Interview de M. Jean-François Copé, ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire, porte-parole du gouvernement, à "RMC" le 17 novembre 2005, sur la réforme fiscale et notamment son plafonnement de l'impôt par rapport aux revenus, le débat en cours sur la TVA, la grève à la SNCF et la réaction des pouvoirs publics face aux violences urbaines.

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Texte intégral

Q- Tout le monde aura-t-il bientôt une déclaration d'impôts pré remplie ?
R- On est en train de travailler très sérieusement là-dessus, on termine les évaluations. C'est une petite révolution, puisque l'objectif est que l'administration fiscale remplisse votre déclaration, sur la base des informations qu'elle reçoit de votre employeur, et vous, vous n'avez qu'à corriger si le chiffre est faux. Donc cela préfigure vraiment une sacrée modernisation de l'administration.
Q- C'est très important, ce sera dès l'année prochaine ?
R- Ce n'est pas encore complètement tranché, mais on est en train d'y travailler de près. On rencontre aussi les partenaires sociaux, parce que c'est une grosse réforme, mais enfin, on y travaille en tout cas...
Q- Donc probablement dès l'année prochaine, si tout se passe bien ?
R- Voilà, si tout se passe bien, sur le plan, si je puis dire, industriel, si tout le monde est d'accord, on va aller en tout cas le plus loin possible dans cette modernisation-là aussi.
Q- Regardons la réforme fiscale : le projet du Gouvernement, au départ, était de plafonner les niches fiscales, c'est-à-dire le montant que l'on déduit des déclarations de revenus. Les déductions devaient être plafonnées à 8.000 euros, plus 1.000 euros par enfant, emplois familiaux compris. Des députés ont changé le dispositif ,en décidant de sortir les emplois familiaux de ce dispositif. Qu'en dites-vous ?
R- Non, les emplois familiaux sont dedans ! Il y a eu un petit débat hier soir, très tardif, c'est ce qui explique que je sois par téléphone et je vous prie de m'en excuser. En réalité, c'est sur le dispositif des travaux liés à la loi Malraux, pour les bâtiments qui sont classés. Et des députés souhaitaient sortir tous ces travaux-là du plafonnement. Alors, on a eu un petit débat, mais on va continuer d'avancer là-dessus. Non, le principe est que comme on instaure un plafonnement global, c'est-à-dire qu'aucun français ne pourra payer plus de 60 % de ses impôts par rapport à ses revenus, en incluant les impôts locaux, en même temps, on plafonne ce qu'on appelle les niches, c'est-à-dire les avantages en fait, pour qu'il n'y ait pas des gens qui puissent par exemple ne plus rien payer du tout en impôts sur le revenu...
Q- Le montant total des impôts, impôt sur le revenu, impôt de solidarité sur la fortune, taxe d'habitation...
R- Et impôts locaux...
Q- Taxe foncière, ne pourra pas dépasser 60 % de ses revenus ?
R- Voilà, c'est exactement ça. Et il faut savoir que 90 % des bénéficiaires de cette mesure sont des gens qui sont dans les tranches d'imposition les plus faibles. Parce qu'en réalité, c'est l'agriculteur qui a eu une mauvaise année, c'est l'exploitant, le créateur d'entreprise qui a eu une mauvaise année... Vous voyez, il y a beaucoup de gens qui peuvent se trouver dans cette situation-là et donc c'est évidemment un élément important...
Q- Mais il n'y a que 5 % des Français qui gagnent plus de 40.000 euros par an quand même ?
R- Dedans, oui... Mais vous savez, les Français, les uns comme les autres, si certains d'entre eux sont surfiscalisés, comme c'est parfois le cas, jusqu'à 130 %, ils quittent la France. Donc là, on n'a plus que nos yeux pour pleurer, parce qu'ils ne paient même plus d'impôts en France.
Q- Bien, c'est la réponse que vous faites à tous ceux qui disent que vous avez choisi de favoriser les plus riches...
R- Oui, vous savez, ce sont des débats à l'ancienne qui, je trouve, n'ont plus beaucoup de sens. D'ailleurs, on a eu un sondage très intéressant d'un institut, qui est l'Institut CSA, qui montre que 70 % des Français sont favorables à ce plafonnement, tout en ayant bien conscience que cela peut profiter majoritairement à des gens modestes, mais aussi à des gens aisés, parce que derrière ça, il y a une seule et même France, et on a besoin de tout le monde pour réussir et se redresser.
