Déclaration de M. Gilles de Robien, ministre de l'équipement, des transports, de l'aménagement du territoire, du tourisme et de la mer, sur l'accès à l'internet à haut débit et la loi sur l'économie numérique, Hourtin (Gironde) le 26 août 2004.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Journées d'Hourtin, le 26 août 2004

Texte intégral

Monsieur le Préfet de région,
Monsieur le Maire d'Hourtin,
Mesdames et Messieurs les Parlementaires,
Monsieur le Président du Conseil Régional d'Aquitaine,
Mesdames et Messieurs les élus,
Monsieur l'Ambassadeur d'Allemagne, Monsieur le Président de la Ligue de l'Enseignement,
Monsieur le secrétaire général de la Ligue de l'Enseignement,
Monsieur le président du Crepac Aquitaine,
Mesdames et Messieurs,
Voilà des années, qu'ici, à Hourtin vous travaillez sur cette société de l'information et de la communication qui suscite au moins autant d'espoirs que de craintes. Il est vrai que les technologies en cause qui bouleversent de plus en plus vite nos modèles de production, de travail, de soins, d'apprentissage, de tourisme c'est-à-dire nos modes de vie même.
C'est par exemple la première fois dans l'histoire des hommes que les trois modes d'expression de la pensée que sont le texte, le son et l'image sont réunis dans un seul outil, l'ordinateur ou le téléphone. Comment imaginer que l'enseignement, la presse, la relation de chacun d'entre-nous à autrui n'en seront profondément modifiés ?
C'est aussi la première fois que l'ubiquité (échanger à distance avec plusieurs personnes à la fois) se conjugue avec l'instantanéité et l'image. Comment ne pas voir que les modalités du travail comme du commerce en seront affectées.
C'est encore la première fois que le contrôle à distance des moyens de diagnostic et de chirurgie va impacter les systèmes de santé.
Dans ma génération nous avons vu peu à peu l'image supplanter l'écrit dans la communication. Mais combien d'entre nous en maîtrise l'outil ? Dès que nous voulons communiquer, il nous faut faire appel à des spécialistes. Nous voilà un peu comme ces soldats illettrés de la grande guerre qui demandaient à un copain d'écrire les lettres d'amour à leur fiancée, obligé de confier à un tiers l'expression de leurs sentiments personnels.
Mais, tout cela vous le savez mieux que moi et je ne suis pas venu pour vous convaincre que nous vivons une révolution industrielle de même ampleur que celle de la mécanisation au XIX°/ siècle mais, pour imaginer avec vous comment les accompagner, comment faire pour que notre pays soit aux premières places sur la route de l'information.
Les résultats à fin 2003 que vous a présenté Frédéric DE SAINT-SERNIN lundi dernier et qui ont certainement alimenté vos débats depuis 4 jours, montrent que, dans plusieurs domaines, le pari est tenu et que notamment dans le domaine du haut débit nous commençons à rattraper le retard que nous avions accumulé.
Fin 2003 ce sont 45 millions de français qui ont accès au haut débit contre seulement 37 millions fin 2002. La couverture du territoire s'est poursuivi de façon intensive puisque le nombre de communes disposant d'un accès à haut et moyen débit a doublé pour atteindre 14 600 communes fin 2003.
L'extension de la capacité d'accès à Internet haut débit a eu pour corollaire une forte progression de son utilisation. La France connaît aujourd'hui la plus forte croissance en Europe pour le nombre d'abonnements à un accès Internet haut débit. En 2002 il y en avait 800 000, aujourd'hui nous en comptons 4 millions et demie soit un quintuplement. 6% de la population est aujourd'hui abonnée à Internet à haut débit, Nous sommes désormais au-dessus de la moyenne européenne.
Cet essor des abonnements s'est accompagné d'une intensification de l'usage des services que procure la toile. Le commerce électronique croit à un rythme annuel de 60%. Et en 2004, plus de 1 million 250 milles ménages ont choisi de déclarer d'impôt en ligne. Ils n'étaient que 120 000 en 2002. En deux ans, le nombre a été multiplié par dix.
