Texte intégral
Je souhaite développer devant vous deux points de vue :
1 - la vente à des intérêts privés des sociétés d'autoroute est un choix qui porte atteinte à l'intérêt général.
2 - Et c'est une décision que le gouvernement n'a pas le droit de prendre sans l'accord du parlement.
Les sociétés autoroutières sont un des seuls biens de l'Etat qui peuvent rapporter des sommes importantes aujourd'hui, des sommes considérables demain, compte tenu du désendettement programmé des sociétés d'autoroute.
On a estimé, dans le débat qui a eu lieu l'année dernière sur ce sujet, que d'ici à 2012, les dividendes attendus étaient d'au moins 4 milliards d'Euros, et que d'ici à la fin de la concession en 2032, c'était à près de 40 milliards d'Euros que devaient être estimés les dividendes de ces sociétés.
Se priver de cette ressource garantie pour des impératifs budgétaires de court terme, ce n'est pas conforme à la saine gestion et à l'intérêt national.
Le gouvernement précédent, sous l'impulsion de Gilles de Robien ministre de l'Equipement, avait conduit une réflexion de plusieurs mois sur ce sujet, avec le concours du parlement et il avait conclu qu'il ne fallait pas privatiser les autoroutes, au contraire, qu'il convenait de garantir que les revenus des autoroutes allaient financer directement les grandes équipements de la France dans le domaine du transport, du développement durable : TGV, ferroutage, voies fluviales et maritimes, pour lutter contre l'effet de serre et donner à notre pays l'équipement qu'il mérite.
Voilà ce que disait Gilles de Robien au mois de décembre 2003 : " soit on vend les autoroutes tout de suite, ça fait peut-être du bien tout de suite, mais on va le regretter ensuite pendant 10, 15, 20 ou 30 ans, soit on ne les vend pas et à ce moment-là on engrange pour le compte de l'Etat et pour la politique des transports des dividendes qui vont permettre de faire des infrastructures en France et des modes de transport alternatif pendant 20 ou 30 ans ". " On équipe la France grâce aux recettes générées par les transports eux-mêmes ".
Il y a eu un débat exemplaire au parlement, un audit de tous les équipements de transport dont la France avait besoin, et finalement à la fin de l'année dernière a été mise en place l'Agencement financement des infrastructures de transport de France, qui a été créée au 1er janvier de cette année (!), et qui a suscité une approbation générale, dotée grâce aux sociétés d'autoroute de 7,5 milliards d'Euros d'ici à 2012. " Nous avons pour la première fois dans l'histoire mis au point un système pérenne qui nous maintient à l'abri des trous de la conjoncture et des arbitrages défavorables au moment des budgets. "
Voilà tout ce qui est remis en cause : le patrimoine des Français aujourd'hui, l'équipement de la France demain.
Et tout cela sans autre justification que les besoins de trésorerie de l'Etat dans les mois et les semaines qui viennent !
Bien d'autres considérations vont dans le même sens : les autoroutes sont un monopole de fait, les risques de concentration sont importants. La preuve : hier, Bercy dans un communiqué, prenant conscience des difficultés que nous signalons a annoncé qu'il entendait modifier le cahier des charges, prévoyant même un rachat par l'Etat. Qu'est ce que ça veut dire d'annoncer que l'on pourrait racheter ce que l'on vend ?
Il existe donc, depuis des mois, on l'a vu, un débat profond sur l'intérêt national, sur la légitimité de cette opération qui consiste à vendre à des intérêts privés la concession de ces équipements payés par les Français, sous forme d'impôt et sous forme de péage, comme contribuables et comme usagers, alors même que la perspective de voir les autoroutes assurer pour les Français un retour important sur investissement, garantissant l'avenir et l'équipement de la France.
Mais, et c'est la deuxième idée que je souhaite défendre devant vous, le gouvernement n'a pas le droit de décider une telle privatisation sans débat au parlement et sans vote d'une loi.
Les règles qui touchent aux privatisations ont été établies par une loi de 1986.
La règle d'or est celle-ci, chaque fois que l'Etat est majoritaire, la privatisation ne peut être décidée que par le Parlement.