Q- La restauration de la TVA à 5,5 est pour quand ?
R- Malheureusement, ce n'est pas encore tranché, parce que c'est un rendez-vous que nous allons avoir avec Bruxelles, dans les jours qui viennent...
Q- Mais cela fait trois ans que j'entends ça !
R- Oui, mais que voulez-vous que je vous dise ! Vous savez, cela fait partie des contraintes fiscales qui sont évoquées à Bruxelles et donc c'est à l'ordre du jour du prochain conseil...
Q- Et la TVA sur les travaux de rénovation ?
R- Même remarque... C'est au même ordre du jour !
Q- C'est-à-dire que rien n'est décidé sur cette TVA pour 2006 ?
R- Cela va se décider dans les jours qui viennent, puisque je vous dis c'est à l'ordre du jour du prochain conseil à Bruxelles...
Q- Et il faut maintenir basse cette TVA !
R- A qui le dites-vous ! J'en suis bien convaincu.
Q- Vous allez vous battre pour ça ?
R- Bien sûr...
Q- Comment jugez-vous la grève à la SNCF ?
R- Ce sont des sujets sur lesquels on est souvent à tous se répéter... Que puis-je vous dire, si ce n'est que le droit de grève est évidemment respectable, et qu'en même temps, dans cette période si difficile, nous avons besoin de la mobilisation de tout le monde. J'espère que les procédures qui ont été mises en place par l'entreprise, et que le ministre des Transports a beaucoup encouragées, avec le principe de l'alerte préalable, permettront de faire en sorte que les usagers soient le moins gênés possible.
Q- Est-ce que cela vous paraît moderne, d'actualité, après tout ce qui s'est passé ?
R- Oh ! La question est dans la réponse...
Q- Si j'ai bien compris, vous êtes prudent ?
R- Ce n'est pas ça, mais vous savez que ce sont des sujets éternels, il n'est pas utile d'attiser les choses. La seule chose que je veux dire, c'est que j'espère que tout ce que nous mettons en place en terme d'alerte préalable par rapport aux grèves dans les transports et dans les services publics, permettra aux usagers d'être le moins gênés possible. Parce que dans cette période on en appelle à la responsabilité de tous...
Q- Concernant les violences urbaines, plusieurs mesures ont été annoncées par le Premier ministre et le président de la République, le ministre de l'Intérieur aussi puisqu'il faut tous les associer maintenant : recrutement à compter de janvier 2006, par le ministère de l'Intérieur, de 2.000 agents supplémentaires pour les quartiers défavorisés ; 100.000 bourses au mérite à la rentrée 2006, contre 30.000 actuellement ; création de 5.000 postes d'assistants pédagogiques dans les 1.200 collèges des quartiers sensibles... Comment allez-vous financer tout cela ?
R- Tout cela va se financer par redéploiement, de telle manière que nous restions bien dans les limites budgétaires qu'a fixées le Premier ministre. Mais c'est vrai que ce travail est en pleine discussion, puisque nous continuons d'y travailler jusqu'à mardi prochain à l'Assemblée. C'est ce qui explique d'ailleurs qu'on termine très tard dans la nuit. Mais l'objectif est évidemment qu'on assume nos responsabilités, parce qu'il y a des besoins urgents et qu'il était très important d'adresser un geste à tout le monde et de montrer qu'on est très mobilisé. Rétablissement de l'autorité publique, je crois que le message a été clairement entendu par tout le monde. Mais aussi un certain nombre de crédits, par exemple pour accélérer aussi les démolitions reconstructions. Je peux témoigner par exemple, dans ma ville de Meaux, des résultats qu'on obtient quand on fait ce genre de chose et y compris en terme d'apaisement.
Q- Vous avez reçu, lundi, la presse étrangère pour expliquer que la France n'était pas à feu et à sang. Et la même journée, vous décrétez l'état d'urgence pour trois mois. N'y a-t-il pas là un paradoxe ?
