Déclaration de M. Charles Josselin, ministre délégué à la coopération et à la francophonie, sur la protection des droits de l'homme dans le monde et des droits de la défense, sur l'indépendance de la justice et l'institution de la Cour pénale internationale, Paris le 12 novembre 1998.

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  • Charles Josselin - Ministre délégué à la coopération et à la francophonie

Circonstance : Conférence de Paris des Droits de l'Homme organisée par le Barreau de Paris, à Paris le 12 novembre 1998

Texte intégral

Madame le Bâtonnier,
Eminence,
Mesdames et Messieurs,

C'est avec joie que j'ai accepté de participer à la journée du Barreau de Paris consacrée à cette grande et urgente question des droits de la défense dans le monde : un monde qui, dit-on, se globalise, mais où les Droits de l'Homme en général et ceux de la défense en particulier vivent des situations extrêmement inégales. C'est un constat que chacun peut établir au fil de ses déplacements - je reviens du Congo et j'accompagnerai en fin de semaine le président de la République au Guatemala, où je m'étais rendu en mission il y a dix-huit ans avec l'un de vos confrères de la Fédération internationale des Droits de l'Homme, dans un contexte troublé par l'assassinat de Mg Romero, survenu dans un pays voisin quelques jours auparavant-.
Et pourtant, quel meilleur étalon de la démocratie, de l'Etat de droit, de la protection effective des Droits de l'Homme que cette question des droits de la défense ?
"Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée n'a point de constitution". Les termes de l'article 16 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen portent en germe l'exigence de justice qui fonde le combat pour les droits de la défense. Ils ont été précisés dans la Déclaration universelle des Droits de l'Homme, dont nous célébrerons ensemble, le 10 décembre prochain, le cinquantième anniversaire.
Le droit à un procès équitable y est expressément consacré. On sait quel parti en a tiré la Cour européenne des Droits de l'Homme pour permettre l'évolution de notre droit pénal et disciplinaire - Jean-Pierre Cot et le bâtonnier Louis Pettiti vous en entretiendront cet après-midi -.
Mon propos n'est pas, bien sûr, de vous faire un cours sur un principe dont vous êtes, partout dans le monde, les défenseurs infatigables, mais de vous assurer de mon engagement personnel, de celui d'Hubert Védrine, ministre des Affaires étrangères, et de celui du gouvernement français tout entier pour la cause des Droits de l'Homme.
S'engager pour la protection des Droits de l'Homme dans le monde, cela veut dire tout d'abord que leur violation ne doit pas rester impunie. En cinquante ans, les progrès accomplis dans cette voie sont impressionnants. Le travail des tribunaux de Nuremberg et de Tokyo, les principes énoncés dans la Déclaration universelle de 1948, repris dans les pactes de 1966, déclinés dans plusieurs dispositifs régionaux - je pense notamment à l'Europe et à l'Amérique latine -, ont donné naissance à un corpus juridique dont le respect doit être d'abord assuré par les juridictions nationales. Mais sans préjudice d'approches plus souples (songeons à la " Commission réconciliation et vérité " en Afrique du Sud ou à la " Commission de la vérité " au Salvador), il fallait renforcer la voie juridictionnelle par l'institution d'une Cour internationale complémentaire des tribunaux internes, à vocation universelle.
Les tragédies yougoslaves et rwandaises ont, comme vous le savez, donné une impulsion déterminante à ce projet, en suscitant la création de tribunaux pénaux ad hoc. Voici maintenant que, cinquante ans après l'adoption de la Déclaration universelle des Droits de l'Homme, la création d'une juridiction pénale internationale de nature permanente est devenue une perspective tangible. Et je me félicite tout particulièrement du rôle actif joué par notre pays, cet été, dans le succès de la Conférence de Rome qui a abouti à cet événement considérable.
L'impératif moral de la lutte contre l'impunité des auteurs de violation des Droits de l'Homme a été au coeur des débats de la Conférence.
La France entend s'engager sur la voie d'une ratification rapide de la convention créant cette cour pénale internationale. Nous devrons procéder au préalable à une révision constitutionnelle. Vous le savez, le statut vise sans exception toutes les personnes, y compris les responsables politiques. Or, la Constitution spécifie les conditions dans lesquelles la responsabilité du chef de l'Etat, de membres du gouvernement et de parlementaires peut être mise en cause.
