Texte intégral
Madame et Messieurs les Ministres,
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,
Nous voici réunis aujourd'hui pour une nouvelle conférence des ambassadeurs. Comme chaque année, c'est l'occasion de faire l'état des lieux de notre diplomatie comme du fonctionnement de notre maison. Je suis donc heureux de vous retrouver, avec Claudie Haigneré, Xavier Darcos et Renaud Muselier.
Permettez-moi également de saluer tous ceux qui nous font l'honneur de prendre part aujourd'hui à nos travaux.
Mon intervention devant vous sera politique, mais aussi pratique. Comme c'est normal, le président de la République, lorsqu'il nous recevra demain après-midi, fixera le cadre de votre action pour l'année à venir.
Toutes et tous, ensemble, nous avons en charge la diplomatie française. Au nom de notre pays, nous avons donc la responsabilité d'agir à l'extérieur pour défendre notre vision du monde et promouvoir nos intérêts. C'est une tâche unique, complexe et passionnante.
Pour tout dire, je me fais une certaine idée de la diplomatie et de ce qu'elle implique :
- recenser les enjeux et établir nos priorités ;
- respecter des principes et faire preuve d'un certain état d'esprit ;
- enfin, s'assigner des méthodes et se donner des moyens qui permettent à notre pays de tenir sa place dans les affaires du monde.
Enjeux et priorités. Principes et état d'esprit. Méthodes et moyens. Autant de points de repère autour desquels je voudrais concentrer mon intervention.
* * *
Et d'abord les enjeux.
Le monde, nous le voyons, n'est pas seulement en mouvement, en évolution. Il est en désordre. Crises des nations, conflits ethniques et religieux, prolifération, trafics, terrorisme : le monde globalisé n'est pas seulement cela. Mais il est aussi cela, porteur de risques et de défis. Les plus visibles et les plus violents, que je viens de mentionner. Mais d'autres encore, que nous devons mesurer et mieux comprendre. Il en va de l'équilibre de notre planète, et des valeurs qui ont en permanence inspiré notre action diplomatique.
J'en distinguerai trois séries, plus particulièrement.
Il y a, en premier lieu, les défis du développement. Parce qu'ils sont souvent à la source de tous les autres.
Le premier de ces défis est silencieux. Mais il est le plus implacable, et je le considère, depuis longtemps, comme le plus important.
Il s'agit des atteintes portées à notre environnement, à notre écosystème. Des mots forts ont été prononcés, notamment à Johannesburg par le président de la République : "la maison brûle et on regarde ailleurs".
Nous n'avons pas de planète de rechange. Et pourtant nous polluons, souvent inconsciemment, et toujours irréversiblement, l'air que nous respirons, l'eau que nous buvons, la terre qui nous nourrit. Notre climat se détériore et, avec lui, tout notre système écologique.
De quoi parlons-nous, de quoi parlez-vous, lors de nos visites, celles que vous organisez, de nos déplacements ? De la dégradation rapide de l'environnement, de la désertification et de la pénurie d'eau, qui compromettent le développement de nombreuses nations. Partout s'allument des signaux de détresse. Ils s'appellent bassins du Congo ou du Niger, Arctique, forêt primaire amazonienne. L'espace lui-même commence à s'encombrer des débris de l'activité humaine.
La protection de l'environnement, c'est l'urgence pour tous. Mais c'est le devoir des plus riches. Car, à l'échelle d'une ville comme à l'échelle du monde, la dégradation de l'environnement accompagne et aggrave l'injustice sociale. Aujourd'hui même, un milliard de personnes n'ont pas d'accès à l'eau potable, et deux milliards et demi à l'assainissement. Imaginer que cela ne joue et ne jouerait aucun rôle dans les troubles politiques et sociaux, ici ou là dans le monde, est une très grave illusion.
La protection de l'environnement est un enjeu diplomatique majeur. Il est et sera l'objet de négociations internationales de plus en plus difficiles mais de plus en plus essentielles.
Voilà pourquoi nous avons besoin d'une véritable organisation des Nations unies pour l'environnement. Je rencontrerai à ce sujet à New York prochainement une trentaine de mes collègues les plus engagés ou les plus motivés. Voilà pourquoi nous consacrerons notre prochaine conférence, en 2005, à ce sujet, à cet enjeu du développement durable.
Un autre enjeu du développement - ils vont ensemble - celui des grandes pandémies qui frappent toutes les nations.
Mais toutes n'ont pas les moyens de se défendre. Les nations les plus pauvres sont les plus démunies face au SIDA, à la tuberculose, au paludisme. Aujourd'hui, en Afrique, les ravages du SIDA créent un véritable "devoir d'assistance à peuple en danger". Dans huit pays, l'espérance de vie ne dépasse plus l'âge de quarante ans. L'épidémie mondiale a fait vingt millions de victimes depuis 1981. Il y a urgence à dégager des moyens pour la formation et la prévention, et à assouplir les droits de propriété intellectuelle pour ouvrir davantage l'accès aux médicaments, nous le ferons, pour notre part, dans le prochain budget 2005.
Pour cela, la diplomatie a un rôle essentiel à jouer, à l'OMC, aux Nations unies, et à l'OMS.
Enfin, le développement exige aussi de lutter contre la pauvreté et la famine. Et c'est toujours l'Afrique, sous l'effet de la sécheresse et des conflits, qui est la première touchée. Je n'insisterai pas sur les dégâts supplémentaires que provoquent, en ce moment même, les invasions de criquets pèlerins.
Dans vingt ans, prévenait récemment le président Konaré, et ne cessait pas de répéter ces chiffres, l'Afrique comptera un milliard et demi d'habitants. Un milliard d'entre eux "vivront" - si j'ose dire - avec moins d'un euro par jour. Huit cents millions auront moins de quinze ans
Tout cela nous concerne, évidemment. Et, pour moi, il n'y a pas de place pour le fatalisme.
*
La deuxième série de défis auxquels nous sommes confrontés est liée aux conflits.
Les conflits ouverts comme au Proche-Orient, en Irak, mais aussi dans les Grands Lacs, au Darfour, en Asie Centrale.
Les risques de prolifération des armes de destruction massive. Les phénomènes plus insidieux comme les trafics d'armes ou les réseaux de crime organisé.
Et, bien évidemment, le terrorisme, dont la menace s'est concrétisée à Madrid, Bali, Karachi et dans les grandes villes de l'Irak. La réponse à cette violence "sans visage" ne peut être qu'internationale, fondée sur la coopération entre les polices et les justices, l'échange de renseignements, le renforcement de conventions internationales.
Autant de nouveaux terrains, pour nous, pour vous, pour l'action diplomatique, autant de terrains aussi pour le "courage diplomatique". Je pense ici à plusieurs d'entre vous, à vos collaborateurs, à nos compatriotes expatriés et à leurs familles qui vivent des situations conflictuelles ou exposées, et qui font preuve de beaucoup de sang-froid.
Enfin, la dernière série de défis concerne, plus généralement, la vie de nos sociétés : et là encore, la France doit être fière, sur ces sujets de société, d'avoir une identité et un projet.
Celui de la francophonie, c'est-à-dire la promotion d'une langue qui n'est pas seulement la nôtre, et dont la vocation universelle est un atout pour tous ceux qui l'ont en partage.
Celui du pluralisme culturel, qui reflète tout simplement la diversité du monde. Dans le domaine économique, l'on sait que la concurrence loyale demande des règles. Le domaine culturel, lui aussi, a besoin de diversité et de règles, pour garantir le droit de chaque peuple à son identité et à sa différence.
Identité et projet de la France encore lorsque nous recherchons l'équilibre, patiemment et avec ténacité, entre la liberté et la régulation, et d'abord en Europe où se joue notre avenir économique. Proposer un libéralisme sans entrave, c'est méconnaître le modèle économique et social européen. Il n'y a pas de modernisation dans ce domaine sans souci de cohésion. Et c'est dans l'équilibre seulement que les sociétés européennes accepteront plus résolument la voie tracée à Lisbonne pour la compétitivité et la croissance de notre continent.
