Conférence de presse de M. Philippe Douste-Blazy, ministre des affaires étrangères, sur les négociations à l'OMC et les perspectives financières 2007-2013 pour l'Union européenne, les relations des Européens avec l'Iran, notamment les négociations sur le dossier nucléaire, les suites à donner au rapport Mehlis sur le meurtre de l'ancien Premier ministre libanais Rafic Hariri, l'élargissement de l'Union, Bruxelles le 7 novembre 2005.

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Circonstance : Réunion du Conseil Affaires générales et Relations extérieures à Bruxelles le 7 novembre 2005

Texte intégral

Mesdames et Messieurs, avec Catherine Colonna, nous voulions faire le point sur ce Conseil Affaires générales et Relations extérieures.
D'abord, sur l'OMC, nous sommes ici pour vous dire que la présidence n'avait pas prévu de débat spécifique, mais que la France a fait passer quelques messages essentiels et plusieurs Etats membres ont souhaité prendre la parole, dans le même sens d'ailleurs, montrant que la France n'était pas isolée comme j'ai pu le lire ici ou là, bien au contraire ; d'ailleurs, l'Irlande, la Grèce, Chypre et d'autres pays se seraient exprimés dans le même sens s'il y avait eu un tour de table.
J'ai tenu à faire passer un premier message : j'ai demandé à la Commission comment elle entendait respecter son mandat. Nous demandons toujours à la Commission d'apporter la démonstration technique, précise que son offre reste dans la limite du mandat adopté à l'unanimité par le Conseil. Nous avons obtenu une réunion technique jeudi, que nous espérons plus précise que les précédentes.
Le deuxième message concerne la tactique de négociation de la Commission : en déposant son offre révisée le 28 octobre, la Commission a, pour la première fois, bien tardivement, demandé aux autres acteurs de la négociation dans le cadre de l'OMC, les Etats-Unis, les grands pays émergents etc., un rééquilibrage des négociations sur les volets correspondant à nos intérêts offensifs. Je veux parler des tarifs industriels et des services, de la protection des indications géographiques et d'une série de mesures ambitieuses sur le développement des pays les plus pauvres, pas seulement d'ailleurs des plus grands pays exportateurs agricoles.
Je le répète une nouvelle fois, l'Union européenne est, de loin, l'espace commercial le plus ouvert aux exportations de ces pays. Je veux être très clair avec vous, il n'y a eu aucune avancée effective des négociations sur l'industrie, les services et le développement des plus pauvres ; c'est donc maintenant à nos partenaires à l'OMC de bouger. C'est ce que nous avons dit à M. Mandelson. Pour conclure sur ce point, il n'y a toujours pas de démonstration que la dernière offre agricole de la Commission respecte le mandat et c'est très inquiétant.
Par ailleurs, les demandes de l'Union européenne doivent être enfin satisfaites et, comme l'avait dit le commissaire Mandelson il y a quelques mois, "l'Union européenne ne peut pas être le seul banquier du cycle de Doha", je reprends sa formule. J'ajoute que le commissaire Mandelson s'est exprimé ce matin en disant que la France n'avait pas de droit de veto à l'OMC, en matière de politique commerciale, que la Commission est effectivement l'unique négociateur mais, que ce soit clair, elle négocie au nom des Etats membres sur la base de consignes de négociation qui lui sont données par le Conseil. Il serait dangereux que la Commission croie pouvoir s'affranchir de ces règles fondamentales de l'Union et ne tienne pas compte des préoccupations du premier pays agricole de l'Union et de plusieurs autres pays de l'Union.
M. Mandelson a dit ce matin que la France était seule, c'est tout simplement faux : il n'y avait pas de tour de table prévu ce matin et pourtant plusieurs pays ont demandé la parole pour appuyer l'ensemble de mes remarques. Personne ne doit avoir le moindre doute sur la détermination de la France. Je vous rappelle à cet égard les propos qu'avait tenus le président de la République le 27 octobre : "la France ne donnera pas son approbation à Hong Kong à un accord à l'OMC qui imposerait d'aller plus loin pour l'agriculture que la réforme de la PAC adoptée en 2003". La Commission doit bien comprendre et faire comprendre à nos partenaires commerciaux le caractère définitif de cette "ligne rouge" sinon elle prendrait délibérément le risque d'un échec à l'OMC. Nous n'accepterons pas que l'offre agricole européenne soit maintenue si les conditionnalités fixées par la Commission devaient être modifiées ; celles-ci sont absolues. En tout état de cause, personne ne doit avoir le moindre doute sur la détermination de la France si les "lignes rouges" sur le mandat fixé par la Commission sont dépassées.
