Déclaration de M. Dominique Bussereau, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et de la ruralité, sur les axes de la politique de soutien à la production des AOC (appelations d'origine contrôlée), notamment la préservation d'un cadre réglementaire au niveau international, la valorisation économique de la qualité, la reconnaissance des signes de qualité par les consommateurs, Cambremer (Calvados) le 30 avril 2005.

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Circonstance : Festival des Appelations d'origine contrôlée de Cambremer (Calvados), le 30 avril 2005

Texte intégral

Madame le Ministre
Monsieur le Sénateur-Maire,
Monsieur le Maire,
Messieurs les Présidents,
Mesdames, Messieurs,
C'est avec grand plaisir que je participe à cette 11ème édition du Festival des Appellations d'Origine Contrôlée de Cambremer. Je vous remercie, Madame le Ministre, Monsieur le Sénateur-Maire, pour votre invitation à cette manifestation à la fois conviviale et sérieuse qui atteint aujourd'hui l'âge de la maturité.
Je tiens au préalable à saluer votre terroir. Votre région se distingue, en effet, par la qualité de ses produits issus de systèmes de production traditionnels fort bien représentés :
· région disposant du plus important verger traditionnel (en haute tige) de France dont les surfaces, après une régression continue depuis la guerre, commencent à se stabiliser notamment en Pays d'Auge et dans le Domfrontais ;
· région très herbagère : la Surface Toujours en Herbe régionale est une des plus importantes de France. Elle est constituée en écrasante majorité de prairies permanentes ;
· région disposant d'une race spécifique avec de forts effectifs puisqu'il s'agit de la 3ème race laitière française.
Si nous nous réjouissons de la pérennité d'appellations à très forte notoriété (Camembert de Normandie, Livarot, Calvados, Cidre Pays d'Auge ), je sais que ces systèmes de production restent fragiles, et des inquiétudes existent.
A ce titre, vous vous interrogez sur les soutiens publics apportés aux indications géographiques ; question au cur de vos débats de ces rencontres de Cambremer. Je souhaite ici vous apporter des éléments de réponse. J'articulerai donc mon propos autour de trois axes :
- la défense de nos appellations au niveau international ;
- l'action dans le secteur économique ;
- la reconnaissance des signes de qualité par les consommateurs.
I - La nécessaire préservation d'un cadre réglementaire au niveau international
Nous fêtons, cette année, le centenaire de la loi du 1er août 1905 précisant les zones dont les productions agricoles peuvent bénéficier d'une appellation d'origine, définissant la notion de produit loyal et fixant les règles de production. Nous fêtons également la création de l'INAO et la reconnaissance des appellations d'origine contrôlée, l'AOC, par le décret-loi du 30 juillet 1935.
Notre action s'inscrit ainsi dans une perspective historique témoignant du caractère patrimonial des AOC que nous devons préserver. C'est aussi un concept qui protège et joue un rôle essentiel dans l'aménagement du territoire et le maintien d'un réseau dense d'exploitations agricoles, en liant production et terroir.
Cette protection est assurée en France ainsi qu'au sein de l'Union européenne, mais vous savez à quel point la notion d'appellation d'origine est insuffisamment reconnue à l'OMC : c'est pourquoi ce dossier figure parmi les priorités de la France dans cette négociation essentielle pour notre avenir.
Nous suivons en particulier avec attention les décisions du Conseil général de l'OMC. Le Conseil a pris la décision, le 1er août 2004, de demander à son Directeur général de poursuivre son processus de consultation des Etats membres de l'OMC, notamment sur les questions relatives à l'extension de la protection des indications géographiques à des produits autres que les vins et spiritueux.
Le 15 mars dernier, l'OMC a apporté une première réponse lors de la décision qui a été prise par son Comité d'arbitrage, publié le 15 mars 2005.
En effet, le panel porté par les Etats-Unis et l'Australie contre la modification du règlement (CE) 2081/92 du conseil relatif à la protection des indications géographiques et des appellations d'origine des produits agricoles et des denrées alimentaires, n'a pas abouti à la remise en cause de ce règlement, comme étant contraire aux règles de l'OMC.
Ce rapport, bien au contraire, entérine le fait qu'une indication géographique puisse être protégée, même lorsqu'il existe une marque créée antérieurement. Dans ce cas, cela sous-entend simplement que les deux dénominations coexisteront.
Avec l'Europe, nous avons donc su défendre nos indications géographiques.
Je suis convaincu de la nécessite de procéder à des démarches de valorisation de la qualité liée à l'origine des produits auprès des pays tiers. Il s'agit de créer un effet d'entraînement pour le développement et la reconnaissance des indications géographiques dans le cadre de l'Organisation Mondiale du Commerce en gagnant des partenaires susceptibles de soutenir nos positions.
A cet effet, je tiens à saluer les initiatives engagées par le réseau international des indications géographiques à travers la formalisation de l'Association " Origin ", ainsi que par l'association européenne de défense des fromages aux laits crus (EAT).
