Texte intégral
Madame la présidente, chère Anne-Marie,
Mesdames et messieurs les membres du CNDD,
C'est avec grand plaisir que je participe, pour la première fois, à une réunion de votre Conseil.
J'ai, durant l'année écoulée, suivi avec beaucoup d'attention vos travaux. Je dois dire que, au-delà de leur intérêt évident, ils m'ont qualitativement comme quantitativement impressionnée. Je tiens à vous en remercier sincèrement car c'est ainsi que notre stratégie nationale du développement durable prendra corps au plus près des préoccupations de la société civile que vous représentez.
Comme vous le savez, l'actualité foisonne de sujets brûlants susceptibles de mobiliser votre Conseil. Aujourd'hui, j'en développerai plus particulièrement deux qui font partie des axes fondateurs de mon action pour 2004 : je veux parler de la charte de l'environnement et de la préservation de la biodiversité.
La charte de l'environnement
En avril prochain, un texte historique pour l'environnement sera débattu en première lecture à l'Assemblée nationale : le projet de loi constitutionnelle sur la charte de l'environnement.
Je ne passerai pas en revue le long cortège de nos erreurs collectives durant le siècle passé en matière d'environnement. Nous les mesurons aujourd'hui à l'aune de la dégradation de la qualité de l'eau, de l'air, des sols, de la destruction d'espèces animales et végétales, de la détérioration de la couche d'ozone, des perspectives de changement climatique
Mais désormais, nous savons ! Nous ne pouvons donc plus nous abstenir d'agir !
La charte s'inscrit dans un contexte de prise de conscience. Elle en est la traduction au plus haut niveau de notre droit, comme ce fut le cas autrefois pour les droits de l'homme puis les droits sociaux.
Ce texte est un texte équilibré, de synthèse entre des forces contradictoires. Il est de son temps, de cette époque tendue vers le progrès, vers la création, vers l'innovation, et en même temps, dont la population est inquiète car elle est de plus en plus consciente qu'elle se met elle-même en danger.
Le temps de l'écologie doctrinaire, de l'écologie idéologique est révolue. Ou, plutôt, dépassé. La charte n'est pas un manifeste, une profession de foi politique sans portée.
C'est un texte constitutionnel qui est le fruit d'une démarche humaniste.
J'aimerais m'attarder sur l'article 2 qui dispose que : " Toute personne a le devoir de prendre part à la préservation et à l'amélioration de l'environnement ". Cet article est l'un de ceux qui illustrent le mieux notre démarche équilibrée. Exigeante mais équilibrée.
En effet, l'énoncé d'un devoir est une des options fondatrices de la charte, affirmée dès l'origine du projet par le Président de la République dans son discours prononcé à Orléans, le 3 mai 2001 : " Il s'agit de faire prévaloir une certaine conception de l'homme par rapport à la nature. Il s'agit de rappeler ses droits, et aussi ses responsabilités ".
L'affirmation de ce devoir est un élément essentiel de la reconnaissance de la responsabilité des êtres humains à l'égard de l'environnement. La qualité de l'environnement dépend de chacun de nous : chacun peut et doit agir à son niveau de responsabilité et de moyen et non pas se contenter d'attendre une évolution du comportement des autres acteurs.
Le gouvernement a ainsi clairement voulu faire uvre de développement durable.
Je voudrais rapidement citer deux autres articles
L'article 4, d'abord, clarifie la notion de réparation des dommages effectués à l'environnement. On parlait, avant, de principe " pollueur-payeur ".
Au cours des consultations que nous avons menées, nombre de personnes ont exprimé la crainte que ces termes, qui figurent dans le code de l'environnement et dans le Traité de l'Union européenne, soient interprétés comme un droit de polluer, alors qu'il faut d'abord prévenir les dommages et, à défaut, que les auteurs d'atteintes à l'environnement les réparent.
L'article 4 de la charte de l'environnement rend possible la mise en uvre de la responsabilité en cas de dommage à l'environnement, lorsque la victime est une communauté de personnes.
