Texte intégral
Q- La réforme fiscale engagée par Bercy, applicable en 2007 sur les revenus 2006 portera-t-elle le projet du Premier ministre de "croissance sociale" ? Sont-ce en effet les classes moyennes qui profiteront le plus de cette simplification et de cet allégement de l'impôt ? Enfin, de quel poids la concurrence fiscale européenne a t-elle pesé sur cette réforme ? Le taux marginal français est désormais inférieur à celui de l'Allemagne, égal à celui de la Grande-Bretagne. 70 % de l'enveloppe concernent les classes moyennes ; est-ce aussi un message politique adressé - je cite - "à ces Français trop riches pour bénéficier des prestations sociales et pas assez pauvres pour se soustraire à l'impôt" - vous vous souvenez de cette phrase de N. Sarkozy ?
R- Bien sûr. Je veux dire, sur ce point que c'est pour nous, évidemment la priorité numéro 1. D'ailleurs si vous vous rappelez du message de D. de Villepin, lorsqu'il a fait sa déclaration de politique générale au mois de juin, il a dit "j'inscris ma démarche politique dans un terme essentiel, celui d'être toujours juste. Je crois que l'un des mots-clés de cette réforme fiscale que nous avons élaborée avec T. Breton à la demande de D. de Villepin, c'est d'être juste. Cela veut dire quoi "être juste" ? Cela veut dire que cette réforme ne fait aucun perdant mais qu'elle bénéficie d'abord à ce que l'on appelle "les classes moyennes". Il faut de temps en temps dire des chiffres, parce que sinon, personne ne sait très bien qui cela concerne. Grosso modo, les classes moyennes, qui sont d'ailleurs les oubliés des réformes ou bien souvent, c'est une tranche de revenu qui va entre 1.000 et 3.500 euros par mois et par personne. C'est cette partie de notre population, qui est souvent celle qui travaille, qui trime, et qui, pour autant, ne bénéficie jamais des nombreuses réformes que l'on peut faire. Donc, c'est d'abord à ces compatriotes que l'on pense.
Q- Que vont-ils gagner, dès l'instant que cette réforme sera appliquée, c'est-à-dire en 2007, pour les revenus 2006 ?
R- Il faut savoir que pour eux, ces baisses d'impôts peuvent aller jusqu'à 10-12 % parfois, par an et que, naturellement, cela va s'appliquer sur les revenus 2006, mais qu'en plus de cela, l'idée c'est qu'il y a un symbole, c'est celui de valoriser le travail. Il faut bien voir que derrière cela, la cohérence de la réforme c'est d'ajouter à la réorganisation de l'impôt sur le revenu l'augmentation très forte de la Prime pour l'emploi (PPE). Je veux vraiment insister là-dessus, sinon, on ne la comprend pas la réforme. L'intérêt de notre réforme, c'est de dire, d'un côté, on simplifie - on réduit le nombre de tranches - et on en fait bénéficier d'abord les classes moyennes mais en plus de cela, on valorise les gens qui travaillent. Cela veut dire, par exemple, lorsqu'une personne est aujourd'hui au RMI et qu'on lui propose un travail, on est dans un paradoxe incroyable qui veut que si elle reprend un travail à temps partiel, par exemple, au niveau du Smic, elle perd de l'argent, elle est moins payée qu'au RMI. Donc, en augmentant la PPE de manière très forte comme nous allons le faire, là, il y a un vrai avantage matériel : cela a du sens de reprendre un travail, sinon, effectivement, cela ne va pas. Bien sûr, comme vous le savez, les prémices ajoutées à cela c'est un travail d'accompagnement des gens qui sont au RMI pour revenir sur le marché de l'emploi, un accompagnement personnalisé, une aide pour la recherche d'emploi, la formation. Et puis, quand il y a des abus, parce qu'il y en a, évidemment, le cas échéant, des sanctions, mais l'idée, surtout, c'est de retourner vers l'emploi. Donc, vous voyez la cohérence : le barème de l'impôt d'abord pour les classes moyennes et en même temps la PPE pour ceux qui reprennent un travail et qui est doublé et mensualisé à partir du 1er mars.