Or l'Etat est majoritaire dans les trois sociétés d'autoroute. Le préambule du cahier des charges indique les chiffres de cette participation majoritaire : 50,4 % du capital social pour ASF, 70,2 % du capital social de APRR, 75,7 % du capital social de Sanef.
Pour éviter le débat parlementaire, pour que tout soit achevé pendant les vacances, le gouvernement se retranche derrière une disposition de cette loi du 2 juillet 1986, indiquant que la participation en question devait être la participation directe de l'Etat et que dans le cas des autoroutes la moitié des participations de l'Etat était portée par un établissement public administratif " Autoroutes de France ".
Or lorsque le Parlement a introduit dans la loi l'adverbe " directement ", il l'a fait exclusivement pour permettre la privatisation par décret de filiales d'entreprises publiques, pour faciliter, comme on disait à l'époque " la respiration du secteur public " qui avait été rendu très difficile par l'arrêt du Conseil d'Etat Cogema.
Le rapport de Robert-André Vivien le dit clairement : " donner une plus grande souplesse de gestion aux entreprises du secteur public, en leur permettant de céder sur autorisation administrative certaines de leurs filiales au secteur privé ".
Et pendant le débat certains orateurs ont mis en avant un risque de détournement de procédure qui consisterait pour l'Etat à faire porter ses actions par un organisme public quelconque pour pouvoir réaliser sa privatisation par simple décret.
Il a été répondu devant le parlement qu'il s'agirait là d'une fraude à la loi " qu'il convient à toutes fins utiles de dénoncer à l'avance et qui devrait pouvoir être sanctionnée comme telle par la juridiction administrative " (Etienne Dailly, rapporteur).
Et, saisi de ce risque, le Conseil constitutionnel dans sa décision du 25 et 26 juin 1986, a répondu de la manière la plus explicite : " il appartiendrait aux juridictions compétentes de paralyser et le cas échéant de réprimer de telles pratiques ".
Il " appartient " aux " juridictions compétentes " de " paralyser " et de " réprimer " un " détournement de pouvoir " dans l'application de cette loi. On ne peut pas mieux dire ce qu'a prescrit à l'avance le Conseil constitutionnel.
Car " Autoroutes de France " ce n'est pas autre chose que l'Etat ! Sa seule mission, la seule, est d'être porteur de parts de capital social pour le compte de l'Etat. " Autoroutes de France ", ce n'est pas autre chose qu'un démembrement de l'Etat.
Je voudrais vous lire ce qu'en dit on ne peut plus sévèrement la cour des comptes dans son rapport de 2002 : " à la fin de 2001, la moitié des participations de l'Etat dans les sociétés concessionnaires était porté par ADF, mais cet établissement public qui ne joue aucun rôle dans la gestion de ces participations, pas même de concertation entre les acteurs du secteur autoroutier, se contente d'entériner les décisions de l'Etat. Celui-ci ne s'en est même jamais servi pour établir des comptes consolidés du secteur public autoroutier. En 1996, la cour s'interrogeait déjà sur la raison d'être d'ADF. En 2002, l'utilité de cet établissement est encore plus douteuse. "
Il suffit d'ailleurs de lire la composition du conseil d'administration d'ADF pour s'en persuader. Sur vingt membres, quatorze sont les représentants directs de l'Etat, généralement les directeurs d'administration centrale.
Prétendre que l'Etat n'est pas directement majoritaire dans les sociétés concessionnaires, c'est tourner la loi. Comme l'a dit le Conseil constitutionnel, il y a un seul moyen pour l'empêcher, c'est qu'une juridiction compétente " paralyse " et " réprime " ce détournement, et il n'existe qu'une seule juridiction compétente pour préserver en cette matière les droits du parlement, qui ne sont pas autre chose que les droits des Français, à être informés par un débat et à décider par l'intermédiaire de leurs représentants. C'est le Conseil d'Etat.
Suivant la décision de 1986 du Conseil constitutionnel, j'ai donc décidé d'introduire un recours devant le Conseil d'Etat pour excès de pouvoir dès que le décret de privatisation aura été pris.
