Interview de M. Alain Richard, ministre de la défense, à RTL le 19 mars 2000, sur l'action gouvernementale notamment la réforme de l'administration fiscale et la "cagnotte" budgétaire, le financement des retraites, les violences au Kosovo et l'action des forces françaises de la KFOR, les derniers appelés du service national ainsi que sur l'information du Parlement sur les ventes d'armes.

Prononcé le

Média : Emission L'Invité de RTL - Emission Le Grand Jury RTL Le Monde LCI - La Chaîne Info - RTL - Télévision

Texte intégral

Bonsoir, monsieur RICHARD.
ALAIN RICHARD, MINISTRE DE LA DEFENSE
Bonsoir.
OLIVIER MAZEROLLE
Contrairement aux membres du gouvernement qui sont l'objet de critiques ou bien qui sont les cibles de manifestations, vous faites, vous, partie des ministres considérés comme des appuis solides pour Lionel JOSPIN. Vous êtes ministre de la Défense, nous parlerons avec vous du Kosovo et de la défense européenne mais vous animez aussi au sein du Parti socialiste le courant rocardien et nous parlerons avec vous, bien entendu, des déclarations du Premier ministre et de la politique du gouvernement. Anita HAUSSER et Patrick JARREAU participent à ce GRAND JURY, retransmis en direct sur RTL et LCI. LE MONDE publiera dans son édition de demain l'essentiel de vos déclarations. Alors monsieur RICHARD, selon un sondage de l'IFOP publié aujourd'hui par LE JOURNAL DU DIMANCHE, une majorité de Français estiment que Lionel JOSPIN a trouvé le ton juste dans son intervention de jeudi soir mais un plus grand nombre de Français encore, 75 % d'entre eux, jugent que les mesures annoncées par le Premier ministre répondent plus aux circonstances qu'un véritable projet de société. Satisfaction des Français, par conséquent, semble-t-il, mais ils n'ont pas trouvé de nouveau souffle.
ALAIN RICHARD
Ceux qui n'ont pas trouvé de nouveau souffle parmi ceux qui sont satisfaits, ça fait 10 % des gens, donc il ne faut pas avoir l'extrapolation trop facile. Je crois qu'on est dans une période où la société française, l'ensemble des secteurs de notre démocratie prennent plus conscience des améliorations qui se sont produites et le sentiment de confiance dans l'avenir qu'on voyait se développer depuis deux ans : cette approche de l'avenir a beaucoup changé, on en voit de multiples signes dans la vie quotidienne, évidemment produit dans certains secteurs, sur certaines circonstances, des manifestations d'impatience et une revendication. Vous savez : quand vous êtes un gouvernement de gauche et de changements, vous ne pouvez pas considérer ça comme quelque chose de dramatique ou de pathologique. Il y a des exigences, il y a d'une certaine façon des demandes qui se débrident.
PATRICK JARREAU, LE MONDE
La revendication, on la voit bien dans le cas de l'hôpital ; en revanche, s'agissant de l'Education nationale ou des Finances, ce qu'on voit, c'est plutôt une résistance à la réforme. Alors comment expliquez-vous qu'en période plutôt de bonne situation de l'économie et de la croissance, la réforme soit apparemment aussi difficile que dans les périodes de stagnation ?
ALAIN RICHARD
J'ai une interprétation là-dessus : dans la mesure où on a, à travers ce débat sur la cagnotte, fait apparaître qu'il y avait une plus grande aisance financière, les résistances aux réformes sont plus fortes... Des résistances aux réformes, il y en a partout, tout le temps. Par définition, les modifications, les modernisations, les restructurations, ça se fait toujours avec des gens qui en craignent les conséquences et qui défendent leur situation.
OLIVIER MAZEROLLE
Sauf que ce sont vos électeurs, cette fois-ci, c'est important.
ALAIN RICHARD
Oui, je vais essayer de finir mon raisonnement. Donc, lorsque... par ailleurs, les gens ont dans le fond de décor le sentiment qu'il y a des moyens, ils sont très réticents à toute forme de réforme qui, dans leur perception, apparaît comme une réforme faite pour faire des économies et je crois que ce qui s'est produit dans le débat sur la modernisation des services financiers - j'ai connu pas mal ce dossier-là, il y a quelques années - ce n'est pas une affaire nouvelle et elle apparaît raisonnable à beaucoup de gens et je n'ai pas entendu d'ailleurs les représentants du personnel des Finances contester le fait qu'il doit y avoir, pour rendre un meilleur service au public, pour mieux asseoir les rapports entre le système financier public et les citoyens, un certain nombre de réorganisations. Ce qu'ils redoutent, c'est que ça soit fait pour gagner des postes...
PATRICK JARREAU
Dans le cas de l'Education nationale, il n'y a pas d'économies...
ALAIN RICHARD
... Et ce dans une ambiance où il y a toujours, notamment sous le terme de réforme de l'Etat, une approche libérale qui est portée par un certain nombre de gens dans la société française, qui sont généralement à droite, qui consiste à penser que l'Etat est, par nature, inefficace, gaspilleur et que les fonctionnaires sont des gens...
ANITA HAUSSER, LCI
Attendez, ça veut dire que si...
ALAIN RICHARD
... Attendez, je ne comprends pas pourquoi je provoque de telles réactions... ce sont des réalités que tout le monde connaît. Donc un gouvernement de gauche qui veut quand même faire des réorganisations, et il en a fait des paquets, si vous me laissez trente secondes, je pourrais vous en rappeler un certain nombre, y compris dans mon propre ministère, il doit tenir compte de ça et ce que je dis simplement, c'est que le sentiment d'aisance financière rend en effet, comme vous le disiez monsieur JARREAU, les choses un peu plus difficiles...
PATRICK JARREAU
Dans le cas de l'Education nationale, il n'y a pas... la réforme de l'Education nationale n'est pas une réforme qui vise à faire des économies...
Elle vise à adapter l'Education nationale à la décrue des effectifs.
ALAIN RICHARD
... Je vous assure que pas mal de partenaires de l'Education, moi j'en ai encore rencontré tout récemment, perçoivent ça.
PATRICK JARREAU
Et vous pensez que c'est ça qui motive le mouvement auquel on assiste ?
ALAIN RICHARD
En partie, plus des questions d'organisation du dialogue.
ANITA HAUSSER
Ca veut dire que s'il y a une aisance financière, on ne peut plus rien réorganiser...
Puisque dès qu'il y a le moindre redéploiement...
ALAIN RICHARD
... Ce n'est pas du tout mon sentiment et je vous dis, j'en tire les conséquences en ce qui me concerne et tout le gouvernement fait de multiples réorganisations. Simplement, il faut qu'on tienne compte de cet élément-là.
OLIVIER MAZEROLLE
Alors, j'en reviens...
ANITA HAUSSER
Et donc, il faut modifier le projet de réorganisation ?
ALAIN RICHARD
On passe notre temps à faire ça, vous savez. Moi, j'ai fait beaucoup de réorganisations dans mon ministère, je ne les ai jamais terminées au moment où l'ensemble des décrets étaient signés, exactement comme était le premier projet. Cela demande beaucoup de négociations..
OLIVIER MAZEROLLE
Alors, Monsieur RICHARD, comme vous, j'ai beaucoup de mal à suivre, deux idées à la fois.
ALAIN RICHARD
Mais simplement, quand on a discuté...
OLIVIER MAZEROLLE
Attendez, attendez...
ALAIN RICHARD
Vous me permettez de finir de répondre à Anita HAUSSER ? C'est une idée à laquelle je tiens. A chaque fois que vous faites une réorganisation concertée, qui s'étale dans le temps, qui est finalement assez bien acceptée, vous ne faites pas les titres avec ça et c'est mémorisé par personne, sauf évidemment les gens qui l'ont vécue.
OLIVIER MAZEROLLE
Très bien. Alors, permettez-moi, à mon tour...
ANITA HAUSSER
Ca, c'est un reproche qui est fait à vos collègues, alors ?
OLIVIER MAZEROLLE
Attendez, Anita HAUSSER, on va y venir...
