Texte intégral
Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs,
Vous m'avez demandé d'intervenir aujourd'hui parmi vous afin de répondre à la question de savoir à quoi sert le Sénat, quel sont sa place et son rôle dans les institutions de la République ?
Cette question me semble tout à fait légitime, car le rôle du Sénat n'est pas si évident à cerner. D'autant que ce rôle a beaucoup changé entre l'intention des constituants et la réalité.
Faisons un bref retour dans le temps. Les rédacteurs de la Constitution de 1958 ont souhaité avant tout restaurer la prééminence de l'Exécutif et en finir avec l'instabilité gouvernementale, conditions indispensables pour que la France retrouve son rang dans le concert des Nations. Ne nourrissant guère d'espoir de disposer de majorités puissantes à l'Assemblée nationale en raison de notre propension coutumière à nous diviser comme autant de tribus gauloises, les constituants ont retenu nécessaire de flanquer le pouvoir exécutif de deux " chiens de garde ". Le Conseil constitutionnel, chargé de veiller à ce que le Parlement n'empiète pas sur le nouveau domaine du pouvoir réglementaire. Et le Sénat, devant lequel le Gouvernement peut engager sa responsabilité sur une déclaration de politique générale, afin de prouver sa légitimité face à une Assemblée nationale frondeuse.
En outre, les Constituants espéraient que les sénateurs seraient reconnaissants au futur chef de l'exécutif, le Général de Gaulle, de leur avoir rendu leur nom et partie de leurs pouvoirs et, qu'en conséquence, ils le soutiendraient.
L'histoire en a décidé autrement. Dès 1958, les députés de gauche, dont un certain François Mitterrand, battus aux élections législatives sont entrés à la Chambre haute, et ont poussé celle-ci à faire de la " résistance ". Dans le même temps, l'Assemblée nationale, surprise par le " fait majoritaire ", c'est à dire l'émergence d'une majorité large et soudée, se révéla comme le meilleur soutien du Gouvernement. Trouvant à l'Assemblée l'appui qu'ils espéraient du Sénat, les gouvernements de l'époque se sentirent alors embarrassés par cette Haute assemblée dont ils pensaient qu'elle ralentissait leur action plus qu'elle ne la soutenait. A tel point que le Général de Gaulle proposa directement au peuple de supprimer le Sénat en 1969 pour le cantonner dans un rôle purement consultatif qui est aujourd'hui celui du Conseil économique et social. Pour la seconde fois, en moins de trente ans, le peuple refusa cette disparition du Sénat en tant qu'assemblée parlementaire à part entière. De cette époque, le Sénat conserva son rôle essentiel : celui d'être un contre-pouvoir.
De fait, le rôle du Sénat, et partant son utilité pour la République, est bien de porter un regard critique, un regard différent de celui de l'Assemblée nationale, sur l'action du Gouvernement. Cette fonction va bien au-delà de la simple amélioration technique de la législation et touche au coeur même de la nature démocratique du régime. Car la démocratie c'est aussi accepter d'être critiquer. Du reste contre pouvoir ne signifie pas être contre le pouvoir. Preuve en est qu'au cours de la dernière session, le Sénat n'a jamais refusé de discuter d'un texte en première lecture, en y opposant, comme le prévoient les textes, une motion de rejet. Le Gouvernement est donc libre d'écouter les critiques des sénateurs, ou de ne pas les écouter comme il a tendance à le faire actuellement. Mais dans notre régime politique, marqué par tant d'années de prépondérance du Pouvoir exécutif, le Sénat a pour vocation d'exprimer, au cas par cas, une réflexion politique différente, moins partisane et plus objective, et de nourrir ainsi le débat public.
Ce rôle, le Sénat l'assume quelle que soit la majorité à l'Assemblée nationale. Car il n'a pas, comme doit le faire celle-ci, à soutenir le Gouvernement. Il n'a pas non plus à s'opposer, systématiquement, aux orientations du Gouvernement en place. Le Sénat législateur n'ayant pas toujours le dernier mot, il ne peut être influent que s'il sait se montrer convaincant. Or, la force de conviction repose sur le bien fondé de l'analyse, la justesse des arguments et la qualité des expertises. C'est ce qui a permis au Sénat, au cours des dix dernières années, de faire voter plus de 35 lois issues de sa propre initiative. Parmi celles-ci, la loi qui a créée l'Agence de contrôle sanitaire, celle sur le jugement des actes de terrorisme, ou encore celle relative au traitement de la douleur. Au cours de la dernière session près de la moitié des amendements adoptés par le Sénat ont été définitivement intégrés dans la loi. Or c'est bien parce que le Sénat a su, hier, dire non à un Gouvernement proche de sa sensibilité qu'il a quelque crédibilité, aujourd'hui, à formuler des réserves à l'endroit d'un Gouvernement d'une sensibilité différente de la sienne.
