Déclaration de M. Dominique Bussereau, ministre de l'agriculture et de la pêche, sur l'importance de l'agriculture et de la sylviculture pour la conservation et le développement de la montagne, Piedicroce, Haute-Corse, 21 octobre 2005.

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Circonstance : XXIème Congrès de l'ANEM (Association Nationale des Elus de la Montagne), 20-22 octobre 2005 à Piedicroce (Haute-corse)

Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Parlementaires,
Mesdames et Messieurs les Elus,
Mesdames, Messieurs,
Je suis très heureux de participer à votre réflexion sur la montagne et son avenir. La montagne, chacun le mesure, est un des atouts de notre pays. Elle participe de la variété de nos paysages, si recherchée des nombreux touristes visitant notre pays. Elle est une part de notre identité nationale mais a aussi son identité propre. La montagne, ce sont d'abord des hommes et des femmes dotés d'une grande force de caractère et jaloux de leur histoire, que je salue à travers vous.
L'espace montagnard français s'étend sur près du quart du territoire national avec sept massifs qui présentent à l'évidence des différences. Mais cet espace forme, et particulièrement pour l'agriculture, une communauté qui est aussi une communauté de handicaps structurels. Je ne les rappellerai pas tant ils sont connus de vous, qu'il s'agisse des conditions naturelles, géographiques, économiques avec les surcoûts, etc.
Pour le développement durable de cet espace, les activités agricoles et sylvicoles jouent un rôle absolument déterminant, d'abord en tant qu'activités économiques à part entière, mais aussi par la valorisation, la préservation et l'entretien de la montagne.
Fort de cette conviction du rôle irremplaçable de ces activités pour la montagne, j'apporterai ma contribution à vos travaux selon trois axes en :
- réaffirmant combien l'agriculture et la sylviculture sont des atouts pour la montagne ;
- rappelant la place centrale du pastoralisme dans cet environnement ;
- faisant un point d'actualité du projet de loi d'orientation agricole.
I - Nous voulons construire un avenir pour l'agriculture de montagne
I - 1 Quel est cet avenir ? Celui d'une activité économique dont la viabilité est liée au développement de productions de qualité et au maintien de son rôle environnemental et social.
La place de l'agriculture est essentielle pour la montagne : la population agricole y représente près de 10 % de la population active des différents massifs, ce qui est le double de la moyenne nationale.
Les exploitations agricoles montagnardes - près de 15 % du total des exploitations françaises - ont su s'adapter à des conditions naturelles difficiles. Elles ont fait le choix de la diversification économique, et la pluriactivité de l'agriculture est la première caractéristique de l'économie agricole des zones de montagne.
L'élaboration de produits spécifiques de montagne, à forte notoriété qualitative et valorisant le travail des exploitants de montagne, est une seconde caractéristique. Le débat, lors de l'examen de la loi d'orientation agricole par les Députés, a témoigné de la préoccupation des élus de la montagne pour les signes de qualité ; vous le savez, le texte adopté à l'issue du vote de la loi à l'Assemblée nationale permet aux AOC qui le souhaitent de cumuler leur dénomination avec la mention " montagne ".
I - 2 L'indispensable soutien à l'agriculture de montagne doit être maintenu. Il passe principalement par la compensation des handicaps naturels et les mesures agro-environnementales.
* Les aides spécifiques aux zones de montagne sont totalement justifiées par des handicaps reconnus et elles ne sauraient être remises en cause.
C'est aussi le cur de vos préoccupations et je tiens à vous assurer de ma vigilance sur la bonne prise en compte des enjeux attachés à cette compensation pour handicaps.
Les Indemnités Compensatoires de Handicaps Naturels (ICHN) en constituent le principal instrument : près de 500 M euros attribués sont attribués, chaque année, à la montagne. Elles ont été fortement revalorisées depuis 2003 avec 30 % d'augmentation pour les 25 premiers hectares.
Ces soutiens doivent être poursuivis. Je puis vous assurer que, lors des négociations sur le FEADER, la France a été particulièrement attentive à ce que la spécificité des zones de montagne soit maintenue.
D'ores et déjà, le règlement prévoit la poursuite de la reconnaissance de la spécificité des zones de montagne avec des critères inchangés (altitude, pente), le maintien du niveau plafond d'ICHN-montagne à 250 euros/ha et des bonifications de 10 % des plafonds d'intervention pour les aides à l'investissement dans les exploitations et une partie des aides forestières.
