Interview de M. Michel Sapin, ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat, à Europe 1 le 25 octobre 2000, sur les négociations salariales et la réduction du temps de travail dans la fonction publique, sur le pouvoir d'achat des fonctionnaires et sur le remplacement des fonctionnaires partant à la retraite.

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Média : Europe 1

Texte intégral

J.-P. Elkabbach Vous devez ouvrir avec les sept fédérations de la Fonction publique des négociations promises sur les salaires.
- "Ce ne sont pas des négociations promises mais nécessaires. Un dossier salarial dans une entreprise, comme dans la Fonction publique et dans une entreprise de plus de deux millions de personnes - l'Etat - est un dossier central dans le dialogue et dans la discussion entre l'Etat, en l'occurrence patron, et les syndicats. Mais il n'y a pas de date d'ouverture un matin et de fermeture le soir. Des négociations comme celles-ci, un dossier comme celui-ci sont délicats et demandent beaucoup de préparation, y compris de la préparation avec les syndicats. On a déjà commencé à discuter de ces questions-là : de la question salariale mais aussi d'autres questions. On travaille déjà y compris avec les syndicats sur ce sujet."
Le calendrier prévoit 2001, 2002 et dès cette année. Or vous disiez récemment que 2000 ne serait pas une "année blanche."
- "Ce sont des termes un peu abscons..."
Comme cela veut dire que ce ne sera pas une année noire, alors ...
- "Une année blanche ce serait une année comme celle que l'on a connue en 1996, lorsque le Gouvernement de l'époque avait dit qu'il n'y aurait ni discussion, ni augmentation de salaires, ce qui signifiait pour certains fonctionnaires une baisse du pouvoir d'achat. Je l'ai déjà dit et je le confirme que pour l'année 2000 qui jusqu'à présent n'a pas fait l'objet d'augmentation de salaire, il y aura une augmentation discutée, négociée avec l'ensemble des organisations syndicales."
Du montant de l'inflation ou au-delà ?
- "Le principe même d'une négociation et sa difficulté, c'est que l'on n'annonce pas les décisions avant d'avoir commencé la discussion. Et le premier des respects que l'on doit aux organisations syndicales c'est de commencer par elles à discuter de ce sujet."
Pour tous les Français à l'égard desquels il y a aussi du respect, il convient au moins de leur donner une fourchette et des principes.
- "Le principe c'est que pour le Gouvernement, qu'il s'agisse du privé ou du public, la question du pouvoir d'achat est importante. La manière dont, par rapport à une économie qui fonctionne bien, une croissance qui apporte de la richesse supplémentaire, on fait en sorte que chacun puisse avoir sa part, c'est une question décisive dans les entreprises comme dans l'Etat."
Et l'année 2000, qui ne sera ni blanche, ni noire, peut-être rose, sera-t-elle plus rose que 2001 ou 2002 ?
- "Je souhaite que nous puissions parler de 2000 avec les syndicats. Nous le ferons. Je souhaite, bien entendu, que 2001 fasse partie des négociations habituelles et normales et je mettrai dans la corbeille - mais il faut la aussi en discuter avec les organisations syndicales - la question de 2002 car il est bon que nous ayons une visions sur du moyen terme dans ce domaine là, que ce ne soient pas des à coups. Il ne faut pas une année où cela marche, une année où cela ne marche pas pour des tas de raisons. D'abord par respect pour les syndicats et pour les fonctionnaires, mais aussi parce que je pense que l'on a besoin de visibilité dans la gestion de la Fonction publique de l'Etat."
2001, 2002, c'est bien, il y aura un parfum électoral.
- "Oui, mais en 2003, 2004 aussi, ainsi qu'en 2005 et 2006. Donc, ce n'est pas parce qu'il y a une date en 2002 que, pour autant, on doit s'empêcher d'avoir une vision pluriannuelle de la gestion de la Fonction publique."
Les salaires ont, paraît-il, plus augmenté dans le public que dans le privé.
- "Les calculs dans ce domaine là sont très compliqués à faire. La question est de savoir ce qui s'est passé depuis 1998."
Est-ce que le privé doit rattraper le public ?
- "Je crois pouvoir dire que d'une certaine manière et d'après un certain nombre de courbes qui, par exemple, ont été publiées hier par Les Echos, ce rattrapage est fait."
La hausse tiendra-t-elle compte de l'évolution de la croissance, ou, comme on dit depuis peu de temps au Parti socialiste, les salaires doivent-ils être indexés à la croissance ?
- "Les salaires font partie de ces revenus, c'est une masse considérable de ces revenus. Ils doivent être en harmonie avec le fonctionnement de l'économie. Il y a des périodes, nous en avons connues, j'en ai connue, où on demande des efforts aux uns et aux autres. Il y a d'autres périodes où l'économie, grâce aux efforts, fonctionne mieux. Il faut qu'il y ait une harmonie entre l'évolution des revenus et l'évolution de la croissance."
Vous dites plutôt "oui" à l'indexation à la croissance.
- "Non pas du tout. Cela voudrait dire que l'on va augmenter les salaires du même montant que la croissance. Ce n'est pas du tout le sujet. Mais il faut que ce soit en harmonie, cela signifie que l'on ne peut pas raisonner sur l'un sans raisonner sur l'autre."