Et si nous nous engageons, dans quelques mois, à expliquer et à défendre le texte de la Constitution européenne, c'est précisément parce qu'il garantit cet équilibre.
Voilà, en quelques mots seulement, les nouveaux champs où notre action doit s'engager.
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Face à ces défis, à ces enjeux assez différents, je voudrais maintenant rappeler les principes qui sont les nôtres et que nous voulons faire partager :
d'abord, notre volonté de respecter la règle de droit et faire prévaloir, au sein de la communauté internationale, le principe de la responsabilité collective. L'expérience récente nous montre que l'absence d'accord, en particulier entre les membres du Conseil de sécurité aux Nations unies, fait obstacle au succès.
Nous savons que recourir unilatéralement à la force ou aux sanctions sans un minimum de consensus entre les membres de la communauté internationale, c'est prendre le risque de l'impasse.
En revanche, rechercher l'accord des autres n'est pas synonyme d'impuissance. Certains y voient un signe de faiblesse. Ils ont tort. Au contraire ! C'est une attitude forte, qui demande souvent davantage de patience et d'écoute.
Dans le conflit du Darfour, dans les régions des Grands Lacs ou encore dans nos négociations avec des partenaires, je pense à l'Iran, avançons avec détermination, mais avec la volonté de comprendre la réalité, l'histoire des positions qui se font face.
Concrètement, cela implique, sans nul doute, que nous sachions renforcer les moyens et les pouvoirs des Nations unies. Mes prédécesseurs, notamment Hubert Védrine, se sont mobilisés pour cet objectif, et j'entends le poursuivre, le mettre en uvre comme dirait le président de la République. Il est temps d'améliorer la légitimité et l'efficacité de la démocratie mondiale qui se bâtit lentement au Conseil de sécurité, comme dans les autres institutions onusiennes.
Avec le respect du droit, un deuxième principe est le respect des cultures et le dialogue. Au-delà de cette conviction inspirée par l'exigence de tolérance et du respect de l'autre, c'est bien d'un principe opérationnel que je veux parler.
Car cette volonté de dialogue implique que, dans ce monde pluraliste, la France soit capable de développer des relations de plus en plus denses avec tous les pays qui s'affirment au cur de leurs régions. Le Brésil ou le Mexique en Amérique latine. L'Afrique du Sud ou le Nigeria en Afrique. L'Inde et la Chine en Asie.
Nous continuerons, au nom de ce principe opérationnel, d'appuyer les organisations régionales qui, au-delà de leurs objectifs économiques, jouent un rôle politique croissant. Comment ne pas être frappé par les contributions de plus en plus utiles apportées par l'Union africaine ou encore la CEDEAO dans des crises comme celles du Darfour, des Grands Lacs ou de la Côte d'Ivoire ? Comment ne pas remarquer, face à l'initiative sur le Grand Moyen-Orient, l'apport réaliste et mesuré des membres de la Ligue arabe qui a contribué à orienter dans le bon sens les conclusions du Sommet de Sea Island ?
A nous de savoir mieux écouter ce que nous disent les pays d'Asie, d'Afrique, d'Amérique latine ou d'ailleurs et de leur apporter un appui sincère, sans condescendance, simplement comme des partenaires.
Et puis, il y a l'Union européenne qui est désormais le cadre naturel et le démultiplicateur de notre influence. Aujourd'hui, l'Europe élargie, finie, s'est dotée, à travers sa toute première Constitution, de nouveaux instruments de politique étrangère et de défense. Elle doit prendre, elle va prendre toute sa place sur la scène internationale et, si elle en a la volonté, elle va jouer un véritable rôle, comme les grands acteurs politiques du monde, dans la solution des conflits du monde.
Ne nous y trompons pas. Nos partenaires nous le demandent. En mutualisant leurs actions et leurs initiatives, et d'abord dans nos réseaux consulaires, tous les pays européens se donnent une capacité d'intervention bien supérieure à leurs contributions nationales isolées. A Haïti, dans les pays d'Afrique ou encore au Proche et Moyen-Orient, l'Union européenne, si elle réussit cette mutualisation, peut, demain, être un acteur qui compte. Cette perspective ne rend que plus nécessaire la ratification de la nouvelle Constitution et justifie la campagne d'explication, pluraliste, républicaine, démocratique et citoyenne, que le gouvernement va proposer aux cours des prochains mois.
Mais, au-delà de l'échéance constitutionnelle, notre engagement européen exige que la France mène avec l'Allemagne une concertation exemplaire et, à dire vrai, irremplaçable. Que personne n'en doute. Nous continuerons à faire vivre la parole franco-allemande. C'est notre intérêt.
Mais ce dialogue si singulier, entre nous, Français, Allemands, doit servir au progrès du projet européen tout entier, sans exclure quiconque. Ni le Royaume-Uni, partenaire indispensable pour l'avenir de la politique étrangère et de sécurité commune en Europe. Ni l'Espagne, qui recherche ce dialogue. Ni l'Italie, avec laquelle nous avons fondé ce projet. Ni nos nouveaux partenaires de l'Union européenne qui ne seront pas les moins appliqués ou les moins déterminés dans leur ambition européenne.
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs, j'entends conduire avec vous, avec l'équipe du Quai d'Orsay, une politique européenne ouverte, partenariale. Nous devons "jouer collectif". Parce qu'au Conseil des ministres à Bruxelles, tous les Etats comptent, quelle que soit leur taille.
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Il y a les principes qui guident notre action. Il y a aussi le nouvel état d'esprit, pour vivre avec notre temps et avec lequel nous agissons.
Bien sûr, il s'agit toujours et encore de défendre nos intérêts. La France, comme tous ses partenaires, a des intérêts économiques, stratégiques, politiques. Nous n'avons pas de complexe. D'ailleurs, les autres n'en ont pas. Mais, à l'heure de l'interdépendance des économies, la frontière entre l'externe et l'interne n'a plus guère de sens. Nos marges de manuvre internes, économiques et politiques, l'équilibre même de la société française se déterminent de plus en plus à l'extérieur, par le dialogue et la négociation avec nos partenaires européens, ceux du G8 comme dans les instances internationales.
Voilà pourquoi notre métier, votre mission, restent si importants. Aider nos entreprises à se faire connaître, aider nos collectivités territoriales, nos syndicats, à négocier à Bruxelles, à Genève, à New York, à l'OCDE, au FMI, préparer ces négociations dans chacun de vos pays de résidence par des contacts, par l'explication, par la diffusion de nos idées, convaincre, entraîner et les autres après les avoir écoutés : voilà comment l'action internationale que vous conduisez, que nous conduisons, détermine in fine ce qui se passe ici en France, pour nos concitoyens et pour nos entreprises.
Bataille courtoise, civilisée, diplomatique, en somme, que cette action internationale - mais bataille tout de même.
Bien sûr, dans ce combat aux avant-postes de la République, il s'agit aussi de défendre nos idées, nos concepts et ce qui fait notre pays à travers son histoire assumée et sa modernité revendiquée.
La France, aujourd'hui, c'est un certain état d'esprit de réforme. Education, recherche, retraites, santé, sécurité intérieure et extérieure... Ces réformes ont la marque de l'équilibre.
Car le modèle, j'emploie ce terme avec précaution, de société française est un modèle à la fois libéral et solidaire, où le marché doit développer tout son dynamisme, où le rôle de l'Etat est d'inciter et de réguler, où le service public, les missions de service public, restent un vecteur de solidarité et de cohésion sociale.
Cet équilibre n'est ni acquis, ni figé. Il se construit constamment, en fonction de l'évolution de notre société, des contraintes internationales et des aspirations de nos concitoyens. Cela veut dire que l'Etat, lui aussi, doit être en mouvement, adapter ses moyens d'action comme son mode de fonctionnement.
Bien sûr, il faut encore et toujours rester en action, en initiative. Cet état d'esprit-là a été souvent affirmé et démontré par mon prédécesseur et ami, Dominique de Villepin, et je veux poursuivre cet état d'esprit. Cela nous conduit à présenter nos idées sans complaisance, avec énergie et sans complexes. Et en gardant à l'esprit que l'image de la France, c'est-à-dire la manière dont elle est perçue et représentée, est un facteur d'influence.