Ni soutien, ni opposant, le Sénat a pour vocation d'éclairer d'une lumière différente les décisions du Gouvernement, afin que le Parlement délibère en connaissance des causes et des effets et que le peuple participe ainsi à ce débat. Cette vocation s'inscrit dans la tradition républicaine la plus ancienne puisque l'un de mes illustres prédécesseurs, Jules Ferry, sénateur des Vosges et Président du Sénat, affirmait déjà en en 1883 que "le Sénat n'est pas un organe rétrograde, ennemi des nouveautés généreuses. Il demande seulement qu'on les étudie mieux." La démocratie suppose l'existence de contre-pouvoirs. En France, le Sénat est le plus important, pour ne pas dire le seul contre pouvoir politique.
Au contraire du Sénat, l'Assemblée nationale a pour vocation de soutenir le Gouvernement. Sans être à ses ordres, elle doit constamment rester en étroite harmonie de pensées avec lui. Faute de quoi le gouvernement ne serait plus en mesure de gouverner et c'en serait fini de la Vème République. Ce serait le retour au régime des partis, avec son lot de compromis paralysants, de maquignonnages édulcorants et de décisions boiteuses. C'est pourquoi, il est naturel que seule l'Assemblée élue au suffrage direct soit en mesure de mettre en cause, de sa propre initiative, la responsabilité du Gouvernement. Mais dans ces conditions, son apport au travail législatif est forcément plus limité puisque sa majorité est, par construction, en accord avec le Gouvernement. Surtout, quelle peut être la consistance du contrôle qu'elle exerce sur ce dernier ? Peut-on bien contrôler quelqu'un que l'on soutient ?
Le Sénat est au contraire plus libre pour contrôler l'action du Gouvernement. L'action de ses commissions d'enquête est moins entravée par les solidarités partisanes. C'est ainsi que la commission d'enquête sénatoriale sur la Corse a effectué un remarquable travail d'investigation. Plus avant dans le temps, on peut citer le scandale des abattoirs de La Villette en 1970, le naufrage de l'Amoco Cadiz en 1978, la publicité clandestine à l'O.R.T.F la même année, les difficultés de l'industrie textile en 1983, et le scandale du sang contaminé en 1991, tous faits qui ont été éclairés d'une lumière crue par les sénateurs et qui ont abouti à des propositions dont les gouvernements de l'époque se sont largement inspirés.
Cela sans oublier les rapports produits par le Sénat sur des sujets variés, comme par exemple le récent rapport Chérioux sur l'épargne salariale, ou celui de mes collègues Raffarin et Grignon sur la création d'entreprise, rapports parfois prémonitoires et qui permettent d'appeler l'attention de l'opinion publique sur des sujets importants.
L'existence d'une seconde chambre constitue ainsi une protection des libertés publiques, en garantissant un examen contradictoire des lois et des décisions du Gouvernement. Sans le Sénat, l'Assemblée nationale s'en remettrait le plus souvent au Gouvernement et celui-ci à ses services. Et ce serait en définitive, les administrations centrales qui exerceraient le pouvoir de l'Etat. L'examen des textes se limiterait le plus souvent à des joutes oratoires stériles entre majorité et opposition. Est-ce cela la démocratie ? Le débat sur la parité en est une parfaite illustration. Grâce au Sénat un débat a pu naître dans l'opinion publique, au cours duquel il est apparu que l'unanimité que l'on voulait tenir pour acquise n'était que de façade. Dans un tout autre domaine, c'est grâce aux analyses du Sénat, et en particulier de sa commission des finances, que l'on a découvert la fameuse " cagnotte " ... qui n'en est pas une. Qui pourrait nier que de tels espaces d'expression enrichissent la vie de notre démocratie ?
Mais pour remplir pleinement sa mission, le Sénat doit être différent de l'Assemblée nationale. C'est pour cela que les pères de la Vème République ont veillé à ce qu'il représente les territoires et qu'il soit composé d'élus indépendants et expérimentés.
La représentation des territoires tout d'abord. Le Sénat n'est pas le frère jumeau de l'Assemblée nationale. Dés lors, il est parfaitement normal qu'il ait un mode et une assise de représentation différents. Or la représentation du territoire, au sein du Parlement, est indispensable car elle est garante d'un minimum de cohésion nationale.