Nous restons vigilants dans le cadre des travaux en cours ; j'ai constitué un comité qui regroupe l'ensemble des partenaires, notamment l'ANEM, pour l'élaboration du Plan Stratégique National (PSN) dans le cadre de la programmation 2007-2013.
D'autres subventions spécifiques comme l'aide à la mécanisation visent à compenser les surcoûts et présentent des majorations pour les zones de montagne ou haute montagne.
De même, la spécificité de la montagne n'a pas été méconnue dans le cadre du Plan National des Bâtiments d'élevage (80 M euros en 2005). Les plafonds atteignent 45 000 euros en montagne (50 000 euros en haute montagne) contre 27000 euros en plaine et les taux de subvention sont portés de 30 % à 45 %.
S'agissant de l'activité laitière, en plus des efforts importants accomplis par l'Etat et l'interprofession dans le cadre de la gestion des quotas, un soutien spécifique se justifierait pleinement en raison des contraintes supportées en zone de montagne. J'ai récemment sollicité la Commission européenne afin d'étudier la possibilité d'une aide à la collecte dans les zones de montagne dans le cadre de la nouvelle enveloppe 2006 de développement rural.
·* L'importance, dans les zones de montagne, des mesures de protection de l'environnement que sont les primes herbagères agro-environnementale (PHAE) et les Contrats d'Agriculture Durable (CAD) justifient la volonté de défendre ces acquis des mesures du 2ème pilier de la PAC.
En effet, en 2004, la PHAE a concerné plus de 56 000 bénéficiaires pour 3,130 millions d'hectares. Le montant total des dépenses s'élevait à 211 millions d'euros, les régions de montagne étant les plus concernées en nombre de contrats et en surfaces engagées.
De même, la moitié des 10 000 CAD signés en 2004 a bénéficié aux agriculteurs de montagne. En 2005, une enveloppe de 270 millions d'euros permettant la contractualisation de 10.000 nouveaux contrats est ouverte.
L'agriculture de montagne occupe par conséquent une place justifiant que les massifs montagnards constituent une priorité dans l'action communautaire consacrée au développement rural. L'enveloppe que consacrera l'Union européenne au développement rural, résultera du débat sur ses perspectives financières.
- S'agissant de la gestion de ces aides, j'ai demandé que l'on vérifie s'il existait des marges de manoeuvre nationale permettant de raccourcir les délais de versement en cas de contrôle et ainsi conforter la trésorerie des agriculteurs.
Après examen, j'ai décidé qu'un acompte sera versé pour toutes les " mesures surfaces " du règlement de développement rural (ICHN, PHAE, CAD, CTE) sans attendre les conclusions du contrôle.
Cette mesure prend effet en 2005 pour l'ICHN lorsque les contrôles ont été faits par télédétection et sera élargie en 2006 à tous les types de contrôles et pour toutes les mesures. Cela permet de réduire les délais de 2 à 3 mois et parfois plus.
- Par ailleurs, s'agissant des soutiens nationaux et communautaires à la forêt et à la filière bois (415 millions d'euros d'aides directes en 2004), la part de la montagne est très significative.
La forêt de montagne, 4,6 millions d'ha (30 % de la forêt métropolitaine), absorbe un tiers des financements du Ministère (hors tempête) dédiés à la politique forestière. Des mesures sont réservées à la montagne (majoration du versement compensateur alloué à l'ONF, restauration de terrains, aide au renouvellement de forêts à fonction de protection) et les subventions y sont généralement majorées de 10 %.
II - Le pastoralisme est caractéristique d'un territoire montagnard à la fois espace de production, de préservation de l'environnement et de loisirs. Il est impératif de le soutenir.
60 000 exploitations agricoles trouvent leur équilibre dans la pratique d'une transhumance individuelle ou collective: 1,4 million d'hectares sont parcourus chaque année par près de 2,5 millions de bovins, 4 millions d'ovins, plus de 220 000 caprins et 76 000 équins. Près de la moitié de ces surfaces sont exploitées sous forme collective.
·* Plusieurs aides, pour un montant annuel de 16 millions d'euros, ont été mises en place pour soutenir le pastoralisme :
- aides aux investissements pastoraux, notamment pour le débroussaillement et la modernisation de la logistique pastorale ;
- programmes de démonstration et de sensibilisation à l'aménagement et à la gestion des équipements et des sites pastoraux.