ALAIN RICHARD
Non, c'est une constatation que je fais de la presse. Je vous signale, c'est une constatation que je fais parce que est-ce que vous vous rappelez que nous avons fait la fusion... trois fusions de ministères depuis deux ans et demi ? Le ministère de l'Industrie a été incorporé dans celui de l'Economie, le ministère de la Coopération a été incorporé dans celui des Affaires étrangères et le ministère des Anciens combattants a été incorporé dans celui de la Défense. Qui en a parlé ? C'est l'histoire des trains qui arrivent à l'heure. Simplement, permettez-moi de le rappeler...
OLIVIER MAZEROLLE
Très bien.
ALAIN RICHARD
... Sans vague.
OLIVIER MAZEROLLE
Comme vous, j'ai du mal à suivre deux idées à la fois, donc je vais très modestement vous reposer ma question. Beaucoup de gens ont constaté que ceux qui protestent sont les électeurs de la gauche et notamment du Parti socialiste et donc disent, " Le Premier ministre a donné satisfaction à son électorat en déclenchant de nouvelles dépenses ".
ALAIN RICHARD
Je crois que ce n'est pas une idée juste. D'abord, ne soyons pas trop réducteurs en ce qui concerne l'électorat de la gauche. La gauche, dans la situation actuelle, elle a 14 millions d'électeurs. Ca fait des gens très variés ; donc il y a parmi eux des agents publics, il y a aussi beaucoup de gens du privé, il y a aussi des gens sans emploi, il y a aussi des jeunes et des personnes qui ont quitté la vie active. Donc, ne pensez pas qu'on a une démarche clientéliste. Je pense que quand on a fait des démarches comme la CMU, comme la revitalisation du logement social, à laquelle Louis BESSON s'est attaché depuis deux ans et demi, on ne l'a pas fait pour gagner des électeurs au sens d'une clientèle. On a une vision de la transformation de la société et du progrès qui, espérons-le, s'adresse à tout le monde et qui, en tout cas, prend en compte les intérêts de tout le monde. Ce que nous avons fait, y compris pour faciliter l'évolution d'un certain nombre de grandes entreprises, a permis aussi aux propriétaires de ces entreprises de bien s'en trouver. Nous n'avons pas mené une politique de classe visant à assécher les entreprises et d'ailleurs les résultats qu'on voit...
OLIVIER MAZEROLLE
Cette fois-ci, vous ne visez pas que l'électorat de la gauche ?
ALAIN RICHARD
... Les résultats qu'on voit en ce qui concerne les recettes fiscales viennent en grande partie de l'augmentation très significative des bénéfices des entreprises...
PATRICK JARREAU
Oui mais monsieur RICHARD, s'agissant de l'Education ou des Finances...
ALAIN RICHARD
Donc, je me permets de vous rappeler les mesures fiscales que nous venons de prendre...
PATRICK JARREAU
... les députés socialistes ont l'air de considérer que c'est leur électorat qui est en cause...
ALAIN RICHARD
C'est très important cette affaire fiscale. Quand on fait une baisse de la TVA de 1 %, ça bénéficie à tous les consommateurs, tous les consommateurs, de ceux qui consomment 3000 francs par mois, à ceux qui consomment 30 ou 50 000 francs par mois. Donc ça, c'est déjà la première démonstration que les mesures fiscales qui sont prises dans cette phase-là puisqu'il y aura d'autres réformes fiscales, on est dans un processus de réformes fiscales en profondeur, ces réformes bénéficient à l'ensemble des contribuables. Quand on baisse le taux, vous avez peut-être déjà fait votre déclaration d'impôts, si vous êtes plus en avance que moi, donc si vous faites le calcul de votre impôt, vous savez très bien que si le taux d'imposition sur la première et la deuxième tranches baisse, même si vous, vous êtes dans la cinquième tranche, vous bénéficiez de cette baisse. Donc, vous avez là la démonstration exacte que les mesures fiscales qui viennent d'être annoncées par le Premier ministre sont des mesures fiscales qui ne visent pas une clientèle mais l'ensemble de la société française, avec un objectif qui est d'alléger la charge de la fiscalité à partir du moment où notre situation fiscale... notre situation financière s'est améliorée et de poursuivre la dynamisation de notre économie.
OLIVIER MAZEROLLE
D'accord.
ALAIN RICHARD
Je soulignerai, à ce sujet, puisqu'on entend, ici ou là, une petite observation sur, " vous n'en avez pas fait assez sur la baisse du déficit ". Je me permets de vous rappeler que pour l'année 97...
ANITA HAUSSER
... Place...
ALAIN RICHARD
.... Oui, oui, pour l'année 97, l'ensemble des déficits publics rapportés au PIB était de 4,1 %. Pour l'année 99, ça vient d'être confirmé, c'est 1,8 %. Donc je pense que la tendance, sous ce gouvernement, n'est pas mauvaise.
OLIVIER MAZEROLLE
Il n'empêche que de ce point de vue, il y a eu un renversement d'annonce politique faite par le Premier ministre, qui avait annoncé préalablement vouloir s'en tenir à un niveau d'effectifs dans le secteur public constant, pas d'augmentation d'effectifs, il va y avoir des augmentations d'effectifs.
ALAIN RICHARD
Oui, elles sont minimes par rapport au total...
OLIVIER MAZEROLLE
Minimes, augmentation quand même.
ALAIN RICHARD
... De deux millions et demi et nous allons continuer à faire des réorganisations qui, par ailleurs, pourront permettre de réduire les effectifs dans d'autres secteurs...
OLIVIER MAZEROLLE
Lesquelles...
ALAIN RICHARD
... Ca va s'étaler...
OLIVIER MAZEROLLE
Lesquelles ?
ALAIN RICHARD
... Comme on l'a fait depuis trois ou quatre ans...
OLIVIER MAZEROLLE
Mais lesquelles ?
ALAIN RICHARD
... Y compris dans mon propre ministère. Dans le ministère des Anciens combattants, que je citais tout à l'heure, les effectifs sont en baisse. Dans beaucoup de ministères, les effectifs sont en baisse à hauteur d'un demi pour cent par an. Nous allons avoir de multiples départs à la retraite d'agents publics dans les différents ministères au cours des cinq ou dix prochaines années, nous organiserons des restructurations et des modernisations en profitant de ce mouvement de départ.
OLIVIER MAZEROLLE
Donc, vous maintenez... vous dites que l'objectif de ne pas augmenter...
ALAIN RICHARD
Donc, je pense que la tendance à la stabilisation...
OLIVIER MAZEROLLE
... Est maintenue...
ALAIN RICHARD
... La tendance à la stabilisation des effectifs publics sera maintenue, bien sûr.
PATRICK JARREAU
Oui mais sur la dépense publique, quand même, l'engagement qui avait été pris par le Premier ministre, c'était de maintenir la dépense publique à niveau constant et d'ailleurs, les autorités européennes trouvent même que ce n'est pas suffisant, qu'il faudra la réduire. Ce qui a été annoncé jeudi va dans le sens, évidemment, d'une augmentation de la dépense publique.
ALAIN RICHARD
Oui, vous avez les proportions en tête et vous avez remarqué que sur les dix milliards de crédits supplémentaires ouverts au collectif, il y en a cinq milliards qui sont liés aux intempéries. Les cinq milliards liés aux intempéries, mon ministère en est d'ailleurs très partiellement bénéficiaire, ça consiste surtout à réparer des éléments du patrimoine public qu'il faut bien réparer, ce n'est pas de la dépense publique supplémentaire, c'est simplement du maintien du patrimoine. Ce ne sont pas des mesures reconductibles.
ANITA HAUSSER
Monsieur RICHARD, un de vos collègues, Claude ALLEGRE est dans la tourmente puisque les enseignants, maintenant les parents d'élèves, réclament son départ. Comment réagir... comment est-ce que le Premier ministre devrait ou va réagir à cette pression qui est quand même assez forte ?
ALAIN RICHARD
Je ne ferai pas d'autres commentaires là-dessus que de dire que ce gouvernement travaille en équipe, qu'il a fait preuve de cohésion dans les périodes agréables et dans les périodes moins agréables depuis qu'il a été formé...
ANITA HAUSSER
Il n'y a pas grand monde qui vole à son secours.