II - La valorisation économique de la qualité et les soutiens publics
Les producteurs d'AOC ont réussi, malgré des coûts de production supérieurs, à promouvoir des produits uniques et authentiques pour lesquels le consommateur est prêt à payer un prix plus élevé. Il est légitime qu'ils tirent profit de ces efforts.
Si des dispositifs législatifs et réglementaires contraignants les protègent, il n'en est pas moins important de s'interroger sur les autres dimensions du soutien public, notamment économiques.
II - 1 Tout d'abord, la notion d'appellation d'origine pose la question de l'équilibre du marché et celle de l'opportunité d'une maîtrise des quantités produites pour garantir la qualité du produit sous appellation.
Avec les professionnels, les pouvoirs publics se sont engagés activement dans cette réflexion. Pour le secteur laitier en particulier, la réflexion lancée dans le cadre du Programme stratégique pour la filière laitière, voulue par le Premier Ministre, et animée par l'Ingénieur général Yves TRÉDÉ, se poursuit. Je souhaite qu'elle puisse à présent aboutir rapidement à des recommandations concrètes. C'est une démarche qui ne doit pas, bien évidemment, perdre de vue la nécessaire obligation de conformité au droit de la concurrence.
L'autre piste de réflexion, qui rejoint le souci de qualité, consiste à opérer une modification exigeante et rigoureuse des conditions de production des cahiers des charges en explorant les voies possibles de maîtrise qualitative des produits. Cette option ne pose pas, en tout état de cause, les mêmes difficultés en matière de droit de la concurrence. Vous avez engagé de telles démarches ; nous savons qu'elles sont complexes à mettre en uvre.
Soyez assurés de mon soutien dans le cadre de ces travaux.
II - 2 Ensuite, vous avez manifesté, au cours de votre table ronde, vos préoccupations à l'égard des conséquences de la réforme de la PAC.
J'ai bien noté que vous êtes très attentifs au risque de concurrence entre différents systèmes de production au sein même des AOC qui mettent en danger les productions de type traditionnel : verger haute tige/verger intensif, Race Normande/Race Holstein, Herbe/Maïs.
Je sais que vous travaillez actuellement avec la Direction des politiques économique et internationale du Ministère sur ces sujets, notamment dans le cadre de la modification du cahier des charges du Camembert sous appellation d'origine contrôlée.
Des efforts importants ont été réalisés au cours de ces derniers mois en matière d'indemnités compensatrices de handicap naturel ou de prime herbagère agro-environnementale. Ce sont en effet des aides qui participent aux équilibres économiques de nombreux territoires porteurs d'indication géographique.
Mais je sais que les spécificités de votre région appellent tout particulièrement des réflexions complémentaires.
Concernant les DPU
S'agissant des droits à paiement unique, j'ai perçu les craintes relatives à une situation concurrentielle potentiellement faussée entre producteurs traditionnels, d'un côté les " anciens " ne bénéficiant pas des DPU, de l'autre les nouveaux " convertis ".
Depuis février, un groupe de travail a repris ce dossier dans le sens de plus de simplicité. Des missions conjointes, parlementaires, représentants de la profession agricole et représentants de l'administration, étudient également la mise en uvre du découplage des aides dans six Etats membres. Prochainement, les règles de gestion des DPU seront arrêtées.
L'un des sujets abordés est celui des règles d'utilisation de la réserve nationale permettant d'attribuer gratuitement des droits. Comme vous le savez, cette réserve fait l'objet de nombreuses demandes. Parmi celles-ci, les demandes que vous exprimez aujourd'hui sont légitimes.
Concernant le 2ème pilier de la PAC
Vous évoquez également la possibilité de compenser les écarts d'aides entre les modes de production à l'herbe et au maïs par des mesures du 2ème pilier de la PAC. Je souhaite qu'au moment où nous préparons le futur programme de développement rural national 2007 - 2013, nous puissions réfléchir à des mesures qui pourraient répondre à ces attentes, par exemple dans le cadre des contrats d'agriculture durable ou d'aides spécifiques à la qualité. C'est une piste qui correspond bien à la réalité des modes de production des AOC.
C'est également une piste qui permettrait de répondre aux attentes exprimées par les producteurs laitiers de Basse-Normandie vis-à-vis des problèmes de chargement liés à la Prime herbagère agro-environnementale (PHAE). En effet, souscrite au sein d'un Contrat d'agriculture durable, cette mesure agro-environnementale dispose d'un chargement maximal de 1,8 unités gros bétail par hectare, mieux adapté aux contraintes normandes.
Concernant l'article 69 du règlement 2003
L'article 69 du règlement (CE) n°1782/2003 propose en effet aux Etats membres de conserver jusqu'à 10% du montant des aides octroyées au titre du régime de paiement unique pour soutenir des " types particuliers d'agriculture qui sont importants pour la protection ou l'amélioration de l'environnement ou pour l'amélioration de la qualité et de la commercialisation des produits agricoles ". L'utilisation de l'article 69 demeure cependant, dans la pratique, limitée et ne suscite pas une adhésion unanime parmi les professionnels pour le moment. Nous poursuivons nos réflexions sur cette mesure introduite dans le règlement de septembre 2003.