La Conférence a par ailleurs prévu la création d'une commission préparatoire qui élaborera les textes techniques nécessaires à la mise en place de la Cour, notamment le règlement de procédure et de preuves qui intéresse tout particulièrement notre thème d'aujourd'hui.
Sur ce point, je voudrais insister sur la préoccupation française qui est de tirer les leçons de certaines imperfections des tribunaux pénaux pour l'ex-Yougoslavie et le Rwanda : la France a souhaité une cour efficace, fondant son action sur des procédures précises et adaptées à une juridiction internationale. Celles-ci seront donc le fruit d'une synthèse originale entre les principales traditions juridiques, " common law " d'inspiration anglo-saxonne et droit romano-germanique. Ainsi, dès le début de l'instruction, et pour ne citer qu'un exemple qui vous tient à coeur, une chambre des juges contrôlera la légalité des actes du Procureur et garantira l'égalité des armes entre la défense et l'accusation.
Autre contribution du droit romano-germanique, les victimes et leurs représentants légaux auront accès à la Cour à tous les stades de la procédure. La France a également pris l'initiative de proposer la mise en place d'un système de réparation en faveur des victimes.
Il y a là de vrais enjeux et je ne doute pas que nombreux sont ceux qui entendent pousser la réflexion sur ce thème.
La question des droits de la défense est aussi celle d'un autre droit consacré par la Déclaration universelle : l'accès à la justice. Vous comprendrez qu'en tant que ministre délégué à la Coopération, la mise en oeuvre effective de ce droit dans les pays du Sud soit l'une de mes préoccupations constantes.
Dans une vieille démocratie comme la France, l'accès à la justice n'est pas seulement une question de droit ; sous-jacent à ce droit, se pose en effet le problème des facultés économiques et culturelles de son exercice.
On imagine dans quels termes cette question se pose dans les pays en voie de développement où la pauvreté, l'analphabétisme, la faiblesse des institutions concourant à l'Etat de droit créent des barrières parfois insurmontables aux exigences de justice.
J'ai souvent eu l'occasion de le rappeler, toute politique de coopération, parce qu'elle vise le développement humain durable, est une politique des Droits de l'Homme.
Ceux-ci étant indivisibles, une politique volontariste doit également être menée sur le terrain spécifique des droits civils et politiques. Parce que nous avons fait le choix d'une présence critique dans ces pays, plutôt que d'une absence moralisatrice, le dialogue est parfois tendu avec leurs dirigeants, même si, comme je le leur dis en ces occasions, je revendique également le droit à l'erreur pour mon pays.
Dans tous les pays marqués par la dictature, les conflits armés ou la guerre civile, l'exigence de justice est indissociable d'un retour durable à la paix. Je pense à l'Afrique des Grands lacs, à Haïti, mais les exemples pourraient être multipliés sur tous les continents.
Cette justice ne doit pas être une justice au rabais. Elle ne doit pas être la justice des victimes contre celle des accusés, ou inversement. Elle doit être la justice pour tous. C'est parfois un langage difficile à faire passer. Comment faire comprendre aux victimes d'un génocide, d'exactions massives, qu'un accusé a le droit d'être défendu ? Comment s'assurer que les victimes de ces crimes à grande échelle ne soient pas oubliées et puissent bénéficier elles aussi d'une défense qui permette la reconnaissance et la réparation - quand c'est possible - des souffrances endurées ?
Mais les droits de la défense ne s'arrêtent pas à ces procès appelés à devenir historiques, ils concernent tout autant l'exercice de la justice au jour le jour.
L'accès à la justice, l'exercice effectif des droits de la défense sont l'aboutissement de principes et de pratiques qui établissent un Etat de droit, en premier lieu une justice indépendante et assurée dans ses moyens.
Or, comment ne pas déplorer qu'au moment où la communauté internationale a admis, tant du côté des bailleurs de fonds que des pays récipiendaires de l'aide, que l'Etat de droit était non seulement un impératif éthique mais aussi une condition d'efficacité, que les budgets consacrés à la justice restent souvent dérisoires ?