L'article 5, ensuite, qui est souvent commenté. Définir le principe de précaution dans la charte est un progrès. En effet, la jurisprudence des dernières années a montré des incertitudes dans la portée et le sens donnés à un principe insuffisamment ou mal défini. La vivacité des débats sur ce principe vient précisément de ce flou qui occulte la véritable utilité du principe de précaution.
La France, par sa charte, se donne une définition précise et qui s'imposera à toutes les lois, alors que, jusqu'à présent, le principe évoqué par le code de l'environnement était limité à " inspirer " les actes réglementaires du seul domaine de l'environnement. Le principe se trouve hissé à un niveau juridique supérieur. Il acquiert une portée plus large, mais avec une définition plus précise.
Contrairement à la mesure de prévention, qui vise à prévenir un risque connu de dommage, la mesure de précaution n'intervient qu'en cas d'incertitude, due à l'insuffisance de nos connaissances scientifiques, de la réalisation d'un dommage grave et irréversible.
Lorsque ces conditions sont réunies, il appartient aux autorités publiques de veiller à l'adoption de mesures provisoires et proportionnées, prises dans le but d'éviter la réalisation du dommage. Il convient également de mettre en oeuvre des procédures d'évaluation des risques courus. L'application du principe de précaution ne doit paralyser ni les activités économiques, ni la recherche scientifique. Cette dernière contribue, dans des conditions de parfaite transparence, à lever l'incertitude et à permettre, le cas échéant, de passer de mesures de précaution à des mesures de prévention.
Les débats organisés pour l'élaboration de la charte ont été sereins et constructifs. Ils ont montré l'enthousiasme de tous à travailler ensemble pour construire un avenir commun, hors des clivages partisans, en sortant des problèmes quotidiens et des conflits d'intérêt par le haut. Ils ont appelé à l'engagement, à la responsabilité, à la solidarité et à l'action, en insistant sur les rôles de l'éducation et de la science.
Je sais que c'est précisément l'esprit dans lequel vous travaillez au sein du CNDD. J'encourage chacun d'entre vous à décliner et à faire vivre cette charte au quotidien, dans vos réseaux, dans votre entourage professionnel et personnel. Et je vous en remercie.
La stratégie nationale pour la biodiversité
J'en viens maintenant au second axe de mon intervention : la protection de la biodiversité.
Votre présidente et le président de l'UICN France m'ont fait le plaisir de m'accompagner, à la mi-février, à Kuala Lumpur, où j'ai porté devant la communauté internationale le message d'une France déterminée à participer activement à la lutte contre la perte de biodiversité.
Car, dix ans après Rio, les progrès ne sont pas au rendez-vous. Le Président de la République avait déjà lui-même sonné l'alarme à Johannesburg, en soulignant l'urgence d'une prise de conscience générale.
Je refuse de voir dans cette convention des Nations-Unies pour la biodiversité, comme certains le font, un " machin onusien " qui ne sert à rien. Notre devoir est de faire en sorte que ça marche ! Nous n'avons d'ailleurs plus le choix !
Mon propos n'est pas de faire le bilan exhaustif de cette Conférence des Parties, dont je suis modérément satisfaite.
Satisfaite, car les avancées obtenues au prix de négociations difficiles, notamment sur les aires protégées et le partage des avantages, épousent globalement les positions françaises et européennes.
Satisfaite également, car la participation d'une délégation d'élus des collectivités du Pacifique qui m'accompagnait s'est avérée très positive.
Satisfaite enfin, car la première réunion des parties au protocole de Carthagène sur la prévention des risques biotechnologiques a permis des avancées significatives pour la mise en uvre du protocole.
Cela dit, l'ensemble des progrès enregistrés à Kuala Lumpur restent bien sûr très modestes au regard de l'étendue et de l'urgence des enjeux. Je regrette notamment que la pléthore de " mots " ne se traduise pas sur le terrain par des actions d'une intensité similaire.