Voilà pourquoi je regrette, et parfois je ne comprends pas, comme vous, ces campagnes de presse sur le thème du déclin et de la perte d'influence. Cette étrange psychanalyse collective, parfois cet auto-dénigrement, étonne souvent nos partenaires étrangers.
Avoir conscience de nos faiblesses, agir pour les combattre n'interdit pas de mesurer nos atouts et de les faire valoir. Je compte aussi sur vous pour présenter de notre pays une image de créativité et de dynamisme, parce que cela correspond, assez profondément, à ce que nous sommes.
Ajoutons-y de l'attention, si vous le voulez bien et je vous le demande, du dialogue, de la considération pour les autres. Par exemple, cherchons à mieux connaître les jeunes élites étrangères, les futurs dirigeants de l'économie, de la politique ou de la culture. Je prendrai, dans les prochains mois, une initiative nouvelle pour qu'ils soient accueillis en plus grand nombre et avec plus d'attention encore dans chacun de vos pays et dans notre pays.
J'ouvre ici une courte parenthèse. J'ai beaucoup parlé d'ambition et d'attention à la fois. C'est exactement de cette manière que nous allons soutenir le projet olympique de Paris pour 2012, c'est aussi et d'abord le sujet de la France, en concertation avec le comité de candidature. Je sais, d'expérience, l'impact formidable qui peut en résulter pour l'image et le rayonnement de notre pays, l'organisation des Jeux olympiques.
La France n'est pas grande quand elle est arrogante. La France n'est pas forte si elle est solitaire. Je vous engage à faire que notre pays, et d'abord sa diplomatie, notre diplomatie, ajoute à sa culture traditionnelle de souveraineté une culture d'influence et de partenariat.
La France a son propre rôle à jouer, sa propre action diplomatique à mener, sans jamais s'effacer. Mais elle a, je pense, de plus en plus, aussi besoin des autres et pour être plus forte a besoin de vous.
Et la première réponse, je le dis sans détours, doit être européenne. Je sais que cette évolution n'est pas inscrite dans la longue et prestigieuse histoire de notre ministère. Et je pense pouvoir l'affirmer pour être un des seuls politiques français à avoir passé cinq ans au sein de l'exécutif européen comme Commissaire européen. Il y va de l'influence de notre pays.
La mise en place d'un service diplomatique européen ne rend que plus urgente notre préparation et, en particulier, l'exigence, pour vous, Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs, de renforcer vos relations de travail sur le terrain avec les délégués de la Commission européenne. Au-delà, nous proposerons avec Claudie Haigneré, à l'automne, sous l'autorité du président de la République et du Premier ministre, un plan d'action précis pour consolider et accroître cette influence en Europe. Cela passe, dans notre maison même, par l'organisation d'une filière diplomatique européenne reconnue.
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Enjeux et défis. Principes et état d'esprit. Je voudrais vous parler enfin des outils.
Les outils, les moyens. Notre action diplomatique doit en effet se doter des méthodes et des moyens nécessaires pour tenir son rang dans le monde.
S'agissant de nos méthodes, la stratégie ministérielle de réforme, approuvée l'an dernier, se met en place avec, notamment, l'adaptation de nos réseaux à l'étranger, l'instauration d'une direction collégiale, qui vivra et qui fonctionnera, je vous le garantis, la création d'un contrôle de gestion et la transformation des plans d'action des ambassadeurs en plan d'action des ambassades.
Aujourd'hui, il faut aller plus loin avec le regroupement des sites parisiens du ministère - je vais y revenir - la mutualisation de nos moyens à l'échelle européenne, notamment avec l'Allemagne, et la modernisation de nos modes d'administration consulaire.
Sur ce chapitre, je veux insister sur trois points :
- la capacité d'analyse stratégique ;
- la communication ;
- le partenariat avec les autres acteurs français de notre action extérieure.
Nous avons besoin d'une fonction stratégique prospective et forte. Nous allons favoriser la production doctrinale et la recherche en relations internationales, en organisant, par exemple, un réseau d'experts de la société civile sur les questions de développement. J'ai demandé à la direction collégiale et au directeur du Centre d'analyse et de prévision de me faire des propositions précises sur tous ces points d'ici la fin de cette année, avec l'objectif de créer en particulier une instance d'orientation stratégique de notre politique étrangère.
J'ai évoqué la communication. La parole de la France doit être mieux portée par nos chefs de poste. Je demande à la DCI, et à toutes les directions du ministère, de veiller à l'information régulière de nos postes, et de renforcer autant que nécessaire la formation de nos ambassadeurs ainsi que de leurs principaux collaborateurs sur les techniques et cultures employées en communication.
Vous êtes, Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs, les porteurs de la parole de la France. Je vous encourage à être le plus proche possible des réalités humaines dans les pays où vous servez, d'adapter notre communication aux moyens nationaux, régionaux et locaux, de la rendre plus accessible et compréhensible, pas seulement par les élites, mais par les peuples de vos pays de résidence.
Nous allons donner à notre diplomatie une dimension plus humaine et plus citoyenne. Je veux que l'on mette davantage en valeur l'action de nos entreprises et des ONG, des associations, de nos collectivités territoriales qui font de la coopération décentralisée et parfois même la nôtre en matière de culture et de développement, à travers des exemples concrets.
Notre parole doit être proche, amicale, ouverte : c'est à cette condition qu'elle saura toucher et convaincre. Au demeurant, ce que je dis là vaut aussi pour la communication du Quai d'Orsay lui-même en direction des Français eux-mêmes : il faut accepter l'idée que la diplomatie est partie prenante de la vie quotidienne de nos concitoyens. Il faut donc l'expliquer et, d'abord, aux élus et aux responsables de notre pays. Ces questions internationales inquiètent toujours nos concitoyens. Ce sera l'objet d'une lettre régulière d'information diffusée dès le mois de septembre vers les élus.
Dans ce contexte, il y a bien sûr le projet de création d'une chaîne internationale d'information.
L'objectif fixé en ce domaine par le président de la République doit être tenu. Dans la bataille d'images qui se joue aujourd'hui - regardons l'Irak - notre pays doit être présent. Un projet a été mis au point avec le rapport Brochand. Nous l'évaluons, j'ai besoin d'un peu de temps, à la lumière, notamment, des moyens financiers qu'il exigerait et de sa complémentarité avec les autres opérateurs de notre audiovisuel extérieur. Cette évaluation sera conduite rapidement, avec le ministère de la Culture. Nous le devons au président de la République, aux auteurs de ce projet. Nous le devons aussi à tous ceux qui, à travers le monde, attendent de mieux connaître les positions de notre pays.
Un dernier point de méthode sur le partenariat. J'en ai souvent parlé parce que c'est un précieux levier, pour amplifier notre action diplomatique et politique envers ces deux millions de Français qui vivent et travaillent à l'étranger.
L'Etat a besoin du concours d'autres acteurs, je pense aux collectivités territoriales, aux délégués des Français de l'étranger, aux entreprises, aux associations et aux ONG. Tous, à un titre ou à un autre, sont des acteurs utiles et efficaces de l'influence française.
Soyons aussi attentifs à notre relation avec les Parlements : le nôtre - Sénat et Assemblée - ce sera demain, plus encore qu'aujourd'hui, un impératif budgétaire avec le dialogue qu'instaure la LOLF. Je le dis en remerciant de leur présence et de leurs conseils les rapporteurs de notre budget. Celui de l'Union européenne à Strasbourg - il a une influence croissante. Enfin, bien sûr, les Parlements de vos pays de résidence, qui jouent souvent un rôle pratique essentiel. Il faut être attentif au dialogue chaque jour.
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Après la méthode, quelques mots rapidement sur nos moyens. Et d'abord le budget.
L'exécution budgétaire sera plus sereine en 2004 qu'en 2003. En effet, grâce à la vigilance de mon prédécesseur, par la volonté du président de la République, nous avons échappé à toute régulation budgétaire cette année. Pour 2005, j'ai veillé à ce que nos moyens de fonctionnement soient préservés.
