Texte intégral
Q- Après le "oui" franc et massif hier du Parlement, J. Chirac doit annoncer à la fin de la semaine les modalités et la date du référendum. On dit que cela pourrait d'ailleurs aller assez vite, peut-être le 8 mai. Cela vous convient-il ?
R- Je n'ai pas d'information sur la date. Ce que je souhaite, comme chacun, c'est que l'on ait un temps suffisant pour faire la campagne et que la campagne soit une vraie campagne d'information, avec les arguments dans un sens et les arguments dans un autre. Mais sur la date, je n'ai pas d'information particulière...
Q- Le fait que cela vienne assez tôt, est-ce une bonne idée ?
R- Dès lors qu'il ne s'agit pas d'estomper la campagne, les dates sont ouvertes. Mais il faut faire une campagne, parce que le risque principal, dans toute cette affaire, c'est qu'il y ait beaucoup d'abstentions. Et pour que les gens ne s'abstiennent pas, il faut leur expliquer l'enjeu. Et l'enjeu, c'est "quelle Europe voulez-vous" ? Ce n'est pas "la paix ou la guerre", évidemment que non. Ce n'est pas "est-ce que vous êtes pour ou contre l'Europe", évidemment non. Ce n'est pas la question. La question est "quelle Europe voulez-vous ? Est-ce que vous êtes satisfait de l'Europe actuelle ou est-ce que vous voulez une Europe plus sociale, plus libérale, plus solidaire ?".
Q- Il y avait un deuxième vote hier, c'était sur la Charte de l'environnement. Et là, les socialistes n'ont pas participé au vote. Est-ce que ce n'est pas un peu une façon de se défiler, une attitude un peu politicienne et bizarre sur un enjeu aussi majeur ?
R- Il y avait des socialistes qui avaient pris position pour le "non", toute une série de collègues. Je n'étais pas de cet avis, parce que l'environnement est un sujet absolument majeur. Et donc la décision finale qui a été prise, c'est de laisser passer la Charte de
l'environnement, qui va exister, mais en revanche, de faire un petit coup de semonce, parce que, de la part du président de la République, il y a quand même une opération. On le voit bien : le Président est frappé d'une espèce de dédoublement écologique de la personnalité ! Les gestes et les paroles sont très bien, mais les actes - jamais le budget n'a été aussi faible, on supprime toute une série de crédits pour les transports en commun etc. La Charte existe, c'est bien, parce que l'environnement est fondamental...
Q- Vous êtes content qu'elle ait été adoptée ?
R- Tout à fait, mais en même temps, il y aura des choses à reprendre.
Q- T. Breton va donc succéder à H. Gaymard. C'est le redresseur de Thomson Multimédia, de France Télécom. Est-ce l'homme de la situation pour redresser la croissance, l'emploi, faire baisser les déficits et les impôts ?
R- Ne faisons pas de procès d'intention. Il vient d'être nommé, dans les conditions difficiles que l'on sait et on le verra à l'uvre. Mais le problème, ce n'est pas M. Breton, M. X ou M. Y : le problème, c'est la situation. Deux chiffres qui sont à l'esprit de tout le monde : 10 % de chômage - on n'a malheureusement jamais eu un aussi mauvais chiffre depuis longtemps - et 25 % d'augmentation en moyenne des bénéfices des grandes entreprises, sans que la plupart des salariés en bénéficient. Et dans ces chiffres, vous avez toute la situation de l'économie française, c'est-à-dire une situation qui est à la fois inefficace - puisque 10 % de chômeurs, c'est quand même colossal - et injuste - parce qu'il n'y a pas de répartition correcte vis-à-vis de l'ensemble des Français. Et c'est à cela qu'il faut s'attaquer. Cela demande un changement de politique économique, que visiblement M. Raffarin ne veut pas opérer.
Q- Mais justement, le fait que le chômage continue à monter, cela ne prouve-t-il pas qu'il y a vraiment un mal français et que c'est très difficile ?
R- Pas seulement un "mal français" : regardez en Allemagne, où il y a également 5 millions de chômeurs. Il y a une politique qui n'est pas bonne, c'est sûr. Les problèmes sont très compliqués, mais je ne crois pas qu'on les attaque de la bonne façon.
Q- Quelques mots sur "l'affaire Gaymard" elle-même. Il y a un risque de discrédit pour l'ensemble des politiques. Que retenez-vous de cette affaire ?
R- Même si cela ne touche qu'une personne, je crois que cela éclabousse tout le monde. Cela veut dire beaucoup de choses. Les Français y ont été d'autant plus sensibles qu'il y a une situation de mal logement pour eux, et ils voient donc ça avec des yeux écarquillés. Il y a mille leçons à en tirer, je crois que les Français les tirent eux-mêmes, et notamment qu'il faut que les règles qui concernent les élus soient précisées. Mais enfin, il y aurait beaucoup de choses à dire, on n'en a pas le temps...