Plus de 2 000 espèces animales et végétales ont rejoint, ces dernières années, la " liste rouge " dressée par l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN).
A ce jour, dans le monde, une espèce d'oiseaux sur 8 et une espèce de mammifères sur 4 sont menacées d'extinction. Or, la disparition d'une seule espèce implique souvent, en corollaire, celle de nombreuses autres.
Notre pays, évidemment, n'est hélas pas épargné !
En métropole, une espèce végétale sur 10 et une espèce de vertébrés sur 5 sont en péril.
Outre-mer, l'extinction d'une espèce au niveau locale d'une île signifie la disparition de l'espèce à l'échelle mondiale. Ainsi, au cours des quatre derniers siècles, 30 % des extinctions d'espèces de mollusques au niveau mondial ont eu lieu dans nos collectivités ultra-marines.
Vous le voyez, le constat est sans appel. Devons-nous pour autant considérer que la bataille est perdue ? Que tout effort est vain ?
Je suis persuadée que NON ! En aucun cas nous n'avons le droit de baisser les bras ! Car, l'enjeu est de taille : préserver la diversité des formes de vie sur Terre, ce n'est rien moins que veiller à notre propre " assurance vie " !
Cette diversité conditionne en effet directement les capacités d'adaptation du monde vivant. Elle constitue, en ce sens, un véritable "coffre-fort génétique " ! Le trésor qu'elle enferme n'est rien moins que l'avenir et l'existence même de l'Humanité.
Que ce soit au niveau génétique, au niveau des espèces ou des écosystèmes, l'Homme a trouvé dans la biodiversité une multitude de biens et de services que les sociétés ont su mettre à profit pour asseoir leur développement.
Il suffit d'évoquer les variétés alimentaires et ornementales tirées du monde végétal, les innombrables substances actives naturelles utilisées par notre pharmacopée, la gamme de fonctions hydrologiques offertes par les milieux
L'Homme a également créé un lien culturel avec la biodiversité en l'investissant de valeurs symboliques et identitaires, qui se traduisent notamment dans des savoirs et des pratiques traditionnelles, ou dans l'attachement aux paysages ou à des espèces symboliques.
Mais les modèles de développement, les processus de production et de consommation que nous avons privilégiés depuis plusieurs décennies ont perdu de vue notre relation forte avec la nature. Ils en ont ainsi méconnu les déterminants et ils en ont négligé la protection.
Il nous faut donc impérativement redresser la barre !
Au niveau national, je m'y attache depuis plusieurs mois avec l'élaboration de notre stratégie nationale pour la biodiversité. Une première étape a été franchie en février, lorsque j'ai présenté publiquement ses enjeux, ses finalités et ses grandes orientations
L'objectif est clair et simple : stopper la perte de biodiversité en France d'ici 2010.
Mais 2010, c'est demain ! J'ai donc voulu une stratégie courageuse et qui s'attaque aux racines mêmes du mal, au lieu d'apporter des " mesurettes d'apparence ".
J'ai voulu qu'une stratégie spécifique à la hauteur des enjeux permette à notre pays d'assumer ses responsabilités, tant au plan national qu'international.
Il s'agit, dans chaque domaine, de rendre les politiques existantes à la fois plus pertinentes et plus efficaces au regard de la préservation de la biodiversité.
Parce que la biodiversité est, comme la charte, l'affaire de tous les citoyens - vous en portez témoignage - et qu'elle " irrigue " toutes les politiques publiques, j'ai voulu associer largement la société civile dans la conception de notre stratégie.
Ma présence devant vous aujourd'hui me permet de saluer à nouveau l'énorme travail que votre conseil a fourni, dans des délais très contraints, et la qualité des recommandations produites en liaison très étroite avec l'UICN. Vous le savez, votre contribution a été très précieuse. Elle est allée au-delà des seules orientations pour entrer dans le détail des actions à conduire. Elle a largement nourri les réflexions conduites par un groupe de travail interministériel piloté par la direction de la nature et des paysages.