Certes, au titre de la maîtrise de l'emploi public voulue par le gouvernement, nous avons consenti des suppressions de postes à concurrence de 50% des départs à la retraite, soit une centaine d'emplois.
Mais les économies ainsi dégagées sur notre masse salariale vont être en partie réinvesties pour améliorer l'échelonnement indiciaire des conseillers des Affaires étrangères. Quant aux indemnités de résidence, elles ne seront pas taxées.
Les crédits destinés au fonctionnement général de cette maison sont en augmentation de 5 millions d'euros. Le financement de la réforme du droit d'asile est enfin acquis.
Toujours pour 2005, plusieurs de nos crédits d'intervention augmenteront, notamment les concours financiers, la coopération technique, et l'aide alimentaire qui va bénéficier du transfert des crédits jusqu'ici gérés par le ministère de l'Agriculture.
Il y a ces points positifs ; mais nous avons aussi des raisons de rester vigilants.
Pour l'aide publique au développement, pour les dotations allouées au FED et au Fonds de solidarité prioritaire, le budget ne sera pas suffisant. C'est aussi vrai pour les contributions, obligatoires ou volontaires, aux organisations internationales. Il faudra donc y revenir en loi de finances rectificative en 2005. Et j'ai obtenu l'assurance que ces crédits seront abondés en gestion sans pénaliser notre budget initial.
Notre effort porte aussi sur les questions de personnel. Nous devons être attentifs à nos modes de gestion des ressources humaines.
J'ai veillé à ce que les crédits de formation augmentent sensiblement. Le catalogue des formations va être revu, le programme du nouvel "Institut pour la formation à l'administration et aux affaires consulaires" est en cours de refonte, comme celui de l'Institut diplomatique.
Pour ce qui est de l'évaluation, je souhaite qu'on valorise davantage les performances des agents. Ceci passe par l'élaboration de nouvelles procédures de notation, par l'expérimentation de l'évaluation à 360°, qui débutera prochainement à l'administration centrale et sera étendue ensuite aux chefs de poste.
Enfin, en matière de promotions et d'affectations, j'ai demandé que celles-ci soient gérées dans le respect du triple principe de parité, d'équité - notamment à l'égard des agents en poste à l'administration centrale - et d'impartialité.
Un mot, enfin, de notre communication interne. J'ai approuvé le schéma directeur informatique. J'en retiens trois points : l'ouverture de notre système de communication sur les autres sites gouvernementaux, européens ou internationaux ; la mise en place d'une messagerie sécurisée réservant les télégrammes diplomatiques aux seules informations classifiées ; l'augmentation du débit des communications pour développer la télé-administration consulaire.
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J'en aurai presque fini en évoquant brièvement deux sujets.
D'abord, le projet, auquel je tiens, d'un regroupement de nos onze implantations parisiennes sur un site unique.
Ce qui compte à mes yeux, c'est que ce projet soit celui de tous, qu'il s'élabore dans la concertation, qu'il soit équilibré financièrement et qu'enfin, le Palais des Affaires étrangères - le Quai d'Orsay - reste au Quai d'Orsay comme le lieu de rayonnement où sont reçus les hôtes de la France.
Je veux être clair, rien n'est décidé à ce stade : des expertises sont lancées, une mission d'étude va se mettre en place prochainement, un comité consultatif sera institué C'est au terme de ce processus qu'une décision définitive sera prise, en pleine connaissance de cause, sans doute au printemps prochain. Et le choix se fera dans la transparence et le dialogue.
Un mot enfin sur la mission que le Premier ministre a confiée à Raymond François Le Bris. Il s'agit de confirmer et d'ancrer dans la réalité le rôle interministériel des ambassadeurs, véritables "préfets de l'extérieur". Les récentes décisions du CICID vont dans ce sens ; il faut maintenant les mettre en uvre sur le terrain, ensemble, de manière concrète et durable.
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Voilà cinq mois que je suis arrivé ou plutôt revenu dans ce ministère, au cur de notre action extérieure, au sein de cette administration des Affaires étrangères qui s'est toujours distinguée par son sens de l'Etat.
Aujourd'hui, j'ai deux convictions :
- notre ministère sera plus fort s'il est ouvert, s'il accueille d'autres talents et d'autres expertises ;
- notre ministère doit être fidèle à ses traditions et à son passé. Mais il doit vivre avec son temps et poursuivre sa mutation culturelle. Celle qui, avec le recul et la mémoire mais sans nostalgie, analyse, comprend et privilégie les clés de l'influence dans le monde d'aujourd'hui qui n'est pas le monde d'il y a quelques années. L'une de ces clés est la construction politique de l'Europe. Il s'agit, dans le mouvement de réforme voulu par le gouvernement, d'apporter notre propre contribution et même d'être en avant. C'est l'ambition que je vous propose. Et je vous remercie, les uns et les autres, là où vous êtes, dans la diversité de vos expériences et de vos sensibilités, de m'y aider.
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Je voudrais, Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs, terminer par un mot un tout petit peu plus personnel, pour rassembler beaucoup de ce que je vous ai dit dans ce long propos d'introduction. J'ai sur mon bureau, là où je reçois tant de visiteurs, posés ces deux petits cailloux blancs. Ils ont une histoire émouvante, et même tragique. Je les ai ramassés il y a quelques semaines à la frontière d'Haïti et de Saint-Domingue, là où un village tout entier, 350 personnes, a été balayé, comme par un bulldozer, par un torrent de cailloux comme ceux-là. Si je vous parle de cela, c'est que cette visite à Haïti que devait faire Dominique de Villepin et que j'ai faite à deux reprises en quelques semaines, a été pour moi émouvante et significative.
J'ai trouvé dans cette île, et notamment dans ce pays, la concentration ou l'addition de tous les enjeux et de beaucoup des défis que je viens d'évoquer devant vous, comme les obligations de notre diplomatie. J'y ai trouvé naturellement la pauvreté, le développement, la misère, l'une des plus grave du monde, l'écologie, avec cette incroyable déforestation, pour brûler et chauffer ; j'y ai trouvé la maladie ; naturellement, il y a quelques mois, une crise qui a frisé l'insurrection civile et l'obligation pour les Nations unies d'intervenir. On y trouve naturellement, comment ne pas l'entendre, la Francophonie. Dans l'école d'agronomie de Port-au-Prince, les étudiants qui m'ont accueilli dans des salles qui avaient été entièrement dévastées - les dortoirs, les ordinateurs, les laboratoires - parlaient tous français, et ils n'avaient que leur livre à la main. J'y ai trouvé le test de l'efficacité européenne : 300 millions d'euros sont disponibles à Bruxelles. Serons-nous capables de les utiliser sur place, pour l'électricité ou pour l'eau, par exemple ? J'y ai trouvé aussi une raison d'influence, au sein de la Caraïbe, pour la France, à partir de nos départements d'Outre-mer et à côté de l'Amérique du Nord. Donc, le symbole de beaucoup de défis et d'exigence de notre diplomatie.
Voilà, je voulais vous dire cela et, pour terminer, vous lire à propos d'Haïti, non pas toute la lettre, mais une partie de la lettre que j'ai reçue au mois de juillet d'un écrivain haïtien, que j'ai invité avec moi, et qui est revenu dans son pays, où il n'était pas venu depuis quarante ans, René Depestre. Voilà ce que René Depestre m'a écrit au mois de juillet pour tirer le bilan de cette visite qu'il a faite avec moi : "d'où vient ma poussée d'optimisme à propos de mon pays ? Récemment - il parle de cette visite - j'ai eu sous les yeux la preuve que la France s'abstient de mesurer les réalités et les rêves de ses anciennes colonies à la seule échelle des mythes hexagonaux. Au même moment où la construction européenne est, pour elle, une affaire d'honneur et de renaissance, elle trouve sa vocation et son heure de vérité dans la lutte pour humaniser le cours chaotique de la mondialisation. La France apporte l'oxygène dont a besoin l'aventure de la globalisation pour éviter que le monde, avec l'ensemble de ses civilisations, succombe un jour du XXIème siècle, au piège mortel d'un casino planétaire."