Q- La loi Fillon sera votée demain, malgré les manifestations des lycéens. Le ministre a-t-il raison d'aller jusqu'au bout de sa réforme ?
R- Non ! Mais ça, c'est une attitude générale du Gouvernement, qui se moque complètement de ce qui se passe dans le pays. L'Education nationale doit être le premier projet, le premier sujet, le premier budget. En fait, ce n'est pas ce qui se passe. D'un côté, ce texte n'est pas bon, il va mettre en situation très inégalitaire beaucoup d'établissements d'enseignement - c'est pour cela que les lycéens, les professeurs et beaucoup de parents manifestent. Et puis, il n'y a pas les moyens suffisants pour que l'éducation, qu'elle soit primaire, secondaire ou supérieure, redémarre. C'est là la clé, là où il faut mettre vraiment le paquet pour que la France s'en sorte - et l'Europe aussi dans le futur -, c'est sur l'éducation, la recherche, l'innovation, le futur. Ce n'est pas ce qui est fait...
Q- En même temps, quand vous voyez le chômage, le mécontentement social, les lycéens, l'affaire Gaymard, tout cela ne va-t-il pas faire le jeu du "non" ? Quelque part, cela peut vous intéresser !
R- On connaît mes convictions sur le fond... J'entendais cet argument : "Attention, parce que le "non" va déboucher sur une crise". Je pense que l'on prend les problèmes à l'envers : c'est la crise économique, sociale, démocratique, qui pousse dans le sens du "non". Et les gens se posent la question : quelle Europe faut-il ? Les gens sont Européens, mais ils veulent une Europe différente, pas une Europe molle, diluée, avec aujourd'hui 25 pays, demain 30 ou 35, pourquoi pas 45 après-demain... Non, ils veulent une Europe forte, une Europe solidaire, une Europe sociale, qui innove, qui mette le paquet sur l'éducation, sur l'investissement. Quand on voit, vendredi dernier, que le Parlement a dit que la directive Bolkestein n'est pas mal du tout...
Q- La directive sur les services...
R- Sur les services, avec les conséquences que vous savez, c'est-à-dire que les artisans, les commerçants, les architectes, les salariés auraient le régime polonais, si c'est une entreprise qui a son siège en Pologne - donc vraiment il n'y a plus de droit social... Les gens sont inquiets. Encore une fois, ils sont Européens, moi je suis profondément Européen et de gauche et, au nom de cela, je me dis qu'il faut une Europe différente.
Q- Vous rentrez de Shanghai, en Chine. Quelles impressions en
tirez-vous ?
R- J'ai fait une série de conférences à Shanghai. Le dernier jour, un ami chinois m'a dit qu'il devait me montrer quelque chose. On a pris la voiture et on est allé à 100 kilomètres de Shanghai, dans une zone industrielle, qui fait 28.000 hectares - 28.000 hectares ! -, de hautes technologies. J'ai visité cette zone chinoise et singapourienne. Elle est remplie à moitié, elle a commencé il y a dix ans. Et j'ai demandé quel est le salaire des ouvriers. Il m'a dit qu'ici, les ouvriers sont très qualifiés et gagnent 60 euros par mois ! Hautes technologies, 28.000 hectares, 60 euros par mois ! Alors il faut sérieusement réagir, à la fois en développant l'éducation, la formation, l'investissement, la recherche ici, en étant plus présent là-bas, parce qu'il y a des marchés à prendre. Et puis en négociant et puis en ayant quelque chose... On revient sur l'Europe, il faut une Europe forte et pas une Europe diluée...
Q- Justement, quelle place l'Europe a-t-elle, vue de Chine ?
R- Le paradoxe, c'est que l'Europe existe et n'existe pas. Ils souhaiteraient que l'Europe existe, mais ils discutent avec la France, avec l'Allemagne - plus avec l'Allemagne qu'avec la France. Et donc, l'Europe comme une cohésion, cela n'existe pas assez. Mais si on veut une Europe de cohésion - ce qui est mon approche, ce qui est l'approche qu'il faut me semble-t-il avoir -, en même temps, il ne faut pas se laisser marcher sur les pieds, il faut discuter. Mais ce qui se passe là-bas est extraordinaire. On revient sur l'environnement, parce que si le modèle de développement reste ce qu'il est là-bas, cela veut dire que la pollution envahit le monde. Il faut donc à la fois être présent, les aider et en même temps négocier, parfois durement. Mais je dirais une évidence : le futur du monde est largement là-bas et il ne faut pas que nous soyons à l'écart de ces grands mouvement.
Q- Pour l'instant, on est trop absent du marché chinois ?
