestion des réseaux de transmission ou l'entretien des automobiles.
L'Express : Et des tâches militaires ?
Michèle Alliot-Marie : L'externalisation n'est pas un dogme, mais répond à une volonté de pragmatisme : quel est le rapport coût-avantage-efficacité ? Si l'efficacité est moins bonne, c'est non. La Grande-Bretagne regrette d'avoir externalisé son service de santé. Pour ce qui concerne l'alimentation, en revanche, c'est possible.
L'Express : Et la vente de l'immobilier des armées ?
Michèle Alliot-Marie : Nous ne vendons qu'aux collectivités territoriales et nous avons une obligation de dépollution coûteuse et compliquée sur le plan juridique : nous étions obligés de passer par des entreprises privées, mais le droit du travail interdisait que leurs salariés aient une activité dangereuse ! J'ai dû, en deux textes, assouplir ces règles. Ces ventes rapportent 50 millions d' par an, mais les immeubles les plus intéressants sont déjà partis.
L'Express : Souhaitez-vous qu'on retire une partie des dépenses militaires des déficits publics comptabilisés par Bruxelles ?
Michèle Alliot-Marie : J'ai émis cette idée en 2002 devant mes collègues européens : de plus en plus de dirigeants de l'Union la partagent. Je veux désormais faire comprendre à la Commission que c'est une nécessité.
L'Express : Bercy suggère aussi de provisionner dans votre budget l'argent pour les opérations extérieures, les "Opex" ?
Michèle Alliot-Marie : Chaque année, on nous fait avancer la trésorerie de ces opérations, en promettant de nous rembourser, avant de rechigner. Ces petits jeux ne sont pas sans importance: le gouvernement précédent a puisé dans les investissements pour les payer. Or ces "Opex", qui coûtent environ 600 millions par an, sont le résultat de décisions gouvernementales, pas des initiatives des armées : elles doivent être payées sur le budget général. Malgré l'imprévisible, nous connaissons l'essentiel des "Opex" de 2005 : Kosovo, Bosnie, Afghanistan, Côte d'Ivoire... J'ai donc demandé qu'on programme une partie de ces dépenses. L'an passé, le Parlement a créé une ligne budgétaire "Opex", provisionnée de 30 millions d' symboliques : je souhaite qu'on la porte à un niveau significatif.
L'Express : Il y a un an, les arbitrages budgétaires de Matignon étaient intervenus avant le 14 Juillet : cette année, verrez-vous le défilé en étant rassurée ?
Michèle Alliot-Marie : Les propos du président sur la LPM et sur les "opex" sont clairs.
L'Express : La France est très engagée dans l'Otan. Va-t-elle en rejoindre les structures militaires intégrées ?
Michèle Alliot-Marie : En 1996, elle était prête à le faire, à condition que le commandement Sud soit confié à un Européen, mais les États-Unis ont refusé. Aujourd'hui, cela n'a plus beaucoup de sens et n'empêche pas la France, deuxième contributeur de troupes déployées de l'Otan, de jouer un rôle important dans sa rénovation.
L'Express : N'est-ce pas contradictoire avec le développement de la défense européenne ?
Michèle Alliot-Marie : Donald Rumsfeld, mon homologue américain, pense, et certains des nouveaux pays de l'Union le redoutent, que le développement de la défense européenne va affaiblir l'Otan ! Depuis le 1er mai, je fais la tournée des dix nouveaux entrants pour démontrer qu'elle est complémentaire de l'Otan : plus elle s'établit, plus elle est une composante structurée qui, au contraire, accroît les capacités de l'Otan. Ainsi, c'est l'Eurocorps qui va diriger à la rentrée les opérations en Afghanistan. Depuis des années, les Américains nous demandent de soulager l'Otan de la protection de l'Europe en l'assurant nous-mêmes. Nous y sommes. Il faut désormais articuler l'Europe et l'Otan : en Afghanistan, au Kosovo, les Européens interviennent dans le cadre de l'Otan ; en Macédoine, en Bosnie, c'est avec le simple soutien de moyens de l'Otan; en Ituri [République démocratique du Congo - NDLR], l'Europe a mené seule une opération. Il faut une diversité d'interventions face à la multiplication des crises.