Je vous remercie
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 27 août 2004)
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,
Nous voici réunis aujourd'hui pour une nouvelle conférence des ambassadeurs. Comme chaque année, c'est l'occasion de faire l'état des lieux de notre diplomatie comme du fonctionnement de notre maison. Je suis donc heureux de vous retrouver, avec Claudie Haigneré, Xavier Darcos et Renaud Muselier.
Permettez-moi également de saluer tous ceux qui nous font l'honneur de prendre part aujourd'hui à nos travaux.
Mon intervention devant vous sera politique, mais aussi pratique. Comme c'est normal, le président de la République, lorsqu'il nous recevra demain après-midi, fixera le cadre de votre action pour l'année à venir.
Toutes et tous, ensemble, nous avons en charge la diplomatie française. Au nom de notre pays, nous avons donc la responsabilité d'agir à l'extérieur pour défendre notre vision du monde et promouvoir nos intérêts. C'est une tâche unique, complexe et passionnante.
Pour tout dire, je me fais une certaine idée de la diplomatie et de ce qu'elle implique :
- recenser les enjeux et établir nos priorités ;
- respecter des principes et faire preuve d'un certain état d'esprit ;
- enfin, s'assigner des méthodes et se donner des moyens qui permettent à notre pays de tenir sa place dans les affaires du monde.
Enjeux et priorités. Principes et état d'esprit. Méthodes et moyens. Autant de points de repère autour desquels je voudrais concentrer mon intervention.
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Et d'abord les enjeux.
Le monde, nous le voyons, n'est pas seulement en mouvement, en évolution. Il est en désordre. Crises des nations, conflits ethniques et religieux, prolifération, trafics, terrorisme : le monde globalisé n'est pas seulement cela. Mais il est aussi cela, porteur de risques et de défis. Les plus visibles et les plus violents, que je viens de mentionner. Mais d'autres encore, que nous devons mesurer et mieux comprendre. Il en va de l'équilibre de notre planète, et des valeurs qui ont en permanence inspiré notre action diplomatique.
J'en distinguerai trois séries, plus particulièrement.
Il y a, en premier lieu, les défis du développement. Parce qu'ils sont souvent à la source de tous les autres.
Le premier de ces défis est silencieux. Mais il est le plus implacable, et je le considère, depuis longtemps, comme le plus important.
Il s'agit des atteintes portées à notre environnement, à notre écosystème. Des mots forts ont été prononcés, notamment à Johannesburg par le président de la République : "la maison brûle et on regarde ailleurs".
Nous n'avons pas de planète de rechange. Et pourtant nous polluons, souvent inconsciemment, et toujours irréversiblement, l'air que nous respirons, l'eau que nous buvons, la terre qui nous nourrit. Notre climat se détériore et, avec lui, tout notre système écologique.
De quoi parlons-nous, de quoi parlez-vous, lors de nos visites, celles que vous organisez, de nos déplacements ? De la dégradation rapide de l'environnement, de la désertification et de la pénurie d'eau, qui compromettent le développement de nombreuses nations. Partout s'allument des signaux de détresse. Ils s'appellent bassins du Congo ou du Niger, Arctique, forêt primaire amazonienne. L'espace lui-même commence à s'encombrer des débris de l'activité humaine.
La protection de l'environnement, c'est l'urgence pour tous. Mais c'est le devoir des plus riches. Car, à l'échelle d'une ville comme à l'échelle du monde, la dégradation de l'environnement accompagne et aggrave l'injustice sociale. Aujourd'hui même, un milliard de personnes n'ont pas d'accès à l'eau potable, et deux milliards et demi à l'assainissement. Imaginer que cela ne joue et ne jouerait aucun rôle dans les troubles politiques et sociaux, ici ou là dans le monde, est une très grave illusion.
La protection de l'environnement est un enjeu diplomatique majeur. Il est et sera l'objet de négociations internationales de plus en plus difficiles mais de plus en plus essentielles.
Voilà pourquoi nous avons besoin d'une véritable organisation des Nations unies pour l'environnement. Je rencontrerai à ce sujet à New York prochainement une trentaine de mes collègues les plus engagés ou les plus motivés. Voilà pourquoi nous consacrerons notre prochaine conférence, en 2005, à ce sujet, à cet enjeu du développement durable.
Un autre enjeu du développement - ils vont ensemble - celui des grandes pandémies qui frappent toutes les nations.
Mais toutes n'ont pas les moyens de se défendre. Les nations les plus pauvres sont les plus démunies face au SIDA, à la tuberculose, au paludisme. Aujourd'hui, en Afrique, les ravages du SIDA créent un véritable "devoir d'assistance à peuple en danger". Dans huit pays, l'espérance de vie ne dépasse plus l'âge de quarante ans. L'épidémie mondiale a fait vingt millions de victimes depuis 1981. Il y a urgence à dégager des moyens pour la formation et la prévention, et à assouplir les droits de propriété intellectuelle pour ouvrir davantage l'accès aux médicaments, nous le ferons, pour notre part, dans le prochain budget 2005.
Pour cela, la diplomatie a un rôle essentiel à jouer, à l'OMC, aux Nations unies, et à l'OMS.
Enfin, le développement exige aussi de lutter contre la pauvreté et la famine. Et c'est toujours l'Afrique, sous l'effet de la sécheresse et des conflits, qui est la première touchée. Je n'insisterai pas sur les dégâts supplémentaires que provoquent, en ce moment même, les invasions de criquets pèlerins.
Dans vingt ans, prévenait récemment le président Konaré, et ne cessait pas de répéter ces chiffres, l'Afrique comptera un milliard et demi d'habitants. Un milliard d'entre eux "vivront" - si j'ose dire - avec moins d'un euro par jour. Huit cents millions auront moins de quinze ans
Tout cela nous concerne, évidemment. Et, pour moi, il n'y a pas de place pour le fatalisme.
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La deuxième série de défis auxquels nous sommes confrontés est liée aux conflits.
Les conflits ouverts comme au Proche-Orient, en Irak, mais aussi dans les Grands Lacs, au Darfour, en Asie Centrale.
Les risques de prolifération des armes de destruction massive. Les phénomènes plus insidieux comme les trafics d'armes ou les réseaux de crime organisé.
Et, bien évidemment, le terrorisme, dont la menace s'est concrétisée à Madrid, Bali, Karachi et dans les grandes villes de l'Irak. La réponse à cette violence "sans visage" ne peut être qu'internationale, fondée sur la coopération entre les polices et les justices, l'échange de renseignements, le renforcement de conventions internationales.
Autant de nouveaux terrains, pour nous, pour vous, pour l'action diplomatique, autant de terrains aussi pour le "courage diplomatique". Je pense ici à plusieurs d'entre vous, à vos collaborateurs, à nos compatriotes expatriés et à leurs familles qui vivent des situations conflictuelles ou exposées, et qui font preuve de beaucoup de sang-froid.
Enfin, la dernière série de défis concerne, plus généralement, la vie de nos sociétés : et là encore, la France doit être fière, sur ces sujets de société, d'avoir une identité et un projet.
Celui de la francophonie, c'est-à-dire la promotion d'une langue qui n'est pas seulement la nôtre, et dont la vocation universelle est un atout pour tous ceux qui l'ont en partage.
Celui du pluralisme culturel, qui reflète tout simplement la diversité du monde. Dans le domaine économique, l'on sait que la concurrence loyale demande des règles. Le domaine culturel, lui aussi, a besoin de diversité et de règles, pour garantir le droit de chaque peuple à son identité et à sa différence.
Identité et projet de la France encore lorsque nous recherchons l'équilibre, patiemment et avec ténacité, entre la liberté et la régulation, et d'abord en Europe où se joue notre avenir économique. Proposer un libéralisme sans entrave, c'est méconnaître le modèle économique et social européen. Il n'y a pas de modernisation dans ce domaine sans souci de cohésion. Et c'est dans l'équilibre seulement que les sociétés européennes accepteront plus résolument la voie tracée à Lisbonne pour la compétitivité et la croissance de notre continent.