ALAIN RICHARD
... Moi, je considère que Claude ALLEGRE a pris beaucoup de bonnes mesures et je ne vois pas pourquoi quand un de mes collègues, un de mes amis au gouvernement est momentanément en difficulté, je me joindrais à ceux qui le critiquent. Je pense qu'il y a beaucoup de choses positives et courageuses dans l'action qu'il mène, point à la ligne.
ANITA HAUSSER
Pour vous, c'est une difficulté momentanée ?
ALAIN RICHARD
Point à la ligne, point à la ligne.
OLIVIER MAZEROLLE
Et ceux...
ALAIN RICHARD
Je n'ai jamais commenté les situations internes au gouvernement, je ne vais pas commencer aujourd'hui.
OLIVIER MAZEROLLE
... Ceux qui continuent à défiler...
ALAIN RICHARD
... Il y a eu une manifestation importante jeudi avec d'ailleurs des composantes assez variées. Le Premier ministre a indiqué les mouvements, les orientations qu'ils voulaient suivre pour que les problèmes authentiques posés dans ces manifestations soient traités. Et je pense qu'ils le seront.
OLIVIER MAZEROLLE
... Autre ministre touché par les critiques de certains protestataires, c'est monsieur SAUTTER, qui est à l'Economie et aux Finances, où il a remplacé Dominique STRAUSS-KAHN. Alors, on dit " bon, ce n'est pas qu'il soit incompétent mais enfin, il n'est pas très politique et puis, il y a un politique dans le gouvernement qui s'y connaît bien en économie et en finances..."
ANITA HAUSSER
Il a été rapporteur général...
OLIVIER MAZEROLLE
... Il s'appelle Alain RICHARD. Alors ?
ALAIN RICHARD
Il est occupé ailleurs.
OLIVIER MAZEROLLE
Il est occupé ailleurs ?
ALAIN RICHARD
Oui.
OLIVIER MAZEROLLE
Durablement ?
ALAIN RICHARD
Je pense que c'est un ministère où il est bon d'avoir la durée et de pouvoir développer une politique sur le long terme... j'espère qu'on pourra en parler quelques minutes. Je crois que Christian SAUTTER est bien à sa place et je n'ai absolument aucune intention de lui compliquer la tâche en quoi que ce soit par des commentaires déplacés. Je lui souhaite de bien réussir et de continuer à bien réussir.
PATRICK JARREAU
Alors, au-delà du cas de Christian SAUTTER, est-ce qu'on pourrait revenir un instant sur ce qu'on appelait la cagnotte parce que, il y a une dizaine d'années, lorsque Michel ROCARD était Premier ministre, il y avait eu aussi des rentrées fiscales importantes et plus importantes que prévues. A l'époque, vous étiez rapporteur général du budget et on n'a pas assisté du tout à l'époque au même film que celui qu'on a vu se dérouler ces derniers mois, il n'y a pas eu de contestation sur le montant de la cagnotte et il n'y a pas eu de débats aussi vifs, d'abord sur sa réalité, sur son niveau et ensuite sur son affectation. Qu'est-ce qui a changé ? D'où vient la différence, selon vous ?
ALAIN RICHARD
Je crois me rappeler que le gros changement de profil des courbes, si vous voulez, le moment où les choses se sont modifiées, c'était en 88, c'est-à-dire avant l'entrée en fonction du gouvernement de Michel ROCARD,
PATRICK JARREAU
D'accord mais pendant les années où il a été au gouvernement, l'argent rentrait dans les caisses, comme dirait le président de la République.
ALAIN RICHARD
... Mais le phénomène d'accentuation des demandes se produisait aussi, il y a eu d'ailleurs, je ne sais pas si vous vous rappelez, les grandes manifestations de lycéens, par exemple.
PATRICK JARREAU
D'accord mais il n'y a pas eu de débat, ma question porte sur l'évaluation de cette cagnotte. Comment se fait-il qu'on ait commencé par dire qu'il n'y en avait pas...
ALAIN RICHARD
C'est vrai. Ca, c'est quelque chose que moi, j'ai découvert...
PATRICK JARREAU
... Et puis par annoncer qu'elle était du niveau de 14 milliards, puis 23, pour aboutir à finalement 36, sauf erreur de ma part
ALAIN RICHARD
... Absolument, d'ailleurs le Premier ministre a dit, à juste titre, l'autre jour... enfin, c'est idiot de dire ça parce que de toute façon tout ce qu'il dit est à juste titre dans mon esprit... En tout cas, nous serons tous jugés sur le même bilan, donc nous avons tous intérêt à ce qu'il soit collectivement bon et je ne vois pas l'intérêt à se tirer dans les pattes.
PATRICK JARREAU
D'où est venu ce cafouillage de plusieurs mois ?
ALAIN RICHARD
Je peux vous dire que pendant la période où j'ai été rapporteur général, précisément et c'était mon boulot d'essayer d'informer le mieux possible l'Assemblée sur l'évolution des courbes financières, on a vu toute une série de mécanismes perturbateurs qu'on a toujours beaucoup de mal à analyser pour comprendre quand la croissance suit une certaine courbe, comment évoluent les différentes recettes fiscales, que ce soit sur la TVA, que ce soit sur l'impôt sur le revenu, que ce soit sur l'impôt sur les sociétés, on a des facteurs qui sont peu prévisibles et donc...
PATRICK JARREAU
Le président de la République, Jacques CHIRAC a dit...
Que les services de Bercy mettaient, a-t-il dit, tous leurs talents à dissimuler l'ampleur de ces retraites supplémentaires... de ces recettes supplémentaires. Vous, est-ce que vous pensez que...
ALAIN RICHARD
Ca fait partie des critiques que porte le président de la République sur l'action du gouvernement.
ANITA HAUSSER
Il était informé, lui. Pourquoi, le gouvernement ne l'était pas ?
ALAIN RICHARD
Non, il a porté une appréciation, j'ignore comment il aurait pu en savoir plus que le gouvernement et je ne pense pas que ça soit le cas.
PATRICK JARREAU
Bravo, il ne s'est pas trompé.
ALAIN RICHARD
Nous avons, je vous le rappelle, élaboré le budget 99, c'est de celui-là qu'on parle, dans une période où il y avait la crise asiatique. Tout le monde se demandait ce qui allait se passer. La première découverte qu'on a faite à ce moment-là, que personne n'avait prévu, c'est que la simple perspective de l'euro a stabilisé les économies européennes, alors qu'on s'attendait à ce qu'elles soient beaucoup plus touchées par la crise asiatique...
PATRICK JARREAU
Mais là, nous sommes en septembre 98.
ALAIN RICHARD
... Absolument, c'est là-dessus qu'on a fait les prévisions et il a fallu voir, trimestre par trimestre, comment allait évoluer la croissance dans ce pays. Il se trouve qu'elle a effectivement évolué très lentement, trop lentement à notre goût dans le premier semestre 99 et nettement plus vite dans le deuxième semestre 99. Savoir à cinq ou dix milliards près, avec cinq ou six impôts différents, ce qu'une telle évolution, avec des entreprises qui réagissent différemment, qui font des provisions, qui font des investissements, etc., ce que ça allait donner sur les recettes de l'impôt sur le revenu, sur les recettes de l'impôt sur les sociétés, donne une marge d'erreur qui a été de trente et quelques milliards sur 1400 milliards de recettes fiscales...
En 2000, nous sommes sur une croissance beaucoup plus régulière, ce qui a permis de faire une évaluation du surcroît de recettes par rapport à nos prévisions, qui datent d'août 99. Sur 2000, on pense qu'on fera 50 milliards de recettes de plus.
PATRICK JARREAU
Vous pensez que ça sera 50 milliards ou que ça sera davantage ?
ALAIN RICHARD
Je pense que ça sera au moins 50 milliards.
OLIVIER MAZEROLLE
Alors, en l'état actuel des choses...
ALAIN RICHARD
Et qu'un gouvernement ne peut pas non plus tirer des chèques en blanc en disant, " Comme on pense que ça va être entre 50 et 60, on met 60 ", dans ce cas-là, on met 50.
OLIVIER MAZEROLLE
... Tels que les chiffres sont annoncés au jour d'aujourd'hui, la France risque d'avoir, à la fin de l'année 2000, un déficit budgétaire plus fort...