L'Express : Evolution des menaces et crise économique: 20 % des crédits d'équipement consacrés au nucléaire, n'est-ce pas trop ?
Michèle Alliot-Marie : Pourquoi 20 %? Parce que chacun des éléments est coûteux. Nous avons déjà réduit notre système, adapté nos forces, en ne gardant que les composantes aérienne et sous-marine. Le choix est aujourd'hui simple : on a une dissuasion nucléaire ou on n'en a pas. Il n'y a pas de demi-mesure en matière de nucléaire. Peut-on ne pas en avoir quand on voit nombre de pays, souvent incertains quant à leur stabilité politique et à leur sens démocratique, se doter d'armes nucléaires ou de destruction massive ? Regardez, par exemple, le problème que pose la Corée du Nord, et d'autres pays encore : le risque est croissant. La dissuasion est notre ultime protection : il faut dire à ces pays que nous leur ferons plus mal encore s'ils s'en prennent à nous. Mais nous restons dans le concept de non-emploi du nucléaire.
L'Express : Certains militaires estiment que nous sommes bien équipés et récusent le nouveau missile M 51
Michèle Alliot-Marie : La sophistication des armes ennemies exige que nous ayons des matériels plus furtifs et qui ciblent mieux, détruisant ainsi plus précisément. Je cherche la stricte suffisance, il n'y a pas de gaspillage. Ceux qui rechignent espèrent récupérer des crédits: c'est un faux calcul...
L'Express : Mieux cibler, cela signifie-t-il utiliser du nucléaire miniaturisé, à usage préventif ?
Michèle Alliot-Marie : Non. Nous ne ferons pas le choix de frappes nucléaires préventives. Armes adaptées, stricte suffisance et non-emploi, rien d'autre.
L'Express : N'est-il pas décevant de voir traîner le projet de porte-avions franco-britannique ?
Michèle Alliot-Marie : Un porte-avions, c'est complexe. Les incompatibilités sont éliminées : nous avons renoncé à la propulsion nucléaire, et ils ont choisi un pont d'envol compatible avec l'emploi d'avions classiques, alors qu'ils pratiquent le décollage vertical. Nous cherchons des économies d'échelle et le plus d'éléments communs pour l'"inter-opérabilité", il faut donc tout examiner. Nous lancerons comme prévu les appels d'offres à la fin de 2005, pour une livraison en 2012, afin que le second porte-avions soit parfaitement opérationnel au moment de la grande révision du Charles-de-Gaulle.
L'Express : Êtes-vous optimiste pour l'exportation des matériels français ?
Michèle Alliot-Marie : Nous devons maintenir notre effort de recherche pour rester concurrentiel. Mais les exportations changent de nature : on ne peut plus vendre à n'importe quel prix et il faut tenir compte de l'exigence des acheteurs en termes de maintenance après livraison, de créations d'emplois, de transferts de technologie.
L'Express : Quelle sera l'ampleur de la réforme du statut des militaires, à l'automne?
Michèle Alliot-Marie : Ni simple toilettage ni révolution. Le statut actuel date de 1972 : depuis, il y a eu la professionnalisation, et la société a évolué. Au travers de ce nouveau texte, je vais réaffirmer les principes de l'état militaire, unifier les statuts des personnels de carrière et des contractuels, qui sont exposés aux mêmes risques, améliorer leur protection juridique. Je veux aussi donner des libertés: que les publications puissent entrer sans contrainte dans les casernes, que le droit d'association soit élargi.
L'Express : Jusqu'au droit syndical?
Michèle Alliot-Marie : Non, à cause des principes de disponibilité totale et de neutralité. Après discussion, je maintiens donc aussi l'interdiction d'être affilié à un parti.
L'Express : Certains pays ont des syndicats militaires.
Michèle Alliot-Marie : L'Allemagne, notamment. Je n'ai pas noté que le fonctionnement de son armée en soit amélioré.
L'Express : Les gendarmes ne devraient-ils pas cesser d'être des militaires ?