Et si nous nous engageons, dans quelques mois, à expliquer et à défendre le texte de la Constitution européenne, c'est précisément parce qu'il garantit cet équilibre.
Voilà, en quelques mots seulement, les nouveaux champs où notre action doit s'engager.
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Face à ces défis, à ces enjeux assez différents, je voudrais maintenant rappeler les principes qui sont les nôtres et que nous voulons faire partager :
d'abord, notre volonté de respecter la règle de droit et faire prévaloir, au sein de la communauté internationale, le principe de la responsabilité collective. L'expérience récente nous montre que l'absence d'accord, en particulier entre les membres du Conseil de sécurité aux Nations unies, fait obstacle au succès.
Nous savons que recourir unilatéralement à la force ou aux sanctions sans un minimum de consensus entre les membres de la communauté internationale, c'est prendre le risque de l'impasse.
En revanche, rechercher l'accord des autres n'est pas synonyme d'impuissance. Certains y voient un signe de faiblesse. Ils ont tort. Au contraire ! C'est une attitude forte, qui demande souvent davantage de patience et d'écoute.
Dans le conflit du Darfour, dans les régions des Grands Lacs ou encore dans nos négociations avec des partenaires, je pense à l'Iran, avançons avec détermination, mais avec la volonté de comprendre la réalité, l'histoire des positions qui se font face.
Concrètement, cela implique, sans nul doute, que nous sachions renforcer les moyens et les pouvoirs des Nations unies. Mes prédécesseurs, notamment Hubert Védrine, se sont mobilisés pour cet objectif, et j'entends le poursuivre, le mettre en uvre comme dirait le président de la République. Il est temps d'améliorer la légitimité et l'efficacité de la démocratie mondiale qui se bâtit lentement au Conseil de sécurité, comme dans les autres institutions onusiennes.
Avec le respect du droit, un deuxième principe est le respect des cultures et le dialogue. Au-delà de cette conviction inspirée par l'exigence de tolérance et du respect de l'autre, c'est bien d'un principe opérationnel que je veux parler.
Car cette volonté de dialogue implique que, dans ce monde pluraliste, la France soit capable de développer des relations de plus en plus denses avec tous les pays qui s'affirment au cur de leurs régions. Le Brésil ou le Mexique en Amérique latine. L'Afrique du Sud ou le Nigeria en Afrique. L'Inde et la Chine en Asie.
Nous continuerons, au nom de ce principe opérationnel, d'appuyer les organisations régionales qui, au-delà de leurs objectifs économiques, jouent un rôle politique croissant. Comment ne pas être frappé par les contributions de plus en plus utiles apportées par l'Union africaine ou encore la CEDEAO dans des crises comme celles du Darfour, des Grands Lacs ou de la Côte d'Ivoire ? Comment ne pas remarquer, face à l'initiative sur le Grand Moyen-Orient, l'apport réaliste et mesuré des membres de la Ligue arabe qui a contribué à orienter dans le bon sens les conclusions du Sommet de Sea Island ?
A nous de savoir mieux écouter ce que nous disent les pays d'Asie, d'Afrique, d'Amérique latine ou d'ailleurs et de leur apporter un appui sincère, sans condescendance, simplement comme des partenaires.
Et puis, il y a l'Union européenne qui est désormais le cadre naturel et le démultiplicateur de notre influence. Aujourd'hui, l'Europe élargie, finie, s'est dotée, à travers sa toute première Constitution, de nouveaux instruments de politique étrangère et de défense. Elle doit prendre, elle va prendre toute sa place sur la scène internationale et, si elle en a la volonté, elle va jouer un véritable rôle, comme les grands acteurs politiques du monde, dans la solution des conflits du monde.
Ne nous y trompons pas. Nos partenaires nous le demandent. En mutualisant leurs actions et leurs initiatives, et d'abord dans nos réseaux consulaires, tous les pays européens se donnent une capacité d'intervention bien supérieure à leurs contributions nationales isolées. A Haïti, dans les pays d'Afrique ou encore au Proche et Moyen-Orient, l'Union européenne, si elle réussit cette mutualisation, peut, demain, être un acteur qui compte. Cette perspective ne rend que plus nécessaire la ratification de la nouvelle Constitution et justifie la campagne d'explication, pluraliste, républicaine, démocratique et citoyenne, que le gouvernement va proposer aux cours des prochains mois.
Mais, au-delà de l'échéance constitutionnelle, notre engagement européen exige que la France mène avec l'Allemagne une concertation exemplaire et, à dire vrai, irremplaçable. Que personne n'en doute. Nous continuerons à faire vivre la parole franco-allemande. C'est notre intérêt.
Mais ce dialogue si singulier, entre nous, Français, Allemands, doit servir au progrès du projet européen tout entier, sans exclure quiconque. Ni le Royaume-Uni, partenaire indispensable pour l'avenir de la politique étrangère et de sécurité commune en Europe. Ni l'Espagne, qui recherche ce dialogue. Ni l'Italie, avec laquelle nous avons fondé ce projet. Ni nos nouveaux partenaires de l'Union européenne qui ne seront pas les moins appliqués ou les moins déterminés dans leur ambition européenne.
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs, j'entends conduire avec vous, avec l'équipe du Quai d'Orsay, une politique européenne ouverte, partenariale. Nous devons "jouer collectif". Parce qu'au Conseil des ministres à Bruxelles, tous les Etats comptent, quelle que soit leur taille.
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Il y a les principes qui guident notre action. Il y a aussi le nouvel état d'esprit, pour vivre avec notre temps et avec lequel nous agissons.
Bien sûr, il s'agit toujours et encore de défendre nos intérêts. La France, comme tous ses partenaires, a des intérêts économiques, stratégiques, politiques. Nous n'avons pas de complexe. D'ailleurs, les autres n'en ont pas. Mais, à l'heure de l'interdépendance des économies, la frontière entre l'externe et l'interne n'a plus guère de sens. Nos marges de manuvre internes, économiques et politiques, l'équilibre même de la société française se déterminent de plus en plus à l'extérieur, par le dialogue et la négociation avec nos partenaires européens, ceux du G8 comme dans les instances internationales.
Voilà pourquoi notre métier, votre mission, restent si importants. Aider nos entreprises à se faire connaître, aider nos collectivités territoriales, nos syndicats, à négocier à Bruxelles, à Genève, à New York, à l'OCDE, au FMI, préparer ces négociations dans chacun de vos pays de résidence par des contacts, par l'explication, par la diffusion de nos idées, convaincre, entraîner et les autres après les avoir écoutés : voilà comment l'action internationale que vous conduisez, que nous conduisons, détermine in fine ce qui se passe ici en France, pour nos concitoyens et pour nos entreprises.
Bataille courtoise, civilisée, diplomatique, en somme, que cette action internationale - mais bataille tout de même.
Bien sûr, dans ce combat aux avant-postes de la République, il s'agit aussi de défendre nos idées, nos concepts et ce qui fait notre pays à travers son histoire assumée et sa modernité revendiquée.
La France, aujourd'hui, c'est un certain état d'esprit de réforme. Education, recherche, retraites, santé, sécurité intérieure et extérieure... Ces réformes ont la marque de l'équilibre.
Car le modèle, j'emploie ce terme avec précaution, de société française est un modèle à la fois libéral et solidaire, où le marché doit développer tout son dynamisme, où le rôle de l'Etat est d'inciter et de réguler, où le service public, les missions de service public, restent un vecteur de solidarité et de cohésion sociale.
Cet équilibre n'est ni acquis, ni figé. Il se construit constamment, en fonction de l'évolution de notre société, des contraintes internationales et des aspirations de nos concitoyens. Cela veut dire que l'Etat, lui aussi, doit être en mouvement, adapter ses moyens d'action comme son mode de fonctionnement.
Bien sûr, il faut encore et toujours rester en action, en initiative. Cet état d'esprit-là a été souvent affirmé et démontré par mon prédécesseur et ami, Dominique de Villepin, et je veux poursuivre cet état d'esprit. Cela nous conduit à présenter nos idées sans complaisance, avec énergie et sans complexes. Et en gardant à l'esprit que l'image de la France, c'est-à-dire la manière dont elle est perçue et représentée, est un facteur d'influence.