Q- On reviendra tout à l'heure sur la façon dont l'Etat va absorber tout cela, parce qu'il y a cette réforme fiscale et puis ce que vous venez de dire relativement aussi sur la PPE, tout cela fait quand même beaucoup d'argent. S'agissant des classes moyennes, avez-vous pris en compte le rapport du Conseil d'analyse économique, qui vient de paraître, et qui, en effet, montrait à quel point, notamment les familles nombreuses, aujourd'hui, se trouvaient dans une situation difficile, y compris fiscalement. Avez-vous une ambition de répondre à ces situations particulières ?
R- Comme vous le savez, notre impôt sur le revenu aujourd'hui prévoit pour les familles une politique qui est très adaptée puisque vous avez à chaque fois ce que l'on appelle le quotient familial, avec des demies parts supplémentaires par enfant. Donc, sur ce point, il y a une prise en compte des familles. Encore une fois, il faut bien voir que notre idée est double : vous avez d'un côté l'idée d'être juste, première mission, et d'autre part, de simplifier l'impôt, parce que là aussi, on était dans un paysage de fous. Vous aviez six taux avec deux chiffres après la virgule, etc. et en plus, ce n'était même pas la vérité des taux puisque vous aviez un abattement de 20 %.
Q- Plus de chiffre après la virgule, là...
R- Sauf un seul : 5,5 ; cela va être simple à retenir. Désormais, vous avez un barème avec quatre taux : 5,5 %, 14 %, 30 % et 40 %, et il n'y a plus d'abattement de 20 %, parce qu'on a baissé d'autant les taux, sauf la tranche marginale qui est un peu au-dessus - il aurait fallu, sinon, la mettre à 38 -, nous la mettons à 40 pour qu'il n'y ait pas d'avantages excessifs pour la tranche marginale supérieure. Donc, là-dessus, on est très attentifs à cantonner les choses - encore le souci de justice. Et puis, il y a un dernier mot d'ordre, pour que les gens voient bien l'objectif qui est donc, on l'a dit, justice et simplification - c'est vrai que l'on simplifie beaucoup le barème, on verse la PPE désormais mensuellement - et le troisième objectif, c'est d'être aux normes européennes. On ne peut pas, d'un côté, s'inquiéter des délocalisations et en même temps avoir une fiscalité qui est en décalage avec la moyenne européenne. Donc, on a désormais une fiscalité qui est égale à ce qui se passe dans les autres pays d'Europe.
Q- Que faut-il dire ? Faut-il parler de la norme européenne ou faut-il parler de la concurrence européenne ? Parce qu'on a quand même bien vu les mouvements de capitaux en Europe, on a bien vu ce qu'était le dumping économique.
R- Oui, bien sûr, on parle bien de cela. L'idée, c'est que l'on ne peut pas alourdir l'organisation de notre économie et en même temps, s'inquiéter des délocalisations et des pertes d'emplois. Nous, on se bat pour l'emploi, c'est notre obsession. Donc, pour cela, il ne faut pas que l'on ait des poids supplémentaires à traîner. Donc, en ayant une fiscalité à peu près harmonisée par rapport aux autres pays, à ce moment-là, on devient un pays attractif pour les investisseurs et pour les emplois.
Q- Avez-vous essayé d'anticiper sur ce qui va peut-être se passer en Allemagne ? Imaginons que madame Merkel passe, on a entendu ce qu'elle envisageait pour les impôts. Là, le taux marginal français est désormais inférieur à celui de l'Allemagne, comparable, égal à celui de la Grande-Bretagne.
R- C'est exact. Mais en même temps, vous savez, après, il faut relativiser tout cela, on n'a pas les mêmes systèmes. Par exemple, nous, on a une CSG... Comparaison n'ait pas raison à chaque fois. Et puis, nous, nous sommes attentifs à préserver notre modèle. Il faut bien voir aussi que l'on veut pouvoir organiser nos finances publiques pour avoir des services publics qui marchent et qui se modernisent tous les jours, et donc, on est vigilants là-dessus. Il y a encore du travail mais il y a aussi des efforts qui sont faits. On est attentifs aussi à avoir un service de santé qui soit accessible à tous, même s'il faut - c'est le ministre du Budget qui parle - en maîtriser le coût, parce que sinon, on va à la faillite et qu'il faut faire attention tous les jours à être rigoureux. Et puis aussi, à avoir un droit du travail qui soit respectueux des salariés mais en même temps, qui ne soit pas un frein à l'emploi. C'est un équilibre à trouver, c'est cela notre modèle social.