Nous avons identifié quatre orientations, pour certaines sur votre suggestion directe :
1- Premièrement, la biodiversité doit être l'affaire de tous, et pas seulement des spécialistes.
2- Ensuite, il est indispensable de reconnaître au vivant sa juste valeur, pour que les biens et les services fournis par la biodiversité soient réellement pris en compte.
3- Troisièmement, il faut améliorer la prise en compte de la biodiversité par les politiques publiques.
4- Enfin, il faut développer la connaissance scientifique et l'observation.
L'originalité et le courage de la stratégie française résident aussi dans un choix fort qui témoigne de la volonté de dépasser les seules incantations : celui d'une première série d'indicateurs biologiques portant sur l'état de la biodiversité afin de mesurer les progrès - ou les reculs ! - réalisés. Il est en effet fondamental, vous le savez tous, qu'ils figurent dès maintenant dans notre base de travail, même s'ils sont appelés à être complétés et améliorés.
Cette première étape de notre travail trouvera tout son impact concret avec l'adoption, d'ici juin 2004, de plans d'action opérationnels.
Leur préparation s'appuie d'ores et déjà sur l'ensemble des ministères concernés. Ils sont désormais nombreux à comprendre combien leurs actions sont, en la matière, vitales.
Mais les collectivités locales sont aussi directement interpellées par cette ambition. En liaison avec Brigitte Girardin, j'ai demandé aux collectivités de l'Outre-mer de se mobiliser au service de cette ambition commune. Elles le font avec dynamisme et inventivité. Je ne doute pas que les collectivités de métropole répondront tout aussi positivement.
Mais, au-delà de la mobilisation de nos élus, c'est la responsabilité directe et personnelle de chacun de nos concitoyens qu'il est urgent d'éveiller. Chacun de nous y est quotidiennement confronté à travers ses modes de production et de consommation, de déplacement, ses activités professionnelles ou ses activités de loisirs
Aussi, dans cette seconde phase de préparation des plans d'action, je souhaite ardemment, comme dans la première, poursuivre la concertation que nous avons engagée. Je compte donc, à travers l'implication du CNDD et de l'UICN France, sur la mobilisation de l'ensemble de vos réseaux.
Elle sera utile ponctuellement, sur tel ou tel plan d'action, mais surtout au plan transversal, pour réfléchir au suivi de la stratégie dans son ensemble et pour sa mise en oeuvre.
Parmi les plans d'action prioritaires de la stratégie nationale pour la biodiversité, figure celui que mon ministère prépare sur le " patrimoine naturel ".
Les premiers résultats des missions que j'ai mises en place au cours des douze derniers mois viennent nourrir la réflexion : mission du député Jean-Pierre GIRAN sur les parcs nationaux, rapport du sénateur Le Grand sur Natura 2000, diagnostic juridique sur la protection du patrimoine naturel en France, consultation des préfets de département et de région sur l'efficacité de nos politiques de la nature, plusieurs missions d'inspection sur la fiscalité du patrimoine naturel, sur les parcs naturels régionaux, sur l'interaction entre tourisme et patrimoine naturel
J'attends également beaucoup du dialogue constructif qui se noue dans les groupes de travail mis en place à ma demande par le directeur de la nature et des paysage sur la connaissance, la gestion concertée du patrimoine naturel, les relations Etat-collectivités et la thématique du paysage et de la publicité. Réunissant près de 80 organismes, ces groupes préparent la traduction concrète, dans le plan d'action " patrimoine naturel ", des enjeux, des finalités et des orientations de la stratégie nationale pour la biodiversité. Beaucoup d'entre vous sont mobilisés à un titre ou un autre dans cet exercice. Une nouvelle fois, je vous encourage à poursuivre.
Conclusion
Pour conclure afin de vous écouter, je dirais seulement que la préservation du vivant, et plus généralement de notre environnement, justifie tous nos efforts.
Votre présence au sein de ce comité montre que vous y êtes prêts. Merci de l'aide magnifique que vous m'apportez dans cette délicate mission.
