Interview de M. Dominique Perben, ministre de la justice, à RTL le 8 février 2005, sur les propositions formulées par le groupe de travail mis en place à la suite des dysfonctionnement de l'instruction apparues dans "l"affaire d'Outreau", concernant notamment la co-saisine de plusieurs juges d'instruction dans les affaires difficiles et l'indemnisation des victimes d'erreur judiciaire.

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Circonstance : Remise du rapport du Groupe de travail présidé par le procureur général Jean-Olivier Viout chargé de "tirer les enseignements du traitement judiciaire de l'affaire d'Outreau", à Paris le 8 février 2005

Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

Q- Bonjour D. Perben. Vous présentez ce matin le rapport du groupe de travail présidé par le procureur général, J.-O. Viout, chargé - je cite - "de tirer les enseignements du traitement judiciaire de l'affaire d'Outreau". Ce rapport est assez simple. Parmi les principales causes de ce que l'on a appelé "une faillite judiciaire", il y aurait la solitude, l'isolement du juge d'instruction. Est-ce que vous partagez ce constat, D. Perben, et comment allez-vous y remédier ?
R- A la suite de cette catastrophe judiciaire qu'a été Outreau, un : j'ai reçu les acquittés dans un geste d'humilité de la part de l'Etat. Deux : j'ai fait en sorte que les discussions sur les indemnisations soient rapides, et que les premiers versements de 100.000 euros pour chacun d'entre eux soit faits, et c'est aujourd'hui chose faite. Troisièmement, j'avais demandé à Monsieur Viout ainsi qu'à un certain nombre de magistrats, d'avocats, d'experts, de journalistes, de réfléchir à ce qui s'était passé, de tout décortiquer pour essayer de comprendre, et de me faire des propositions concrètes pour que ça ne se reproduise pas.
Q- Ce qu'ils vous font aujourd'hui.
R- Ce qu'il me fait aujourd'hui. C'est un rapport extrêmement fouillé, extrêmement bon au sens de, vraiment il y a des propositions très concrètes qui vont au-delà je dirais de l'apparence ou de la superficialité des choses. Et, parmi les propositions, il y a effectivement une réflexion sur la manière dont les juges d'instruction peuvent mener ce type d'affaire très difficile, en particulier sur le plan psychologique et sur le plan humain, avec comme suggestions, un : la co-saisine, c'est-à-dire, non pas un juge d'instruction mais plusieurs, de façon à ce qu'il y ait des regards croisés sur une affaire, et la possibilité d'échanger entre hommes, ou entre hommes et femmes, sur une réalité très difficile à supporter. Deuxièmement, la possibilité qu'il y ait au niveau de la chambre d'instruction de la Cour d'appel un conseiller référent avec qui le juge d'instruction pourra parler. Et puis, troisièmement, ce qui est très important, la possibilité tous les semestres, en cas de détention provisoire, d'avoir, je dirais un moment, une audience publique pour faire le point sur la détention devant la chambre d'instruction de la Cour d'appel. C'est un point très important, qui devrait ainsi cadrer les choses et éviter ce qu'on a connu à Outreau.
Q-Pour isoler ces points, et pour tenter d'être clair : le juge d'instruction, donc plusieurs juges d'instruction sur un dossier.
R- Dans les dossiers difficiles.
Q- Cela vous paraît une bonne mesure ? Il faut le faire ? Comment allez-vous faire entrer cela dans les faits ?
R- Ce point-là, de passer de la possibilité à l'obligation, il faut un petit texte de loi. De même sur l'audience semestrielle sur la détention provisoire. Pour l'essentiel...
Q- "Un petit texte de loi", que vous allez donc déposer ?
R- Tout à fait. Que je vais préparer dès maintenant. L'ensemble des propositions me parait extrêmement satisfaisant. Il y a des choses que l'on peut mettre en place par circulaires. Par exemple les conditions de l'écoute de l'enfant, les conditions d'enregistrement de ces témoignages des enfants, la manière dont on va mieux gérer l'expertise car, là aussi, il y a une faiblesse sur l'expertise. Le fait qu'on n'ait pas vérifié qu'un expert faisait partie d'une association qui était impliquée dans ce type de dossier. Tout cela peut se faire par circulaires. Certaines choses pourront se faire par décrets. Et enfin, un petit texte de loi sur les points qu'on a évoqués ensemble il y a un instant.
Q- Est-ce qu'il vous faut un délai supplémentaire pour appliquer tout ça ?
R- Il faudra, sur le budget 2006, que je prenne en compte ce qu'on a évoqué tout à l'heure, c'est-à-dire la co-saisine de plusieurs juges, et un renforcement du rôle de la chambre d'instruction de la Cour d'Appel. Il nous faudra renforcer les postes de magistrats sur ces fonctions-là.