Michèle Alliot-Marie : C'est exclu. Je crois au contraire qu'ils doivent, plus que jamais, être des militaires. Mon prédécesseur avait supprimé le recrutement de gendarmes à Saint-Cyr : je l'ai recréé. Si j'ai lancé la force européenne de gendarmerie, c'est parce que je considère que nous avons de plus en plus besoin de gendarmes, car de plus en plus de situations, on l'a vu dans les Balkans, ne nécessitent plus de présence militaire lourde, de chars, mais ne peuvent pas non plus être gérées par des policiers, car il y a encore des flambées de violence, avec armes de guerre.
L'Express : Vous évoquiez au début de l'entretien la crise des vocations: est-elle finie ?
Michèle Alliot-Marie : Oui. Nous avons 7 candidats par poste d'officier, 4,5 pour un emploi de sous-officier et 2,5 pour un emploi de militaire du rang. Mais, pour les personnels médicaux, les atomiciens ou les informaticiens, nous restons en pénurie. Nous essayons de la pallier en leur accordant des avantages nouveaux et en développant la réserve.
L'Express : Avec quel objectif ?
Michèle Alliot-Marie : Il y aura un projet de loi à l'automne. Nous sommes à 38 000 réservistes, nous atteindrons 65 000 en 2008 et 100 000 en 2015. J'ai demandé à chacune des armées de créer de vrais emplois, que chaque réserviste occupera pendant une durée significative, à des dates précisées à l'avance.
L'Express : Y compris en opérations extérieures ?
Michèle Alliot-Marie : Oui. Ils le demandent. Un parlementaire réserviste, médecin, a passé un mois au Kosovo l'an passé
L'Express : En 2005, nombre de militaires professionnels devront renouveler ou non leur engagement. Vous craignez les défections ?
Michèle Alliot-Marie : J'ai confiance. Le président a rappelé que la loi de programmation était garantie, que le redressement allait se poursuivre. Alors que les crises internationales vont se multiplier, les militaires savent que les conditions d'entraînement, gage de leur sécurité, seront préservées et que leurs missions continueront d'être passionnantes.
Propos recueillis par Christophe Barbier et Élodie Bernard
(source http://www.defense.gouv.fr, le 16 juillet 2004)
" La loi de programmation militaire doit être respectée "
Alors que sont rendus les ultimes arbitrages budgétaires, Michèle Alliot-Marie déclare qu'il ne serait "pas raisonnable" de réduire les crédits d'équipements des armées. La ministre de la défense plaide pour l'instauration d'un "service civil de deux mois". Elle dévoile les grandes lignes de la réforme du statut militaire.
La Croix :
Compte tenu de la situation budgétaire, la loi de programmation militaire 2003-2008, qui prévoit les crédits d'équipements des armées, peut-elle être revue à la baisse ?
Michèle Alliot-Marie :
Ce ne serait pas raisonnable. La loi de programmation militaire 2003-2008 ne fait que remettre notre défense à niveau, la précédente loi de programmation (1997-2002) n'ayant pas été respectée. Le monde est, en outre, de plus en plus dangereux : les crises se multiplient, la menace terroriste perdure. Notre protection ne peut être à objectif variable. Enfin, je veux insister sur le fait que la défense, avec 15 milliards d'euros investis chaque année, fournit directement ou indirectement du travail à 2,5 millions de personnes.
Le ministère de la défense ne peut-il donc faire aucune économie ?
Mais ce ministère en fait ! Depuis deux ans, j'ai multiplié les économies. Nous sommes le seul ministère à avoir fait l'effort en 2003 de ne pas remplacer 40 % des personnels civils partant à la retraite, et 50 % en 2004. Nous avons aussi procédé à une rationalisation de notre gestion. Nous continuerons à faire des économies, mais pas au prix d'une baisse de la sécurité des Français.
Pourquoi estimez-vous indispensable de renforcer le lien armée-nation, alors que l'image de l'institution militaire dans la population n'a jamais été aussi bonne ?
L'image des actions que les militaires mènent à l'extérieur des frontières, par exemple en Côte d'Ivoire, en Afghanistan ou à Haïti, est très bonne. Ils y accomplissent, au péril de leur vie, des missions de médiation exigeant d'indéniables qualités professionnelles et humaines. Mais avec la suspension du service national, il y a le risque que les Français considèrent qu'ils n'ont pas à se préoccuper de la défense. Or, ils doivent au contraire comprendre les enjeux de la défense dans ce monde toujours plus dangereux. Ils ont aussi le droit d'être informés sur les armées. Chaque année, celles-ci proposent 37 000 emplois de tous niveaux à des jeunes. Il convient d'étendre une connaissance de la défense à tout le monde et de la transmettre en de multiples occasions. Cela implique une interconnexion, une cohésion entre la nation et la défense.