R- Non, parce que cela va tout à fait dans le même sens. C'est simplement parce que le message que j'ai voulu adresser à la presse internationale, c'était tout simplement de leur dire qu'il faut faire parfois un peu attention à ce que certaines images ne déforment pas la réalité de la situation. Donc je n'étais pas là du tout, contrairement à ce que j'ai lu, pour donner des instructions : c'est ridicule, ce n'était pas du tout ça. C'est parce que quand vous voyez sur des télévisions étrangères des images qui déforment la réalité de notre pays, qu'on aime notre pays et qu'on a envie qu'il continue d'être attractif, on adresse simplement quelques éléments d'informations. C'est ce que j'ai fait et j'en ai profité pour dire que ce que nous avons vécu ces derniers jours, cela a déjà été vu dans d'autres pays occidentaux - je pense aux Etats-Unis, je pense à la Grande Bretagne ou à d'autres pays encore - et que malheureusement qu'aucun pays n'est à l'abri. Donc voilà, nous avons assumé nos responsabilités, mais je crois que ce n'était pas forcément inutile que des responsables gouvernementaux s'adressent à la presse internationale. Nous le faisons beaucoup avec la presse nationale, il me semble qu'avec la presse internationale, ce n'est pas inutile d'adresser des messages. Je l'ai fait en français et puis je l'ai même fait un peu en anglais, pour être sûr d'être bien être entendu.
Q- Le ministre délégué à l'Emploi, G. Larcher, et B. Accoyer, président du groupe UMP à l'assemblée, font le lien entre violences urbaines et polygamie. N'est-ce pas dangereux, quand on sait que cela représente que 20.000 à 30.000 familles en France ?
R- On ne peut pas faire un lien aussi étroit, c'est évident. Il y a là des sujets qui sont majeurs et qui nous obligent tous à aborder la réalité des quartiers difficiles telle qu'elle est. C'est-à-dire des situations d'échecs d'intégration dans certains domaines et des situations qui sont liées à des vies quotidiennes qui sont vraiment très difficiles. La polygamie, c'est quoi ? C'est d'abord le problème de famille qui sont en sur occupation dans les logements. Et donc évidemment, derrière ça, il y a des risques de débordement très important. Donc il y a d'abord un travail de rétablissement de l'ordre public et vous avez vu que dans ce domaine, on a dit des choses et on fait les choses. Et puis, en même temps, il va falloir, dans les semaines et les mois qui viennent, aborder le problème jusqu'au fond des choses. Dire qu'on ne peut pas, comme ça, continuer d'avoir une telle surconcentration dans un même logement. Pour le reste, il y a aussi l'application de la loi. Mais vous voyez bien que pour l'essentiel, on gère des situations de fait et que tout cela veut dire aussi pour l'avenir, lutter contre l'immigration irrégulière de manière beaucoup plus efficace. Et c'est évidemment tout le travail que nous menons. Bref, on le voit bien, c'est un sujet à causes multiples...
Q- Allez-vous modifier la loi sur le regroupement familial ?
R- Pour l'instant, ce point n'a pas été tranché. On voit bien que derrière tout cela, l'immigration illégale est une très grande difficulté, mais on ne peut pas dire que c'est la cause de nos problèmes dans les banlieues en terme d'insécurité. Parce que la plupart des gens qui étaient malheureusement, et pour certains d'entre eux, hélas, très jeunes, en train de brûler des voitures ou commettre des exactions, ce ne sont pas des étrangers en situation irrégulière. Ce sont des gens très jeunes, dont on voit bien aujourd'hui qu'ils sont totalement en perte de repères, d'éducation etc. Donc il faut parler de sanction, mais il faut aussi parler de présence, de prévention. Et quand on parle de citoyenneté, quand on veut introduire le service civil comme le souhaite le Président, vous voyez bien derrière tout ça que c'est une société entière sur laquelle il faut adresser des nouveaux messages en terme de responsabilité. C'est à cela qu'il faut continuer de s'employer.
Q- Puisqu'on parle de responsabilités, n'y a-t-il pas quand même effet d'annonce insupportable, quand on entend un ministre de l'Intérieur nous dire que tous les étrangers qui ont été interpellés en situation régulière ou irrégulière, fauteurs de troubles, seront expulsés, alors que dix procédures seulement sont engagées... L'effet d'annonce !