Q- Mais êtes-vous inquiet ? Je reprends la formule du Premier ministre "croissance sociale", sauf que J.-C. Trichet est assez perplexe s'agissant de la croissance, il se pose beaucoup de questions. Là, vous engagez une grande réforme à un moment où, finalement, on ne s'est jamais autant interrogé sur les hypothèses concernant la croissance.
R- Pour être tout à fait honnête, on s'interroge tout le temps sur les hypothèses de croissance...
Q- ...Et on s'est presque toujours trompé.
R- Voilà, vous m'enlevez le mot de la bouche. Il faut bien reconnaître qu'on se trompe souvent. Je crois quand même que l'objectif, c'est de créer des conditions pour que notre économie crée de l'emploi. Et pour cela, il faut alléger les charges fiscales, administratives, les lourdeurs en tout genre, qui font que vous avez des entreprises, qui du coup, qui ne viennent plus s'installer en France ou qui quittent la France. Mais en même temps, il ne faut pas faire n'importe quoi. Il faut aussi préserver les droits des salariés, parce que les abus sont insupportables dans certains cas. Il faut essayer de trouver une voie équilibrée. Mais la voie équilibrée, ce n'est pas dans l'immobilisme. Ce n'est pas "J'arrête tout, je ne bouge pas et je fais le conservatisme et j'attends la relève". Non, c'est naturellement dans le mouvement qu'on doit être. Donc, être en permanence en train de regarder comment cela se passe ailleurs, quelles sont les bonnes idées. Je vois par exemple au Canada, les techniques de réforme de l'Etat, modernes, intelligentes, eh bien, je les emprunte parce que je crois que c'est utile pour faire en sorte que l'Etat soit mieux géré. Et de la même manière, je regarde les taux d'imposition ailleurs, et je veille naturellement - ce qui est tout à fait normal - à ce que l'on ne soit pas en décrochage. C'est cela l'objectif de cette réforme. Avec T. Breton, je peux vous dire qu'on y a vraiment travaillé d'arrache-pied, en ayant les yeux rivés sur ce qui se passe ailleurs, pour voir comment préserver notre modèle tout en étant évidemment dans la norme européenne.
Q- J.-M. Sylvestre, ce matin, dans son analyse de cette réforme, voyait pas mal de subtilités aussi dans le chapitre relatif à l'ISF : pas de suppression de l'ISF mais le taux maximal en France, maintenant, tout compris, c'est 60 %. Donc, vous avez finalement trouvé un moyen terme, un passage intermédiaire sur la question de l'ISF ?
R- Là aussi, ce n'est pas tant la question de l'imposition du patrimoine qui nous a préoccupés dans cette affaire-là...
Q- Elle a quand même pesé j'imagine, parce que ça compte.
R- Bien sûr, mais quelle est notre idée ? Elle est de dire qu'il y a un moment où l'on doit savoir ce que c'est qu'un prélèvement d'impôt excessif ; on ne s'est jamais posé la question. Et donc, notre idée, c'est d'inscrire dans le Code général des impôts un article 1, qui dise qu'on ne pourra prélever plus de 60 % du revenu des Français en impôts.
Q- Ce sera gravé dans le marbre, maintenant ? Cela va être dans le Code des impôts ?
R- Oui, on va le présenter au projet de loi de finances. On va avoir un rendez-vous fiscal considérable à l'automne, dans le cadre de la discussion budgétaire. Je crois qu'il y a très longtemps qu'on n'a pas proposé une réforme de cette ampleur pour notre fiscalité, parce qu'il fallait la moderniser. Cela fait des années que les Français le demandent, sous des formes diverses. Simplement, il ne faut pas faire n'importe quoi pour le plaisir de faire des coups de publicité. Le principe de base c'est d'être juste. De ce point de vue, il y a depuis des années des gens qui nous disent : "Attention, il faut, à un moment donné, stabiliser le niveau des prélèvements obligatoires. On ne peut pas sans arrêt appuyer sur le contribuable". Donc, l'idée c'est de dire : impôts locaux + impôts d'Etat, revenus et patrimoine, cela ne doit pas dépasser 60 % du total des revenus de la personne. Il me semble que c'est quelque chose qui est juste, là aussi.