Q- Vous avez dit tout à l'heure qu'un premier versement avait été fait à chaque victime. 100.000 euros. Où en est-on de cette négociation avec eux ? Elle se poursuit ?
R- Alors les 100.000 euros sont versés, les chèques ont été signés et envoyés. Et la négociation sur le reste, si je puis dire, sur le fond, en fonction de la situation de chacun, est encore en cours de discussion. C'est évidemment plus difficile, parce que là il y a des approches un peu diverses entre l'administration de la Justice, les Finances et les intéressés. Mais j'ai bon espoir qu'on pourra arriver à des accords amiables.
Q- 100.000 euros par accusé, ils étaient sept, ça fait 700.000 euros. La facture d'Outreau, au total, ça va être combien, D. Perben ?
R- La facture totale, c'est surtout beaucoup de malheur ! Beaucoup de souffrance pour les uns et pour les autres.
Q- Pas de chiffre.
R- Et puis il y aura en plus des chiffres. Mais le plus grave dans tout ça, c'est la souffrance humaine.
Q- Le groupe de travail du procureur Viout a auditionné 64 personnes, j'ai compté sur la liste des avocats, des experts, des journalistes, des magistrats et ce groupe n'a pas auditionné F. Burgot, le juge d'instruction dont le rapport dit : "la majeure partie des reproches s'est focalisée sur lui, sa jeunesse et son inexpérience ont été invoquées" Comment un groupe de travail peut travailler, essayer de faire la vérité sur les dérapages constatés, sans auditionner l'un des principaux responsables de ce dérapage ?
R- Non, le groupe de travail a pour but de me faire des propositions pour que le système ne dérape plus.
Q- Oui mais celui qui l'a fait déraper n'est pas auditionné comment vous expliquez ça, D. Perben ?
R- Parce que ça n'est pas un conseil de discipline, d'une part ; et d'autre part, parce que l'affaire n'est pas terminée par ailleurs.
Q- Elle n'est pas terminée sur quel plan ?
R- Je vous rappelle qu'en appel, une partie des gens mis en examen passe en appel dans quelques jours. Et donc il n'est pas question que cette commission de travail interfère dans le déroulé de l'ensemble de l'opération.
Q- L'Etat recherchera-t-il, quand ce sera fini, la responsabilité de ce juge d'instruction et des magistrats qui ont instruit ce dossier ?
R- Ne simplifions pas les choses à l'excès. La réponse est oui, s'il y a des responsabilités personnelles particulières. Mais le rôle du juge d'instruction ne peut pas être isolé du rôle d'un certain nombre d'autres acteurs de cette affaire.
Q- Dans ce dossier, on a l'impression que l'administration ne va pas jusqu'au bout, c'est-à-dire qu'on essaie d'écarter la responsabilité de ceux qui sont à la cause de ce dérapage.
R- Ah ! je ne crois pas qu'on puisse dire ça ! Je ne sais pas si vous avez lu le rapport Viout, mais il va très loin dans l'analyse de l'ensemble de ce qui s'est passé et j'allais dire, vraiment, là on a un travail très précis, très approfondi, peut-être plus technique évidemment que simplificateur, mais c'est justement ce qu'on lui demandait. Et, à partir de là, je vais pouvoir, dès cette semaine, mettre en route toute une série de modifications.
Q- Il n'y a pas, D. Perben, une culture de l'irresponsabilité dans l'institution judiciaire ? Les magistrats qui ont fauté seront sanctionnés ?
R- Bien sûr.
Q- Mais pour l'instant, ils ne le sont pas.
R- Non, parce qu'il y a un temps pour tout. Le but du rapport Viout, ce n'était pas de faire une enquête disciplinaire. D'abord le pouvoir disciplinaire ne m'appartient pas. Moi je peux le déclencher, mais ça n'est pas moi qui ai autorité là-dessus, c'est le Conseil Supérieur de la Magistrature.
Q- Vous le ferez, le moment venu ?
R- Si des faits nous montrent qu'il y a nécessité, effectivement je le ferai, comme je l'ai déjà fait.
Q- Mais pour l'instant les faits ne sont pas établis.
R- Pour l'instant l'affaire n'est pas terminée, Monsieur Aphatie.
Q- Projet pour projet de loi. On n'a toujours pas de nouvelles du projet de loi que vous avez défendu en conseil des ministres en juillet 2003. Il portait sur le statut pénal du chef de l'Etat. Plus personne ne nous en parle, vous pouvez nous donner des nouvelles, D. Perben ?
R- Il n'est pour l'instant pas inscrit à l'ordre du jour du Parlement.
Q- Il le sera un jour ?
R- Je le pense.
Q- C'est un peu comme le canon de F. Raynaud, vous savez, qui mettait un certain temps pour refroidir. Un jour, on le verra ce projet de loi ?
R- Je le pense.
Vous le pensez...D. Perben, Garde des Sceaux, était l'invité d'RTL
ce matin. Bonne journée.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 9 février 2005)