ALAIN RICHARD
Bien sûr que non !
OLIVIER MAZEROLLE
... Sur le réel de 1999.
ALAIN RICHARD
Bien sûr que non !
OLIVIER MAZEROLLE
A partir des chiffres d'aujourd'hui.
ALAIN RICHARD
Mais non parce qu'il y a une dynamique... parce que je vous rappelle...
OLIVIER MAZEROLLE
Donc, il y aura encore...
ANITA HAUSSER
Il y aura un collectif, alors ?
ALAIN RICHARD
... Bien sûr et puis, on ne consomme... enfin, je ne vais pas vous faire un cours de finances publiques. Vous savez très bien que le budget consiste à rendre obligatoires les recettes et à rendre possibles les dépenses. On ne dépense jamais 100 % des crédits qui sont inscrits dans la loi de finances initiale. Il y a toujours des moindres réalisations de dépenses. Et donc, quand on fait le collectif de fin d'année, qu'on fait traditionnellement en novembre, on constate l'ensemble des évolutions, les plus et les moins de recettes - moi j'ai connu des années où il y avait des moins, quand même, ça oblige à la prudence - et les plus et les moins de dépenses, traditionnellement à ce moment-là, ça donne une petite marge, en tout cas quand on est en période de croissance, et une partie de cette marge va à la réduction du déficit.
OLIVIER MAZEROLLE
Donc, vous êtes sûr...
ALAIN RICHARD
Donc, je peux vous annoncer que le déficit de l'ensemble des administrations publiques, au titre de l'année 2000, sera en pourcentage du PIB, nettement inférieur à ce qu'a été celui de 99.
PATRICK JARREAU
Donc, vous attendez effectivement des recettes supplémentaires...
ALAIN RICHARD
Et je me permets de vous rappeler, parce que ça aussi ça contribue à une certaine ambiance, je ne dirais pas d'euphorie mais en tout cas de confiance, c'est que cette baisse massive de déficit au cours des deux dernières années s'est faite sans mouvement d'austérité. Pendant ce temps-là, le pouvoir d'achat a augmenté et la croissance s'est développée.
ANITA HAUSSER
Ca veut dire que l'opposition s'est prononcée à tort ...
ALAIN RICHARD
Donc, ce n'est pas une mauvaise politique économique.
ANITA HAUSSER
... Lorsqu'elle reproche au gouvernement de ne pas assez réduire les déficits ?
ALAIN RICHARD
Ecoutez, quand on voit la façon dont elle s'y est pris pour tenter d'obtenir ce résultat en quatre ans, je pense qu'elle peut toujours faire des critiques. Bon, elle est dans son rôle mais très franchement, les résultats parlent pour nous.
OLIVIER MAZEROLLE
Monsieur DEBRE dit " C'est normal ; après douze ans, les socialistes avaient laissé la France en haillons ", c'est ce qu'il disait l'autre matin " Et donc, il a bien fallu prendre les mesures pour rectifier tout ça ".
ALAIN RICHARD
Je vous trouve cruel.
OLIVIER MAZEROLLE
Pardon ?
ALAIN RICHARD
Je vous trouve cruel.
OLIVIER MAZEROLLE
Pourquoi ? Je vous répète ce qu'il dit.
ALAIN RICHARD
Oui, franchement, ce n'est pas à son honneur.
OLIVIER MAZEROLLE
Alors, le Premier ministre va parler des retraites après demain...
ALAIN RICHARD
Ca se situe dans le cadre de toute une planification politique. Vous vous rappelez le discours qu'il a fait à Strasbourg en septembre, l'année dernière : il y a un ensemble de chantiers de modernisation et de nouveaux instruments de justice sociale qui se développent. En effet, non seulement la question de la consolidation financière des régimes de retraite par répartition, qui est évidemment au c...ur de tout un ensemble de principes de justice sociale en France, mais d'autres mesures sont à travailler pour tenir compte du changement d'équilibre d'âge de notre pays. Il y a pour le grand âge, la question de la dépendance qui est une des raisons pour lesquelles les gens sont inquiets de l'avenir parce qu'ils savent que non seulement il y a la vieillesse, il y a la retraite qu'on passe généralement beaucoup plus en forme, avec beaucoup plus de marges de liberté et de capacités de tous ordres, qu'on ne le faisait, il y a trente ou cinquante ans et ça, c'est un progrès. Mais il y a, évidemment, les pertes d'autonomie de la fin de vie qui ne sont pas encore bien traitées dans notre société, ni en terme de moyens pratiques, ni en terme de solidarité. Donc, il faudra aussi que nous nous adressions à ce sujet-là. Et puis, moi, j'en ajoute un troisième, auquel j'attache pas mal d'importance, c'est celui de la situation des salariés d'âge mûr. Nous sommes le pays qui évince de la vie professionnelle le plus de gens dans leur cinquante ans, dans leur âge de quinquagénaire. J'ai du mérite parce que je pensais déjà ça quand j'avais vingt ans de moins. Je pense que nous devrons - Martine AUBRY a d'ailleurs déjà beaucoup travaillé sur ce sujet en renvoyant à un certain nombre de secteurs industriels leurs propres responsabilités, en disant " Est-ce que vraiment, c'est la bonne solution, dans un pays dont la population vieillit et dont, quand même, les capacités des gens mûrs sont incomparablement meilleures qu'il y a vingt ou trente ans, est-ce que c'est vraiment logique de repousser hors du travail les gens de 52 ou de 55 ans ?"
ANITA HAUSSER
Alors, d'après ce que vous savez, le Premier ministre va annoncer des réformes hardies, qui vont dans les sens...dans les différentes directions que vous indiquez ?
ALAIN RICHARD
Il les annoncera dans deux jours et il les annoncera sous forme de projets ou de propositions du gouvernement qui seront soumises à la concertation ou au débat. Donc, vous comprendrez que je ne fasse pas de commentaires avant.
OLIVIER MAZEROLLE
...Il y a eu préalablement deux rapports, le rapport CHARPIN qui sonnait le tocsin...
ALAIN RICHARD
Il y en a eu plus que ça, oui.
OLIVIER MAZEROLLE
...Et qui parlait d'un allongement quasiment obligatoire de la durée...
ANITA HAUSSER
Des cotisations...
OLIVIER MAZEROLLE
...De vie professionnelle et des cotisations, aussi bien dans le privé que dans le public, d'ailleurs et puis, un rapport TEULADE, en schématisant, qui disait que finalement, avec la croissance, le retour à l'emploi, tout va bien, il n'y a pas besoin de changer grand chose. Vous, votre idée, c'est plutôt le premier rapport qui est le bon ou le second ?
ALAIN RICHARD
Je pense qu'il y a beaucoup de choses justes dans les deux.
OLIVIER MAZEROLLE
Ah bon ? Vous êtes centriste ?
ALAIN RICHARD
Non, je pense que ce sujet-là est un sujet sur lequel on ne peut pas se prononcer d'une pichenette. Il y a à la fois une amélioration de nos perspectives économiques dont je rappelle qu'elles sont fondamentalement dues à l'arrivée dans l'euro et à la politique européenne de croissance que nous poursuivons ensemble. Je pense que ça change la perspective. On vient de vivre deux décennies dans lesquelles on avait des allers et retours de conjonctures et des grandes incertitudes sur l'avenir. Je pense qu'on en aura moins et qu'on n'a pas encore fini de prendre toute la mesure de ce que ça entraîne en capacité de modernisation et en développement de la justice sociale. Donc, ça, ça change la perspective et à mon sens, le rapport CHARPIN, qui a déjà été établi il y a plus d'une année, si ce n'est pas dix-huit mois, prenait encore insuffisamment en compte cela. Quand le Premier ministre a dit, ça devait être fin août, l'année dernière, " Nous pouvons penser au plein emploi pour dans dix ans ", je pense qu'il a évoqué une idée qui était encore audacieuse à l'époque et à laquelle on est en train de s'habituer. Donc, entre le rapport CHARPIN et le rapport TEULADE, il y a cette différence-là. D'autre part, le rapport TEULADE est un rapport qui n'a pas été demandé par le gouvernement, qui a été demandé par le Conseil économique et social, qui est le lieu de confrontations et d'échanges des forces sociales organisées et il part d'une approche qui est évidemment une approche de préservation des régimes, dans laquelle il souhaite qu'on touche le moins possible aux situations acquises. Je pense que le gouvernement prendra en compte ces deux approches mais que vraisemblablement, il se situera entre les deux.