Q- Un autre signal politique : les niches plafonnées à 8.000 euros ! C'est la volonté de dire...
R- C'est la contrepartie du plafond.
Q- ... à ceux qui ont la chance d'avoir des revenus importants.
R- On ne peut pas non plus avoir, comme on dit, "le beurre et l'argent du beurre". Donc, à partir du moment où l'on fait un plafond global à 60 %, on ne peut pas non plus laisser dériver toutes les formes de défiscalisation. Cela étant, ce qu'on appelle "les niches", c'est-à-dire la possibilité d'avoir une déduction d'impôt quand on investit - cela peut aller du développement de l'Outremer jusqu'à des associations caritatives ou bien aussi un emploi à domicile, lequel est déductible, pour partie, d'impôt, donc il n'est pas question de remettre cela en cause, cela sert l'intérêt général, cela sert le développement de la France, l'emploi, etc. -, il s'agit simplement de dire : on plafonne. C'est comme dans les menus des chaînes de satellites : on a un bouquet. Eh bien vous aurez une enveloppe globale de l'ordre de 8.000 euros et, à l'intérieur, vous choisissez. Alors, c'est [inaud.] supérieur à l'emploi à domicile, qui est à 6.000, ce qui fait que comme ça, vous avez cela plus autre chose, si vous le souhaitez. Et puis, vous faites votre panachage. C'est un plafond, c'est le libre choix. Et moi, je suis pour une société dans laquelle on puisse parler de libre choix. Eh bien là, on en a l'illustration parfaite.
Q- On n'a pas fait le tour de tout, parce qu'il y a quand même beaucoup de choses. Mais la question importante, maintenant - je parlais de la croissance tout à l'heure, le ministre de l'Economie, monsieur Breton l'évalue à 2,5 % possible - c'est comment allez-vous absorber tout cela ? Il y a, encore une fois, la réforme de la fiscalité qui est importante, les mesures concernant l'emploi, qui vont aussi peser sur le budget de l'Etat, et, là encore, je cite à nouveau J.-M. Sylvestre, qui dit qu'au fond, pour qu'un projet comme celui-là soit crédible, il faut que l'Etat diminue son déficit public. Est-ce que vous allez accompagner ces mesures d'une baisse importante du déficit, et comment allez-vous, encore une fois, absorber
tout cela ?
R- Je crois qu'il faut que chacun ait bien à l'esprit que tout ce que nous faisons, nous le faisons en respectant nos engagements budgétaires, et notamment vis-à-vis de l'Europe. Vous savez que le compte des déficits budgétaires, c'est Etat, Sécurité sociale, collectivités locales. La première chose qui nous importe, c'est naturellement l'Etat. Il faut que l'on maîtrise les choses et cela relève du Gouvernement. Depuis trois ans, la dépense publique a été stabilisée au niveau de l'inflation. Donc, on a démontré qu'on pouvait ne pas accroître tous les ans sa dépense publique tout en faisant des programmes de modernisation. On n'a jamais autant investi dans les missions de sécurité, de justice, y compris d'école. Donc, on est capable, simplement, il y a des endroits où il faut faire des économies et où il faut moderniser. Donc, la clé de tout cela, c'est la réforme de l'Etat. Je veux simplement témoigner ici que lorsqu'on modernise l'Etat, quand par exemple on développe la déclaration des impôts par Internet et que cela a un succès phénoménal - j'ai vu un phénomène de société, on avait envisagé à Bercy 1,5 million de télé déclarants cette année, on a fait 3,7 millions télé déclarants -, cela veut dire, à la clé, des économies à réaliser, comme d'ailleurs on doit réaliser des économies dans la gestion du domaine de l'Etat. Il y a des tas de bâtiments que l'on va vendre ; on va réaliser 600 millions de ventes cette année, pour, avec cela, moderniser le fonctionnement de notre administration. Et puis, naturellement, tout cela veut dire des frais de fonctionnement en moins. Et quand vous les accumulez, vous réalisez des économies très importantes. Et donc, toute la marge de manuvre pour 2006, elle est sur l'emploi - et vous l'avez bien compris -, c'est le message du Premier ministre. Il y a 4 milliards de marges de manuvre, on les met sur l'emploi : baisses de charges, contrat "nouvelles embauches", plan Borloo, avec, j'espère, peut-être quelques premiers résultats - vous avez vu que le chômage commence à baisser. Et puis, la priorité ensuite, c'est naturellement de rendre du pouvoir d'achat aux gens, et quand vous baissez l'impôt, cela rend du pouvoir d'achat, ils consomment, ils investissent, ils embauchent, et cela fait des recettes pour l'Etat.