Le lien entre l'armée et la nation est aussi essentiel parce que les militaires ont besoin de se sentir soutenus par la population. Les rencontres nation-défense, que j'ai lancées le 8 mai 2003, ont permis cet échange chaleureux. La deuxième édition aura lieu le 8 mai 2005.
Pourquoi venez-vous de réaménager la Journée d'appel de préparation à la défense (JAPD), qui a été instituée pour les jeunes lors de la suspension du service national ?
Je n'étais pas vraiment satisfaite de la JAPD dans sa forme initiale. Son contenu était très scolaire. Pour remplir la double mission d'information sur la défense et de transmission de l'esprit de citoyenneté, le module de présentation de la défense est devenu depuis mars, grâce aux méthodes modernes de communication, plus interactif et plus dynamique. Par ailleurs, un module d'initiation au secourisme a été ajouté avec le concours de la Croix-Rouge : l'esprit de défense, ou simplement le sens des responsabilités, implique aussi de pouvoir sauver la vie d'un concitoyen. La mise en place de cette réforme donne satisfaction : les jeunes sont heureux de tirer un enseignement concret de cette journée.
Ne faut-il envisager pas une sensibilisation plus longue ?
J'aimerais étendre la JAPD à deux jours. Elle permettrait une formation au brevet de secourisme et une familiarisation avec les matériels de la défense. Mais les armées professionnelles n'ont plus les moyens d'héberger et d'encadrer autant de jeunes. Je veux donc mener courant 2005, dans le cadre de la loi de décentralisation, une expérimentation de cette formule avec le concours de certains conseils généraux.
En 1997, lors des débats sur la suspension du service national, vous aviez, comme député, plaidé pour l'instauration d'un service civil. Qu'est devenue cette idée ?
En dehors de la JAPD, le service civil répond plus aux nécessités de la cohésion sociale qu'à celles de la défense. Une réflexion sur ce concept, menée à mon initiative par le ministère de la défense, a été transmise au premier ministre, car ce projet a une dimension interministérielle. Il s'agit de permettre, dans le cadre d'associations, que des jeunes, durant un à deux mois, participent ensemble une fois dans leur vie à des missions au service de la nation ayant un caractère social ou humanitaire. Elles illustrent le fait que tout citoyen a, à la fois, des droits et une responsabilité envers la nation. Ce service civil ne doit pas nécessairement être obligatoire mais, s'il repose sur le volontariat, il doit s'accompagner d'une reconnaissance.
L'armée professionnelle a des difficultés pour recruter des réservistes. Comment y remédier ?
Les réservistes sont indispensables aux armées professionnelles pour des missions - par exemple dans les secteurs de la santé et de l'informatique - que les conscrits remplissaient autrefois. Nous avons aujourd'hui 38 000 réservistes. Il nous en faudrait environ 60 000 en 2008. J'ai demandé aux armées de prévoir pour les réservistes des emplois intéressants à des périodes précises. Ils ne sont pas là pour jouer les supplétifs à n'importe quel moment. Par ailleurs, je souhaite que les entreprises - et bien sûr d'abord celles du secteur public et celles liées à la défense - se montrent plus compréhensives vis-à-vis de leurs personnels réservistes, dont l'expérience militaire ne peut que leur être utile en retour (expérience du commandement, du travail en équipe). Des conventions ont été élaborées afin de prendre en compte les besoins réciproques des entreprises et des armées et commencent à être signées.
Êtes-vous favorable à une plus grande liberté d'expression des militaires ?
Je viens de présenter le projet de nouveau statut militaire, sur la base d'un rapport que m'a remis en 2003 une commission présidée par Renaud Denoix de Saint-Marc, vice président du Conseil d'État. Ce projet a été approuvé unanimement par le Conseil supérieur de la fonction militaire. Il fait l'objet d'un projet de loi, qui est actuellement soumis au Conseil d'État. Il doit être examiné en conseil des ministres d'ici à la fin du mois de juillet. Il sera débattu au Parlement à l'automne et appliqué en 2005.