L'indépendance, ensuite. Les sénateurs tiennent la leur du suffrage qui pour être indirect n'en est pas moins universel, égal et secret. Et il n'y a aucun amoindrissement de souveraineté à être élu au suffrage indirect. A-t-on jamais dit du Président des Etats-Unis d'Amérique qu'il n'était pas représentatif, alors que lui aussi est élu au suffrage indirect ? L'indépendance résulte également de l'impossibilité d'être dissous, de la durée du mandat qui donne à chaque sénateur une " espérance de vie " politique supérieure à celle de n'importe quel Gouvernement et, enfin, du mode d'élection qui, en assurant une large part au scrutin uninominal, permet aux sénateurs de maintenir une plus grande distance vis à vis des appareils partisans.
L'expérience, enfin. C'est celle que confère l'ancienneté et l'enracinement dans les réalités locales. Le mot même de sénateur vient du latin senior, qui veut dire "ancien". De fait, la moyenne d'âge au Sénat - 61 ans - est de six ans plus élevée qu'à l'Assemblée nationale. Le Sénat trouve dans cette différence une source de sagesse supplémentaire dont la plupart des démocraties ont toujours jugé bon de s'entourer. Les législateurs de 1795 avaient créé le Conseil des Cinq Cents, ancêtre de l'Assemblée nationale, et le Conseil des Anciens, précurseur du Sénat. Le premier devait être selon l'expression de Boissy d'Anglas, "l'imagination de la République", tandis que le second en serait "la raison".
Voilà, en résumé, à quoi sert le Sénat et les moyens dont il a besoin pour remplir sa mission. Ce pourquoi je crois qu'il est non seulement utile à la République, mais encore indispensable à l'équilibre de la démocratie. C'est en assumant son rôle de contre pouvoir et non pas en étant une Chambre d'opposition ou de soutien, en proie à la tentation du " toujours oui " ou du " toujours non " que le Sénat pourra et saura donner tout son sens au bicamérisme, contribuer à un meilleur équilibre des pouvoirs et faire entendre sa différence dans le respect de la tradition républicaine.
Je vous remercie de votre attention et je vous souhaite beaucoup de réussite dans votre vie professionnelle et personnelle.
(source http://www.senat.fr, le 27 novembre 2000)
Vous m'avez demandé d'intervenir aujourd'hui parmi vous afin de répondre à la question de savoir à quoi sert le Sénat, quel sont sa place et son rôle dans les institutions de la République ?
Cette question me semble tout à fait légitime, car le rôle du Sénat n'est pas si évident à cerner. D'autant que ce rôle a beaucoup changé entre l'intention des constituants et la réalité.
Faisons un bref retour dans le temps. Les rédacteurs de la Constitution de 1958 ont souhaité avant tout restaurer la prééminence de l'Exécutif et en finir avec l'instabilité gouvernementale, conditions indispensables pour que la France retrouve son rang dans le concert des Nations. Ne nourrissant guère d'espoir de disposer de majorités puissantes à l'Assemblée nationale en raison de notre propension coutumière à nous diviser comme autant de tribus gauloises, les constituants ont retenu nécessaire de flanquer le pouvoir exécutif de deux " chiens de garde ". Le Conseil constitutionnel, chargé de veiller à ce que le Parlement n'empiète pas sur le nouveau domaine du pouvoir réglementaire. Et le Sénat, devant lequel le Gouvernement peut engager sa responsabilité sur une déclaration de politique générale, afin de prouver sa légitimité face à une Assemblée nationale frondeuse.
En outre, les Constituants espéraient que les sénateurs seraient reconnaissants au futur chef de l'exécutif, le Général de Gaulle, de leur avoir rendu leur nom et partie de leurs pouvoirs et, qu'en conséquence, ils le soutiendraient.
L'histoire en a décidé autrement. Dès 1958, les députés de gauche, dont un certain François Mitterrand, battus aux élections législatives sont entrés à la Chambre haute, et ont poussé celle-ci à faire de la " résistance ". Dans le même temps, l'Assemblée nationale, surprise par le " fait majoritaire ", c'est à dire l'émergence d'une majorité large et soudée, se révéla comme le meilleur soutien du Gouvernement. Trouvant à l'Assemblée l'appui qu'ils espéraient du Sénat, les gouvernements de l'époque se sentirent alors embarrassés par cette Haute assemblée dont ils pensaient qu'elle ralentissait leur action plus qu'elle ne la soutenait. A tel point que le Général de Gaulle proposa directement au peuple de supprimer le Sénat en 1969 pour le cantonner dans un rôle purement consultatif qui est aujourd'hui celui du Conseil économique et social. Pour la seconde fois, en moins de trente ans, le peuple refusa cette disparition du Sénat en tant qu'assemblée parlementaire à part entière. De cette époque, le Sénat conserva son rôle essentiel : celui d'être un contre-pouvoir.