(Source :premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 15 septembre 2005)
R- Bien sûr. Je veux dire, sur ce point que c'est pour nous, évidemment la priorité numéro 1. D'ailleurs si vous vous rappelez du message de D. de Villepin, lorsqu'il a fait sa déclaration de politique générale au mois de juin, il a dit "j'inscris ma démarche politique dans un terme essentiel, celui d'être toujours juste. Je crois que l'un des mots-clés de cette réforme fiscale que nous avons élaborée avec T. Breton à la demande de D. de Villepin, c'est d'être juste. Cela veut dire quoi "être juste" ? Cela veut dire que cette réforme ne fait aucun perdant mais qu'elle bénéficie d'abord à ce que l'on appelle "les classes moyennes". Il faut de temps en temps dire des chiffres, parce que sinon, personne ne sait très bien qui cela concerne. Grosso modo, les classes moyennes, qui sont d'ailleurs les oubliés des réformes ou bien souvent, c'est une tranche de revenu qui va entre 1.000 et 3.500 euros par mois et par personne. C'est cette partie de notre population, qui est souvent celle qui travaille, qui trime, et qui, pour autant, ne bénéficie jamais des nombreuses réformes que l'on peut faire. Donc, c'est d'abord à ces compatriotes que l'on pense.
Q- Que vont-ils gagner, dès l'instant que cette réforme sera appliquée, c'est-à-dire en 2007, pour les revenus 2006 ?
R- Il faut savoir que pour eux, ces baisses d'impôts peuvent aller jusqu'à 10-12 % parfois, par an et que, naturellement, cela va s'appliquer sur les revenus 2006, mais qu'en plus de cela, l'idée c'est qu'il y a un symbole, c'est celui de valoriser le travail. Il faut bien voir que derrière cela, la cohérence de la réforme c'est d'ajouter à la réorganisation de l'impôt sur le revenu l'augmentation très forte de la Prime pour l'emploi (PPE). Je veux vraiment insister là-dessus, sinon, on ne la comprend pas la réforme. L'intérêt de notre réforme, c'est de dire, d'un côté, on simplifie - on réduit le nombre de tranches - et on en fait bénéficier d'abord les classes moyennes mais en plus de cela, on valorise les gens qui travaillent. Cela veut dire, par exemple, lorsqu'une personne est aujourd'hui au RMI et qu'on lui propose un travail, on est dans un paradoxe incroyable qui veut que si elle reprend un travail à temps partiel, par exemple, au niveau du Smic, elle perd de l'argent, elle est moins payée qu'au RMI. Donc, en augmentant la PPE de manière très forte comme nous allons le faire, là, il y a un vrai avantage matériel : cela a du sens de reprendre un travail, sinon, effectivement, cela ne va pas. Bien sûr, comme vous le savez, les prémices ajoutées à cela c'est un travail d'accompagnement des gens qui sont au RMI pour revenir sur le marché de l'emploi, un accompagnement personnalisé, une aide pour la recherche d'emploi, la formation. Et puis, quand il y a des abus, parce qu'il y en a, évidemment, le cas échéant, des sanctions, mais l'idée, surtout, c'est de retourner vers l'emploi. Donc, vous voyez la cohérence : le barème de l'impôt d'abord pour les classes moyennes et en même temps la PPE pour ceux qui reprennent un travail et qui est doublé et mensualisé à partir du 1er mars.
Q- On reviendra tout à l'heure sur la façon dont l'Etat va absorber tout cela, parce qu'il y a cette réforme fiscale et puis ce que vous venez de dire relativement aussi sur la PPE, tout cela fait quand même beaucoup d'argent. S'agissant des classes moyennes, avez-vous pris en compte le rapport du Conseil d'analyse économique, qui vient de paraître, et qui, en effet, montrait à quel point, notamment les familles nombreuses, aujourd'hui, se trouvaient dans une situation difficile, y compris fiscalement. Avez-vous une ambition de répondre à ces situations particulières ?