(Source http://www.udf.org, le 3 août 2005)
1 - la vente à des intérêts privés des sociétés d'autoroute est un choix qui porte atteinte à l'intérêt général.
2 - Et c'est une décision que le gouvernement n'a pas le droit de prendre sans l'accord du parlement.
Les sociétés autoroutières sont un des seuls biens de l'Etat qui peuvent rapporter des sommes importantes aujourd'hui, des sommes considérables demain, compte tenu du désendettement programmé des sociétés d'autoroute.
On a estimé, dans le débat qui a eu lieu l'année dernière sur ce sujet, que d'ici à 2012, les dividendes attendus étaient d'au moins 4 milliards d'Euros, et que d'ici à la fin de la concession en 2032, c'était à près de 40 milliards d'Euros que devaient être estimés les dividendes de ces sociétés.
Se priver de cette ressource garantie pour des impératifs budgétaires de court terme, ce n'est pas conforme à la saine gestion et à l'intérêt national.
Le gouvernement précédent, sous l'impulsion de Gilles de Robien ministre de l'Equipement, avait conduit une réflexion de plusieurs mois sur ce sujet, avec le concours du parlement et il avait conclu qu'il ne fallait pas privatiser les autoroutes, au contraire, qu'il convenait de garantir que les revenus des autoroutes allaient financer directement les grandes équipements de la France dans le domaine du transport, du développement durable : TGV, ferroutage, voies fluviales et maritimes, pour lutter contre l'effet de serre et donner à notre pays l'équipement qu'il mérite.
Voilà ce que disait Gilles de Robien au mois de décembre 2003 : " soit on vend les autoroutes tout de suite, ça fait peut-être du bien tout de suite, mais on va le regretter ensuite pendant 10, 15, 20 ou 30 ans, soit on ne les vend pas et à ce moment-là on engrange pour le compte de l'Etat et pour la politique des transports des dividendes qui vont permettre de faire des infrastructures en France et des modes de transport alternatif pendant 20 ou 30 ans ". " On équipe la France grâce aux recettes générées par les transports eux-mêmes ".
Il y a eu un débat exemplaire au parlement, un audit de tous les équipements de transport dont la France avait besoin, et finalement à la fin de l'année dernière a été mise en place l'Agencement financement des infrastructures de transport de France, qui a été créée au 1er janvier de cette année (!), et qui a suscité une approbation générale, dotée grâce aux sociétés d'autoroute de 7,5 milliards d'Euros d'ici à 2012. " Nous avons pour la première fois dans l'histoire mis au point un système pérenne qui nous maintient à l'abri des trous de la conjoncture et des arbitrages défavorables au moment des budgets. "
Voilà tout ce qui est remis en cause : le patrimoine des Français aujourd'hui, l'équipement de la France demain.
Et tout cela sans autre justification que les besoins de trésorerie de l'Etat dans les mois et les semaines qui viennent !
Bien d'autres considérations vont dans le même sens : les autoroutes sont un monopole de fait, les risques de concentration sont importants. La preuve : hier, Bercy dans un communiqué, prenant conscience des difficultés que nous signalons a annoncé qu'il entendait modifier le cahier des charges, prévoyant même un rachat par l'Etat. Qu'est ce que ça veut dire d'annoncer que l'on pourrait racheter ce que l'on vend ?
Il existe donc, depuis des mois, on l'a vu, un débat profond sur l'intérêt national, sur la légitimité de cette opération qui consiste à vendre à des intérêts privés la concession de ces équipements payés par les Français, sous forme d'impôt et sous forme de péage, comme contribuables et comme usagers, alors même que la perspective de voir les autoroutes assurer pour les Français un retour important sur investissement, garantissant l'avenir et l'équipement de la France.
Mais, et c'est la deuxième idée que je souhaite défendre devant vous, le gouvernement n'a pas le droit de décider une telle privatisation sans débat au parlement et sans vote d'une loi.
Les règles qui touchent aux privatisations ont été établies par une loi de 1986.
La règle d'or est celle-ci, chaque fois que l'Etat est majoritaire, la privatisation ne peut être décidée que par le Parlement.