De fait, le rôle du Sénat, et partant son utilité pour la République, est bien de porter un regard critique, un regard différent de celui de l'Assemblée nationale, sur l'action du Gouvernement. Cette fonction va bien au-delà de la simple amélioration technique de la législation et touche au coeur même de la nature démocratique du régime. Car la démocratie c'est aussi accepter d'être critiquer. Du reste contre pouvoir ne signifie pas être contre le pouvoir. Preuve en est qu'au cours de la dernière session, le Sénat n'a jamais refusé de discuter d'un texte en première lecture, en y opposant, comme le prévoient les textes, une motion de rejet. Le Gouvernement est donc libre d'écouter les critiques des sénateurs, ou de ne pas les écouter comme il a tendance à le faire actuellement. Mais dans notre régime politique, marqué par tant d'années de prépondérance du Pouvoir exécutif, le Sénat a pour vocation d'exprimer, au cas par cas, une réflexion politique différente, moins partisane et plus objective, et de nourrir ainsi le débat public.
Ce rôle, le Sénat l'assume quelle que soit la majorité à l'Assemblée nationale. Car il n'a pas, comme doit le faire celle-ci, à soutenir le Gouvernement. Il n'a pas non plus à s'opposer, systématiquement, aux orientations du Gouvernement en place. Le Sénat législateur n'ayant pas toujours le dernier mot, il ne peut être influent que s'il sait se montrer convaincant. Or, la force de conviction repose sur le bien fondé de l'analyse, la justesse des arguments et la qualité des expertises. C'est ce qui a permis au Sénat, au cours des dix dernières années, de faire voter plus de 35 lois issues de sa propre initiative. Parmi celles-ci, la loi qui a créée l'Agence de contrôle sanitaire, celle sur le jugement des actes de terrorisme, ou encore celle relative au traitement de la douleur. Au cours de la dernière session près de la moitié des amendements adoptés par le Sénat ont été définitivement intégrés dans la loi. Or c'est bien parce que le Sénat a su, hier, dire non à un Gouvernement proche de sa sensibilité qu'il a quelque crédibilité, aujourd'hui, à formuler des réserves à l'endroit d'un Gouvernement d'une sensibilité différente de la sienne.
Ni soutien, ni opposant, le Sénat a pour vocation d'éclairer d'une lumière différente les décisions du Gouvernement, afin que le Parlement délibère en connaissance des causes et des effets et que le peuple participe ainsi à ce débat. Cette vocation s'inscrit dans la tradition républicaine la plus ancienne puisque l'un de mes illustres prédécesseurs, Jules Ferry, sénateur des Vosges et Président du Sénat, affirmait déjà en en 1883 que "le Sénat n'est pas un organe rétrograde, ennemi des nouveautés généreuses. Il demande seulement qu'on les étudie mieux." La démocratie suppose l'existence de contre-pouvoirs. En France, le Sénat est le plus important, pour ne pas dire le seul contre pouvoir politique.
Au contraire du Sénat, l'Assemblée nationale a pour vocation de soutenir le Gouvernement. Sans être à ses ordres, elle doit constamment rester en étroite harmonie de pensées avec lui. Faute de quoi le gouvernement ne serait plus en mesure de gouverner et c'en serait fini de la Vème République. Ce serait le retour au régime des partis, avec son lot de compromis paralysants, de maquignonnages édulcorants et de décisions boiteuses. C'est pourquoi, il est naturel que seule l'Assemblée élue au suffrage direct soit en mesure de mettre en cause, de sa propre initiative, la responsabilité du Gouvernement. Mais dans ces conditions, son apport au travail législatif est forcément plus limité puisque sa majorité est, par construction, en accord avec le Gouvernement. Surtout, quelle peut être la consistance du contrôle qu'elle exerce sur ce dernier ? Peut-on bien contrôler quelqu'un que l'on soutient ?