ANITA HAUSSER
Et vous, est-ce que vous souhaitez qu'on touche aux situations acquises comme vous dites et plus particulièrement aux régimes spéciaux ?
ALAIN RICHARD
Je ne vais pas me lancer dans une appréciation sur des choses sur lesquelles le Premier ministre prendra position au nom du gouvernement dans deux jours.
ANITA HAUSSER
Et vous le ferez après ?
ALAIN RICHARD
Ca, je ne vois pas quel sens ça aurait. On en a discuté ensemble et c'est le Premier ministre qui l'annoncera.
OLIVIER MAZEROLLE
Il y a le problème du fonds de réserve des retraites.
ALAIN RICHARD
Oui.
OLIVIER MAZEROLLE
Pour savoir de quelle manière il est alimenté et beaucoup de gens... alors il y a une forte discussion au sein de la majorité plurielle sur la question de savoir si on peut céder une certaine partie des actifs de FRANCE TELECOM pour alimenter ce fonds de réserve ou au contraire, faut-il respecter les dogmes et ne rien privatiser du tout, ne rien céder du tout. Vous, votre avis ?
ALAIN RICHARD
Vous avez remarqué que ce gouvernement ne fonctionne pas avec des dogmes en la matière, et les uns et les autres ont eu l'objectivité de le reconnaître. Nous avons une politique d'évolution des structures des entreprises françaises notamment du secteur public, pas pour le simple plaisir d'en tirer de l'argent à court terme, ça, c'est une très grosse différence avec ceux qui nous ont précédés mais pour faire des réorganisations industrielles...et des réorganisations industrielles qui rapportent de la compétitivité, de l'efficacité et des perspectives. Je vous prends un cas, la société THOMSON-CSF, dont je me suis un tout petit peu occupé puisque c'est une entreprise qui a l'essentiel de son activité, les trois-quarts de son activité dans le domaine de la Défense, elle a fait l'objet de regroupements, de nouvelles coopérations avec d'autres entreprises, elle vient encore d'en acquérir une avec l'accord du gouvernement français et du gouvernement britannique en Grande-Bretagne. La part de l'Etat dans cette entreprise a baissé en deux étapes, de 57% à 33% aujourd'hui. Cette entreprise vient d'annoncer plus d'un milliard et demi de bénéfices au titre de l'année 99. Alors, l'essentiel, c'est de faire ça. Ensuite, la manière dont cette richesse nationale a crû, qui se traduit par des recettes de l'Etat, qui se traduit...et par conséquent qui améliore le budget de l'Etat, qui se traduit aussi par des dividendes dont l'Etat peut bénéficier, dont la collectivité peut bénéficier, la façon dont, je dirais, on articule cela pour contribuer à la consolidation des régimes de retraite, c'est une question de modalité. L'essentiel, c'est d'avoir une politique économique qui soit une politique de développement, c'est ce que nous avons aujourd'hui.
PATRICK JARREAU
Est-ce que le principe qui était à l'origine des...au moment où on avait parlé pour la première fois de fonds de réserve, c'était Pierre BEREGOVOY, l'idée, c'était d'affecter les cessions d'actifs de l'Etat à ce fonds de réserve, est-ce que ce principe général vous paraît valable ?
ALAIN RICHARD
Je crois que ça n'est vraiment qu'une petite partie du problème. Si l'Etat garde des actifs dans des entreprises, c'est parce qu'il en a besoin en tant qu'Etat, ce n'est pas simplement pour thésauriser. Moi, si j'ai proposé et que le gouvernement a choisi, des systèmes dans lesquels au sein de ADS, la nouvelle grande entreprise aéronautique et spatiale européenne ou au sein de THOMSON que l'Etat garde des actions, ce n'est pas simplement pour le plaisir d'avoir des actions, c'est parce qu'on pense que ce sont des entreprises stratégiques dans lesquelles il faut que le gouvernement puisse dire son mot au moins pour les grandes décisions. La question du fonds de réserve, c'est d'avoir une sécurité financière accrue. Vous ne pouvez pas facilement...en tout cas, il ne faut pas qu'on pense que si on met des actifs dans le fonds de réserve, le gouvernement pourra s'en servir, ça sera irréversible. Donc, il faudra faire des choix, qui soient des choix qui soient lucides à chaque fois, de pourquoi l'Etat est actionnaire d'une entreprise à un moment donné.
OLIVIER MAZEROLLE
Bien. Monsieur RICHARD, nous allons marquer une pause pour les informations de 19H et puis, nous parlons du Kosovo et de la Défense. (JOURNAL) Et tout de suite donc, le Kosovo, question de Patrick JARREAU.
PATRICK JARREAU
Monsieur RICHARD, est-ce que les conditions d'emploi des troupes françaises dans le cadre de la KFOR, au Kosovo, notamment à Mitrovica sont conformes à ce à quoi elles ont été préparées ou bien est-ce que, comme le disent un certain nombre d'officiers, on leur fait faire des choses qu'elles n'ont jamais appris à faire ?
ALAIN RICHARD
Il y a un peu des deux, c'est un combat juste, je crois que les Français et en général les Européens en restent convaincus, et difficile. Il reste juste, il reste difficile. Déjà depuis deux ans, notre approche militaire de ce conflit a changé plusieurs fois. Nous avons dû et je suis heureux de constater que le dispositif militaire français a été capable de s'adapter à des changements de situation. Aujourd'hui, nous avons, bien sûr, des remontées de violence armée, pour cela, les militaires sont dans leur rôle. Et puis, nous avons des situations intermédiaires de mouvements communautaires, de manifestations, de pressions, de violences qui présentent plus un caractère privé, face auxquelles il faut réagir mais dans une situation globale d'insécurité et dans un état qui n'existe pas. C'est-à-dire qu'il ne faut pas oublier que la plupart des crises dans lesquelles, soit il n'y avait pas d'Etat préexistant, soit il a été totalement destructuré ou détruit. Donc, les troupes qui ont la charge d'établir la sécurité face aux violences armées, sont amenées à faire une quantité d'autres choses, c'est ce qu'on appelle le civilo-militaire, c'est-à-dire qu'elles sont amenées, en même temps, à faire de l'aide à la reconstruction, elles sont amenées en même temps à protéger les institutions civiles et du fait qu'il n'y a pas de police du Kosovo, ou qu'elle est vraiment embryonnaire, du fait que les polices, les éléments de police internationaux sont beaucoup plus difficiles à déployer sur un théâtre où les gens ne connaissent pas la langue, ne savent pas s'organiser ensemble, que les forces armées qui, elles, sont habituées à se projeter et à opérer en coalition, il est vrai qu'il y a une prise en compte de missions, qui à l'idéal devraient être des missions de police par les militaires et je crois qu'il faut l'assumer.
ANITA HAUSSER
...Est-ce qu'il ne va pas falloir procéder à une autre adaptation beaucoup plus profonde, quand Bernard KOUCHNER dit que le multi-ethnisme est impossible au Kosovo ?
ALAIN RICHARD
Non, je crois que ce qu'il dit et que tout le monde sait, c'est que ce territoire particulier a été le théâtre d'oppositions et de violences interethniques pendant des générations.
ANITA HAUSSER
Et continue.