R- La France est entre le douzième et le treizième rang, on a un déficit considérable et on n'est pas assez présents, malgré les efforts de beaucoup d'entreprises.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 2 mars 2005)
R- Je n'ai pas d'information sur la date. Ce que je souhaite, comme chacun, c'est que l'on ait un temps suffisant pour faire la campagne et que la campagne soit une vraie campagne d'information, avec les arguments dans un sens et les arguments dans un autre. Mais sur la date, je n'ai pas d'information particulière...
Q- Le fait que cela vienne assez tôt, est-ce une bonne idée ?
R- Dès lors qu'il ne s'agit pas d'estomper la campagne, les dates sont ouvertes. Mais il faut faire une campagne, parce que le risque principal, dans toute cette affaire, c'est qu'il y ait beaucoup d'abstentions. Et pour que les gens ne s'abstiennent pas, il faut leur expliquer l'enjeu. Et l'enjeu, c'est "quelle Europe voulez-vous" ? Ce n'est pas "la paix ou la guerre", évidemment que non. Ce n'est pas "est-ce que vous êtes pour ou contre l'Europe", évidemment non. Ce n'est pas la question. La question est "quelle Europe voulez-vous ? Est-ce que vous êtes satisfait de l'Europe actuelle ou est-ce que vous voulez une Europe plus sociale, plus libérale, plus solidaire ?".
Q- Il y avait un deuxième vote hier, c'était sur la Charte de l'environnement. Et là, les socialistes n'ont pas participé au vote. Est-ce que ce n'est pas un peu une façon de se défiler, une attitude un peu politicienne et bizarre sur un enjeu aussi majeur ?
R- Il y avait des socialistes qui avaient pris position pour le "non", toute une série de collègues. Je n'étais pas de cet avis, parce que l'environnement est un sujet absolument majeur. Et donc la décision finale qui a été prise, c'est de laisser passer la Charte de
l'environnement, qui va exister, mais en revanche, de faire un petit coup de semonce, parce que, de la part du président de la République, il y a quand même une opération. On le voit bien : le Président est frappé d'une espèce de dédoublement écologique de la personnalité ! Les gestes et les paroles sont très bien, mais les actes - jamais le budget n'a été aussi faible, on supprime toute une série de crédits pour les transports en commun etc. La Charte existe, c'est bien, parce que l'environnement est fondamental...
Q- Vous êtes content qu'elle ait été adoptée ?
R- Tout à fait, mais en même temps, il y aura des choses à reprendre.
Q- T. Breton va donc succéder à H. Gaymard. C'est le redresseur de Thomson Multimédia, de France Télécom. Est-ce l'homme de la situation pour redresser la croissance, l'emploi, faire baisser les déficits et les impôts ?
R- Ne faisons pas de procès d'intention. Il vient d'être nommé, dans les conditions difficiles que l'on sait et on le verra à l'uvre. Mais le problème, ce n'est pas M. Breton, M. X ou M. Y : le problème, c'est la situation. Deux chiffres qui sont à l'esprit de tout le monde : 10 % de chômage - on n'a malheureusement jamais eu un aussi mauvais chiffre depuis longtemps - et 25 % d'augmentation en moyenne des bénéfices des grandes entreprises, sans que la plupart des salariés en bénéficient. Et dans ces chiffres, vous avez toute la situation de l'économie française, c'est-à-dire une situation qui est à la fois inefficace - puisque 10 % de chômeurs, c'est quand même colossal - et injuste - parce qu'il n'y a pas de répartition correcte vis-à-vis de l'ensemble des Français. Et c'est à cela qu'il faut s'attaquer. Cela demande un changement de politique économique, que visiblement M. Raffarin ne veut pas opérer.
Q- Mais justement, le fait que le chômage continue à monter, cela ne prouve-t-il pas qu'il y a vraiment un mal français et que c'est très difficile ?
R- Pas seulement un "mal français" : regardez en Allemagne, où il y a également 5 millions de chômeurs. Il y a une politique qui n'est pas bonne, c'est sûr. Les problèmes sont très compliqués, mais je ne crois pas qu'on les attaque de la bonne façon.
Q- Quelques mots sur "l'affaire Gaymard" elle-même. Il y a un risque de discrédit pour l'ensemble des politiques. Que retenez-vous de cette affaire ?
R- Même si cela ne touche qu'une personne, je crois que cela éclabousse tout le monde. Cela veut dire beaucoup de choses. Les Français y ont été d'autant plus sensibles qu'il y a une situation de mal logement pour eux, et ils voient donc ça avec des yeux écarquillés. Il y a mille leçons à en tirer, je crois que les Français les tirent eux-mêmes, et notamment qu'il faut que les règles qui concernent les élus soient précisées. Mais enfin, il y aurait beaucoup de choses à dire, on n'en a pas le temps...
