Déclaration de M. Dominique Perben, ministre de la justice, sur la nécessité d'introduire dans le droit français des moyens permettant aux consommateurs d'intenter des actions collectives en justice contre les pratiques abusives constatées sur certains marchés, à Paris le 12 avril 2005.

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Circonstance : Installation du groupe de travail sur les actions collectives dans les cas de litige de consommation, à Paris le 12 avril 2005

Texte intégral

Me faisant l'écho de mon collègue Christian Jacob, je vous remercie vivement d'avoir bien voulu participer aux travaux en vue d'instaurer, dans notre droit, une action collective ouverte aux consommateurs.
Je voudrais rappeler quelques points de méthode concernant votre groupe ainsi que quelques idées sur le sujet des actions collectives qui me semblent importantes au moment où vos travaux s'engagent.
(1) Sur la méthode
Vous le savez, c'est le 4 janvier 2005, à l'occasion de ses vux aux forces vives de la Nation, que le Président de la République a souhaité que notre droit soit modifié pour permettre à des groupes de consommateurs et à leurs associations d'intenter des actions collectives contre les pratiques abusives observées sur certains marchés.
Il s'agit à l'évidence d'un projet d'ampleur, d'une mesure forte qui est de nature à modifier les équilibres du droit de la consommation, pour les consommateurs comme pour les professionnels.
Pour sa mise en uvre, il nous est apparu indispensable de réunir à la fois des consommateurs, des entreprises et des juristes : ceci explique la composition tripartite du groupe que vous formez. Je souhaite que chacun d'entre vous apporte son expertise propre, qu'il permette que tous les aspects de la réforme soient envisagés sans exclusive. Il vous faudra les peser, les analyser, tout au long de la réflexion que vous mènerez.
Les travaux de groupes comme celui ci-ci gagnent à se dérouler de façon sereine et ouverte. Nous savons cependant tous que sur le sujet des actions collectives des consommateurs des analyses divergentes sont apparues. Il vous faudra donc faire preuve de pragmatisme. Sans préjuger de l'issue de vos travaux, j'imagine aisément que le résultat de vos travaux puisse être, sur certains points, composé de plusieurs solutions, entre lesquelles le gouvernement pourra choisir.
(2) Je voudrais en quelques mots présenter les enjeux que je vois à cette réforme.
Trop souvent, les consommateurs se trouvent démunis face à des pratiques qu'ils ne comprennent pas, qu'ils jugent abusives.
Je suis aujourd'hui totalement convaincu du fait qu'aujourd'hui les consommateurs renoncent souvent à engager des actions judiciaires alors même qu'ils ont le droit pour eux.
La raison principale pour cela est que le montant de leur préjudice, purement matériel, est le plus souvent faible par rapport au coût de la procédure elle-même.
Comment sortir de cette anomalie ? Je suis, pour ma part, particulièrement attentif à trois éléments : favoriser l'accès de la justice à nos concitoyens, simplifier les procédures, privilégier le civil sur le pénal.
o favoriser l'accès de la justice au plus grand nombre ;
C'est l'aspiration générale des français. Y répondre est une des priorités du programme de la législature que la loi d'orientation et de programmation a consacrée. Nous sommes donc pleinement dans la logique de l'action de ce gouvernement pour la justice en allant de l'avant en faveur des consommateurs.
Mais encore faut-il avancer de façon ordonnée pour atteindre le seul objectif que nous poursuivons : faire en sorte que les préjudices que subissent les consommateurs cessent et puissent être réparés.
o simplifier les procédures.
C'est l'intérêt de chacune des parties comme du responsable de l'administration de la justice que je suis.
Nous ne vous demandons donc pas de réfléchir à des mécanismes judiciaires complexes ni à des procédures vouées à l'emballement, comme on le voit aux Etats-Unis dans les procédures de " class action ".
Je souhaite que cette réforme soit le plus possible conforme aux grands principes de notre droit écrit et à la volonté de simplification que je souhaite pour les procédures judiciaires. Il ne s'agit en particulier pas de faire la place dans notre pays à une nouvelle catégorie d'avocats à la déontologie critiquable, engageant, en encombrant les tribunaux, des actions publiques en espérant que certaines d'entre elles leur rapporteront des fortunes faciles.
o privilégier, en droit économique, l'action civile sur les procédures pénales dès lors qu'il s'agit d'indemniser des préjudices et non de lutter contre des troubles à l'ordre public.
Chaque année entre 2000 et 3000 condamnations sont prononcées par les tribunaux sur la base des infractions au code de la consommation. Beaucoup de dossiers aussi relèvent de poursuites ou de condamnations sur la base d'autres dispositions mais touchant directement à la consommation.
Dans la situation actuelle, nous connaissons des dossiers (Il s'agit du dossier " BENEFIC " où la Poste est poursuivie devant les tribunaux par des épargnants qui ont investi dans un produit d'épargne dont ils ont cru qu'il leur garantissait au moins le CAC40 en lisant la documentation commerciale mais qui, en pratique, s'est lourdement déprécié) où plusieurs centaines d'actions individuelles sont engagées devant les tribunaux. Certaines au civil, qui conduisent les entreprises à se défendre devant des dizaines de juridictions différentes. D'autres au pénal, car c'est le mode d'action le moins coûteux même s'il n'est pas le plus adapté.
Ma conviction face à une telle situation est que tout le monde y perd :
- les consommateurs car leurs dossiers sont construits et plaidés de façon plus ou moins efficace,
- les entreprises car elles doivent engager des frais pour se défendre devant des dizaines de juridictions ;
- l'administration de la justice, qui consacre des moyens importants sur ces cas sans disposer d'ailleurs de moyen structurel pour assurer rapidement des jurisprudences cohérentes.
(3) Je vous souhaite donc des travaux constructifs
A cet égard, dans le domaine de la consommation, comme dans d'autres, la réflexion ne peut pas être menée en ignorant ce qui se passe à l'extérieur de nos frontières.
Ainsi, au Québec, dont les fondamentaux juridiques sont proches des nôtres, un recours collectif, bien différent de celui des Etats-unis a été mis en place depuis 1978.
De même, au sein de l'Union européenne, la Suède et la Grèce, et, au delà, la Norvège, ont introduit dans leur droit une procédure d'action collective. Quant à l'Allemagne et à l'Italie, elles ont des projets avancés.
Le droit français de la consommation assure déjà une protection élevée des intérêts individuels. Il n'ignore pas non plus la protection des intérêts collectifs. Je pense à cet égard à l'action en suppression des clauses abusives et à l'action en représentation conjointe que vient d'évoquer Christian Jacob.
Vous pourrez proposer des solutions afin d'en améliorer encore l'efficacité. Ce faisant, je vous demande d'être attentifs à respecter les fondements de notre procédure civile, dont la cohérence et l'équilibre des droits entre les parties qu'elle assure, sont reconnus par tous les professionnels du droit, y compris au-delà de nos frontières.
Dans cette tâche, vous serez aidés par Guillaume Cerrutti, le directeur général de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes et par Marc Guillaume, le directeur des affaires civiles et du sceau. Je suis convaincu que la réflexion qui naîtra au sein de ce groupe sera fructueuse même si elle sera assurément animée.
(Source http://www.pme.gouv.fr, le 2 juin 2005)