R- Comme vous le savez, notre impôt sur le revenu aujourd'hui prévoit pour les familles une politique qui est très adaptée puisque vous avez à chaque fois ce que l'on appelle le quotient familial, avec des demies parts supplémentaires par enfant. Donc, sur ce point, il y a une prise en compte des familles. Encore une fois, il faut bien voir que notre idée est double : vous avez d'un côté l'idée d'être juste, première mission, et d'autre part, de simplifier l'impôt, parce que là aussi, on était dans un paysage de fous. Vous aviez six taux avec deux chiffres après la virgule, etc. et en plus, ce n'était même pas la vérité des taux puisque vous aviez un abattement de 20 %.
Q- Plus de chiffre après la virgule, là...
R- Sauf un seul : 5,5 ; cela va être simple à retenir. Désormais, vous avez un barème avec quatre taux : 5,5 %, 14 %, 30 % et 40 %, et il n'y a plus d'abattement de 20 %, parce qu'on a baissé d'autant les taux, sauf la tranche marginale qui est un peu au-dessus - il aurait fallu, sinon, la mettre à 38 -, nous la mettons à 40 pour qu'il n'y ait pas d'avantages excessifs pour la tranche marginale supérieure. Donc, là-dessus, on est très attentifs à cantonner les choses - encore le souci de justice. Et puis, il y a un dernier mot d'ordre, pour que les gens voient bien l'objectif qui est donc, on l'a dit, justice et simplification - c'est vrai que l'on simplifie beaucoup le barème, on verse la PPE désormais mensuellement - et le troisième objectif, c'est d'être aux normes européennes. On ne peut pas, d'un côté, s'inquiéter des délocalisations et en même temps avoir une fiscalité qui est en décalage avec la moyenne européenne. Donc, on a désormais une fiscalité qui est égale à ce qui se passe dans les autres pays d'Europe.
Q- Que faut-il dire ? Faut-il parler de la norme européenne ou faut-il parler de la concurrence européenne ? Parce qu'on a quand même bien vu les mouvements de capitaux en Europe, on a bien vu ce qu'était le dumping économique.
R- Oui, bien sûr, on parle bien de cela. L'idée, c'est que l'on ne peut pas alourdir l'organisation de notre économie et en même temps, s'inquiéter des délocalisations et des pertes d'emplois. Nous, on se bat pour l'emploi, c'est notre obsession. Donc, pour cela, il ne faut pas que l'on ait des poids supplémentaires à traîner. Donc, en ayant une fiscalité à peu près harmonisée par rapport aux autres pays, à ce moment-là, on devient un pays attractif pour les investisseurs et pour les emplois.
Q- Avez-vous essayé d'anticiper sur ce qui va peut-être se passer en Allemagne ? Imaginons que madame Merkel passe, on a entendu ce qu'elle envisageait pour les impôts. Là, le taux marginal français est désormais inférieur à celui de l'Allemagne, comparable, égal à celui de la Grande-Bretagne.
R- C'est exact. Mais en même temps, vous savez, après, il faut relativiser tout cela, on n'a pas les mêmes systèmes. Par exemple, nous, on a une CSG... Comparaison n'ait pas raison à chaque fois. Et puis, nous, nous sommes attentifs à préserver notre modèle. Il faut bien voir aussi que l'on veut pouvoir organiser nos finances publiques pour avoir des services publics qui marchent et qui se modernisent tous les jours, et donc, on est vigilants là-dessus. Il y a encore du travail mais il y a aussi des efforts qui sont faits. On est attentifs aussi à avoir un service de santé qui soit accessible à tous, même s'il faut - c'est le ministre du Budget qui parle - en maîtriser le coût, parce que sinon, on va à la faillite et qu'il faut faire attention tous les jours à être rigoureux. Et puis aussi, à avoir un droit du travail qui soit respectueux des salariés mais en même temps, qui ne soit pas un frein à l'emploi. C'est un équilibre à trouver, c'est cela notre modèle social.
Q- Mais êtes-vous inquiet ? Je reprends la formule du Premier ministre "croissance sociale", sauf que J.-C. Trichet est assez perplexe s'agissant de la croissance, il se pose beaucoup de questions. Là, vous engagez une grande réforme à un moment où, finalement, on ne s'est jamais autant interrogé sur les hypothèses concernant la croissance.
