Entretien de M. Philippe Douste-Blazy, ministre des affaires étrangères, à la Pravda le 7 octobre 2005, sur l'avenir du traité constitutionnel européen et l'ouverture du marché français du travail aux travailleurs des nouveaux pays de l'UE.

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Circonstance : Voyage de Philippe Douste-Blazy et Catherine Colonna en Slovaquie les 7 et 8 octobre 2005

Média : Kazakhstanskaya Pravda - Pravda - Presse étrangère

Texte intégral

Q - D'après vous, quel est le destin de la Constitution européenne ? Y a-t-il une chance qu'elle entre en vigueur dans son intégralité telle qu'elle a été adoptée ou seulement en partie ? Envisagez-vous la tenue d'un nouveau référendum sur la Constitution européenne en France ?
R - Tout d'abord, permettez-moi de dire combien je suis heureux de rencontrer, avec Catherine Colonna, les autorités slovaques. La Slovaquie est un très bel exemple de la réussite de la construction européenne et de son élargissement.
Quant aux Français, permettez-moi de préciser qu'ils n'ont pas, le 29 mai, rejeté l'Europe mais ont exprimé des craintes quant à son évolution.
Le message de nos citoyens ne traduit pas une perte d'engagement en faveur de l'Europe, mais une exigence économique et sociale forte pour notre Union à 25 dont nous devons tenir compte. Il nous faut prendre le temps nécessaire pour approfondir la réflexion, pour reprendre l'initiative.
Nous devons renforcer et surtout adapter nos politiques communes actuelles. Je pense que l'engagement de ce travail de fond sur le contenu, sur la définition d'un projet politique clair et concret, doit précéder la relance du débat institutionnel.
Q - Y a-t-il une chance réelle que le budget 2007-2013 soit adopté d'ici la fin de l'année ?
R - C'est bien sûr éminemment souhaitable. Nous avons besoin de réaffirmer l'unité de l'Europe et de lancer sans délai le grand programme budgétaire de soutien à la convergence entre Etats membres dont nous avons tant besoin. C'est avec ce sentiment d'urgence que la France, comme la Slovaquie et une très large majorité des autres Etats membres, avaient donné leur accord aux propositions de la Présidence luxembourgeoise de juin 2005 en dépit du coût budgétaire que cela comportait, notamment pour notre pays. Il revient maintenant à la Présidence de l'Union de créer les conditions de la confiance pour aboutir au plus tard en décembre 2005 à un accord budgétaire qui devra prévoir le financement de l'Union élargie sur la base d'une participation équitable de tous les anciens Etats membres. Nous sommes désireux d'aider la Présidence à cette fin.
Q - Sous quelles conditions la France serait-elle d'accord avec la réduction des moyens financiers destinés à l'agriculture ?
R - Permettez-moi de vous dire que le débat sur l'agriculture en Europe ne doit pas se réduire à des questions purement financières. Parce qu'elle est un élément de l'identité européenne, notamment au travers de nos territoires et de notre alimentation, l'agriculture est centrale. L'Europe n'a pas cessé depuis vingt ans de transformer sa politique agricole afin qu'elle soit moins coûteuse et qu'elle ne perturbe plus le commerce international et le développement des pays les plus pauvres. Je note d'ailleurs qu'il existe un moyen non coûteux de préserver l'agriculture européenne à travers la protection tarifaire du marché européen. Nous y veillerons particulièrement dans la négociation à l'OMC.
Au plan budgétaire, nous avons déjà organisé la réduction de moyens financiers destinés à l'agriculture. C'était l'objet même des accords de Bruxelles de 2002, qui constituaient l'une des conditions de l'élargissement de 2004. Je vous rappelle d'ailleurs que la France était quant à elle favorable au plein bénéfice des aides agricoles pour les nouveaux Etats membres. Au-delà, nous mettrions en cause non seulement la parole donnée à tous les agriculteurs européens, mais aussi les conditions du fonctionnement de l'agriculture en Europe.
Q - Est-il envisageable de trouver un accord sur l'augmentation des moyens financiers pour la science et la recherche sans diminuer les moyens pour l'agriculture ?
R - C'était tout le sens de la proposition faite par M. Juncker en juin 2005 à laquelle la Slovaquie et la France avaient donné leur accord. La Présidence luxembourgeoise prévoyait le maintien des aides directes pour les agriculteurs et une progression de plus de 30 % des moyens budgétaires européens pour la science et la recherche. Il est dommage que certains Etats membres se soient opposés à un tel accord. Mais il faut poursuivre les discussions pour parvenir le plus rapidement possible à une solution qui reprenne le schéma proposé par M. Juncker.
Q - Comment l'Union européenne devrait-elle affronter la concurrence croissante
de la Chine ?