Nous seulement notre pays s'équipe pour rattraper son retard, mais aussi et surtout nos concitoyens utilisent de plus en plus les réseaux et les services que ceux-ci peuvent leur procurer.
Alors que faire aujourd'hui pour accompagner ce mouvement de fond, cette révolution sociétale que nous vivons au quotidien.
Le Ministère qui m'a été confié est par essence celui de la mise en oeuvre des techniques, celui ou la pensée trouve son aboutissement, celui ou les politiques voulues s'accomplissent et se mettent en uvre sur le terrain, bref celui de l'Action !
La loi sur l'économie numérique ouvre des perspectives nouvelles à tous les acteurs et singulièrement aux collectivités locales. Comment peut-on intelligemment en tirer tout le parti ?
ß D'abord, la loi n'a été faite contre personne Devant un sujet de cette importance, beaucoup de passions se sont exprimées comme cela était naturel et chacun souhaitait défendre au mieux ses intérêts comme cela est normal.
Comme sur les autres grands thèmes de société que sont les retraites et l'assurance maladie on a longtemps tergiversé partagé entre la certitude qu'il fallait faire quelque chose et la crainte de remettre en cause les situations passées.
Il revient au Président de la République, Jacques Chirac d'avoir clairement fixé l'objectif de dix millions de français connectés au haut débit en 2007 et au Premier Ministre de proposer au Parlement les dispositions législatives indispensables.
Comme le rappelle le dernier rapport de la Caisse des dépôts en consignation, le chemin à suivre était tracé depuis longtemps par les pays européens et nord américains qui nous avaient précédé: Il fallait créer de nouveaux réseaux de collecte en y associant les collectivités locales.
Ce qui était relativement simple ailleurs devenait chez nous, comme souvent, un débat idéologique sur deux thèmes : - Fallait-il laisser les collectivités locales se lancer dans un domaine dont elles ne connaissaient rien et qui risquaient de les ruiner ?
- Fallait-il porter atteinte un peu plus au monopole de l'opérateur historique en créant de nouveaux réseaux publics ?
Je me garderai bien de m'engager dans ces débats qui sont aujourd'hui tranchés mais n'était-il pas étrange, pour le premier point, de s'inquiéter pour les collectivités locales en plein débat sur la décentralisation, et, pour le second, de refuser cette évidence que la concurrence suppose toujours la pluralité.
On aurait pu imaginer, comme pour les réseaux ferroviaires, un réseau unique en monopole et ouvert à tous les opérateurs. Je constate qu'aucun pays occidental ne s'est engagé dans cette voie et qu'elle n'a pas été choisie en France non plus. Dès lors comment éviter les duplications de réseaux pour coûteuses qu'elles soient ?
ß Mutualiser aussi souvent que possible les infrastructures Ce qui coûte le plus cher dans la construction d'un réseau, c'est le génie civil. Le Code de l'Urbanisme prévoit déjà que les maires peuvent demander aux différents opérateurs de mutualiser tranchées et fourreaux afin de minimiser les tranchées en chaussée.
Cette règle est peu appliquée dans les faits car les maires sont peu informés de leur droit et les opérateurs peu enclins à partager leur investissement avec un concurrent potentiel voire même peu soucieux de déclarer avec précision où passent leurs réseaux.
Ces pratiques doivent changer et nous préparons avec le ministre de l'Industrie, le ministre délégué aux libertés locales ainsi que l'ART les instruments juridiques et pédagogiques pour permettre de rationaliser ces errements qui sont finalement coûteux en argent public.
Une première circulaire rappellera le droit qu'ont les maires de demander une mutualisation des fourreaux. De nombreux fourreaux vides sont en place et il est inutilement coûteux pour la collectivité nationale d'en financer de nouveaux.
Si cela s'avérait insuffisant il faudrait peut-être envisager d'aller plus loin par exemple en proposant que les fourreaux inoccupés soient soumis à redevance dés lors que leur propriétaire refuserait de les partager au prix du marché. Une telle mesure accélèrerait probablement le processus de mutualisation.
