Interview de M. Dominique Perben, ministre de la justice, à RFI le 26 janvier 2004, sur la position de la France concernant les génocides, notamment leur prévention et l'indemnisation des victimes, et les débats parlementaires à propos du projet de loi sur la criminalité.

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Circonstance : Séminaire international sur le génocide organisé à Stockholm (Suède)

Média : Radio France Internationale

Texte intégral

Q - Le séminaire international de Stockholm est la plus grande réunion sur le génocide, depuis l'adoption de la convention de l'ONU sur le sujet en 1948. La Suède souhaite une déclaration finale forte, avec l'annonce de mécanismes supplémentaires pour prévenir les génocides. Vous, vous représentez la France à cette réunion. Est-ce que vous arrivez avec des propositions concrètes de la part du gouvernement français ?
R - "Une volonté forte en tous les cas, et effectivement un certain nombre d'idées concrètes, je voudrais dire d'ailleurs que la France est un des rares pays européens à être représenté au niveau ministériel, ce qui montre l'importance que le président Chirac accorde à cette affaire, dont il avait longuement parlé avec le Premier ministre suédois il y a quelques mois. Ce que nous souhaitons faire à travers cette conférence, je veux dire tous ceux qui y participent, c'est voir comment on pourrait prévenir les génocides, c'est-à-dire que la communauté internationale n'attendrait pas le déclenchement des massacres, le déclenchement des génocides, mais pourrait prévenir les choses, c'est-à-dire commencer à réagir, commencer à intervenir avant même que les choses ne se déclenchent, c'est-à-dire au moment où quelques prémices de brutalité sont en train de se déclencher. Donc il nous faut trouver la façon, en particulier juridique - car là on est tout de même dans l'intervention dans un pays autre -, les mécanismes juridiques permettant effectivement à la communauté internationale de déclencher des opérations de sauvegarde avant même qu'un génocide ne se déclenche, c'est un point important."
Q - En collaboration bien évidemment avec les Nations unies je suppose.
R - "Il s'agit bien sûr d'une démarche complètement concertée avec les Nations unies, d'ailleurs M. K. Annan sera là ce matin, et c'est vraiment dans cet esprit que les choses se déclenchent. Par ailleurs j'insisterai beaucoup personnellement au cours de mon propos sur le rôle de la Cour pénale internationale - vous savez que la France a pris une part importante dans la mise en place de la CPI. Je crois que le fait que la CPI existe, le fait qu'elle pourra ainsi éviter que des génocidaires, que des gens ayant des responsables dans des évènements comme ceux-là, restent impunis, est un élément de dissuasion, et la dissuasion c'est aussi une forme de prévention. J'insisterai également sur un point très important auquel la France avait accordé de l'importance et pour laquelle elle avait beaucoup poussé les choses, c'est l'indemnisation des victimes et à cet égard dans le cadre de la CPI, nous avons mis en place un dispositif d'indemnisation des victimes avec un comité international dont fait partie d'ailleurs S. Veil, et qui jouera donc un rôle dans cet aspect de la lutte contre les génocides et leurs conséquences."
Q - Est-ce qu'il n'est pas difficile de représenter la France quand on sait quelles accusations pèsent sur son attitude dans deux des grands génocides du 20ème siècle, celui des Juifs et celui des Rwandais, et même si elle s'est rachetée une conscience récemment en reconnaissant le génocide arménien ?
R - "Vous savez, il y a les accusations, s'agissant par exemple du Rwanda, et puis la conviction que nous avons d'avoir fait ce que nous avons pu pour éviter que les massacres n'aient une ampleur encore plus importante. Je crois que les opérations militaires françaises qui sont intervenues, malgré l'absence de réaction de la communauté internationale, ont préservé des vies. Je crois que c'est ça qui est important. S'agissant de la Shoah, comme vous le savez la France est aujourd'hui très déterminée à lutter contre tout ce qui pourrait laisser entendre qu'il y ait, je dirais faiblesse, à l'égard de quelques formes de racisme ou d'antisémitisme que ce soit, et en tant que ministre de la Justice, j'ai encore tout récemment montré ma détermination personnelle, et la détermination du Gouvernement pour lutter contre tout ce qui pourrait laisser entendre que l'on puisse laisser revenir des comportements, des accusations, des insultes, des injures, qui font le lit finalement des attitudes génocidaires."