R- Mais enfin, il n'a jamais été dit que cela concernait un nombre très important de personnes. En revanche, il est assez cohérent et logique que lorsque l'on constate que des gens sont en première ligne dans des violences absolument inacceptables, il y ait une réponse qui soit apportée. Enfin, je ne sais pas ! Il me semble quand même que sur ces sujets-là, on peut peut-être se retrouver sans forcément faire de la polémique. Je crois que tous les Français sont conscients que dans un sujet comme celui-là, il faut apporter une réaction du Gouvernement. Il me semble quand même que ce sont des sujets sur lequel on peut peut-être se retrouver.
Q- Est-ce qu'on peut aller jusqu'à retirer la nationalité française à des délinquants qui étaient dans la rue, qui brûlaient des écoles, des voitures, des bâtiments publics ?
R- Non, mais en l'occurrence, ce qui a été évoqué, c'est pour les étrangers qui sont en situation irrégulière...
Q- Mais certains le demandent...
R- Non, mais enfin, ce n'est pas le sujet ! Le sujet est que notre pays soit capable d'assumer une politique de rétablissement de l'autorité publique, tout en comprenant bien que cela ne peut être simplement la sécurité le problème. On voit bien qu'aussi qu'il faut se tourner vers l'avenir et que l'avenir, c'est beaucoup plus d'emplois, c'est beaucoup plus de prévention, c'est un système éducatif qui soit mieux adapté à une partie de nos concitoyens qui sont aujourd'hui perdus, et qui commettent des actes d'autant plus inacceptables qu'il y a un certain nombre de messages qu'il faut leur adresser et qui ne leur sont pas adressés. Et donc tous ces actes de violence doivent donner lieu à des réponses à chaque fois, de manière systématique. Le pire, c'est lorsque l'on ne répond pas. J'avais pu en faire la mesure à Meaux : lorsque toute la chaîne est organisée, police, acteur de la prévention, Parquet et qu'on travaille tous ensemble, régulièrement, quartier par quartier, immeuble par immeuble, qu'on voit où se trouvent des gens qui commettent des exactions, qu'il y a à la fois des sanctions et des réponses qui sont apportées, au bout d'un certain temps, vous n'avez plus le même quartier. Voilà, c'est à ça qu'il faut travailler partout. Et de ce point de vue, le rôle des maires est majeur.
Q- J'ai une dernière question, qui nous vient d'un auditeur de RMC, qui habite la région lyonnaise. Pour lui, de nombreuses personnes ont vu leur voiture incendiée. Pour certains d'entre eux, il va falloir en acheter une nouvelle, mais le seul prix de la carte grise est souvent prohibitif au regard au prix d'un véhicule d'occasion ancien. L'Etat et les conseils généraux ne pourraient-ils pas faire un effort en donnant une carte grise gratuite à tous ceux dont la voiture a brûlé ?
R- Sur ce sujet des indemnisations, on est en train de bâtir tout le plan, parce qu'il y a beaucoup de choses. Vous parlez de la carte grise, mais il y a de manière générale, les véhicules incendiés pour lesquels il faut une indemnisation très rapide. Il y a la question de la franchise : votre auditeur parle de la carte grise, il a raison, mais il y a aussi la franchise. Donc beaucoup de compagnies d'assurances par exemple, que T. Breton a réunies, ont dit qu'ils n'appliqueraient les franchises. Ca aussi, on va le suivre de très près. Il y a les commerces, il y a les biens communaux, sur lesquels là aussi, mon collègue Dutreil travaille...
Q- Mais si ayant une voiture brûlée, j'achète une autre voiture et l'Etat m'offre la carte grise, ce ne serait pas mal, non ?
R- Ecoutez, pourquoi pas ! On va regarder aussi cet élément-là, c'est vrai que jusqu'à présent, il ne m'était pas encore revenu aux oreilles. On avait beaucoup parlé des franchises, on avait parlé des commerces qui étaient brûlés. C'est vrai qu'il y a aussi la carte grise, il faut regarder. Je ne peux pas vous répondre aujourd'hui. En tout cas, il y a une chose que je peux vous dire : c'est que sur ce sujet-là, cela vaut la peine d'être un peu rassemblés. Il y a des tas d'autres domaines sur lequel la gauche et la droite passent leur temps à s'invectiver, mais il me semble que sur ces sujets-là, l'urgence est de se retrouver ensemble, parce que ce n'est ni de gauche, ni de droite, c'est un combat qu'on doit mener ensemble.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 21 novembre 2005)