Le Sénat est au contraire plus libre pour contrôler l'action du Gouvernement. L'action de ses commissions d'enquête est moins entravée par les solidarités partisanes. C'est ainsi que la commission d'enquête sénatoriale sur la Corse a effectué un remarquable travail d'investigation. Plus avant dans le temps, on peut citer le scandale des abattoirs de La Villette en 1970, le naufrage de l'Amoco Cadiz en 1978, la publicité clandestine à l'O.R.T.F la même année, les difficultés de l'industrie textile en 1983, et le scandale du sang contaminé en 1991, tous faits qui ont été éclairés d'une lumière crue par les sénateurs et qui ont abouti à des propositions dont les gouvernements de l'époque se sont largement inspirés.
Cela sans oublier les rapports produits par le Sénat sur des sujets variés, comme par exemple le récent rapport Chérioux sur l'épargne salariale, ou celui de mes collègues Raffarin et Grignon sur la création d'entreprise, rapports parfois prémonitoires et qui permettent d'appeler l'attention de l'opinion publique sur des sujets importants.
L'existence d'une seconde chambre constitue ainsi une protection des libertés publiques, en garantissant un examen contradictoire des lois et des décisions du Gouvernement. Sans le Sénat, l'Assemblée nationale s'en remettrait le plus souvent au Gouvernement et celui-ci à ses services. Et ce serait en définitive, les administrations centrales qui exerceraient le pouvoir de l'Etat. L'examen des textes se limiterait le plus souvent à des joutes oratoires stériles entre majorité et opposition. Est-ce cela la démocratie ? Le débat sur la parité en est une parfaite illustration. Grâce au Sénat un débat a pu naître dans l'opinion publique, au cours duquel il est apparu que l'unanimité que l'on voulait tenir pour acquise n'était que de façade. Dans un tout autre domaine, c'est grâce aux analyses du Sénat, et en particulier de sa commission des finances, que l'on a découvert la fameuse " cagnotte " ... qui n'en est pas une. Qui pourrait nier que de tels espaces d'expression enrichissent la vie de notre démocratie ?
Mais pour remplir pleinement sa mission, le Sénat doit être différent de l'Assemblée nationale. C'est pour cela que les pères de la Vème République ont veillé à ce qu'il représente les territoires et qu'il soit composé d'élus indépendants et expérimentés.
La représentation des territoires tout d'abord. Le Sénat n'est pas le frère jumeau de l'Assemblée nationale. Dés lors, il est parfaitement normal qu'il ait un mode et une assise de représentation différents. Or la représentation du territoire, au sein du Parlement, est indispensable car elle est garante d'un minimum de cohésion nationale.
L'indépendance, ensuite. Les sénateurs tiennent la leur du suffrage qui pour être indirect n'en est pas moins universel, égal et secret. Et il n'y a aucun amoindrissement de souveraineté à être élu au suffrage indirect. A-t-on jamais dit du Président des Etats-Unis d'Amérique qu'il n'était pas représentatif, alors que lui aussi est élu au suffrage indirect ? L'indépendance résulte également de l'impossibilité d'être dissous, de la durée du mandat qui donne à chaque sénateur une " espérance de vie " politique supérieure à celle de n'importe quel Gouvernement et, enfin, du mode d'élection qui, en assurant une large part au scrutin uninominal, permet aux sénateurs de maintenir une plus grande distance vis à vis des appareils partisans.
L'expérience, enfin. C'est celle que confère l'ancienneté et l'enracinement dans les réalités locales. Le mot même de sénateur vient du latin senior, qui veut dire "ancien". De fait, la moyenne d'âge au Sénat - 61 ans - est de six ans plus élevée qu'à l'Assemblée nationale. Le Sénat trouve dans cette différence une source de sagesse supplémentaire dont la plupart des démocraties ont toujours jugé bon de s'entourer. Les législateurs de 1795 avaient créé le Conseil des Cinq Cents, ancêtre de l'Assemblée nationale, et le Conseil des Anciens, précurseur du Sénat. Le premier devait être selon l'expression de Boissy d'Anglas, "l'imagination de la République", tandis que le second en serait "la raison".
Voilà, en résumé, à quoi sert le Sénat et les moyens dont il a besoin pour remplir sa mission. Ce pourquoi je crois qu'il est non seulement utile à la République, mais encore indispensable à l'équilibre de la démocratie. C'est en assumant son rôle de contre pouvoir et non pas en étant une Chambre d'opposition ou de soutien, en proie à la tentation du " toujours oui " ou du " toujours non " que le Sénat pourra et saura donner tout son sens au bicamérisme, contribuer à un meilleur équilibre des pouvoirs et faire entendre sa différence dans le respect de la tradition républicaine.
Je vous remercie de votre attention et je vous souhaite beaucoup de réussite dans votre vie professionnelle et personnelle.
(source http://www.senat.fr, le 27 novembre 2000)