Maintenant, concernant les perspectives financières : nous avons eu un débat sur les principes, la présidence britannique n'ayant d'ailleurs, à ce stade, fourni aucune proposition chiffrée. La situation sur ce dossier me semble très claire, tout le monde l'a dit autour de la table, nous souhaitons tous un accord et le plus rapidement possible, tout simplement pour une raison, pour respecter la parole donnée aux nouveaux Etats membres et programmer pour sept ans le financement nécessaire de l'Europe élargie. Mais il faut, pour obtenir un accord acceptable, que la répartition des charges financières de l'élargissement entre les Etats membres soit équitable ; cela signifie en particulier que le système actuel du rabais britannique devrait être modifié, sinon la France, l'Italie, l'Espagne paieraient la plus grande part des coûts de l'élargissement tandis que le Royaume-Uni, grâce au jeu de ce rabais, verrait sa situation financière s'améliorer, je dis bien s'améliorer, au fur et à mesure que les dépenses de l'Union augmentent ; ceci serait un paradoxe difficilement acceptable. Tout le monde doit donc assumer sa juste part de l'Europe élargie, c'est la condition essentielle pour un accord en décembre mais je suis persuadé que la présidence britannique saura trouver les solutions pour y parvenir.
Autre élément très clair après le débat de ce matin : plus nous nous éloignerons du compromis de la présidence luxembourgeoise, qui représentait un équilibre pour une écrasante majorité des délégations et qui respectait l'engagement de 2002 sur la PAC, plus un accord sera difficile. Ce compromis luxembourgeois représente, en tout cas pour la France, les limites ultimes de notre contribution au financement de l'Europe élargie, une contribution brute, je le rappelle, augmentée de 11 milliards d'euros sur la période 2007-2013 par rapport à 2006, un solde net négatif quasiment doublé... Cette générosité est nécessaire pour construire l'Europe du XXIe siècle mais la France ne pourra financièrement pas aller plus loin.
Sur ces deux sujets je suis prêt à répondre à vos questions et de même évidemment ensuite sur l'actualité, en particulier celle abordée lors du déjeuner, sur le Liban, la Syrie, l'Iran et d'autres sujets.

Q - (A propos des négociations dans le cadre du cycle de Doha)
R - Il y aura à Hong Kong un Conseil des ministres de l'Union européenne et, juridiquement, il me paraît clair que nous ne pouvons pas accepter un accord pour l'Union européenne sans que les responsables politiques, c'est-à-dire le Conseil, ne puissent l'accepter et donc, oui, bien sûr, la France aura son mot à dire sur ce sujet, d'ailleurs je l'ai dit tout à l'heure à M. Mandelson, personnellement ; je le lui ai dit car je souhaite, la France souhaite très sincèrement un accord à l'OMC, parce que c'est sa vision du monde qu'elle souhaite présenter à l'occasion des négociations dans le cadre de l'OMC, et en particulier parce que nous pensons que le cycle de Doha est le cycle du développement.
Il n'est absolument pas normal que l'on n'ait pas encore avancé sur les mesures d'aide au développement des pays les plus pauvres. Je trouve d'ailleurs anormal que l'on puisse dire que la France donne des leçons, en défendant les pays les plus pauvres, les financements innovants - elle est aussi en train de trouver des solutions sur le sida, la tuberculose, le paludisme, elle parle sans arrêt de la générosité - mais qu'elle tient un double langage en défendant la PAC. Que ce soit clair : il y a une demande de nos partenaires de baisser les droits de douane pour nos produits agricoles, mais les pays du Sud les plus pauvres connaissent déjà très peu de droits de douane et l'Union européenne importe dix fois plus de produits agricoles venant du Sud que les Etats-Unis. Si nous baissons les droits de douane maintenant, cela ne sera pas utile aux pays les plus pauvres mais aux pays émergents du Sud, comme le Brésil. Donc, nous attendons une discussion Sud-Sud très importante dans le cadre de l'OMC. Dans le monde entier, il va y avoir progressivement la prise en considération évidente des pays émergents - Afrique du Sud, Brésil, Nigeria, Inde et Chine. Actuellement, c'est la position de nos partenaires qui serait au détriment des pays les plus pauvres.