Le statut militaire actuel date de 1972. Depuis, la professionnalisation a changé la donne, la société française a évolué. Le nouveau statut réaffirme la spécificité de l'état de militaire, qui implique un certain nombre de contraintes dont la disponibilité, la neutralité politique et le devoir de réserve. Cela posé, des ouvertures sont créées, notamment en ce qui concerne la liberté d'expression. Savez-vous qu'encore aujourd'hui, certaines publications sont en principe interdites dans les casernes ? Cet interdit sera évidemment levé. Par ailleurs, les militaires seront désormais autorisés à s'exprimer publiquement, dans la limite du respect de leur devoir de réserve, ce qui leur permettra par exemple de s'exprimer sur l'état des matériels militaires, mais sans divulguer des informations exploitables par un ennemi potentiel. S'il ne sera toujours pas possible de s'inscrire à un parti politique (principe de neutralité) ou de se syndiquer (principe de disponibilité), le droit d'adhérer à des associations sera enfin permis, dès lors, cela va de soi, que ces associations ne s'apparentent pas à des partis ou à des syndicats.
Propos recueillis par Mathieu Castagnet et Antoine Fouchet
(Source http://www.defense.gouv.fr, le 8 juillet 2004)
Interview à "L'Express" du 12 juillet :
L'Express : Comment va l'armée française ?
Michèle Alliot-Marie : D'où venons-nous ? Avec le départ des 230 000 appelés, la professionnalisation a considérablement réduit le format des armées et, à la suite de la précédente loi de programmation militaire, la "LPM", amputée de 20 % des crédits, moins de la moitié du matériel était utilisable. On constatait ainsi que le moral des militaires n'était plus bon: ils n'avaient pas, en effet, les moyens d'accomplir leur mission et voyaient peu d'intérêt à rester dans l'armée. Nous avons donc eu des départs, difficiles à compenser. Depuis deux ans, la nouvelle LPM a été adoptée et intégralement respectée. Elle continuera de l'être.
L'Express : Pensez-vous que l'opinion approuve cet effort financier ?
Michèle Alliot-Marie : Après la chute du mur de Berlin, certains pensaient qu'une ambiance pacifiste allait faire fondre les budgets militaires, que nous allions tirer les dividendes de la paix... Ils se trompaient. Aujourd'hui, selon un sondage de l'institut BVA, 75 % des Français trouvent justifiés le maintien ou l'augmentation du budget de la Défense.
L'Express : Les dépenses ont-elles été efficaces ?
Michèle Alliot-Marie : La disponibilité des matériels s'améliore, mais cela prend du temps: nous sommes passés de 50 à 65 %. L'arrivée de l'hélicoptère Tigre, des Rafale, de l'avion de transport A400M, du troisième sous-marin nucléaire ou des satellites Helios 2 et Syracuse 3 va améliorer encore la situation. Le moral des militaires est donc meilleur, même s'il est toujours fragile, tant ils ont été maltraités dans le passé. Et, chaque année, les rumeurs sur le budget des armées les rendent inquiets...
L'Express : La "lettre cible" de Bercy exige de vous 10 % d'économies en 2005 : inacceptable ?
Michèle Alliot-Marie : C'est comme tous les ans, même si l'intitulé a changé et s'il y a eu beaucoup d'agitation.
L'Express : Le conseil de défense du 5 juillet s'est mal passé entre le président et Nicolas Sarkozy
Michèle Alliot-Marie : Ce sont des réunions secrètes, je n'en dirai rien. Ma position est celle du président : notre effort de défense, qui n'est pas si considérable, doit être poursuivi afin de nous donner les moyens strictement suffisants pour protéger nos concitoyens. Il faut corriger les insuffisances du gouvernement précédent et bâtir l'armée de 2015.
L'Express : Etaler l'actuelle LPM sur six ans, ce que suggère Bercy, est-il envisageable ?