Q - Le projet de loi, dit loi Perben, qui est dirigé contre la grande criminalité, a pratiquement fini la navette au Parlement. Elle est examinée demain en commission paritaire, mais elle déclenche les foudres de l'opposition qui pourrait saisir le Conseil Constitutionnel. L. Fabius estime même que cette loi, qu'il qualifie de scandaleuse, mérite à elle seule une censure, vous y croyez ?
R - "Ecoutez, une censure, je ne sais pas comment puisque le débat est terminé. Je rappelle que cette loi a été élaborée il y a plus d'un an maintenant. Le débat parlementaire se déroule depuis le mois de mai et il a fallu attendre la quatrième lecture au Sénat pour entendre des critiques comme celles que vous venez de rapporter. Je ne comprends pas très bien de quoi cela participe. Toujours est-il qu'il y a eu..."
Q - D'un climat électoral, vraisemblablement.
R - "Oui mais enfin les trois premières lectures avaient été quand même publiques, et il ne s'était rien passé. Donc c'est peut-être la proximité des élections qui tout à coup donne des arguments à certains. Non, ce qui est important c'est de voir comment l'équilibre entre le texte adopté par l'Assemblée et le texte adopté par le Sénat va se réaliser car il est exact que l'Assemblée nationale avait durci un certain nombre de dispositions par rapport à mon projet initial, le Sénat est revenu sur l'essentiel de ces dispositifs, et je pense que la commission mixte paritaire de mardi devrait nous apporter un texte, je crois, équilibré et répondant à un certain nombre de critiques formulées par les professionnels en matière par exemple de droit de la défense qui seront, j'en suis convaincu, alignés sur les positions du Sénat."
Q - Vous réfutez tout en bloc parmi les critiques de l'opposition ? Loi liberticide, diminution du pouvoir du juge par rapport à celui du procureur ?
R - "Nous renforçons les pouvoirs des juges dans ce texte puisque le but c'est de donner à la justice française des moyens de lutter contre la grande criminalité, qu'ils n'ont pas aujourd'hui. Il est évident que les moyens d'enquête spéciaux qui sont donnés dans ces cas-là sont sous le contrôle du juge. Bien sûr ils seront exercés par les services d'enquête, c'est-à-dire par la police, mais ce sont les juges, soit juges d'instruction, soit juges des libertés de la détention, qui contrôleront ces moyens. Donc je ne vois pas bien quelle est la pertinence de la critique. Quant au fait globalement de liberticide, vraiment je ne peux pas accepter cette critique, je suis très conscient d'être le ministre chargé de la défense des libertés individuelles et s'agissant par exemple d'un élément qui fait débat, je comprends qu'il fasse débat, qui est celui de l'introduction d'une forme de " plaider coupable " à la française, c'est, j'en suis convaincu, un moyen que nous donnons à la justice française de répondre à une des grandes critiques, une des très grandes critiques, beaucoup plus fondamentale que tout ce que j'entends depuis quelques semaines, qui est l'incapacité de la justice française à traiter les dossiers dans un délai raisonnable. Et quand je dis, j'utilise cette formule, j'utilise la formule de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme qui a condamné la France à plusieurs reprises, pour des délais de jugements qui sont excessivement longs. Donc ça aussi nous devons répondre à cette exigence."
Q - Alors le mandat d'arrêt européen est entré en vigueur au 1er janvier en Europe, il n'est pas encore appliqué dans sept pays. La France fait partie de ces pays qui ne l'ont pas encore appliqué, pourquoi ?
R - "Oui tout simplement parce qu'il nous a fallu d'abord réformer la Constitution, ce que j'ai fait dans un texte qui a été examiné au congrès de Versailles l'année dernière. Et donc ce mandat d'arrêt européen il est inscrit dans le droit français à travers ma loi " Criminalité organisée " dont nous venons de parler, donc il est maintenant voté. La commission mixte paritaire va en traiter, comme vous l'avez rappelé, demain, et ensuite les délais de recours devant le Conseil Constitutionnel, disons que le texte sera applicable, mandat d'arrêt européen compris, au mois de mars."
(Source : premier ministre, Service d'information du gouvernement, le 27 janvier 2004)