La deuxième raison pour laquelle la France veut un accord dans le cadre de l'OMC est que nous voulons un accord équilibré et que la discussion que nous avons aujourd'hui, en particulier avec les Etats-Unis mais aussi avec d'autres, sur l'industrie et les services, est absolument fondamentale pour l'Europe ; mais nous souhaitons que l'accord soit équilibré avec l'agriculture. Il n'y a aucune raison pour que les Américains estiment que le "pouvoir vert" est digne d'intérêt aux Etats-Unis et pas en Europe ; ce n'est pas rien : 8 milliards de personnes qu'il faudra faire manger sur la planète, une sécurité alimentaire qui devient fondamentale, on le voit surtout avec les nouvelles épidémies et, ensuite, en même temps, un aspect économique indiscutable, il faut bien le reconnaître, en particulier en France.
Donc nous souhaitons qu'il y ait un accord, nous disons simplement à M. Mandelson : "c'est vrai, c'est vous et vous seul, Monsieur Mandelson, qui êtes responsable de la tactique de la négociation, mais vous n'êtes pas responsable de la stratégie, c'est le Conseil des ministres européen qui définit le cadre du mandat des commissaires, cela correspond au fonctionnement des institutions". Je respecte trop le travail de la Commission, du Conseil et du Parlement pour mélanger les différents rôles.
Q - (A propos du rapport de la Commission d'enquête présidée par M. Melhis)
R - Un vote très important a eu lieu au Conseil de sécurité des Nations unies lundi dernier puisque la résolution 1636 a été votée à l'unanimité du Conseil de sécurité des Nations unies. De quoi s'agit-il ? De justice et de droit, et pas de politique ; nous ne nous sommes pas exprimés sur ce que l'on pensait de tel ou tel régime, il s'agit de savoir qui a tué, dans quelles conditions a eu lieu l'assassinat de l'ancien Premier ministre libanais, M. Rafic Hariri. La résolution 1595 avait été votée à l'unanimité, la résolution 1636 a été votée à l'unanimité, y compris par les pays représentant les Etats arabes.
Cette unanimité donne une force extraordinairement importante à la demande que nous avons formulée que la Syrie coopère à l'enquête de M. Mehlis dont le mandat a été prorogé jusqu'au 15 décembre. Nous nous félicitons de cette décision qui montre la détermination de la communauté internationale. La Syrie doit prendre au sérieux ce nouveau signal très fort qui lui a été adressé sans aucune ambiguïté. Damas a annoncé sa volonté de coopérer avec la commission d'enquête internationale, nous jugerons la Syrie aux actes.
J'ai dit mon souhait de voir l'Union européenne rester mobilisée sur ce dossier, d'abord pour continuer de soutenir le travail de la commission d'enquête internationale. Il faut également faire en sorte que les objectifs de la résolution 1559 soient pleinement atteints, il en va du rétablissement de l'entière souveraineté d'un Liban libre et démocratique. J'ai donc demandé à mes collègues de faire en sorte que l'Union reste concentrée sur cet objectif.
Q - (A propos de la relation entre l'Union européenne et l'Iran)
R - Nous avons eu un échange de vues en effet avec mes collègues sur les différents volets de la relation entre l'Union européenne et l'Iran outre la question nucléaire, naturellement. Nous avons également évoqué les autres domaines où nous avons des préoccupations. Nous sommes d'accord pour considérer que l'évolution de notre relation avec l'Iran dépendra des actions entreprises par Téhéran pour répondre à diverses préoccupations et d'abord dans le domaine nucléaire.
Notre position est connue, notre objectif est de résoudre par la voie diplomatique la grave crise de prolifération créée par l'Iran. Nous avons pris note de la lettre du secrétaire du Conseil suprême de sécurité nationale de la République de l'Iran en date du 6 novembre. Nous avons toujours indiqué que notre préférence était la reprise du dialogue et des négociations dans le cadre de l'Accord de Paris mais nous attendons pour cela un geste concret de Téhéran. L'Iran doit respecter pleinement l'ensemble des résolutions de l'Agence internationale de l'énergie atomique ; en l'occurrence, la décision de reprendre une troisième campagne de conversion d'uranium envoie un signal très mauvais à la communauté internationale.
Parallèlement nous maintenons ouverte la possibilité de porter ce dossier devant le Conseil de sécurité des Nations unies. Le prochain Conseil des gouverneurs de l'agence le 24 novembre décidera des actions à mener en fonction du comportement de Téhéran.
