Déclaration de M. Christian Poncelet, président du Sénat, sur le bilan de la fin de l'année 2004 - libération des otages en Irak, raz de marée dans l'Asie du Sud-est - et sur les commémorations prévues en 2005, Paris le 18 janvier 2005.

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Circonstance : Cérémonie des voeux au Sénat le 18 janvier 2005

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2004, 2005 : une année s'achève, une autre commence.
Pour nous Français, l'année 2004 aurait pu se conclure dans la joie avec la libération de nos deux compatriotes, Christian Chesnot et Georges Malbrunot, retenus en otages pendant 124 jours.
Dans la joie mais aussi dans la fierté, car cet heureux dénouement était le fruit d'une union sacrée de notre nation dans toutes ses composantes, le résultat de l'action éclairée et opiniâtre du pouvoir exécutif et la conséquence de l'efficacité de nos services spéciaux.
Ce rare moment de grâce républicaine aura été balayé par le raz-de-marée, le tsunami d'origine sismique, qui a ravagé le sud de l'Asie, semant sur son passage mort, dévastation, destruction et désolation.
Ce cataclysme nous a fait prendre conscience de notre condition de citoyens du monde, solidaires et fraternels, par delà les frontières, les continents et les océans.
Il souligne l'urgente nécessité d'une mobilisation mondiale, coordonnée, efficace et, je l'espère, durable, au secours des sinistrés. Il souligne également l'ardente obligation de la mise en place d'un réseau d'alerte dont le centre, pour l'Océan indien, pourrait se situer à La Réunion.
Une année s'achève dans le drame, une autre commence dans l'espoir, cette raison de vivre.
Dans l'espoir, et notamment dans l'espoir d'une libération prochaine de la journaliste Florence Aubenas et de son guide-interprète irakien, disparus depuis maintenant 13 jours, à Bagdad.
Une année commence... dont je peux prédire, sans risque d'erreur, qu'elle sera une année républicaine et une année européenne.
Une année républicaine avec deux rendez-vous citoyens, deux commémorations d'éléments fondateurs de notre pacte républicain, de notre contrat social, de notre " vouloir vivre ensemble ".
Première célébration, celle du 60ème anniversaire du premier vote des Françaises, voulu par le Général de Gaulle, lors des élections municipales et cantonales des 29 avril et 13 mai 1945. Le Sénat, la plus féminisée de nos deux assemblées parlementaires, et en plus, -c'est un bonus-, représentant des collectivités territoriales de la République, s'associera étroitement à cette commémoration. C'est ainsi que nous organiserons, le 7 mars prochain, les premiers États généraux des femmes maires, M.A.I.R.E.S., pour traiter de la condition féminine à l'épreuve des responsabilités électives.
Près de 2 000 maires au féminin ont d'ores et déjà répondu à notre appel...
D'une manière générale, la décentralisation, dont le Sénat est l'ardent promoteur, ne mérite pas le procès en diabolisation que certains tentent de lui intenter dans une démarche non dénuée de toute arrière-pensée politicienne...
C'est un combat d'arrière-garde car la décentralisation n'est ni de gauche, ni de droite. Partie désormais intégrante de notre patrimoine républicain, ce processus est une réforme bénéfique, à condition de ne pas s'apparenter à une opération de délestage de l'Etat.
Le Sénat y a veillé hier en obtenant l'inscription dans notre loi fondamentale de garanties et de garde-fous financiers et fiscaux auxquels le Conseil constitutionnel semble résolu à conférer toute leur signification et leur portée.
Le Sénat y veillera, dès demain, en portant sur les fonts baptismaux son dernier né, l'Observatoire de la décentralisation. Cette instance a vocation à devenir le juge de paix et le " shérif " de la mise en uvre de l'acte II de la décentralisation, cette " mère des réformes ", selon votre expression M. le Premier Ministre.
Le second rendez-vous citoyen de 2005 sera celui de la commémoration du centenaire de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des églises et de l'État, cette " loi de bon sens et d'équité ".
En obéissant à ce devoir de mémoire, il ne s'agit pas de consacrer à un culte des dates, à une mystique des millésimes ou à une religion du souvenir.
Il ne s'agit pas non plus de ressasser sans cesse le passé, ou de le réinventer, mais, au contraire, de redonner du sens au présent et surtout d'éclairer l'avenir. En l'occurrence, ce retour sur la laïcité, cette idée neuve en Europe, ce pilier de notre pacte républicain, devrait nous permettre de vérifier le bien fondé de la riposte de mars 2004 qui a permis de donner un coup d'arrêt à la dérive communautariste, à la crispation identitaire et au repli sur soi.