(source http://www.environnement.gouv.fr, le 18 mars 2004)
Mesdames et messieurs les membres du CNDD,
C'est avec grand plaisir que je participe, pour la première fois, à une réunion de votre Conseil.
J'ai, durant l'année écoulée, suivi avec beaucoup d'attention vos travaux. Je dois dire que, au-delà de leur intérêt évident, ils m'ont qualitativement comme quantitativement impressionnée. Je tiens à vous en remercier sincèrement car c'est ainsi que notre stratégie nationale du développement durable prendra corps au plus près des préoccupations de la société civile que vous représentez.
Comme vous le savez, l'actualité foisonne de sujets brûlants susceptibles de mobiliser votre Conseil. Aujourd'hui, j'en développerai plus particulièrement deux qui font partie des axes fondateurs de mon action pour 2004 : je veux parler de la charte de l'environnement et de la préservation de la biodiversité.
La charte de l'environnement
En avril prochain, un texte historique pour l'environnement sera débattu en première lecture à l'Assemblée nationale : le projet de loi constitutionnelle sur la charte de l'environnement.
Je ne passerai pas en revue le long cortège de nos erreurs collectives durant le siècle passé en matière d'environnement. Nous les mesurons aujourd'hui à l'aune de la dégradation de la qualité de l'eau, de l'air, des sols, de la destruction d'espèces animales et végétales, de la détérioration de la couche d'ozone, des perspectives de changement climatique
Mais désormais, nous savons ! Nous ne pouvons donc plus nous abstenir d'agir !
La charte s'inscrit dans un contexte de prise de conscience. Elle en est la traduction au plus haut niveau de notre droit, comme ce fut le cas autrefois pour les droits de l'homme puis les droits sociaux.
Ce texte est un texte équilibré, de synthèse entre des forces contradictoires. Il est de son temps, de cette époque tendue vers le progrès, vers la création, vers l'innovation, et en même temps, dont la population est inquiète car elle est de plus en plus consciente qu'elle se met elle-même en danger.
Le temps de l'écologie doctrinaire, de l'écologie idéologique est révolue. Ou, plutôt, dépassé. La charte n'est pas un manifeste, une profession de foi politique sans portée.
C'est un texte constitutionnel qui est le fruit d'une démarche humaniste.
J'aimerais m'attarder sur l'article 2 qui dispose que : " Toute personne a le devoir de prendre part à la préservation et à l'amélioration de l'environnement ". Cet article est l'un de ceux qui illustrent le mieux notre démarche équilibrée. Exigeante mais équilibrée.
En effet, l'énoncé d'un devoir est une des options fondatrices de la charte, affirmée dès l'origine du projet par le Président de la République dans son discours prononcé à Orléans, le 3 mai 2001 : " Il s'agit de faire prévaloir une certaine conception de l'homme par rapport à la nature. Il s'agit de rappeler ses droits, et aussi ses responsabilités ".
L'affirmation de ce devoir est un élément essentiel de la reconnaissance de la responsabilité des êtres humains à l'égard de l'environnement. La qualité de l'environnement dépend de chacun de nous : chacun peut et doit agir à son niveau de responsabilité et de moyen et non pas se contenter d'attendre une évolution du comportement des autres acteurs.
Le gouvernement a ainsi clairement voulu faire uvre de développement durable.
Je voudrais rapidement citer deux autres articles
L'article 4, d'abord, clarifie la notion de réparation des dommages effectués à l'environnement. On parlait, avant, de principe " pollueur-payeur ".
Au cours des consultations que nous avons menées, nombre de personnes ont exprimé la crainte que ces termes, qui figurent dans le code de l'environnement et dans le Traité de l'Union européenne, soient interprétés comme un droit de polluer, alors qu'il faut d'abord prévenir les dommages et, à défaut, que les auteurs d'atteintes à l'environnement les réparent.
L'article 4 de la charte de l'environnement rend possible la mise en uvre de la responsabilité en cas de dommage à l'environnement, lorsque la victime est une communauté de personnes.