Je voudrais faire une deuxième remarque : j'ai souhaité, durant ce Conseil, dire à mes partenaires européens qu'il me paraissait opportun de proposer à Téhéran une nouvelle session du dialogue Union européenne - Iran, aujourd'hui interrompu, pour traiter notamment du trafic de drogue et des questions régionales. Je pense plus particulièrement à l'Irak, au Processus de paix au Proche-Orient ou à la stabilité du Liban ; l'Iran est une grande nation issue d'une grande civilisation. Il ne s'agit pas de l'humilier mais au contraire de la replacer dans le cadre de la stabilité régionale, de lui demander de nous aider à stabiliser la région, qu'on arrivera à recréer un dialogue.
Enfin, tout en condamnant les violations inacceptables de l'Iran en matière de Droits de l'Homme et en proposant une relance du dialogue avec Téhéran sur ce sujet, j'ai soutenu des propositions visant à accroître le soutien de l'Union européenne à la société civile iranienne, les media, la santé, l'éducation, l'environnement.

Q - (A propos des violences urbaines en France)
R - Aucun collègue n'a publiquement abordé ce sujet lors du Conseil sur ce sujet. D'autre part, il n'est pas classique de parler, ailleurs que sur notre territoire, des problèmes hexagonaux, donc je ne dérogerai pas à cette règle sauf pour dire en effet qu'il faut totalement rassurer les Européens et les étrangers : la France n'est pas un pays dangereux, la France est un pays où l'on va et où l'on vient ; la France n'est pas un pays raciste. Il y a eu, en effet, les problèmes que vous avez abordés mais nous y répondons avec fermeté pour permettre à la République de ne pas laisser un centimètre carré en dehors des lois, mais dans la tolérance, le respect et le dialogue entre les uns et les autres qui s'imposent.
Q - (A propos de l'élargissement)
R - Le sujet de l'Ancienne République yougoslave de Macédoine n'a pas encore été abordé mais c'est important et je vais y répondre. Je pense que vous avez raison de poser le sujet parce qu'après le 29 mai et le referendum aux Pays-Bas, il me paraît excessivement important, et je m'y suis engagé vis-à-vis du Parlement français, en particulier devant la Commission des Affaires étrangères de l'Assemblée nationale, de venir très régulièrement, avec Catherine Colonna, devant cette Commission pour faire l'état des négociations actuellement en cours entre l'Union européenne et les pays qui pourraient y entrer et pour lesquels il y a des négociations, comme la Turquie. Il est très important de répondre aux questions des parlementaires qui représentent le peuple.
La deuxième chose est qu'il faut donner une perspective européenne à des pays qui ont souvent connu des conflits. Mais, à l'inverse, donner l'impression qu'un élargissement serait le fruit d'une bureaucratie et d'une technocratie sans que les politiques puissent dire leur mot serait une erreur. Il faudra, tôt ou tard, que nous disions quel projet européen nous souhaitons après ce referendum, il est normal d'avoir un grand débat ; c'est vrai que plusieurs pays, le nôtre en particulier, vont entrer dans les prochains mois dans une période pré-électorale puis électorale, ce sera l'occasion d'aborder ce sujet. Je pense que nous devons avoir devant nous une Europe élargie, un espace de stabilité, de paix, de démocratie, de Droits de l'Homme ; il doit y avoir, à l'intérieur de cette Europe, la possibilité, pour certains pays qui le souhaiteront, projet par projet, coopération renforcée par coopération renforcée, de définir une avant-garde qui ne serait fermée à personne. Ce ne serait surtout pas un noyau dur avec un nombre donné de pays, il ne faut surtout pas donner l'impression d'un directoire mais, à l'inverse, donner la possibilité à certains d'aller plus vite ; je pense en particulier à un gouvernement économique à côté de la Banque centrale européenne, à la défense, à la recherche etc. C'est évident que nous devons aller vers cela car, sinon, le risque de dilution du projet des pères fondateurs est patent.
Q - (A propos des relations avec le nouveau ministre des Affaires étrangères polonais, M. Stefan Meller)
R - Non seulement, je l'ai eu au téléphone à plusieurs reprises, mais je l'ai vu tout à l'heure, je l'ai invité en France, il connaît la France mieux que personne. Il a été ambassadeur de Pologne en France et c'est avec beaucoup de plaisir que je l'ai revu. Je suis très rassuré par ce grand Européen bien sûr.
Merci.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 10 novembre 2005)