II - 3 Enfin, concernant plus particulièrement la production cidricole
Le verger haute-tige constitue le mode de production cidricole traditionnel par excellence. Ce verger est à l'origine de la production normande et a façonné les paysages de cette région. Il conserve aujourd'hui toute sa place, à côté du verger basse-tige, place que la profession lui reconnaît tout particulièrement pour l'élaboration de productions à appellation d'origine, cidre, pommeau ou Calvados. Il fait d'ailleurs ces dernières années l'objet d'un effort de reconstitution.
J'ai entendu vos interrogations relatives à une évolution du cadre réglementaire et fiscal qui permettrait d'une part, de conforter cette production et, d'autre part, de préserver le revenu d'appoint apporté pour certaines exploitations. Elles mériteraient d'être précisées, afin que le ministère des finances, compétent sur toutes les questions fiscales, puisse en être saisi et les examiner, avec mon ministère.
III - La reconnaissance des signes de qualité par les consommateurs : donner confiance et bien communiquer
Au-delà des réflexions en matière de soutien de ces systèmes de production traditionnels, il est également important de donner confiance au consommateur. Le prix du produit qu'il achète doit en effet être justifié par une qualité reconnue. L'évolution de l'agrément des AOC est ainsi un point primordial pour assurer la garantie, en termes de valeur et d'image, offerte par une appellation. De nombreuses propositions ont déjà été faites : réflexion sur la traçabilité de l'origine en AOC, proposition d'organismes agréés présentant des garanties de compétence, d'indépendance et d'impartialité, qui seraient chargés de l'application de plans de contrôle
J'ai le sentiment que beaucoup reste à faire.
III -1 Le projet de loi d'orientation agricole
C'est pourquoi, pour améliorer la lisibilité par le consommateur des signes de qualité, le projet de loi d'orientation agricole, dans son article 18, se propose d'habiliter le Gouvernement à légiférer par ordonnance afin de clarifier le dispositif de valorisation des produits agricoles et alimentaires en le structurant autour de trois catégories :
- signes d'identification de la qualité et de l'origine (AOC, label, agriculture biologique ) ;
- mentions valorisantes (montagne, fermier),
- démarches de certification.
Cette ordonnance élargira les compétences de l'institut national des appellations d'origine (INAO) notamment au label, et introduira une exigence d'indépendance des organismes de contrôle, de manière à en renforcer la crédibilité du dispositif. J'ajoute qu'un institut unique de l'origine et de la qualité sera créé.
III - 2 La question des logos
La question des logos se posera aussi bien entendu. Si nous disposons pour le Label rouge et l'Agriculture biologique de logos connus des consommateurs, il n'en est pas de même pour les appellations d'origine.
J'ai à ce titre reçu des propositions comme le remplacement du logo fromage Appellation d'Origine Contrôlée français par le logo européen sur les Appellation d'Origine Protégée, complété de la mention obligatoire " Appellation d'origine contrôlée ". Je suis sensible à cette proposition. Là aussi, il nous faudra trouver des solutions pragmatiques, comprises du consommateur.
III - 3 La communication sur les appellations
Les initiatives qui entoureront le 70ème anniversaire de l'INAO avec l'année des terroirs concouront à la promotion du concept d'appellation d'origine. Elles vont donc dans le sens que vous souhaitez : communiquer auprès du consommateur l'excellence de nos terroirs et de ses appellations.
Par ailleurs, même si les initiatives dans le cadre communautaires du règlement de promotion des Appellations d'Origine Protégée (AOP) ou d'Indications Géographique Protégée (IGP) ne sont pas toujours aisées à élaborer, vos produits sont déjà portés dans une campagne de l'interprofession laitière (CNIEL), acceptée par la Commission, et à laquelle participe l'ONILAIT. On ne peut que vous inciter toujours dans le même cadre à continuer vos réflexions pour un programme futur développant en outre des partenariats transnationaux avec d'autres Etats membres.
CONCLUSION
Les 11èmes rencontres de Cambremer ont posé cette année la question du soutien public aux indications géographiques. Il s'agit d'une dimension essentielle. Or, ce soutien existe, tant au niveau politique, juridique que budgétaire, même si nous devons encore améliorer notre action, en collaboration avec les collectivités territoriales.
Si la France est sans doute un des initiateurs majeurs de la notion d'appellation, l'Europe constitue pour nous, aujourd'hui, un allié essentiel. Sans elle, nous ne pourrions défendre à l'OMC nos positions. Sans elle, nous ne pourrions promouvoir un modèle qui protège les territoires, les traditions.
Grâce à l'Europe, à la détermination du Gouvernement français, à la mobilisation quotidienne des agriculteurs et des industries agro-alimentaires de notre pays, nous pouvons, Mesdames et Messieurs, construire une agriculture économiquement forte et écologiquement responsable, une agriculture fidèle à ses traditions, et confiante dans sa capacité à se moderniser et à se renouveler.
Je vous remercie de votre attention.
(Source http://www.agriculture.gouv.fr, le 3 mai 2005)