R - Le déficit commercial de l'Union européenne avec la Chine continue à se creuser. Au premier semestre 2005, il a augmenté de 36 % par rapport à 2004. Le déficit commercial chinois est le plus important constaté par l'Europe.
Face à une Chine sans cesse plus dynamique sur le plan commercial, l'Europe doit bien sûr continuer à s'adapter pour préserver sa compétitivité mais elle doit défendre ses intérêts économiques, en recourant si nécessaire aux outils de la politique commerciale.
Dans le secteur textile par exemple où le déficit a représenté près d'un cinquième - 18 % - du déficit total sur les cinq premiers mois de 2005, en hausse de 50 % en un an, la Commission européenne a négocié, à la demande de plusieurs Etats membres dont la France, un accord d'autolimitation des importations. Cet accord négocié en juin dernier s'est avéré un outil très utile pour préserver notre industrie contre une concurrence très sévère, y compris quand il s'est agit le mois dernier de prendre en compte les importations en cours.
Nous devons aussi obtenir que chacun respecte les règles des échanges commerciaux. A cet égard, de nombreux obstacles non tarifaires au marché chinois demeurent et limitent nos exportations vers la Chine dans un certain nombre de domaines où l'Europe est compétitive, comme l'automobile ou les services financiers.
Q - Au Conseil européen de juin, le Premier ministre slovaque Mikulas Dzurinda a indiqué qu'il était prêt à aider les hommes politiques français à convaincre les Français que les investissements français en Slovaquie bénéficiaient également à la France. Avez-vous réfléchi à une telle invitation ?
R - Mon déplacement en Slovaquie vise précisément à mettre en valeur l'importance des liens économiques entre nos deux pays : nos échanges commerciaux progressent et atteignent 2 milliards d'euros, nous sommes le deuxième investisseur dans votre pays. Je viens en Slovaquie accompagné d'une délégation de chefs d'entreprises qui rencontreront leurs partenaires économiques slovaques et je visiterai avec Catherine Colonna plusieurs sites industriels et investissements franco-slovaques - Dalkia, Orange, Servier -. Ce dynamisme économique et commercial est créateur de richesses et d'emplois dans nos deux pays.
Q - Au printemps 2006, la France devrait se prononcer sur une éventuelle ouverture de son marché de travail aux Slovaques. Envisagez-vous une telle démarche ? Quels sont les critères qui détermineront la décision que vous prendrez sur ce point ?
R - C'est une question que j'examine avec la plus grande attention avec l'ensemble du gouvernement français. Nous sommes particulièrement attentifs à tout ce qui peut contribuer à l'égalité de traitement entre anciens et nouveaux Etats membres ainsi qu'à la convergence économique et sociale en Europe. La perspective est claire : la liberté de circulation des salariés sera pleine et entière en 2011. C'est ce que prévoit le traité d'adhésion. Nous ferons tout notre possible pour accélérer cette perspective. C'est dans l'intérêt de tous. Mais nous devons aussi prendre en compte le niveau du chômage dans notre pays. J'ai bien conscience de l'importance politique de ce sujet en Slovaquie, tout comme en France, et nous avons un dialogue étroit avec le gouvernement slovaque à ce sujet.
Q - En France, vous êtes connu pour avoir été un très bon maire de la ville de Toulouse, centre français de la science et de l'aviation. Votre profession d'origine est la médecine. Actuellement, vous êtes ministre des Affaires étrangères. Comment conciliez-vous tout cela ?
R - Je nourris en effet ma réflexion et mon rôle de ministre des Affaires étrangères de ce souci du concret et de la proximité que m'ont donné mes précédentes activités et responsabilités politiques, notamment locales. Je suis convaincu que la politique étrangère d'un pays comme la France doit être non seulement tournée vers le rayonnement et l'extérieur, mais doit aussi s'adresser aux citoyens français et engager un riche dialogue avec eux sur les grands enjeux du monde d'aujourd'hui.
Mon déplacement en Slovaquie est ainsi bien sûr une occasion privilégiée de m'entretenir avec des partenaires proches et de rappeler toute l'amitié de la France pour le peuple slovaque. Mais c'est aussi dans le même temps pour moi l'opportunité de faire valoir en France tout ce que l'Europe gagne à avoir accueilli un pays comme le vôtre.
Quant aux enjeux mondiaux de santé publique - les pandémies, l'accès des plus pauvres aux médicaments, la sécurité alimentaire, ou les problèmes environnementaux -, ils sont aujourd'hui cruciaux et le deviendront toujours plus dans les prochaines années. Je suis très surpris qu'ils soient trop souvent sous-estimés. Je suis bien décidé à mettre à profit mes fonctions de ministre des Affaires étrangères pour contribuer à ce que ces enjeux fondamentaux pour l'humanité reçoivent toute l'attention qu'ils méritent.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 11 octobre 2005)