L'article 5, ensuite, qui est souvent commenté. Définir le principe de précaution dans la charte est un progrès. En effet, la jurisprudence des dernières années a montré des incertitudes dans la portée et le sens donnés à un principe insuffisamment ou mal défini. La vivacité des débats sur ce principe vient précisément de ce flou qui occulte la véritable utilité du principe de précaution.
La France, par sa charte, se donne une définition précise et qui s'imposera à toutes les lois, alors que, jusqu'à présent, le principe évoqué par le code de l'environnement était limité à " inspirer " les actes réglementaires du seul domaine de l'environnement. Le principe se trouve hissé à un niveau juridique supérieur. Il acquiert une portée plus large, mais avec une définition plus précise.
Contrairement à la mesure de prévention, qui vise à prévenir un risque connu de dommage, la mesure de précaution n'intervient qu'en cas d'incertitude, due à l'insuffisance de nos connaissances scientifiques, de la réalisation d'un dommage grave et irréversible.
Lorsque ces conditions sont réunies, il appartient aux autorités publiques de veiller à l'adoption de mesures provisoires et proportionnées, prises dans le but d'éviter la réalisation du dommage. Il convient également de mettre en oeuvre des procédures d'évaluation des risques courus. L'application du principe de précaution ne doit paralyser ni les activités économiques, ni la recherche scientifique. Cette dernière contribue, dans des conditions de parfaite transparence, à lever l'incertitude et à permettre, le cas échéant, de passer de mesures de précaution à des mesures de prévention.
Les débats organisés pour l'élaboration de la charte ont été sereins et constructifs. Ils ont montré l'enthousiasme de tous à travailler ensemble pour construire un avenir commun, hors des clivages partisans, en sortant des problèmes quotidiens et des conflits d'intérêt par le haut. Ils ont appelé à l'engagement, à la responsabilité, à la solidarité et à l'action, en insistant sur les rôles de l'éducation et de la science.
Je sais que c'est précisément l'esprit dans lequel vous travaillez au sein du CNDD. J'encourage chacun d'entre vous à décliner et à faire vivre cette charte au quotidien, dans vos réseaux, dans votre entourage professionnel et personnel. Et je vous en remercie.
La stratégie nationale pour la biodiversité
J'en viens maintenant au second axe de mon intervention : la protection de la biodiversité.
Votre présidente et le président de l'UICN France m'ont fait le plaisir de m'accompagner, à la mi-février, à Kuala Lumpur, où j'ai porté devant la communauté internationale le message d'une France déterminée à participer activement à la lutte contre la perte de biodiversité.
Car, dix ans après Rio, les progrès ne sont pas au rendez-vous. Le Président de la République avait déjà lui-même sonné l'alarme à Johannesburg, en soulignant l'urgence d'une prise de conscience générale.
Je refuse de voir dans cette convention des Nations-Unies pour la biodiversité, comme certains le font, un " machin onusien " qui ne sert à rien. Notre devoir est de faire en sorte que ça marche ! Nous n'avons d'ailleurs plus le choix !
Mon propos n'est pas de faire le bilan exhaustif de cette Conférence des Parties, dont je suis modérément satisfaite.
Satisfaite, car les avancées obtenues au prix de négociations difficiles, notamment sur les aires protégées et le partage des avantages, épousent globalement les positions françaises et européennes.
Satisfaite également, car la participation d'une délégation d'élus des collectivités du Pacifique qui m'accompagnait s'est avérée très positive.
Satisfaite enfin, car la première réunion des parties au protocole de Carthagène sur la prévention des risques biotechnologiques a permis des avancées significatives pour la mise en uvre du protocole.
Cela dit, l'ensemble des progrès enregistrés à Kuala Lumpur restent bien sûr très modestes au regard de l'étendue et de l'urgence des enjeux. Je regrette notamment que la pléthore de " mots " ne se traduise pas sur le terrain par des actions d'une intensité similaire.
Plus de 2 000 espèces animales et végétales ont rejoint, ces dernières années, la " liste rouge " dressée par l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN).