Une seconde circulaire actuellement soumise à la concertation ouvrira les infrastructures publiques nationales dans les mêmes conditions afin que les collectivités ou les opérateurs puissent bénéficier dans les mêmes conditions des fourreaux existants ou en cours de réalisation.
Par ailleurs, nous rappellerons aux maîtres d'ouvrages des ZAC qu'il leur appartient de tout faire pour mutualiser l'occupation des réseaux en les offrant à tous opérateurs qui le souhaiteraient dans des conditions publiques transparentes et non discriminatoires.
Enfin et dans le respect du secret industriel, nous réfléchissons sur une éventuelle obligation pour les opérateurs de déclarer aux pouvoirs publics leurs fourreaux et les réseaux existants, les réseaux en construction et les évolutions. Il me paraît en effet indispensable que les partenaires publics, les services de l'État mais aussi les collectivités locales qui assument depuis le vote de la loi de nouvelles responsabilités connaissent de façon exhaustive les réseaux qui traversent leur territoire de la même manière qu'elles connaissent les routes, les canaux ou les réseaux de transport d'électricité, de gaz ou d'eau.
ß QUI FAIT QUOI? QUI FERA QUOI ? Au monopole public historique a succédé en France comme partout dans le monde un grand nombre d'opérateurs privés dont certains n'ont pas résisté à l'explosion de la bulle internet.
Aujourd'hui les collectivités locales ayant compris l'enjeu se lancent opportunément dans ces projets. La Caisse des dépôts recense ainsi 144 projets en cours qui représente un investissement de 2 milliards d'euros.
Et, je sais que la plupart des autres collectivités locales, celles qui n'ont pas encore pu faire aboutir leurs projets, réfléchissent aujourd'hui à ce qu'elles doivent faire.
Plusieurs points me paraissent essentiels.
D'abord que, si les réseaux sont indispensables, ce sont les contenus et les services, qui feront la société de l'information. Ces services sont d'ailleurs souvent des services ou l'argent public intervient: écoles, collèges, lycées, Université, santé, tourisme, services publics en ligne, intelligence économique et aide, en ce domaine, aux entreprises notamment aux PME.
L'intérêt du réseau physique sera d'autant plus grand qu'il fournira plus de service au plus faible prix pour l'usager qu'il s'agisse des habitants, des entreprises ou des services publics. Il est donc indispensable que les réseaux qu'elles décideront de financer permettent le développement d'une concurrence entre opérateurs, gage de prix plus bas pour les habitants comme pour les entreprises et de services plus nombreux.
Ensuite, que dans le respect de la loi, elles sont totalement souveraines. Cela leur donne des droits mais aussi et surtout des devoirs en particulier d'équité et de transparence.
Cette souveraineté ne peut se conserver et s'exercer que si la collectivité conserve des droits juridiques sur son réseau soit parce qu elle en conserve la propriété et n'en donne que l'affermage soit parce que la concession, qu'elle octroie, protège ses droits dans le temps.
Cette souveraineté ne doit néanmoins pas conduire les collectivités à se substituer au marché et à devenir opérateurs de télécommunications. La loi n'y consent que lorsque aucune initiative privée n'existe.
Leur rôle, le plus souvent, consistera donc à créer un réseau de collecte entre les grands réseaux de transports aujourd'hui souvent surabondants et le réseau de desserte de l'opérateur historique. Ce réseau alternatif sera mutualisable et ouvert à tous les opérateurs dans des conditions non discriminatoires. La propriété en restera ou en reviendra à la collectivité.
Enfin, l'article L 1425-1 a notamment été créé pour que les collectivités locales agissent en vue d'éviter une fracture numérique des territoires. Le comble serait de voir les agglomérations les plus riches se doter de réseaux encore plus performants pendant que les communes rurales seraient abandonnées à leur sort.
Quel sera alors le rôle de l'État et notamment des services de mon ministère ?
Vous le savez et la liste non exhaustive des sujets que j'ai abordés aujourd'hui, le démontre si cela était nécessaire, l'aménagement numérique du territoire constitue un sujet extrêmement complexe tant sur le plan juridique, que technique ou économique.