ALAIN RICHARD
Oui, sauf que nous les maîtrisons. Et par conséquent, entre le moment où on empêche les gens de se tuer et le moment où on les amène à coexister, il s'écoule du temps et je vous rappelle que ça fait cinq ans que nous sommes en Bosnie, où les gens s'entretuaient. Aujourd'hui, ils ne s'entretuent plus et on commence à voir des signes, encore modestes, encore insuffisants, de coexistence. Donc, quand on faisait le bilan de la Bosnie, un an après les accords, on se disait naturellement qu'il était désespérant. Quand on le regarde cinq ans après, on se dit qu'il est relativement positif et que ça vaut la peine de continuer. Eh bien, je pense qu'on fera la même évolution en ce qui concerne le Kosovo. Et j'y ajoute une composante politique essentielle, c'est que, puisqu'on sait que les situations de départ sont très difficiles et qu'on agit sur des communautés humaines dans lesquelles il y a des pulsions, dans lesquelles il y a, en plus, un certain sous-développement politique, il faut bien le dire, donc de construire des rapports démocratiques, des rapports humains normaux dans de tels espaces, c'est très difficile mais c'est en même temps le test de la détermination et de la capacité des Européens à aboutir à un résultat. Donc, ne nous y trompons pas, si nous baissons les bras, ce n'est pas simplement un échec sur le Kosovo, on dira, " on les laisse s'entretuer et on passe à la suite ". Ca voudra dire que l'Europe, qui est en train de se construire comme un pôle d'influence politique au niveau international, aura démontré sa faiblesse et ça, ça portera des conséquences sur beaucoup d'autres espaces.
OLIVIER MAZEROLLE
Mais vous dites " aboutir à un résultat ", mais à quel résultat, monsieur RICHARD, dans la mesure où...
ALAIN RICHARD
Le droit pour tous les Kosovars de vivre en paix dans cette province.
OLIVIER MAZEROLLE
... Oui, mais sous quelle tutelle politique car l'avenir...
ALAIN RICHARD
Dans cette province. ...
ANITA HAUSSER
Oui mais justement la résolution de 1944, elle ne semble plus adaptée.
ALAIN RICHARD
Parmi les Etats qui s'engagent et qui forment la volonté de la communauté internationale, personne ne propose de changer les principes de cette résolution. Personne ne propose de changer ces pratiques, ça veut donc dire que, si on précise l'organisation institutionnelle pour un certain temps du Kosovo, ce ne sera ni l'indépendance, ni l'intégration à la Serbie. C'est ça que veut dire le principe d'autonomie substantielle qui a été adopté par les Nations-Unies, qui reste notre mandat et qu'on va faire fonctionner. Et je me permets de vous faire observer que la remontée de violence que nous avons eue à partir du début février et qui, si vous vous en souvenez, est partie de l'attaque à la roquette d'un transport collectif, qui transportait des Serbes, suivait une période de quatre mois où KOUCHNER et l'organisation des Nations-Unies avaient fait de sérieux progrès, où une partie des chefs... des représentants de la communauté albanophones avaient accepté d'entrer dans l'exécutif provisoire qu'avait structuré Bernard KOUCHNER et où le premier représentant de la communauté serbe envisageait d'accepter d'y participer. C'est à ce moment-là qu'on a eu un acte qui était évidemment un acte de provocation. Ca a duré un mois et nous reprenons la maîtrise de cette situation et nous le faisons en complète cohésion de tous les alliés de la Kfor.
PATRICK JARREAU
... Oui, mais quand même sur ce point, si c'est permis de poser une question au ministre de la Défense, la presse, LE POINT, LE CANARD ENCHAINE ont fait état de notes, dont vous n'avez pas nié l'existence, de notes émanant du commandement sur le terrain, du commandement français, qui mettaient en cause la politique de Bernard KOUCHNER qui estimaient que Bernard KOUCHNER ne faisait pas suffisamment droit aux revendications des Serbes...
ALAIN RICHARD
Non, ce n'est pas exact...
PATRICK JARREAU
... Et avait un biais en quelque sorte pro-albanophone dans sa gestion de la situation dans cette ville.
ALAIN RICHARD
... Ces textes qui étaient des textes internes à la Défense et qui étaient nécessaires pour que le commandement national soit correctement informé portaient sur des nuances d'appréciation et ne comportaient aucune critique d'orientation politique à l'encontre...
PATRICK JARREAU
Il y avait des nuances.
ALAIN RICHARD
... Evidemment il y a des nuances dans une situation pareille et il est normal que le commandement national en soit informé. Il n'y a pas de divergences entre les responsables militaires de la Kfor, qu'ils soient français, qu'il soit le général allemand qui commande la Kfor aujourd'hui, qu'il soit l'ensemble de l'état-major avec le représentant des Nations Unies.
OLIVIER MAZEROLLE
Alors un événement important va se produire, il est en train de se produire d'ailleurs, c'est que l'Eurocorps est en train de prendre le commandement de la Kfor, donc de la force de paix au Kosovo. Mais cette prise de commandement a suscité les critiques hier de madame ALBRIGHT qui dit " voilà un test pour l'Union européenne, mais les pays européens ne sont pas d'accord entre eux, donc on ne comprend pas très bien ce qu'ils veulent ; ensuite ces rotations constantes, il y a eu un Britannique à la tête de la Kfor, ensuite un Allemand, maintenant c'est un Espagnol à la tête de l'Eurocorps, enfin on voudrait être sûr que les Européens savent bien ce qu'ils veulent faire ".
Elle doute de la capacité de l'Europe ?
ALAIN RICHARD
Ecoutez, on peut tirer d'une déclaration, peut-être pas totalement contrôlée, un mot ou deux, mais rappelez-vous une chose : si les Etats-Unis avaient vraiment voulu s'opposer à ce que les Européens affirment leur vocation de défense et commencent à organiser leur défense conjointe par les déclarations de Cologne et d'Helsinki, je pense que s'ils avaient vraiment voulu s'y opposer, ils y seraient parvenus, ils ont beaucoup d'alliés très proches au sein de l'Union européenne et en tout cas, au sein de l'alliance Atlantique, si les Etats-Unis avaient voulu s'opposer à ce que la relève du commandement de la Kfor, puisque cette relève a lieu tous les six mois, et ça, excusez-moi, madame ALBRIGHT peut avoir une opinion un peu particulière sur ce sujet, mais c'est un principe entre les militaires que, vu les charges extrêmement lourdes de commandement d'une telle force, la relève se fait tous les six mois. Bien, si les Etats-Unis avaient voulu à ce que la relève bénéficie à l'Eurocorps au mois d'avril, ils avaient évidemment tous les moyens de s'y opposer, ils y ont été favorables. La réalité est que la montée de responsabilités de l'Union européenne en matière de sécurité sur notre continent se fait avec l'approbation des Etats-Unis.
OLIVIER MAZEROLLE
Alors quels sont les objectifs de cette défense européenne qui est en construction ? L'Europe a-t-elle pour intention de devenir une super puissance à l'image des Etats-Unis ?
ALAIN RICHARD
Non, je crois que vous situez bien les choses, il s'agit au contraire, en complément de l'alliance Atlantique, qui reste un pilier de sécurité collective auquel nous adhérons tous, il s'agit pour les crises de taille régionale, qu'on peut illustrer en prenant le cas du Kosovo, il est normal au sein de l'alliance Atlantique que les Etats-Unis, qui ont par ailleurs beaucoup d'autres responsabilités en dehors de l'Europe, n'aient pas à s'engager aussi fortement qu'ils ont eu à le faire, par exemple pendant la période des frappes aériennes, et donc ils ont réclamé ça de longue date de leurs alliés européens. Les Européens, de leur côté, voient bien qu'en dehors du péril vital en quelque sorte auquel ils avaient à faire face dans les années 70 ou 80, du temps du pacte de Varsovie, ils ont aujourd'hui à faire face à des crises locales européennes qui les impliquent de beaucoup plus près et qui sont de leur champ de responsabilités. Donc il fallait bien que l'Union européenne se donne des outils. Par ailleurs, pourquoi est-ce que c'est devenu possible, alors que ça ne l'était pas avant ? Moi, je ne veux pas réduire le mérite des acteurs, dont je fais modestement partie, qui construisent cette Europe de la Défense maintenant, mais si nos prédécesseurs n'ont pas pu la faire avant, c'est parce qu'il y avait de toutes autres conditions stratégiques et historiques. Aujourd'hui, c'est possible, pourquoi ? Entre autres, parce que l'Union européenne a quand même obtenu beaucoup de réussites et que sa crédibilité dans d'autres domaines, sa capacité de prendre des décisions a été démontrée. Je pense que, par exemple, l'euro a été - en tout cas pour un Européen comme moi - l'euro a été une démonstration aux yeux des Européens eux-mêmes de leur capacité de franchir des obstacles. Et ils ont beaucoup plus de valeurs et beaucoup plus d'objectifs communs à défendre aujourd'hui qu'il y a 20 ou 30 ans. Donc évidemment, mettre la défense en commun, ça fait partie des choses intimes en quelque sorte d'une Nation, c'est devenu possible aujourd'hui, plusieurs de nos Etats, de nos Nations ont évolué sur ce sujet. C'est vrai que l'approche britannique était très réticente jusqu'à il y a quelques années, a aussi bénéficié du renouvellement de la politique britannique et notamment du changement de gouvernement en 97. Donc c'est devenu possible, nous sommes en train de le faire, mais il s'agira pour la décennie que je peux prévoir d'une capacité conjointe consentie par les Etats librement, donc sur lesquels ils devront statuer, qu'ils devront employer s'il y a une crise au consensus entre eux. On ne fonctionnera pas à la majorité qualifiée, si vous voulez, pour envoyer des troupes quelque part, sur la base d'options politiques qu'ils auront arrêtées en commun, donc dans un système de décision de crise que nous avons mis en place et il s'agira d'un système qui n'a pas la portée du système américain. Mais simplement ça, c'est quand même un changement d'équilibre mondial.