Q- La loi Fillon sera votée demain, malgré les manifestations des lycéens. Le ministre a-t-il raison d'aller jusqu'au bout de sa réforme ?
R- Non ! Mais ça, c'est une attitude générale du Gouvernement, qui se moque complètement de ce qui se passe dans le pays. L'Education nationale doit être le premier projet, le premier sujet, le premier budget. En fait, ce n'est pas ce qui se passe. D'un côté, ce texte n'est pas bon, il va mettre en situation très inégalitaire beaucoup d'établissements d'enseignement - c'est pour cela que les lycéens, les professeurs et beaucoup de parents manifestent. Et puis, il n'y a pas les moyens suffisants pour que l'éducation, qu'elle soit primaire, secondaire ou supérieure, redémarre. C'est là la clé, là où il faut mettre vraiment le paquet pour que la France s'en sorte - et l'Europe aussi dans le futur -, c'est sur l'éducation, la recherche, l'innovation, le futur. Ce n'est pas ce qui est fait...
Q- En même temps, quand vous voyez le chômage, le mécontentement social, les lycéens, l'affaire Gaymard, tout cela ne va-t-il pas faire le jeu du "non" ? Quelque part, cela peut vous intéresser !
R- On connaît mes convictions sur le fond... J'entendais cet argument : "Attention, parce que le "non" va déboucher sur une crise". Je pense que l'on prend les problèmes à l'envers : c'est la crise économique, sociale, démocratique, qui pousse dans le sens du "non". Et les gens se posent la question : quelle Europe faut-il ? Les gens sont Européens, mais ils veulent une Europe différente, pas une Europe molle, diluée, avec aujourd'hui 25 pays, demain 30 ou 35, pourquoi pas 45 après-demain... Non, ils veulent une Europe forte, une Europe solidaire, une Europe sociale, qui innove, qui mette le paquet sur l'éducation, sur l'investissement. Quand on voit, vendredi dernier, que le Parlement a dit que la directive Bolkestein n'est pas mal du tout...
Q- La directive sur les services...
R- Sur les services, avec les conséquences que vous savez, c'est-à-dire que les artisans, les commerçants, les architectes, les salariés auraient le régime polonais, si c'est une entreprise qui a son siège en Pologne - donc vraiment il n'y a plus de droit social... Les gens sont inquiets. Encore une fois, ils sont Européens, moi je suis profondément Européen et de gauche et, au nom de cela, je me dis qu'il faut une Europe différente.
Q- Vous rentrez de Shanghai, en Chine. Quelles impressions en
tirez-vous ?
R- J'ai fait une série de conférences à Shanghai. Le dernier jour, un ami chinois m'a dit qu'il devait me montrer quelque chose. On a pris la voiture et on est allé à 100 kilomètres de Shanghai, dans une zone industrielle, qui fait 28.000 hectares - 28.000 hectares ! -, de hautes technologies. J'ai visité cette zone chinoise et singapourienne. Elle est remplie à moitié, elle a commencé il y a dix ans. Et j'ai demandé quel est le salaire des ouvriers. Il m'a dit qu'ici, les ouvriers sont très qualifiés et gagnent 60 euros par mois ! Hautes technologies, 28.000 hectares, 60 euros par mois ! Alors il faut sérieusement réagir, à la fois en développant l'éducation, la formation, l'investissement, la recherche ici, en étant plus présent là-bas, parce qu'il y a des marchés à prendre. Et puis en négociant et puis en ayant quelque chose... On revient sur l'Europe, il faut une Europe forte et pas une Europe diluée...
Q- Justement, quelle place l'Europe a-t-elle, vue de Chine ?
R- Le paradoxe, c'est que l'Europe existe et n'existe pas. Ils souhaiteraient que l'Europe existe, mais ils discutent avec la France, avec l'Allemagne - plus avec l'Allemagne qu'avec la France. Et donc, l'Europe comme une cohésion, cela n'existe pas assez. Mais si on veut une Europe de cohésion - ce qui est mon approche, ce qui est l'approche qu'il faut me semble-t-il avoir -, en même temps, il ne faut pas se laisser marcher sur les pieds, il faut discuter. Mais ce qui se passe là-bas est extraordinaire. On revient sur l'environnement, parce que si le modèle de développement reste ce qu'il est là-bas, cela veut dire que la pollution envahit le monde. Il faut donc à la fois être présent, les aider et en même temps négocier, parfois durement. Mais je dirais une évidence : le futur du monde est largement là-bas et il ne faut pas que nous soyons à l'écart de ces grands mouvement.
Q- Pour l'instant, on est trop absent du marché chinois ?
R- La France est entre le douzième et le treizième rang, on a un déficit considérable et on n'est pas assez présents, malgré les efforts de beaucoup d'entreprises.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 2 mars 2005)