Il y a eu des discussions entre vous et L. Fabius, parait-il, assez heurtées.
- "Avouez que sur une dossier comme celui-ci, où la moindre décision a des conséquences en milliards, parfois en dizaines de milliards, la tâche de chacun, y compris la mienne, est de prendre en compte aussi les effets budgétaires de toute décision! Nous ne sommes pas des irresponsables qui discuterions chacun dans son coin."
D'autant plus que l'Europe a donné des chiffres et fixé un pacte de stabilité européen.
- "D'autant plus que nous avons, par rapport aux Européens et à nos autres partenaires, pris un certain nombre d'engagements mais qui ne sont pas des engagements sur l'évolution des salaires de la Fonction publique, mais des engagements sur l'évolution de l'ensemble de nos dépenses."
Et vous savez de quoi vous disposerez ?
- "Cela fait partie des sujets qu'aujourd'hui nous discutons pour pouvoir aborder en toute connaissance de cause et de manière positive la négociation qui est devant nous."
Qu'est-ce que cela signifie ?
- "Cela signifie que l'on essaye de s'y préparer le mieux possible pour pouvoir déboucher le mieux possible."
Aujourd'hui, la droite se marre et estime que la gauche, pas plus que la droite, ne réussira la réforme de l'Etat. Que répondez-vous ?
- "Je ne sais pas si elle se marre. Elle a aussi beaucoup de raisons de ne pas rire. Pour une partie de la droite, la réforme de l'Etat signifie moins d'Etat, moins de dépenses, moins de fonctionnaires. C'est du "moins, moins, moins." Pour nous, la vision de la réforme de l'Etat, c'est "nous avons besoin d'un Etat." Même quand il y a plus de marché, il y a besoin d'un état. Et parfois même quand il y a plus de marché, il y a besoin d'un état plus efficace et plus performant."
On peut prendre un exemple : tout le monde au Parlement réclame la réforme de l'ordonnance de 1959. Allez-vous la faire ?
- "On fera cette réforme de l'ordonnance de 1959 d'abord parce que le Parlement le souhaite, dans son unanimité, tous groupes confondus, car c'est une réforme de revalorisation du Parlement, mais c'est aussi une réforme décisive pour modifier la culture administrative. Avoir une culture qui devienne une culture où on se fixe des objectifs, où on a des moyens, et où on rend des comptes sur l'utilisation de ces moyens, c'est de l'autonomie et de la responsabilisation."
Vous dites : on le fera, mais l'avez-vous décidé ?
- "C'est décidé. Le travail de la commission spéciale au Parlement a commencé. Il est question que ce débat ait lieu au début de l'année prochaine au Parlement, et l'Etat se prépare dès maintenant à la mise en oeuvre de cette réforme car c'est une réforme considérable."
Une réforme qui se fera par étape, ou d'un coup ?
- "Elle sera votée d'un seul coup, et nécessitera des décisions immédiates pour s'y préparer et s'appliquera ensuite progressivement pour permettre une mise en application globale à une date qui n'est pas encore fixée, mais qui doit être la plus rapide possible, tout en faisant en sorte que l'Etat fonctionne."
Cela signifie-t-il qu'on se met en route pour supprimer l'ordonnance de 1959 en trois, quatre ou cinq ans ?
- "Non, on se met en route, semble-t-il, aujourd'hui pour modifier profondément l'ordonnance de 1959 - il ne s'agit pas de la supprimer mais de la modifier - et pouvoir la mettre en oeuvre ensuite sur plusieurs années."
Pourquoi dites-vous très souvent que dans quelques années, peut-être en 2012, on pourrait ne plus avoir de fonctionnaires ? Ceux qui partent à la retraite risquent de ne pas être remplacés.
- "Les mêmes qui diraient "chiche" sont ceux qui se manifesteraient parce qu'ils n'auraient pas de professeurs devant leurs enfants à l'école, au collège, au lycée ou à l'université. Il y a un phénomène démographique particulièrement redoutable et puissant dans la Fonction publique, c'est que 50 % des fonctionnaires vont partir à la retraite d'ici 2012, c'est à dire à une rythme deux fois plus élevé que celui que nous avons connu au cours des 12 dernières années. Il va falloir recruter deux fois plus, en plus des cadres."
Comment allez-vous les attirer ?
- "Il faut les attirer par la responsabilité, ce qu'ils recherchent parfois dans le privé. Il faut se préoccuper de leurs rémunérations, d'où l'importance du dossier salarial, et puis avoir aussi une gestion prévisionnelle, c'est-à-dire penser aujourd'hui à ce que l'on doit dans cinq ans et pas simplement à la rentrée prochaine."
Il y a six mois vous promettiez que les 35 heures seraient effectives dans les fonctions publiques.
- "Au 1er janvier 2002."
Vous le confirmez ?
- "Bien sûr."
Quand cela commence-t-il ?
- "La décision a été prise, elle est parue au Journal Officiel, les ministères y travaillent dès maintenant, et dès la mi-année prochaine, on commencera à en voir les effets."
Les 35 heures appliquées aux fonctionnaires.
- "Aux fonctionnaires, pour ceux qui ne travaillent pas aujourd'hui 35 heures."
Vous avez lancé un nouveau portail Internet de l'administration. C'est "Service public.fr." C'est plus que la mode ?
"C'est plus que la mode, c'est faciliter le travail des uns et des autres, usagers et administration."
(Source : http://.sig.premier-ministre.gouv.fr, le 25 octobre 2000)