Cette sanctuarisation de l'enseignement public, désormais préservé du port ostensible de signes religieux, ne s'est fort heureusement accompagnée que d'un nombre très limité d'exclusions des établissements scolaires.
La République doit demeurer une communauté de citoyens et non devenir une fédération de communautés.
Mais les tenants, soi-disant modernistes, d'un communautarisme à l'anglo-saxonne finiront par l'emporter si nous ne sommes pas capables de nous doter, dans les meilleurs délais, des moyens budgétaires indispensables à une véritable relance de la machine à intégrer, c'est-à-dire à une remise en marche du creuset républicain.
Dans une société caractérisée par une extension continue du domaine de la peur, -peur de l'autre, peur de l'avenir, peur de l'Europe, peur des délocalisations, peur de la mondialisation...-, nous devons, nous femmes et hommes politiques, nous mobiliser, reprendre nos bâtons de pèlerins et faire uvre de pédagogie active pour montrer le chemin.
Nous devons expliquer, expliquer sans cesse, expliquer les enjeux, expliquer la nécessité des réformes structurelles que vous avez entreprises avec courage et opiniâtreté, M. le Premier Ministre, pour sauver les acquis de notre pacte social, renouer avec une croissance durablement créatrice d'emplois, et " agiliser " l'Etat pour reprendre l'expression du rapport Camdessus. Il nous faut maintenant refonder l'école, réinventer une politique industrielle, et redécouvrir une politique de la recherche digne de ce nom.
Dans une démocratie représentative, le lieu naturel et légitime de cet indispensable dialogue pédagogique c'est bien évidemment le Parlement avec ses deux poumons : l'Assemblée nationale et le Sénat.
Retrouvons le sens de notre engagement politique. Restaurons le primat du et de la politique. Redonnons à nos concitoyens le goût de l'avenir pour reprendre l'expression de Max Weber.
Nous devons animer et faire vivre le débat politique, -au sens noble-, et ne pas craindre de nous emparer de sujets certes difficiles, mais essentiels pour l'avenir de notre pays et la survie de nos valeurs républicaines. Je pense, par exemple, au thème de l'intégration républicaine ou à celui de l'immigration.
Débattre dans l'hémicycle mais aussi donner un écho accru à ces débats.
A cet égard, 2005 sera l'année de l'avènement de la télévision numérique terrestre qui va permettre à la chaîne parlementaire, logée sur le multiplex n° 1 avec le dossard porte-bonheur n° 13, de disposer d'une audience supplémentaire.
Je sais que pour Public Sénat, Jean-Pierre ELKABBACH et son équipe, jeune, motivée et talentueuse, se préparent à cette heure de vérité.
Pour ma part, je suis convaincu qu'il y a une place dans notre paysage audiovisuel pour une chaîne citoyenne et du politique, délivrée de la dictature de l'audimat.
Débattre, mais comment faire pour remettre les hémicycles au cur du débat républicain alors que nous sommes accaparés, jour et nuit, dix mois sur douze, par une inflation législative et une frénésie normative induites par une demande renouvelée de loi qui émane d'une société en manque de références ou de repères ?
Le problème n'est donc plus de moins légiférer mais de mieux légiférer et surtout de légiférer autrement afin de nous garder du temps dans l'hémicycle pour débattre des sujets qui préoccupent nos concitoyens.
Cette inéluctable modernisation des méthodes du travail législatif passe sans doute par une diversification, dans le respect du droit d'amendement, des procédures d'examen des textes en fonction de leur nature et de leur portée.
Enfin, je n'aurais garde d'oublier, -mon ami Jean-Louis Debré pourrait me le reprocher-, une troisième commémoration, essentielle à mes yeux, celle du 210ème anniversaire de l'instauration du bicamérisme en France.
C'est, en effet, en 1795, avec la Constitution du 8 fructidor an III, que la division du pouvoir législatif en deux assemblées a vu le jour, en réaction contre les excès d'une chambre unique, la Convention, qui avait fait régner la Terreur.
Depuis lors, le bicamérisme est devenu, à une exception près, une constante de notre paysage institutionnel.
Produit de l'histoire, le bicamérisme est aujourd'hui plébiscité par la géographie car il connaît un essor et une floraison dans le monde.
Tout se passe comme si le bicamérisme, qui a le vent en poupe, constituait pour les jeunes démocraties d'Europe centrale et orientale, d'Afrique ou d'Asie, une sorte de " nec plus ultra démocratique ".
Rien d'étonnant à cet engouement lorsqu'on sait que le bicamérisme consolide l'assise démocratique des États et constitue un facteur d'amélioration de la production législative.