R- Pour être tout à fait honnête, on s'interroge tout le temps sur les hypothèses de croissance...
Q- ...Et on s'est presque toujours trompé.
R- Voilà, vous m'enlevez le mot de la bouche. Il faut bien reconnaître qu'on se trompe souvent. Je crois quand même que l'objectif, c'est de créer des conditions pour que notre économie crée de l'emploi. Et pour cela, il faut alléger les charges fiscales, administratives, les lourdeurs en tout genre, qui font que vous avez des entreprises, qui du coup, qui ne viennent plus s'installer en France ou qui quittent la France. Mais en même temps, il ne faut pas faire n'importe quoi. Il faut aussi préserver les droits des salariés, parce que les abus sont insupportables dans certains cas. Il faut essayer de trouver une voie équilibrée. Mais la voie équilibrée, ce n'est pas dans l'immobilisme. Ce n'est pas "J'arrête tout, je ne bouge pas et je fais le conservatisme et j'attends la relève". Non, c'est naturellement dans le mouvement qu'on doit être. Donc, être en permanence en train de regarder comment cela se passe ailleurs, quelles sont les bonnes idées. Je vois par exemple au Canada, les techniques de réforme de l'Etat, modernes, intelligentes, eh bien, je les emprunte parce que je crois que c'est utile pour faire en sorte que l'Etat soit mieux géré. Et de la même manière, je regarde les taux d'imposition ailleurs, et je veille naturellement - ce qui est tout à fait normal - à ce que l'on ne soit pas en décrochage. C'est cela l'objectif de cette réforme. Avec T. Breton, je peux vous dire qu'on y a vraiment travaillé d'arrache-pied, en ayant les yeux rivés sur ce qui se passe ailleurs, pour voir comment préserver notre modèle tout en étant évidemment dans la norme européenne.
Q- J.-M. Sylvestre, ce matin, dans son analyse de cette réforme, voyait pas mal de subtilités aussi dans le chapitre relatif à l'ISF : pas de suppression de l'ISF mais le taux maximal en France, maintenant, tout compris, c'est 60 %. Donc, vous avez finalement trouvé un moyen terme, un passage intermédiaire sur la question de l'ISF ?
R- Là aussi, ce n'est pas tant la question de l'imposition du patrimoine qui nous a préoccupés dans cette affaire-là...
Q- Elle a quand même pesé j'imagine, parce que ça compte.
R- Bien sûr, mais quelle est notre idée ? Elle est de dire qu'il y a un moment où l'on doit savoir ce que c'est qu'un prélèvement d'impôt excessif ; on ne s'est jamais posé la question. Et donc, notre idée, c'est d'inscrire dans le Code général des impôts un article 1, qui dise qu'on ne pourra prélever plus de 60 % du revenu des Français en impôts.
Q- Ce sera gravé dans le marbre, maintenant ? Cela va être dans le Code des impôts ?
R- Oui, on va le présenter au projet de loi de finances. On va avoir un rendez-vous fiscal considérable à l'automne, dans le cadre de la discussion budgétaire. Je crois qu'il y a très longtemps qu'on n'a pas proposé une réforme de cette ampleur pour notre fiscalité, parce qu'il fallait la moderniser. Cela fait des années que les Français le demandent, sous des formes diverses. Simplement, il ne faut pas faire n'importe quoi pour le plaisir de faire des coups de publicité. Le principe de base c'est d'être juste. De ce point de vue, il y a depuis des années des gens qui nous disent : "Attention, il faut, à un moment donné, stabiliser le niveau des prélèvements obligatoires. On ne peut pas sans arrêt appuyer sur le contribuable". Donc, l'idée c'est de dire : impôts locaux + impôts d'Etat, revenus et patrimoine, cela ne doit pas dépasser 60 % du total des revenus de la personne. Il me semble que c'est quelque chose qui est juste, là aussi.
Q- Un autre signal politique : les niches plafonnées à 8.000 euros ! C'est la volonté de dire...
R- C'est la contrepartie du plafond.
Q- ... à ceux qui ont la chance d'avoir des revenus importants.