II - 1 Il faut résolument poursuivre l'équipement du domaine pastoral
Il faut d'abord que les conditions d'hébergements et de dessertes soient satisfaisantes pour les hommes comme pour les animaux. C'est, à mes yeux, une priorité absolue pour tous les massifs.
Pour plus de lisibilité dans la prochaine programmation, je souhaite que chaque action soit reliée à un financement, et réciproquement, dans un cadre national clairement établi.
Chaque Préfet de Région, en concertation avec les autres Préfets du massif, doit définir les critères d'éligibilité au plus près du terrain. Quant aux collectivités territoriales, je les invite à compléter l'action de l'Etat pour répondre aux spécificités locales, tout en ayant accès aux cofinancements européens.
II - 2 Assurer l'entretien de l'espace pastoral est une nécessité
L'exploitation pastorale a connu un regain d'intérêt du fait des soutiens aux pratiques d'extensification mis en place depuis une quinzaine d'année. Alors que la surface herbagère a régressé de près de 20 % entre les deux derniers recensements agricoles, le domaine pastoral s'est agrandi de 50 000 ha.
L'exploitation collective des estives et alpages doit être sécurisée. Mes services proposeront prochainement des statuts-types de groupements pastoraux, adaptés à la réalité des activités des exploitants. Membres d'un groupement pastoral, ils doivent partager avec celui-ci la responsabilité de la bonne exécution des engagements agro-environnementaux souscrits.
J'ai obtenu lors des négociations du prochain règlement de développement rural que le bénéfice des mesures agro-environnementales puisse être conservé par l'exploitant de l'estive sans obligation de reversement aux propriétaires des animaux.
D'ores et déjà, un arrêté publié le 17 juin dernier modifie les aides accordées aux titulaires de contrats d'agriculture durable. Il permet de tenir compte du nombre d'exploitants pour fixer le niveau d'aide accordé à son gestionnaire que ce soit une personne physique ou morale.
II - 3 Une vigilance accrue sur le loup et l'ours s'est imposée pour répondre aux préoccupations des éleveurs : il en va de la protection des troupeaux et de la dignité du travail accompli par les exploitants
Deux remarques liminaires sur ce dossier : notre pays est lié par des engagements internationaux et la responsabilité première ne relève pas du Ministère dont j'ai la charge.
·* S'agissant du loup, conformément à la demande qu'ils exprimaient depuis longtemps, les éleveurs ont été autorisés cette année à se défendre.
Le groupe national, réunissant les élus, les éleveurs, les associations de protection de la nature et l'administration a montré sa capacité à trouver des solutions et proposer des avancées. Les tirs de défense peuvent être autorisés par les Préfets au bénéfice de l'éleveur ou de la personne que ce dernier désigne pour cette mission.
Je viens de demander à ma collègue en charge de l'écologie, Nelly OLIN, que le dispositif de prélèvement de loup pour 2006 soit assoupli. Le protocole d'intervention doit être plus opérationnel : le principe des tirs de défense doit devenir une réalité pour chaque éleveur.
Par ailleurs, les éleveurs peuvent souscrire un contrat de prévention connu sous le nom de " Mesure T ". En 2005, 232 nouveaux contrats sont venus s'ajouter au 241 souscrits en 2004. Cette année, 2,8 millions d'euros dont 50 % financé par l'Union européenne y sont consacrés. Incontestablement, ces mesures permettent de réduire le nombre de victimes par attaque.
Le groupe national doit maintenant travailler à la définition et au respect de la zone acceptable de présence des loups.
·* Nelly OLIN a précisé récemment la mise en uvre du renforcement de la population d'ours : 5 ours seront réintroduits au printemps 2006 sans phase ultérieure.
L'ours est une réalité et le maintien d'une population oursine quelle qu'en soit la souche implique que soit gérée la cohabitation avec le pastoralisme.
Le travail de réflexion nécessaire doit s'insérer dans le cadre plus général de soutien de l'économie pastorale des Pyrénées, particulièrement fragile. Une première réunion de travail a eu lieu à Toulouse le 12 septembre ; j'ai souhaité que le bureau du comité de massif soit désormais étroitement associé à ce plan d'action pour lequel des crédits spécifiques seront alloués pour cinq ans.