Il y a là un véritable enjeu, et une clef du dialogue que notre pays entretient avec ses partenaires du Sud. Je m'y attelle, croyez-le bien !
La France consacre des moyens très importants à l'appui de cette politique, qui est l'une des spécificités de la coopération française. Aujourd'hui, c'est près d'un milliard de francs qui est affecté au développement institutionnel, dont plus de 400 millions pour le seul Etat de droit. Ces montants sont en progression constante depuis 1993, date de la création de la Sous-direction du développement institutionnel au sein des services de ce qui était encore le ministère de la Coopération. Cette sous-direction subsistera dans le cadre de la réforme du dispositif de coopération voulue par le gouvernement en accord avec le président de la République. Nous affirmons ainsi l'unité de notre politique de coopération, quels qu'en soient les instruments et les lieux d'intervention. Ceci est particulièrement vrai de notre politique en faveur de l'Etat de droit et de la promotion des Droits de l'Homme dont nous sommes tous attachés à affirmer le caractère universel.
L'indépendance et l'efficacité des institutions judiciaires permettent seules in fine de garantir les libertés, ce qui justifie un effort spécifique en faveur de celles qui siègent dans les pays du Sud. La coopération française a, par exemple, fourni une assistance matérielle au Tribunal pénal pour le Rwanda. De façon plus générale, elle consacre d'importants crédits à la réforme juridique et judiciaire qu'engagent ses partenaires. Ces crédits ont doublé en cinq ans et dépassent désormais les 200 millions de francs.
Mais le renforcement de l'Etat de droit, le respect effectif des droits de la défense, ne sont pas qu'une question financière, heureusement... et malheureusement. Les esprits sont plus longs à évoluer que les institutions ou les règles de droit ! C'est de la société civile, j'en suis profondément persuadé, que doivent surgir les démarches nécessaires à cette évolution des mentalités, c'est elle qui doit veiller et dénoncer les atteintes aux droits de la défense. Les barreaux, les associations de juristes, collectivement et à travers chacun de leurs membres, sont en première ligne de ce combat.
Quand l'avocat est menacé dans son statut et ses prérogatives, c'est en effet tout l'édifice de la justice qui chancelle.
C'est dans cet esprit que la coopération française apporte son soutien au Barreau de Paris notamment, ou encore à la "Conférence internationale des barreaux de tradition juridique commune" (la "CIB"), pour la formation de jeunes avocats et la mise en place de barreaux, de structures professionnelles, dans les pays qui en sont dépourvus. Un nombre d'avocats suffisant, une organisation professionnelle rigoureuse, le respect des règles déontologiques sont indispensables à l'exercice des droits de la défense.
Il y a quelques jours seulement, la coopération française s'est engagée à participer au financement du programme d' "Avocats sans frontières - France" visant à assurer les droits de la défense - ceux des accusés comme ceux des victimes - au Burundi.
Là comme ailleurs, la réconciliation nationale, l'établissement d'une paix durable exigent que la Justice soit dite.
Je ne voudrais pas enfin conclure ce propos sans insister sur la dimension francophone de notre action : pour de nombreux partenaires du Sud, le français est la langue d'une des grandes familles du droit. Défendre la Francophonie juridique, c'est donc contribuer à la promotion du droit romano-germanique dans tous les domaines de la vie internationale, promotion sur laquelle le ministre des Affaires étrangères a décidé d'engager une réflexion d'envergure, et à laquelle le ministre en charge de la Francophonie accorde également une attention particulière.
Partout où nous travaillons à améliorer les droits de la défense, nous travaillons pour le progrès, la paix et le bonheur de l'humanité qui était l'ambition ultime des auteurs de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789, comme de ceux de la Déclaration universelle de 1948.
J'espère que chacun de notre côté, et ensemble, nous apporterons notre pierre à ce chantier idéal.
Je vous remercie de votre attention.

(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 2 octobre 2001)