R- On ne peut pas non plus avoir, comme on dit, "le beurre et l'argent du beurre". Donc, à partir du moment où l'on fait un plafond global à 60 %, on ne peut pas non plus laisser dériver toutes les formes de défiscalisation. Cela étant, ce qu'on appelle "les niches", c'est-à-dire la possibilité d'avoir une déduction d'impôt quand on investit - cela peut aller du développement de l'Outremer jusqu'à des associations caritatives ou bien aussi un emploi à domicile, lequel est déductible, pour partie, d'impôt, donc il n'est pas question de remettre cela en cause, cela sert l'intérêt général, cela sert le développement de la France, l'emploi, etc. -, il s'agit simplement de dire : on plafonne. C'est comme dans les menus des chaînes de satellites : on a un bouquet. Eh bien vous aurez une enveloppe globale de l'ordre de 8.000 euros et, à l'intérieur, vous choisissez. Alors, c'est [inaud.] supérieur à l'emploi à domicile, qui est à 6.000, ce qui fait que comme ça, vous avez cela plus autre chose, si vous le souhaitez. Et puis, vous faites votre panachage. C'est un plafond, c'est le libre choix. Et moi, je suis pour une société dans laquelle on puisse parler de libre choix. Eh bien là, on en a l'illustration parfaite.
Q- On n'a pas fait le tour de tout, parce qu'il y a quand même beaucoup de choses. Mais la question importante, maintenant - je parlais de la croissance tout à l'heure, le ministre de l'Economie, monsieur Breton l'évalue à 2,5 % possible - c'est comment allez-vous absorber tout cela ? Il y a, encore une fois, la réforme de la fiscalité qui est importante, les mesures concernant l'emploi, qui vont aussi peser sur le budget de l'Etat, et, là encore, je cite à nouveau J.-M. Sylvestre, qui dit qu'au fond, pour qu'un projet comme celui-là soit crédible, il faut que l'Etat diminue son déficit public. Est-ce que vous allez accompagner ces mesures d'une baisse importante du déficit, et comment allez-vous, encore une fois, absorber
tout cela ?
R- Je crois qu'il faut que chacun ait bien à l'esprit que tout ce que nous faisons, nous le faisons en respectant nos engagements budgétaires, et notamment vis-à-vis de l'Europe. Vous savez que le compte des déficits budgétaires, c'est Etat, Sécurité sociale, collectivités locales. La première chose qui nous importe, c'est naturellement l'Etat. Il faut que l'on maîtrise les choses et cela relève du Gouvernement. Depuis trois ans, la dépense publique a été stabilisée au niveau de l'inflation. Donc, on a démontré qu'on pouvait ne pas accroître tous les ans sa dépense publique tout en faisant des programmes de modernisation. On n'a jamais autant investi dans les missions de sécurité, de justice, y compris d'école. Donc, on est capable, simplement, il y a des endroits où il faut faire des économies et où il faut moderniser. Donc, la clé de tout cela, c'est la réforme de l'Etat. Je veux simplement témoigner ici que lorsqu'on modernise l'Etat, quand par exemple on développe la déclaration des impôts par Internet et que cela a un succès phénoménal - j'ai vu un phénomène de société, on avait envisagé à Bercy 1,5 million de télé déclarants cette année, on a fait 3,7 millions télé déclarants -, cela veut dire, à la clé, des économies à réaliser, comme d'ailleurs on doit réaliser des économies dans la gestion du domaine de l'Etat. Il y a des tas de bâtiments que l'on va vendre ; on va réaliser 600 millions de ventes cette année, pour, avec cela, moderniser le fonctionnement de notre administration. Et puis, naturellement, tout cela veut dire des frais de fonctionnement en moins. Et quand vous les accumulez, vous réalisez des économies très importantes. Et donc, toute la marge de manuvre pour 2006, elle est sur l'emploi - et vous l'avez bien compris -, c'est le message du Premier ministre. Il y a 4 milliards de marges de manuvre, on les met sur l'emploi : baisses de charges, contrat "nouvelles embauches", plan Borloo, avec, j'espère, peut-être quelques premiers résultats - vous avez vu que le chômage commence à baisser. Et puis, la priorité ensuite, c'est naturellement de rendre du pouvoir d'achat aux gens, et quand vous baissez l'impôt, cela rend du pouvoir d'achat, ils consomment, ils investissent, ils embauchent, et cela fait des recettes pour l'Etat.
(Source :premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 15 septembre 2005)