A ce jour, dans le monde, une espèce d'oiseaux sur 8 et une espèce de mammifères sur 4 sont menacées d'extinction. Or, la disparition d'une seule espèce implique souvent, en corollaire, celle de nombreuses autres.
Notre pays, évidemment, n'est hélas pas épargné !
En métropole, une espèce végétale sur 10 et une espèce de vertébrés sur 5 sont en péril.
Outre-mer, l'extinction d'une espèce au niveau locale d'une île signifie la disparition de l'espèce à l'échelle mondiale. Ainsi, au cours des quatre derniers siècles, 30 % des extinctions d'espèces de mollusques au niveau mondial ont eu lieu dans nos collectivités ultra-marines.
Vous le voyez, le constat est sans appel. Devons-nous pour autant considérer que la bataille est perdue ? Que tout effort est vain ?
Je suis persuadée que NON ! En aucun cas nous n'avons le droit de baisser les bras ! Car, l'enjeu est de taille : préserver la diversité des formes de vie sur Terre, ce n'est rien moins que veiller à notre propre " assurance vie " !
Cette diversité conditionne en effet directement les capacités d'adaptation du monde vivant. Elle constitue, en ce sens, un véritable "coffre-fort génétique " ! Le trésor qu'elle enferme n'est rien moins que l'avenir et l'existence même de l'Humanité.
Que ce soit au niveau génétique, au niveau des espèces ou des écosystèmes, l'Homme a trouvé dans la biodiversité une multitude de biens et de services que les sociétés ont su mettre à profit pour asseoir leur développement.
Il suffit d'évoquer les variétés alimentaires et ornementales tirées du monde végétal, les innombrables substances actives naturelles utilisées par notre pharmacopée, la gamme de fonctions hydrologiques offertes par les milieux
L'Homme a également créé un lien culturel avec la biodiversité en l'investissant de valeurs symboliques et identitaires, qui se traduisent notamment dans des savoirs et des pratiques traditionnelles, ou dans l'attachement aux paysages ou à des espèces symboliques.
Mais les modèles de développement, les processus de production et de consommation que nous avons privilégiés depuis plusieurs décennies ont perdu de vue notre relation forte avec la nature. Ils en ont ainsi méconnu les déterminants et ils en ont négligé la protection.
Il nous faut donc impérativement redresser la barre !
Au niveau national, je m'y attache depuis plusieurs mois avec l'élaboration de notre stratégie nationale pour la biodiversité. Une première étape a été franchie en février, lorsque j'ai présenté publiquement ses enjeux, ses finalités et ses grandes orientations
L'objectif est clair et simple : stopper la perte de biodiversité en France d'ici 2010.
Mais 2010, c'est demain ! J'ai donc voulu une stratégie courageuse et qui s'attaque aux racines mêmes du mal, au lieu d'apporter des " mesurettes d'apparence ".
J'ai voulu qu'une stratégie spécifique à la hauteur des enjeux permette à notre pays d'assumer ses responsabilités, tant au plan national qu'international.
Il s'agit, dans chaque domaine, de rendre les politiques existantes à la fois plus pertinentes et plus efficaces au regard de la préservation de la biodiversité.
Parce que la biodiversité est, comme la charte, l'affaire de tous les citoyens - vous en portez témoignage - et qu'elle " irrigue " toutes les politiques publiques, j'ai voulu associer largement la société civile dans la conception de notre stratégie.
Ma présence devant vous aujourd'hui me permet de saluer à nouveau l'énorme travail que votre conseil a fourni, dans des délais très contraints, et la qualité des recommandations produites en liaison très étroite avec l'UICN. Vous le savez, votre contribution a été très précieuse. Elle est allée au-delà des seules orientations pour entrer dans le détail des actions à conduire. Elle a largement nourri les réflexions conduites par un groupe de travail interministériel piloté par la direction de la nature et des paysages.
Nous avons identifié quatre orientations, pour certaines sur votre suggestion directe :
1- Premièrement, la biodiversité doit être l'affaire de tous, et pas seulement des spécialistes.