Michèle Alliot-Marie : C'est une idée irréaliste. D'abord parce que le monde est de plus en plus dangereux et qu'il faudra de plus en plus intervenir à l'étranger : avec quels moyens ? Ensuite, si on ajoute un an, que fait-on ? On arrête les chaînes de production ? On a un demi-Rafale et construit le reste dans deux ans ? Enfin, pensons à l'impact économique et social d'un tel étalement : premier investisseur public, la Défense injecte 15 milliards d' dans l'économie et donne de l'activité à 2,5 millions de personnes, surtout dans les PME : en Aquitaine, 1 PME sur 2 travaille pour la Défense. Chaque année, nous faisons entrer 2 milliards d' de TVA dans les caisses de l'État et nous rapportons de 4 à 5 milliards avec les exportations d'armements. Nous rendons donc, en quelque sorte, la moitié de ce que le pays nous donne... Sans oublier la recherche : quand je lance un démonstrateur de drones, c'est aussi pour permettre à des entreprises, à la fin de l'actuelle génération d'avions de combat, de garder leurs compétences en attendant la prochaine, en 2020. Malgré leur immense effort de recherche, il n'y a pas de fossé technologique entre les États-Unis et la France : on le voit avec nos avions et nos missiles. Même le Leclerc, qui a, il est vrai, du mal à se vendre, est considéré comme le meilleur char du monde.
L'Express : Nicolas Sarkozy exige des économies parce que la situation économique est difficile
Michèle Alliot-Marie : Dès 2002, j'ai dit qu'il fallait répondre à l'immense effort financier de la LPM en justifiant du meilleur emploi de chaque euro. Ce ministère est à la pointe de la modernisation de l'État. En 2003, nous n'avons pas remplacé 40 % des personnels civils partis à la retraite, économisant 17,5 millions d'. En 2004, la même mesure porte sur 50 % de ce personnel. J'ai créé l'économat des armées pour rationaliser des services d'achats ; je cherche par ailleurs à réformer les indemnités de départ, à mieux gérer les déplacements des gendarmes mobiles, à diminuer le budget de communication, etc. Soit 200 millions d'économies en 2004. Il reste des marges, par exemple en ce qui concerne les archives, que je suis en train d'unifier. J'attends aussi plus d'efficacité et moins de dépenses de l'externalisation de certaines missions, comme la gestion des immeubles de la gendarmerie, qui accapare 1 200 personnes, la gestion des réseaux de transmission ou l'entretien des automobiles.
L'Express : Et des tâches militaires ?
Michèle Alliot-Marie : L'externalisation n'est pas un dogme, mais répond à une volonté de pragmatisme : quel est le rapport coût-avantage-efficacité ? Si l'efficacité est moins bonne, c'est non. La Grande-Bretagne regrette d'avoir externalisé son service de santé. Pour ce qui concerne l'alimentation, en revanche, c'est possible.
L'Express : Et la vente de l'immobilier des armées ?
Michèle Alliot-Marie : Nous ne vendons qu'aux collectivités territoriales et nous avons une obligation de dépollution coûteuse et compliquée sur le plan juridique : nous étions obligés de passer par des entreprises privées, mais le droit du travail interdisait que leurs salariés aient une activité dangereuse ! J'ai dû, en deux textes, assouplir ces règles. Ces ventes rapportent 50 millions d' par an, mais les immeubles les plus intéressants sont déjà partis.
L'Express : Souhaitez-vous qu'on retire une partie des dépenses militaires des déficits publics comptabilisés par Bruxelles ?
Michèle Alliot-Marie : J'ai émis cette idée en 2002 devant mes collègues européens : de plus en plus de dirigeants de l'Union la partagent. Je veux désormais faire comprendre à la Commission que c'est une nécessité.
L'Express : Bercy suggère aussi de provisionner dans votre budget l'argent pour les opérations extérieures, les "Opex" ?
Michèle Alliot-Marie : Chaque année, on nous fait avancer la trésorerie de ces opérations, en promettant de nous rembourser, avant de rechigner. Ces petits jeux ne sont pas sans importance: le gouvernement précédent a puisé dans les investissements pour les payer. Or ces "Opex", qui coûtent environ 600 millions par an, sont le résultat de décisions gouvernementales, pas des initiatives des armées : elles doivent être payées sur le budget général. Malgré l'imprévisible, nous connaissons l'essentiel des "Opex" de 2005 : Kosovo, Bosnie, Afghanistan, Côte d'Ivoire... J'ai donc demandé qu'on programme une partie de ces dépenses. L'an passé, le Parlement a créé une ligne budgétaire "Opex", provisionnée de 30 millions d' symboliques : je souhaite qu'on la porte à un niveau significatif.