Voilà pourquoi je regrette, et parfois je ne comprends pas, comme vous, ces campagnes de presse sur le thème du déclin et de la perte d'influence. Cette étrange psychanalyse collective, parfois cet auto-dénigrement, étonne souvent nos partenaires étrangers.
Avoir conscience de nos faiblesses, agir pour les combattre n'interdit pas de mesurer nos atouts et de les faire valoir. Je compte aussi sur vous pour présenter de notre pays une image de créativité et de dynamisme, parce que cela correspond, assez profondément, à ce que nous sommes.
Ajoutons-y de l'attention, si vous le voulez bien et je vous le demande, du dialogue, de la considération pour les autres. Par exemple, cherchons à mieux connaître les jeunes élites étrangères, les futurs dirigeants de l'économie, de la politique ou de la culture. Je prendrai, dans les prochains mois, une initiative nouvelle pour qu'ils soient accueillis en plus grand nombre et avec plus d'attention encore dans chacun de vos pays et dans notre pays.
J'ouvre ici une courte parenthèse. J'ai beaucoup parlé d'ambition et d'attention à la fois. C'est exactement de cette manière que nous allons soutenir le projet olympique de Paris pour 2012, c'est aussi et d'abord le sujet de la France, en concertation avec le comité de candidature. Je sais, d'expérience, l'impact formidable qui peut en résulter pour l'image et le rayonnement de notre pays, l'organisation des Jeux olympiques.
La France n'est pas grande quand elle est arrogante. La France n'est pas forte si elle est solitaire. Je vous engage à faire que notre pays, et d'abord sa diplomatie, notre diplomatie, ajoute à sa culture traditionnelle de souveraineté une culture d'influence et de partenariat.
La France a son propre rôle à jouer, sa propre action diplomatique à mener, sans jamais s'effacer. Mais elle a, je pense, de plus en plus, aussi besoin des autres et pour être plus forte a besoin de vous.
Et la première réponse, je le dis sans détours, doit être européenne. Je sais que cette évolution n'est pas inscrite dans la longue et prestigieuse histoire de notre ministère. Et je pense pouvoir l'affirmer pour être un des seuls politiques français à avoir passé cinq ans au sein de l'exécutif européen comme Commissaire européen. Il y va de l'influence de notre pays.
La mise en place d'un service diplomatique européen ne rend que plus urgente notre préparation et, en particulier, l'exigence, pour vous, Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs, de renforcer vos relations de travail sur le terrain avec les délégués de la Commission européenne. Au-delà, nous proposerons avec Claudie Haigneré, à l'automne, sous l'autorité du président de la République et du Premier ministre, un plan d'action précis pour consolider et accroître cette influence en Europe. Cela passe, dans notre maison même, par l'organisation d'une filière diplomatique européenne reconnue.
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Enjeux et défis. Principes et état d'esprit. Je voudrais vous parler enfin des outils.
Les outils, les moyens. Notre action diplomatique doit en effet se doter des méthodes et des moyens nécessaires pour tenir son rang dans le monde.
S'agissant de nos méthodes, la stratégie ministérielle de réforme, approuvée l'an dernier, se met en place avec, notamment, l'adaptation de nos réseaux à l'étranger, l'instauration d'une direction collégiale, qui vivra et qui fonctionnera, je vous le garantis, la création d'un contrôle de gestion et la transformation des plans d'action des ambassadeurs en plan d'action des ambassades.
Aujourd'hui, il faut aller plus loin avec le regroupement des sites parisiens du ministère - je vais y revenir - la mutualisation de nos moyens à l'échelle européenne, notamment avec l'Allemagne, et la modernisation de nos modes d'administration consulaire.
Sur ce chapitre, je veux insister sur trois points :
- la capacité d'analyse stratégique ;
- la communication ;
- le partenariat avec les autres acteurs français de notre action extérieure.
Nous avons besoin d'une fonction stratégique prospective et forte. Nous allons favoriser la production doctrinale et la recherche en relations internationales, en organisant, par exemple, un réseau d'experts de la société civile sur les questions de développement. J'ai demandé à la direction collégiale et au directeur du Centre d'analyse et de prévision de me faire des propositions précises sur tous ces points d'ici la fin de cette année, avec l'objectif de créer en particulier une instance d'orientation stratégique de notre politique étrangère.
J'ai évoqué la communication. La parole de la France doit être mieux portée par nos chefs de poste. Je demande à la DCI, et à toutes les directions du ministère, de veiller à l'information régulière de nos postes, et de renforcer autant que nécessaire la formation de nos ambassadeurs ainsi que de leurs principaux collaborateurs sur les techniques et cultures employées en communication.
Vous êtes, Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs, les porteurs de la parole de la France. Je vous encourage à être le plus proche possible des réalités humaines dans les pays où vous servez, d'adapter notre communication aux moyens nationaux, régionaux et locaux, de la rendre plus accessible et compréhensible, pas seulement par les élites, mais par les peuples de vos pays de résidence.
Nous allons donner à notre diplomatie une dimension plus humaine et plus citoyenne. Je veux que l'on mette davantage en valeur l'action de nos entreprises et des ONG, des associations, de nos collectivités territoriales qui font de la coopération décentralisée et parfois même la nôtre en matière de culture et de développement, à travers des exemples concrets.
Notre parole doit être proche, amicale, ouverte : c'est à cette condition qu'elle saura toucher et convaincre. Au demeurant, ce que je dis là vaut aussi pour la communication du Quai d'Orsay lui-même en direction des Français eux-mêmes : il faut accepter l'idée que la diplomatie est partie prenante de la vie quotidienne de nos concitoyens. Il faut donc l'expliquer et, d'abord, aux élus et aux responsables de notre pays. Ces questions internationales inquiètent toujours nos concitoyens. Ce sera l'objet d'une lettre régulière d'information diffusée dès le mois de septembre vers les élus.
Dans ce contexte, il y a bien sûr le projet de création d'une chaîne internationale d'information.
L'objectif fixé en ce domaine par le président de la République doit être tenu. Dans la bataille d'images qui se joue aujourd'hui - regardons l'Irak - notre pays doit être présent. Un projet a été mis au point avec le rapport Brochand. Nous l'évaluons, j'ai besoin d'un peu de temps, à la lumière, notamment, des moyens financiers qu'il exigerait et de sa complémentarité avec les autres opérateurs de notre audiovisuel extérieur. Cette évaluation sera conduite rapidement, avec le ministère de la Culture. Nous le devons au président de la République, aux auteurs de ce projet. Nous le devons aussi à tous ceux qui, à travers le monde, attendent de mieux connaître les positions de notre pays.
Un dernier point de méthode sur le partenariat. J'en ai souvent parlé parce que c'est un précieux levier, pour amplifier notre action diplomatique et politique envers ces deux millions de Français qui vivent et travaillent à l'étranger.
L'Etat a besoin du concours d'autres acteurs, je pense aux collectivités territoriales, aux délégués des Français de l'étranger, aux entreprises, aux associations et aux ONG. Tous, à un titre ou à un autre, sont des acteurs utiles et efficaces de l'influence française.
Soyons aussi attentifs à notre relation avec les Parlements : le nôtre - Sénat et Assemblée - ce sera demain, plus encore qu'aujourd'hui, un impératif budgétaire avec le dialogue qu'instaure la LOLF. Je le dis en remerciant de leur présence et de leurs conseils les rapporteurs de notre budget. Celui de l'Union européenne à Strasbourg - il a une influence croissante. Enfin, bien sûr, les Parlements de vos pays de résidence, qui jouent souvent un rôle pratique essentiel. Il faut être attentif au dialogue chaque jour.
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Après la méthode, quelques mots rapidement sur nos moyens. Et d'abord le budget.
L'exécution budgétaire sera plus sereine en 2004 qu'en 2003. En effet, grâce à la vigilance de mon prédécesseur, par la volonté du président de la République, nous avons échappé à toute régulation budgétaire cette année. Pour 2005, j'ai veillé à ce que nos moyens de fonctionnement soient préservés.