Or l'Etat est majoritaire dans les trois sociétés d'autoroute. Le préambule du cahier des charges indique les chiffres de cette participation majoritaire : 50,4 % du capital social pour ASF, 70,2 % du capital social de APRR, 75,7 % du capital social de Sanef.
Pour éviter le débat parlementaire, pour que tout soit achevé pendant les vacances, le gouvernement se retranche derrière une disposition de cette loi du 2 juillet 1986, indiquant que la participation en question devait être la participation directe de l'Etat et que dans le cas des autoroutes la moitié des participations de l'Etat était portée par un établissement public administratif " Autoroutes de France ".
Or lorsque le Parlement a introduit dans la loi l'adverbe " directement ", il l'a fait exclusivement pour permettre la privatisation par décret de filiales d'entreprises publiques, pour faciliter, comme on disait à l'époque " la respiration du secteur public " qui avait été rendu très difficile par l'arrêt du Conseil d'Etat Cogema.
Le rapport de Robert-André Vivien le dit clairement : " donner une plus grande souplesse de gestion aux entreprises du secteur public, en leur permettant de céder sur autorisation administrative certaines de leurs filiales au secteur privé ".
Et pendant le débat certains orateurs ont mis en avant un risque de détournement de procédure qui consisterait pour l'Etat à faire porter ses actions par un organisme public quelconque pour pouvoir réaliser sa privatisation par simple décret.
Il a été répondu devant le parlement qu'il s'agirait là d'une fraude à la loi " qu'il convient à toutes fins utiles de dénoncer à l'avance et qui devrait pouvoir être sanctionnée comme telle par la juridiction administrative " (Etienne Dailly, rapporteur).
Et, saisi de ce risque, le Conseil constitutionnel dans sa décision du 25 et 26 juin 1986, a répondu de la manière la plus explicite : " il appartiendrait aux juridictions compétentes de paralyser et le cas échéant de réprimer de telles pratiques ".
Il " appartient " aux " juridictions compétentes " de " paralyser " et de " réprimer " un " détournement de pouvoir " dans l'application de cette loi. On ne peut pas mieux dire ce qu'a prescrit à l'avance le Conseil constitutionnel.
Car " Autoroutes de France " ce n'est pas autre chose que l'Etat ! Sa seule mission, la seule, est d'être porteur de parts de capital social pour le compte de l'Etat. " Autoroutes de France ", ce n'est pas autre chose qu'un démembrement de l'Etat.
Je voudrais vous lire ce qu'en dit on ne peut plus sévèrement la cour des comptes dans son rapport de 2002 : " à la fin de 2001, la moitié des participations de l'Etat dans les sociétés concessionnaires était porté par ADF, mais cet établissement public qui ne joue aucun rôle dans la gestion de ces participations, pas même de concertation entre les acteurs du secteur autoroutier, se contente d'entériner les décisions de l'Etat. Celui-ci ne s'en est même jamais servi pour établir des comptes consolidés du secteur public autoroutier. En 1996, la cour s'interrogeait déjà sur la raison d'être d'ADF. En 2002, l'utilité de cet établissement est encore plus douteuse. "
Il suffit d'ailleurs de lire la composition du conseil d'administration d'ADF pour s'en persuader. Sur vingt membres, quatorze sont les représentants directs de l'Etat, généralement les directeurs d'administration centrale.
Prétendre que l'Etat n'est pas directement majoritaire dans les sociétés concessionnaires, c'est tourner la loi. Comme l'a dit le Conseil constitutionnel, il y a un seul moyen pour l'empêcher, c'est qu'une juridiction compétente " paralyse " et " réprime " ce détournement, et il n'existe qu'une seule juridiction compétente pour préserver en cette matière les droits du parlement, qui ne sont pas autre chose que les droits des Français, à être informés par un débat et à décider par l'intermédiaire de leurs représentants. C'est le Conseil d'Etat.
Suivant la décision de 1986 du Conseil constitutionnel, j'ai donc décidé d'introduire un recours devant le Conseil d'Etat pour excès de pouvoir dès que le décret de privatisation aura été pris.
(Source http://www.udf.org, le 3 août 2005)