III - La loi d'orientation agricole et la Montagne : de nouvelles avancées sont enregistrées même si l'agriculture de montagne avait été abordée longuement dans le cadre de la loi sur le développement des territoires ruraux.
La loi d'orientation agricole intervient après l'adoption de la loi sur le développement des Territoires Ruraux. " Si la montagne est rurale, la ruralité n'est pas toute entière montagnarde ", mais la loi du 23 février a tout de même consacré un titre spécial à la montagne, avec 27 articles. Elle a ainsi actualisé la " loi Montagne " de 1985.
Cet enchaînement des deux textes explique que le projet de loi d'orientation agricole n'ait pas présenté un volet spécifique à la montagne. D'ailleurs, les remontées des débats régionaux organisés lors de la préparation de la loi d'orientation n'ont en quasi totalité fait remonter que des préoccupations relevant du niveau réglementaire.
Cela étant, j'ai constamment indiqué que je reste ouvert aux propositions ; à cet égard, des Députés ici présents sont à l'origine d'avancées intervenues lors du débat à l'Assemblée Nationale.
Les travaux au Sénat au début du mois prochain permettront sans doute encore d'affiner la prise en compte des particularités montagnardes.
III - 1 La loi du 23 février 2005 tient compte de la décentralisation et de la diversité des territoires de montagne.
Vous me permettrez de citer les seules mesures exemplaires de la loi de février 2005 modifiant la " loi montagne ". Ainsi, la nouvelle rédaction favorise la coordination des structures administratives concernées par la gestion d'un même massif montagneux en renforçant le rôle des comités de massif. Sur le plan économique, la loi offre également un nouvel élan aux activités de montagne avec un dispositif des zones de revitalisation rurale (ZRR) élargi.
Ce texte prévoit également le renforcement des services publics de proximité et l'amélioration de la prise en compte de la pluriactivité.
De plus, la loi de développement des territoires ruraux sécurise l'activité pastorale et simplifie les procédures. Aucun décret n'étant prévu sur ce volet du pastoralisme, j'adresserai dans les prochains jours une courte circulaire aux Préfets pour bien situer ces avancées législatives dans le droit du pastoralisme.
III - B Le Projet de Loi d'Orientation Agricole : un nouveau cadre pour une agriculture moderne et forte y compris en montagne.
Le projet de loi d'orientation agricole, adopté à l'Assemblée Nationale mercredi dernier, donne à l'agriculture française les moyens de s'adapter à son nouvel environnement économique ; il permet aux exploitants agricoles d'exprimer pleinement leur capacité d'initiative. La loi d'orientation ouvre des perspectives pour l'agriculture des 15 prochaines années dans le cadre d'une PAC réformée et d'une concurrence internationale accrue.
·* Le projet de loi présente quatre orientations pour l'avenir de l'agriculture française qui intéressent largement la montagne :
- performance économique, dont l'organisation économique et l'allègement des charges constituent les aspects principaux ;
- démarche d'entreprise, qui met l'accent sur l'initiative et la responsabilité individuelles, confortée par le fonds agricole et le bail cessible ;
- simplification de l'organisation et des procédures administratives facilitant le travail des exploitants ;
- attention plus grande aux attentes de la société. Diverses mesures sont prévues pour améliorer la sécurité sanitaire des produits et leur qualité ainsi que pour préserver l'environnement .
·* Des mesures importantes spécifiques à la montagne ont pu être adoptées lors de ce premier débat :
- L'adoption du principe selon lequel un code de la montagne sera élaboré ;
- La possibilité de cumuler la dénomination " Montagne " et une AOC, et l'obligation faite aux commissions des organisations professionnelles traitant de la dénomination " Montagne " de se réunir une fois par an ;
- La création d'une commission spécialisée " qualité et spécificité des produits de montagne " au sein des Comités de Massif ;
- Un traitement différencié, par décret, des conditions d'épandage.
Conclusion :
L'agriculture et la forêt constituent des composantes irremplaçables de l'identité montagnarde. Je tiens à vous assurer qu'aussi bien au niveau communautaire que national, toute mon action est orientée vers la meilleure prise en compte possible de leurs spécificités pour assurer leur développement et leur promotion.
Je vous remercie de votre attention.
(Source http://www.anem.org, le 8 novembre 2005)