PATRICK JARREAU
Cette évolution de la Défense française, elle s'intègre, comme vous venez de le dire, dans la recherche d'une Défense européenne, mais elle a aussi une dimension nationale qui a été donc l'annonce en 96 par le président de la République de cette professionnalisation de l'armée française et donc de la fin de la conscription et du service national tel qu'on l'a connu jusqu'à maintenant. Or, il se trouve qu'un certain nombre de jeunes gens, qui étaient redevables de ce service national, qui ont bénéficié du sursis au titre de leurs études, se voient menacés aujourd'hui de devoir faire leur service national...
ALAIN RICHARD
Comme tous ceux qui l'ont fait avant eux.
PATRICK JARREAU
... Comme tous ceux qui l'ont fait avant eux. Et ils ont le sentiment qu'au fond, on va - alors qu'ils se sont souvent engagés dans la vie active - on va les obliger à cesser leurs activités pour aller faire un service national dont il est acquis qu'il vit ses dernières années ou même ses derniers mois ?
ALAIN RICHARD
Oui, c'est malgré tout une évolution qu'on arrive assez bien à maîtriser, d'une part parce que je crois que chacun comprend qu'une telle mutation demande du temps, elle a été planifiée sur six ans, donc nous en sommes à la quatrième année, elle se déroule de façon maîtrisée. Deuxièmement, parce qu'on est dans une République où il y a écrit " égalité " et où tous les jeunes qui sont nés avant une certaine date, pour lesquels le service militaire était une obligation, auront à faire face à cette obligation et troisièmement...
PATRICK JARREAU
D'accord, mais ceux qui ne l'ont pas fait à 18 ans alors ?
?
ALAIN RICHARD
Troisièmement, nous avons tenu compte de la situation particulière dans la loi de 97, qui a été prise sous ce gouvernement et par cette majorité, pour organiser ce processus, cette transition, nous avons tenu compte des situations de travail, d'une part en prévoyant que lorsqu'un jeune, qui a un emploi et qui est déjà inséré dans son emploi, est appelé au service national, son contrat de travail est maintenu, donc il peut y avoir un problème de revenu et c'est une raison en réalité qu'un certain nombre de jeunes sont réticents parce qu'ils perdent leur salaire pendant ce temps-là. Mais il n'y a pas de problème d'emploi, ils gardent leur emploi, c'est le code du travail ; et deuxièmement, parce que nous avons prévu des mécanismes de report pour tous les jeunes qui sont justement en phase de stabilisation professionnelle. Ce qui fait que des décisions individuelles sont prises, que nous arrivons à garder le nombre de jeunes nécessaire pour continuer à faire fonctionner un certain nombre de services de la Défense pendant cette période de transition, que les jeunes en question assument cette fonction de façon tout à fait consciencieuse et qu'on tient compte des situations particulières.
PATRICK JARREAU
Est-ce que ce n'est pas une certaine injustice que certains sursitaires soient appelés et que d'autres ne le soient pas ?
ALAIN RICHARD
On essaie d'appliquer le principe d'égalité au mieux, si quelqu'un a une meilleure solution, qui soit compatible avec le fonctionnement des armées, je l'entends, mais pour l'instant je n'ai pas entendu beaucoup de propositions.
OLIVIER MAZEROLLE
Donc c'est une étude cas par cas, si je comprends bien ?
ALAIN RICHARD
Oui en fonction du niveau d'intégration professionnelle des jeunes. Lorsqu'un jeune a un contrat de travail, qu'il a passé sa période d'essai, qu'il est dans une entreprise, tout à fait stable, on lui dit " vous allez faire votre service et vous reviendrez dans dix mois ".
OLIVIER MAZEROLLE
Sinon le sursis pourrait être définitif ?
ALAIN RICHARD
Si l'entreprise est fragile, il a le droit ou s'il est dans l'entreprise que depuis peu de temps ou que par exemple sa période a été renouvelée, à ce moment-là, il a droit à un report.
OLIVIER MAZEROLLE
A un report, mais un report seulement ou... Il fera son service ?
ALAIN RICHARD
Mais ce report peut être renouvelé en fonction de la situation du jeune et de l'entreprise.
PATRICK JARREAU
Donc il peut être renouvelé jusqu'à la fin de la période ?
ALAIN RICHARD
Oui.
OLIVIER MAZEROLLE
Jusqu'à 2002.
PATRICK JARREAU
Donc ça revient à une dispense ?
ALAIN RICHARD
Oui. Mais il faut bien que nous trouvions une solution. On ne peut pas priver la Défense des 80 000 jeunes, dont elle a encore besoin. Quand la transition a commencé, il y avait 200 000 appelés et on ne peut pas non plus ne pas tenir compte des situations individuelles. Donc on a trouvé une situation de compromis et qui se place d'ailleurs sous le contrôle du juge, c'est-à-dire que les décisions par lesquelles sont appelés et d'autres bénéficient de report sont naturellement soumises à un contrôle de l'égalité et en général nos décisions sont approuvées. Je voudrais préciser par ailleurs que cette décision de 96, que le gouvernement d'aujourd'hui assume, était dans la logique d'une réorganisation d'un système de Défense qui avait été aussi pensée avant. Le livre blanc de la Défense a été, lui, établi, approuvé sous le septennat de François MITTERRAND et j'y attache une certaine importance pour deux raisons. La première, c'est que ça prouve que ces nouvelles orientations de Défense sont bipartisanes et que, d'autre part, notre pays a sûrement été parmi les pays européens celui qui a eu le plus de rapidité et je crois de clairvoyance pour prévoir comment réorganiser sa Défense face aux nouveaux enjeux. Et le résultat, c'est qu'aujourd'hui, par rapport à tous les types de situations dans lesquels ils sont sollicités, les militaires français des trois armées et les gendarmes sont généralement très fortement approuvés dans les résultats qu'ils obtiennent et dans les attitudes qu'ils tiennent dans des situations très difficiles.
OLIVIER MAZEROLLE
Politique bipartisane. Vous êtes dans un champ avec la Défense, comme Hubert VEDRINE en politique étrangère, où la cohabitation est un peu plus sensible. Alors vous la vivez de quelle manière, cette cohabitation, vous, à la Défense ?
ALAIN RICHARD
Consciencieusement.
OLIVIER MAZEROLLE
Consciencieusement, eh bien dites donc, ça veut dire qu'il faut s'appliquer alors ?
ALAIN RICHARD
Ca veut dire que c'est une responsabilité, ça veut dire que dans cette fonction, on doit s'efforcer de justifier la confiance qui a été consentie en commun par le chef de l'Etat et par le chef du gouvernement. Ca suppose de travailler ses dossiers, ça suppose de ne pas faire des vacarmes sur des sujets qui ne le justifient pas et ça suppose d'essayer d'être aussi efficace que possible une fois que les décisions ont été prises.
OLIVIER MAZEROLLE
La définition du rôle de chacun ?
ALAIN RICHARD
Elle est dans la Constitution.
OLIVIER MAZEROLLE
C'est-à-dire ?
ALAIN RICHARD
Le chef de l'Etat est le chef des armées, le Premier ministre est responsable de la Défense nationale.