Et, une collectivité locale même de taille importante n'a pas aujourd'hui nécessairement les compétence humaine pour offrir aux élus l'analyse et le conseil dont ils ont besoin pour faire un choix rationnel.
Je souhaite que les ingénieurs de l'équipement se mobilisent pour pouvoir apporter ce conseil aux collectivités locales. A cet effet, nos centres de formation mettront en place des sessions spéciales sur ces thèmes. J'ai également décidé qu'un de nos CETE (Centre d'Études techniques de l'Équipement) sera spécialisé sur ces problèmes pour devenir un centre ressources national pour tous ceux qui souhaiteraient une information technique actualisée et neutre sur ces différents sujets.
J'ai par ailleurs proposé à mon collègue de l'Industrie, Patrick DEVEDJIAN, que nous examinions ensemble comment nos services et notamment les ingénieurs de l'équipement et ceux des télécoms pourraient collaborer sur place, au service des collectivités locales. Un groupe de travail des deux conseils généraux pourrait bientôt travailler sur ce sujet.
Ainsi l'État mobiliserait sur place, et au plus près des collectivités locales, les hommes et les femmes qui pourraient utilement les conseiller sans parti pris comme ils le font depuis des décennies dans les différents domaines concernés par le développement harmonieux des territoires au service des hommes et des femmes qui y vivent.
L'indispensable péréquation Le gouvernement a décidé lors du CIADT du 18 décembre 2003 de consacrer une enveloppe de 100 M d'euros issus de la réserve de performance des fonds européens. La mise en place de la dotation est en cours dans l'ensemble des régions.
Parallèlement, la Caisse des dépôts et consignation mobilise dans le cadre des décisions du CIADT un fonds de 225 M d'euros pour soutenir les efforts des collectivités localités en matière de haut débit. Je ne pense pas cela suffisant.
Je ne méconnais évidemment pas la tension de nos finances publiques ni la nécessité de réduire les différents prélèvements. Je pense toutefois que l'investissement doit être traité différemment des frais de fonctionnement. Il est des dépenses qui rapporteront et d'autres qui, quoique utiles ne feront qu'augmenter la dette.
Si nous ne voulons pas que la France fragile prenne du retard dans cet investissement que tous, partout, considèrent comme indispensables aux hommes comme aux entreprises, il faut aujourd'hui investir plus pour cueillir plus demain. Il n'est pas d'aménagement du territoire sans politique de péréquation.
Ne devons nous pas envisager de mettre en place un système financier spécifique pour l'aménagement numérique du territoire ?
Je ne voudrais pas terminer sans vous dire que dans quelques années nous sourirons sans doute de tout cela comme de tous les combats dont le temps efface l'âpreté pour ne conserver que le résultat. Nous aurons, comme dit joliment Joël DE ROSNAY, fait passer l'Homme du "roseau pensant au réseau pensant " mais nous porterons un regard critique sur l'usage cet investissement qui, comme la langue d'Ésope, recèle le meilleur et le pire. Il nous appartient à nous, je veux dire à l'État, aux collectivités locales, aux médias, aux citoyens de veiller à ce que notre réseau transporte plus d'esprit que de jeux, plus d'informations utiles que de trafics illicites, plus d'échanges d'affections, de solidarité, d'opportunités à se connaître, à se rencontrer et à se comprendre, que de faciliter à comploter et à tourner la loi.
Au-delà de l'indispensable réseau, c'est le challenge qui attend les collectivités locales au service de leurs habitants et de leurs entreprises. Mais c'est aussi celui de cette civilisation que l'on dit celle de l'information et de la communication.
C'est dire que les journées d'Hourtin ne sont pas près de se terminer et je souhaite en ce moment de clôture qu'elles soient nombreuses à ouvrir les débats nécessaires, à poser les indispensables questions, à montrer ici la diversité des chemins possibles pour qu'en définitive le chemin des Hommes s'imposent aux forces des technologies.
(Source http://www.equipement.gouv.fr, le 30 août 2004)