L'Express : Il y a un an, les arbitrages budgétaires de Matignon étaient intervenus avant le 14 Juillet : cette année, verrez-vous le défilé en étant rassurée ?
Michèle Alliot-Marie : Les propos du président sur la LPM et sur les "opex" sont clairs.
L'Express : La France est très engagée dans l'Otan. Va-t-elle en rejoindre les structures militaires intégrées ?
Michèle Alliot-Marie : En 1996, elle était prête à le faire, à condition que le commandement Sud soit confié à un Européen, mais les États-Unis ont refusé. Aujourd'hui, cela n'a plus beaucoup de sens et n'empêche pas la France, deuxième contributeur de troupes déployées de l'Otan, de jouer un rôle important dans sa rénovation.
L'Express : N'est-ce pas contradictoire avec le développement de la défense européenne ?
Michèle Alliot-Marie : Donald Rumsfeld, mon homologue américain, pense, et certains des nouveaux pays de l'Union le redoutent, que le développement de la défense européenne va affaiblir l'Otan ! Depuis le 1er mai, je fais la tournée des dix nouveaux entrants pour démontrer qu'elle est complémentaire de l'Otan : plus elle s'établit, plus elle est une composante structurée qui, au contraire, accroît les capacités de l'Otan. Ainsi, c'est l'Eurocorps qui va diriger à la rentrée les opérations en Afghanistan. Depuis des années, les Américains nous demandent de soulager l'Otan de la protection de l'Europe en l'assurant nous-mêmes. Nous y sommes. Il faut désormais articuler l'Europe et l'Otan : en Afghanistan, au Kosovo, les Européens interviennent dans le cadre de l'Otan ; en Macédoine, en Bosnie, c'est avec le simple soutien de moyens de l'Otan; en Ituri [République démocratique du Congo - NDLR], l'Europe a mené seule une opération. Il faut une diversité d'interventions face à la multiplication des crises.
L'Express : Evolution des menaces et crise économique: 20 % des crédits d'équipement consacrés au nucléaire, n'est-ce pas trop ?
Michèle Alliot-Marie : Pourquoi 20 %? Parce que chacun des éléments est coûteux. Nous avons déjà réduit notre système, adapté nos forces, en ne gardant que les composantes aérienne et sous-marine. Le choix est aujourd'hui simple : on a une dissuasion nucléaire ou on n'en a pas. Il n'y a pas de demi-mesure en matière de nucléaire. Peut-on ne pas en avoir quand on voit nombre de pays, souvent incertains quant à leur stabilité politique et à leur sens démocratique, se doter d'armes nucléaires ou de destruction massive ? Regardez, par exemple, le problème que pose la Corée du Nord, et d'autres pays encore : le risque est croissant. La dissuasion est notre ultime protection : il faut dire à ces pays que nous leur ferons plus mal encore s'ils s'en prennent à nous. Mais nous restons dans le concept de non-emploi du nucléaire.
L'Express : Certains militaires estiment que nous sommes bien équipés et récusent le nouveau missile M 51
Michèle Alliot-Marie : La sophistication des armes ennemies exige que nous ayons des matériels plus furtifs et qui ciblent mieux, détruisant ainsi plus précisément. Je cherche la stricte suffisance, il n'y a pas de gaspillage. Ceux qui rechignent espèrent récupérer des crédits: c'est un faux calcul...
L'Express : Mieux cibler, cela signifie-t-il utiliser du nucléaire miniaturisé, à usage préventif ?
Michèle Alliot-Marie : Non. Nous ne ferons pas le choix de frappes nucléaires préventives. Armes adaptées, stricte suffisance et non-emploi, rien d'autre.
L'Express : N'est-il pas décevant de voir traîner le projet de porte-avions franco-britannique ?