OLIVIER MAZEROLLE
Et comment on se débrouille avec ça ?
ALAIN RICHARD
Eh bien comme vous voyez.
OLIVIER MAZEROLLE
Parce que, par exemple, Hubert VEDRINE dit " le chef de l'Etat a un rôle imminent en politique étrangère ", alors en Défense ?
ALAIN RICHARD
Chef des armées, responsable de la Défense nationale.
OLIVIER MAZEROLLE
Très bien.

ANITA HAUSSER
Je voudrais parler de la Gendarmerie. Il semblerait qu'il y ait une grogne qui s'installe dans les rangs de la Gendarmerie. On parle même d'un mouvement semblable à celui de 89 qui serait en gestation...
ALAIN RICHARD
Vous ne savez pas une chose, Anita HAUSSER, depuis que j'ai la responsabilité de ce ministère, les organes de concertation nationale des armées, qui tiennent des séances tous les six mois, dans lesquelles tous les problèmes professionnels sont abordés, ont un compte rendu qui est communiqué à la presse.
ANITA HAUSSER
Mais les gendarmes ne peuvent pas s'exprimer ?
ALAIN RICHARD
Si, dans ces conseils et ils l'ont fait et vous en avez le compte-rendu.
PATRICK JARREAU
En tout cas, ils ne sont pas contents ou un certain nombre d'entre eux ne le sont pas et...
ALAIN RICHARD
Non, ne plaisantons pas avec ça. Pendant... Quand il y a un corps de 90 000 hommes, qui est fortement sollicité, qui a des charges importantes, qui est un corps militaire, donc dont tous les membres ont à assumer -et ils y tiennent à ce statut- à assumer un certain nombre de charges et d'obligations et que le gouvernement en les ayant entendus, parce que ceci s'est exprimé par les voies normales, par le système de concertations auquel j'attache la plus grande importance et que j'essaie de faire vivre et maintenant de manière publique.
OLIVIER MAZEROLLE
... Donc ils ont fait connaître leur mécontentement puisqu'il y a eu concertation...
ANITA HAUSSER
Donc le mécontentement existe ?
ALAIN RICHARD
... Oui, mais nous en avons parlé, on a travaillé en temps et en heure, c'est avec un système concerté qu'on a pris des mesures qui sont aujourd'hui mises en application.
PATRICK JARREAU
Oui, vous avez... il y a un peu moins d'un an s'est produite l'affaire qu'on a appelé l'affaire des paillotes, hein, qui a mis en cause des gendarmes en Corse et puis on a vu que vous avez procédé à un remaniement important de l'état-major de la Gendarmerie, le directeur général a été remplacé, le major général a été remplacé, etc... et un certain nombre d'autres. Mais on ne vous a jamais entendu dire publiquement quel diagnostic vous faites de ce qui s'est passé à ce moment-là en Corse et quel est l'état d'esprit actuellement de la Gendarmerie...
ALAIN RICHARD
Si, il y a eu un rapport d'inspection et je me suis exprimé devant l'Assemblée nationale, donc l'appréciation je l'ai portée. Il s'agit d'infractions graves qui ont été commises à titre individuel et qui ont été reconnues par des officiers de Gendarmerie et en particulier par le commandant de la légion de Gendarmerie. Ils sont maintenant devant la justice. J'ai pris des mesures relatives au contrôle de ces unités. Le gouvernement a choisi de dissoudre l'unité particulière qui avait été créée en Corse et de rétablir ces missions dans le cadre des structures normales. Quant au mouvement d'autorité dont vous parlez, le directeur général, Bernard PREVOST était en fonction depuis quatre ans, il a été nommé...
PATRICK JARREAU
Donc ça n'a aucun rapport avec ce qui s'est passé...
ALAIN RICHARD
... Ca s'est produit huit mois après le mouvement dont vous parlez. J'ai réaffirmé ma confiance dans sa totale loyauté et dans sa totale maîtrise de l'arme pendant toute la période après, il a été nommé dans une préfecture importante...
PATRICK JARREAU
Et tous les officiers généraux qui ont été déplacés ou mutés ne l'ont été sans que ça ait le moindre lien avec ce qui s'est passé ?
ALAIN RICHARD
... Ils l'ont été généralement pour se remplacer les uns les autres...
PATRICK JARREAU
D'accord, donc ils ont été globalement félicités en fait ?
ALAIN RICHARD
... Non, mais permettez-moi de vous dire que s'il y en avait qui avaient dû être privés de leur fonction à cause de manquement, je l'aurais fait dans le quart d'heure.
OLIVIER MAZEROLLE
Nous arrivons au terme de cette émission...
ALAIN RICHARD
Et en ce qui concerne la situation du Colonel MAZERES, dont je suis convaincu qu'il a commis une faute grave, en effet il a été privé de ses fonctions instantanément.
OLIVIER MAZEROLLE
... Nous arrivons bientôt au terme de cette émission. Monsieur RICHARD, la Commission de la Défense de l'Assemblée nationale veut proposer la modification de l'article 35 de la Constitution, c'est-à-dire obliger le gouvernement à une déclaration d'intention devant le Parlement avant d'engager des troupes françaises sur des terrains d'opérations extérieures. Etes-vous favorable à une réforme comme celle-là ?
ALAIN RICHARD
Ca ne peut pas se discuter de façon conjoncturelle, c'est forcément une réforme de la Constitution, c'est pour ça qu'elle trouve forcément place dans un contexte de projet pour l'avenir. Je pense que c'est une question qui pourra être utilement discutée au moment de la prochaine élection présidentielle. Ce que je veux souligner entre temps, c'est que beaucoup de mesures d'informations, de transparence et de dialogue ont été prises par ce gouvernement, sur ma proposition en matière de Défense, dans de nombreux domaines. Nous avons fait une nouvelle loi sur le secret Défense Nous avons pour la première fois présenté un rapport d'activité au Parlement sur les ventes d'équipements militaires. Nous avons proposé au Parlement, qui l'a adoptée, une nouvelle législation en matière de corruption, qui touchait un certain nombre de relations internationales en matière de commerce d'armes...
ANITA HAUSSER
Le problème des renseignements aussi.
ALAIN RICHARD
... Nous avons également présenté au Parlement un très grand nombre d'informations à tous les responsables parlementaires, qu'il soit président de groupe, président de commission, pendant la crise du Kosovo. Donc je crois que cette démarche de transparence, elle se poursuit.
OLIVIER MAZEROLLE
Sur les ventes d'armes, le rapport tellement transparent, en effet, par rapport à ce qui se fait dans d'autres pays, qui suscite quelques craintes des industriels de l'armement de perte de marchés.
ALAIN RICHARD
Non, je crois qu'on n'est pas irresponsable sur ce sujet et, de toute manière, les marchés que nous passons sont très contrôlés politiquement et on ne laisse pas les entreprises de Défense des équipements de Défense où elles veulent et sans conditions, tout ça est très contrôlé par le gouvernement, il nous a paru judicieux d'en rendre compte de façon claire au Parlement.
ANITA HAUSSER
Et monsieur le ministre, vous n'êtes pas favorable à la communication des rapports des services de renseignements à des députés, disons assermentés, comme le proposent Paul QUILES et Arthur PAECHT.
ALAIN RICHARD
Si, si, nous travaillons sur ce sujet, je l'ai dit à Paul QUILES d'ailleurs. Mais simplement, bien entendu, les services qui travaillent sous la responsabilité du ministère de la Défense en matière de sécurité nationale ne peuvent fournir à quiconque que des renseignements qui sont filtrés, ça c'est compréhensible.
ANITA HAUSSER
Mais dans d'autres pays, dans d'autres démocraties, ça se pratique ?
ALAIN RICHARD
C'est pour ça que nous allons nous rapprocher de systèmes qui existent dans d'autres pays, dont certains fonctionnent et d'autres fonctionnent moins bien. Donc on essaiera d'en tirer le meilleur.
OLIVIER MAZEROLLE
Merci monsieur RICHARD. C'était votre participation au GRAND JURY/RTL/LE MONDE/LCI. La semaine prochaine, nous recevrons François BAYROU, président de l'UDF. Bonne soirée à tous.
(Source http://www.defense.gouv.fr, le 18 mai 2000)