2- Ensuite, il est indispensable de reconnaître au vivant sa juste valeur, pour que les biens et les services fournis par la biodiversité soient réellement pris en compte.
3- Troisièmement, il faut améliorer la prise en compte de la biodiversité par les politiques publiques.
4- Enfin, il faut développer la connaissance scientifique et l'observation.
L'originalité et le courage de la stratégie française résident aussi dans un choix fort qui témoigne de la volonté de dépasser les seules incantations : celui d'une première série d'indicateurs biologiques portant sur l'état de la biodiversité afin de mesurer les progrès - ou les reculs ! - réalisés. Il est en effet fondamental, vous le savez tous, qu'ils figurent dès maintenant dans notre base de travail, même s'ils sont appelés à être complétés et améliorés.
Cette première étape de notre travail trouvera tout son impact concret avec l'adoption, d'ici juin 2004, de plans d'action opérationnels.
Leur préparation s'appuie d'ores et déjà sur l'ensemble des ministères concernés. Ils sont désormais nombreux à comprendre combien leurs actions sont, en la matière, vitales.
Mais les collectivités locales sont aussi directement interpellées par cette ambition. En liaison avec Brigitte Girardin, j'ai demandé aux collectivités de l'Outre-mer de se mobiliser au service de cette ambition commune. Elles le font avec dynamisme et inventivité. Je ne doute pas que les collectivités de métropole répondront tout aussi positivement.
Mais, au-delà de la mobilisation de nos élus, c'est la responsabilité directe et personnelle de chacun de nos concitoyens qu'il est urgent d'éveiller. Chacun de nous y est quotidiennement confronté à travers ses modes de production et de consommation, de déplacement, ses activités professionnelles ou ses activités de loisirs
Aussi, dans cette seconde phase de préparation des plans d'action, je souhaite ardemment, comme dans la première, poursuivre la concertation que nous avons engagée. Je compte donc, à travers l'implication du CNDD et de l'UICN France, sur la mobilisation de l'ensemble de vos réseaux.
Elle sera utile ponctuellement, sur tel ou tel plan d'action, mais surtout au plan transversal, pour réfléchir au suivi de la stratégie dans son ensemble et pour sa mise en oeuvre.
Parmi les plans d'action prioritaires de la stratégie nationale pour la biodiversité, figure celui que mon ministère prépare sur le " patrimoine naturel ".
Les premiers résultats des missions que j'ai mises en place au cours des douze derniers mois viennent nourrir la réflexion : mission du député Jean-Pierre GIRAN sur les parcs nationaux, rapport du sénateur Le Grand sur Natura 2000, diagnostic juridique sur la protection du patrimoine naturel en France, consultation des préfets de département et de région sur l'efficacité de nos politiques de la nature, plusieurs missions d'inspection sur la fiscalité du patrimoine naturel, sur les parcs naturels régionaux, sur l'interaction entre tourisme et patrimoine naturel
J'attends également beaucoup du dialogue constructif qui se noue dans les groupes de travail mis en place à ma demande par le directeur de la nature et des paysage sur la connaissance, la gestion concertée du patrimoine naturel, les relations Etat-collectivités et la thématique du paysage et de la publicité. Réunissant près de 80 organismes, ces groupes préparent la traduction concrète, dans le plan d'action " patrimoine naturel ", des enjeux, des finalités et des orientations de la stratégie nationale pour la biodiversité. Beaucoup d'entre vous sont mobilisés à un titre ou un autre dans cet exercice. Une nouvelle fois, je vous encourage à poursuivre.
Conclusion
Pour conclure afin de vous écouter, je dirais seulement que la préservation du vivant, et plus généralement de notre environnement, justifie tous nos efforts.
Votre présence au sein de ce comité montre que vous y êtes prêts. Merci de l'aide magnifique que vous m'apportez dans cette délicate mission.
(source http://www.environnement.gouv.fr, le 18 mars 2004)