Michèle Alliot-Marie : Un porte-avions, c'est complexe. Les incompatibilités sont éliminées : nous avons renoncé à la propulsion nucléaire, et ils ont choisi un pont d'envol compatible avec l'emploi d'avions classiques, alors qu'ils pratiquent le décollage vertical. Nous cherchons des économies d'échelle et le plus d'éléments communs pour l'"inter-opérabilité", il faut donc tout examiner. Nous lancerons comme prévu les appels d'offres à la fin de 2005, pour une livraison en 2012, afin que le second porte-avions soit parfaitement opérationnel au moment de la grande révision du Charles-de-Gaulle.
L'Express : Êtes-vous optimiste pour l'exportation des matériels français ?
Michèle Alliot-Marie : Nous devons maintenir notre effort de recherche pour rester concurrentiel. Mais les exportations changent de nature : on ne peut plus vendre à n'importe quel prix et il faut tenir compte de l'exigence des acheteurs en termes de maintenance après livraison, de créations d'emplois, de transferts de technologie.
L'Express : Quelle sera l'ampleur de la réforme du statut des militaires, à l'automne?
Michèle Alliot-Marie : Ni simple toilettage ni révolution. Le statut actuel date de 1972 : depuis, il y a eu la professionnalisation, et la société a évolué. Au travers de ce nouveau texte, je vais réaffirmer les principes de l'état militaire, unifier les statuts des personnels de carrière et des contractuels, qui sont exposés aux mêmes risques, améliorer leur protection juridique. Je veux aussi donner des libertés: que les publications puissent entrer sans contrainte dans les casernes, que le droit d'association soit élargi.
L'Express : Jusqu'au droit syndical?
Michèle Alliot-Marie : Non, à cause des principes de disponibilité totale et de neutralité. Après discussion, je maintiens donc aussi l'interdiction d'être affilié à un parti.
L'Express : Certains pays ont des syndicats militaires.
Michèle Alliot-Marie : L'Allemagne, notamment. Je n'ai pas noté que le fonctionnement de son armée en soit amélioré.
L'Express : Les gendarmes ne devraient-ils pas cesser d'être des militaires ?
Michèle Alliot-Marie : C'est exclu. Je crois au contraire qu'ils doivent, plus que jamais, être des militaires. Mon prédécesseur avait supprimé le recrutement de gendarmes à Saint-Cyr : je l'ai recréé. Si j'ai lancé la force européenne de gendarmerie, c'est parce que je considère que nous avons de plus en plus besoin de gendarmes, car de plus en plus de situations, on l'a vu dans les Balkans, ne nécessitent plus de présence militaire lourde, de chars, mais ne peuvent pas non plus être gérées par des policiers, car il y a encore des flambées de violence, avec armes de guerre.
L'Express : Vous évoquiez au début de l'entretien la crise des vocations: est-elle finie ?
Michèle Alliot-Marie : Oui. Nous avons 7 candidats par poste d'officier, 4,5 pour un emploi de sous-officier et 2,5 pour un emploi de militaire du rang. Mais, pour les personnels médicaux, les atomiciens ou les informaticiens, nous restons en pénurie. Nous essayons de la pallier en leur accordant des avantages nouveaux et en développant la réserve.
L'Express : Avec quel objectif ?
Michèle Alliot-Marie : Il y aura un projet de loi à l'automne. Nous sommes à 38 000 réservistes, nous atteindrons 65 000 en 2008 et 100 000 en 2015. J'ai demandé à chacune des armées de créer de vrais emplois, que chaque réserviste occupera pendant une durée significative, à des dates précisées à l'avance.
L'Express : Y compris en opérations extérieures ?
Michèle Alliot-Marie : Oui. Ils le demandent. Un parlementaire réserviste, médecin, a passé un mois au Kosovo l'an passé
L'Express : En 2005, nombre de militaires professionnels devront renouveler ou non leur engagement. Vous craignez les défections ?
Michèle Alliot-Marie : J'ai confiance. Le président a rappelé que la loi de programmation était garantie, que le redressement allait se poursuivre. Alors que les crises internationales vont se multiplier, les militaires savent que les conditions d'entraînement, gage de leur sécurité, seront préservées et que leurs missions continueront d'être passionnantes.
Propos recueillis par Christophe Barbier et Élodie Bernard
(source http://www.defense.gouv.fr, le 16 juillet 2004)