N'oublions pas non plus que l'utilité et l'efficacité du bicamérisme reposent sur l'existence de deux assemblées différenciées : l'une ne saurait être le double ou le doublon de l'autre.
Dans cette perspective, il est indispensable que le Sénat développe sa fonction de contrôle. Le contrôle, c'est une affaire de volonté institutionnelle. N'oublions pas que nous disposons, d'ores et déjà, des instruments juridiques, des ressources humaines et des moyens financiers pour faire du contrôle la seconde nature du Sénat.
Année républicaine, 2005 sera aussi et surtout une année européenne et, je l'espère, une grande année européenne.
Fruit de l'utopie et du pragmatisme, l'Union européenne est, nous le savons tous, le creuset de notre destin et la clé de notre influence sur l'évolution du monde.
La France, qui plaide, à juste titre, en faveur d'un monde multipolaire, d'un monde fondé sur la primauté du droit, d'un monde soucieux de préserver sa diversité culturelle, se doit d'être à l'avant-garde de la relance de la dynamique de l'intégration européenne.
Un monde équilibré a, en effet, besoin d'une Europe puissance politique, d'une Europe forte, d'une Europe du rayonnement.
C'est dans cette perspective que s'inscrit la ratification, par référendum, avant l'été, du traité établissant une Constitution pour l'Europe. Un traité qui, en lui même, ne mérite ni un excès d'honneur, ni un excès d'indignité.
C'est un mode d'emploi institutionnel d'une Europe à 25 et plus si affinités ; c'est un guide, ou une règle du jeu, qui permet de dépasser la dialectique entre élargissement et approfondissement.
C'est un renforcement de l'efficacité des institutions européennes dans un cadre élargi ; c'est une refondation du projet européen.
Donnons toutes ses chances au OUI pour conjurer le risque d'un scénario du type " Maastricht à l'envers ", avec une courte victoire du NON, qui paralyserait l'Union européenne.
Là encore, il nous faudra faire uvre de pédagogie. Pour éviter un détournement du débat vers des sphères partisanes ou politiciennes. Pour éviter une dénaturation du débat par une question ... byzantine... qui ne se posera pas avant dix ans, si elle se pose...
La ratification de ce traité sera précédée d'une révision de la Constitution par la voie parlementaire qui place les deux assemblées sur un pied d'égalité. Cette révision est nécessaire notamment pour donner une assise constitutionnelle aux droits nouveaux conférés aux Parlements nationaux.
C'est ainsi qu'à défaut de créer un Sénat européen, le traité constitutionnel reconnaît aux Parlements nationaux ou à chacune des chambres qui les composent, d'une part, la possibilité de veiller au respect du principe de subsidiarité et, d'autre part, la faculté de s'opposer à une procédure de révision simplifiée du traité.
Cette extension des prérogatives des Parlements nationaux, milite, à l'évidence, en faveur d'une intensification du dialogue entre le Gouvernement et les assemblées pour toutes les questions européennes qui sont devenues, au fil du temps, des affaires intérieures de notre pays.
Je souhaite également que la révision constitutionnelle préalable à la ratification du traité nous permette de consacrer, dans notre loi fondamentale, l'existence et le rôle de vigies vigilantes des deux délégations parlementaires pour l'Union européenne.
Au moment où il me faudrait conclure ce propos, afin de ne pas lasser votre attention, il m'apparaît impossible, en ces temps où l'antisémitisme et le racisme peuvent hélas sembler renaître sur notre continent, de passer sous silence une autre commémoration : celle de l'horreur, celle de l'abomination, celle de l'abjection, mais les mots sont trop faibles pour qualifier le " scandale de la solution finale ".
Je pense bien sûr au 60ème anniversaire de la découverte, à partir du 27 janvier 1945, des centres de mise à mort, des camps d'extermination : Auschwitz-Birkenau, Buchenwald, Bergen-Belsen, Dora, Mauthausen, Ravensbruck, Tréblinka... sinistre litanie, tragique énumération... des étapes de la Shoah, cet ignoble affront fait à l'humanité et à sa dignité.
Mesdames, Messieurs, c'est au nom d'un Sénat renforcé, d'un Sénat rajeuni, d'un Sénat féminisé, d'un Sénat diversifié, que j'ai l'honneur et le plaisir de vous présenter, au nom de mes Collègues, de tous mes Collègues et à titre personnel, nos vux les plus chaleureux pour cette nouvelle année.
Que 2005 soit pour vous, et pour tous ceux qui vous sont chers, une belle, bonne et heureuse année
(Source http://www.senat.fr, le 19 janvier 2005)