Certes, au titre de la maîtrise de l'emploi public voulue par le gouvernement, nous avons consenti des suppressions de postes à concurrence de 50% des départs à la retraite, soit une centaine d'emplois.
Mais les économies ainsi dégagées sur notre masse salariale vont être en partie réinvesties pour améliorer l'échelonnement indiciaire des conseillers des Affaires étrangères. Quant aux indemnités de résidence, elles ne seront pas taxées.
Les crédits destinés au fonctionnement général de cette maison sont en augmentation de 5 millions d'euros. Le financement de la réforme du droit d'asile est enfin acquis.
Toujours pour 2005, plusieurs de nos crédits d'intervention augmenteront, notamment les concours financiers, la coopération technique, et l'aide alimentaire qui va bénéficier du transfert des crédits jusqu'ici gérés par le ministère de l'Agriculture.
Il y a ces points positifs ; mais nous avons aussi des raisons de rester vigilants.
Pour l'aide publique au développement, pour les dotations allouées au FED et au Fonds de solidarité prioritaire, le budget ne sera pas suffisant. C'est aussi vrai pour les contributions, obligatoires ou volontaires, aux organisations internationales. Il faudra donc y revenir en loi de finances rectificative en 2005. Et j'ai obtenu l'assurance que ces crédits seront abondés en gestion sans pénaliser notre budget initial.
Notre effort porte aussi sur les questions de personnel. Nous devons être attentifs à nos modes de gestion des ressources humaines.
J'ai veillé à ce que les crédits de formation augmentent sensiblement. Le catalogue des formations va être revu, le programme du nouvel "Institut pour la formation à l'administration et aux affaires consulaires" est en cours de refonte, comme celui de l'Institut diplomatique.
Pour ce qui est de l'évaluation, je souhaite qu'on valorise davantage les performances des agents. Ceci passe par l'élaboration de nouvelles procédures de notation, par l'expérimentation de l'évaluation à 360°, qui débutera prochainement à l'administration centrale et sera étendue ensuite aux chefs de poste.
Enfin, en matière de promotions et d'affectations, j'ai demandé que celles-ci soient gérées dans le respect du triple principe de parité, d'équité - notamment à l'égard des agents en poste à l'administration centrale - et d'impartialité.
Un mot, enfin, de notre communication interne. J'ai approuvé le schéma directeur informatique. J'en retiens trois points : l'ouverture de notre système de communication sur les autres sites gouvernementaux, européens ou internationaux ; la mise en place d'une messagerie sécurisée réservant les télégrammes diplomatiques aux seules informations classifiées ; l'augmentation du débit des communications pour développer la télé-administration consulaire.
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J'en aurai presque fini en évoquant brièvement deux sujets.
D'abord, le projet, auquel je tiens, d'un regroupement de nos onze implantations parisiennes sur un site unique.
Ce qui compte à mes yeux, c'est que ce projet soit celui de tous, qu'il s'élabore dans la concertation, qu'il soit équilibré financièrement et qu'enfin, le Palais des Affaires étrangères - le Quai d'Orsay - reste au Quai d'Orsay comme le lieu de rayonnement où sont reçus les hôtes de la France.
Je veux être clair, rien n'est décidé à ce stade : des expertises sont lancées, une mission d'étude va se mettre en place prochainement, un comité consultatif sera institué C'est au terme de ce processus qu'une décision définitive sera prise, en pleine connaissance de cause, sans doute au printemps prochain. Et le choix se fera dans la transparence et le dialogue.
Un mot enfin sur la mission que le Premier ministre a confiée à Raymond François Le Bris. Il s'agit de confirmer et d'ancrer dans la réalité le rôle interministériel des ambassadeurs, véritables "préfets de l'extérieur". Les récentes décisions du CICID vont dans ce sens ; il faut maintenant les mettre en uvre sur le terrain, ensemble, de manière concrète et durable.
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Voilà cinq mois que je suis arrivé ou plutôt revenu dans ce ministère, au cur de notre action extérieure, au sein de cette administration des Affaires étrangères qui s'est toujours distinguée par son sens de l'Etat.
Aujourd'hui, j'ai deux convictions :
- notre ministère sera plus fort s'il est ouvert, s'il accueille d'autres talents et d'autres expertises ;
- notre ministère doit être fidèle à ses traditions et à son passé. Mais il doit vivre avec son temps et poursuivre sa mutation culturelle. Celle qui, avec le recul et la mémoire mais sans nostalgie, analyse, comprend et privilégie les clés de l'influence dans le monde d'aujourd'hui qui n'est pas le monde d'il y a quelques années. L'une de ces clés est la construction politique de l'Europe. Il s'agit, dans le mouvement de réforme voulu par le gouvernement, d'apporter notre propre contribution et même d'être en avant. C'est l'ambition que je vous propose. Et je vous remercie, les uns et les autres, là où vous êtes, dans la diversité de vos expériences et de vos sensibilités, de m'y aider.
* * *
Je voudrais, Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs, terminer par un mot un tout petit peu plus personnel, pour rassembler beaucoup de ce que je vous ai dit dans ce long propos d'introduction. J'ai sur mon bureau, là où je reçois tant de visiteurs, posés ces deux petits cailloux blancs. Ils ont une histoire émouvante, et même tragique. Je les ai ramassés il y a quelques semaines à la frontière d'Haïti et de Saint-Domingue, là où un village tout entier, 350 personnes, a été balayé, comme par un bulldozer, par un torrent de cailloux comme ceux-là. Si je vous parle de cela, c'est que cette visite à Haïti que devait faire Dominique de Villepin et que j'ai faite à deux reprises en quelques semaines, a été pour moi émouvante et significative.
J'ai trouvé dans cette île, et notamment dans ce pays, la concentration ou l'addition de tous les enjeux et de beaucoup des défis que je viens d'évoquer devant vous, comme les obligations de notre diplomatie. J'y ai trouvé naturellement la pauvreté, le développement, la misère, l'une des plus grave du monde, l'écologie, avec cette incroyable déforestation, pour brûler et chauffer ; j'y ai trouvé la maladie ; naturellement, il y a quelques mois, une crise qui a frisé l'insurrection civile et l'obligation pour les Nations unies d'intervenir. On y trouve naturellement, comment ne pas l'entendre, la Francophonie. Dans l'école d'agronomie de Port-au-Prince, les étudiants qui m'ont accueilli dans des salles qui avaient été entièrement dévastées - les dortoirs, les ordinateurs, les laboratoires - parlaient tous français, et ils n'avaient que leur livre à la main. J'y ai trouvé le test de l'efficacité européenne : 300 millions d'euros sont disponibles à Bruxelles. Serons-nous capables de les utiliser sur place, pour l'électricité ou pour l'eau, par exemple ? J'y ai trouvé aussi une raison d'influence, au sein de la Caraïbe, pour la France, à partir de nos départements d'Outre-mer et à côté de l'Amérique du Nord. Donc, le symbole de beaucoup de défis et d'exigence de notre diplomatie.
Voilà, je voulais vous dire cela et, pour terminer, vous lire à propos d'Haïti, non pas toute la lettre, mais une partie de la lettre que j'ai reçue au mois de juillet d'un écrivain haïtien, que j'ai invité avec moi, et qui est revenu dans son pays, où il n'était pas venu depuis quarante ans, René Depestre. Voilà ce que René Depestre m'a écrit au mois de juillet pour tirer le bilan de cette visite qu'il a faite avec moi : "d'où vient ma poussée d'optimisme à propos de mon pays ? Récemment - il parle de cette visite - j'ai eu sous les yeux la preuve que la France s'abstient de mesurer les réalités et les rêves de ses anciennes colonies à la seule échelle des mythes hexagonaux. Au même moment où la construction européenne est, pour elle, une affaire d'honneur et de renaissance, elle trouve sa vocation et son heure de vérité dans la lutte pour humaniser le cours chaotique de la mondialisation. La France apporte l'oxygène dont a besoin l'aventure de la globalisation pour éviter que le monde, avec l'ensemble de ses civilisations, succombe un jour du XXIème siècle, au piège mortel d'un casino planétaire."
Je vous remercie
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 27 août 2004)