Déclaration de M. François Huwart, secrétaire d'Etat au commerce extérieur, sur les relations commerciales existant entre l' Union européenne et les Etats Unis et sur les différents contentieux commerciaux les opposant, à l'Assemblée nationale, le 8 novembre 2000.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Colloque sur les relations transatlantiques, à l'Assemblée nationale, le 8 novembre 2000

Texte intégral

Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, Messieurs les directeurs,
Vous l'avez déjà dit, je pense, nous vivons quelques moments exceptionnels. Certains, sans doute en dehors de cette salle, y verront une fascination exagérée pour les Etats-Unis, hyperpuissance, qui exercerait son empire, grâce aux médias, jusque dans nos esprits. Non, je crois que nous devons avoir en France un rapport amical avec les Etats-Unis, chaleureux mais dépassionné. Et de ce point de vue, le résultat des élections américaines nous intéresse, même si la politique étrangère n'était pas le champ principal d'opposition entre les candidats. Mais ce désintérêt relatif signifie aussi que même avec G. BUSH, qui, au parti républicain, représente une ligne internationale active, il n'y aura pas de repli de l'Amérique sur elle-même.
Il n'y a donc pas à craindre d'évolutions brutales des rapports des Etats-Unis avec l'Europe en particulier sur le plan diplomatique, c'est évident. Sur le plan commercial, j'y reviendrai en conclusion, la vraie différence sera sans doute la capacité du Président à obtenir le fast track.
Regardons d'abord les différents contentieux qui animent notre relation transatlantique, font parfois les gros titres et mobilisent les gouvernements et les parlementaires.
Comparés aux flux commerciaux et financiers entre les deux rives de l'Atlantique, ces contentieux peuvent paraître secondaires. C'est un peu comme si on voulait se faire une idée de l'économie française en se polarisant sur la seule activité des tribunaux de commerce.
D'une certaine manière, ces contentieux sont un peu des arbres qui cachent la forêt, mais d'un autre point de vue, même situés en lisière, ils en font partie.
D'abord, parce que l'Union européenne ne demande pas à la légère l'intervention de l'Organe de Règlement des Différends, et je pense qu'il en est de même des Etats-Unis. Si l'OMC doit trancher un conflit, c'est qu'il pose un problème de droit, donc une question de principe, qui est nécessairement importante même si son impact économique est limité.
Prenons un exemple. L'ORD a donné raison à l'Europe contre les Etats-Unis dans un contentieux sur la musique irlandaise, qui était diffusée dans des lieux publics sans paiement des droits d'auteur. L'enjeu financier dans ce cas n'était pas majeur, mais le principe de la protection de la propriété littéraire et artistique méritait d'être réaffirmé. Et je le souligne contre certains détracteurs, l'OMC a ainsi apporté sa pierre à la promotion de la diversité culturelle.
Plus généralement, les contentieux n'excluent pas le dialogue, et ce sur deux plans.
D'abord, un dialogue en amont pour les prévenir. Nous avons ainsi efficacement travaillé pour obtenir un accord sur la protection des données personnelles sur Internet ; nous échangeons nos points de vue respectifs sur les biotechnologies, et ceux-ci, en partie à cause d'éléments extérieurs qui ont fait évoluer l'opinion publique américaine, sont moins éloignés qu'initialement. On a également désamorcé la tentative -dite projet Hollings- de pénaliser les investissements aux Etats-Unis des entreprises européennes à capitaux publics.
Ensuite, il y a le dialogue en aval, après une décision de l'ORD donnant raison à l'une des deux parties. Ce dialogue n'est pas, j'en conviens, toujours facile, mais l'Union Européenne et la France y sont attachés tant qu'il ne remet pas en cause nos droits.
Quelques éléments sur les sujets en cours.
Sur le buf aux hormones, je rappelle, en général et encore une fois, que l'OMC n'a pas tranché contre le principe de précaution. Celui-ci n'est pas arbitraire mais repose sur l'évaluation politique d'études scientifiques. Or, celles-ci n'étaient pas suffisamment abouties quand l'ORD a eu à décider. En ce sens, l'ORD a pris une décision normale. Pour me faire bien comprendre, je rappelle que dans le cas de l'amiante où les études scientifiques étaient plus argumentées, l'ORD a donné raison à la France qui avait interdit l'amiante contre le Canada. Je ferme cette parenthèse qui visait à mettre les choses au point.
En ce qui concerne la gestion de la décision de l'ORD sur le buf aux hormones, nous travaillons donc avec les Etats-Unis sur des mesures de compensation en faveur du buf américain sans hormones.
Pour la banane, l'Union européenne a mandaté la Commission pour discuter avec les Etats-Unis sur une base dite " premier arrivé, premier servi ". La discussion n'est pas facile, non pas à cause de l'Union, mais parce que notre partenaire doit gérer les intérêts de deux entreprises qui ne sont pas d'accord entre elles, alors même que l'une est favorable à la proposition de l'Union. Je laisse aux sociologues l'étude fine du rôle des lobbies dans les contentieux commerciaux, mais j'observe, dans le fonctionnement complexe du système américain, qu'il rend parfois plus difficile une prise de position claire et pérenne de l'administration.
C'est ainsi que l'Europe avec 15 Etats, et la Commission, est parfois plus unie, plus cohérente que nos interlocuteurs. C'est un paradoxe qui va donc à l'encontre des préjugés. Je ne me hâterai pas à le généraliser au-delà de la sphère commerciale, mais, dans ce domaine, il explique la persistance de certaines difficultés.
J'ai évidemment à l'esprit, comme vous, le cas des FSC. Je ne reviens pas sur le fond du dossier, la condamnation par l'OMC du système qui favorise à hauteur d'environ 4 milliards de dollars par an les exportateurs américains. Nous avions accepté la requête des Etats-Unis de prolonger d'un mois le délai de mise en conformité accordé par l'OMC, car cette période supplémentaire ne remettait aucunement en cause les droits de l'Union. Cependant, si le Sénat a voté la loi, la Chambre des représentants ne l'a pas fait avant la fin de la session, parce qu'elle cherchait à obtenir de l'administration des concessions sur d'autres sujets. Bref, la situation dans laquelle nous sommes aujourd'hui n'est pas, à cause du jeu parlementaire qui a sa propre logique, celle sur laquelle nous avions conclu en septembre avec l'administration américaine un accord de procédure.
Au delà de ces cas précis, il faut bien retenir deux leçons. D'abord, ne pas tirer d'une tension commerciale des conséquences sur une relation politique globale. Nous avons 13 contentieux à l'OMC avec les Etats-Unis, et 10 avec l'Inde. Or, nous ne parlons pas de crise entre l'Europe et l'Inde, ne le faisons pas davantage avec les Etats-Unis.
Seconde leçon corrélative : il n'y a pas de guerre commerciale avec les Etats-Unis, précisément parce que nos différends sont maintenant, grâce à l'OMC, soumis clairement à la juridiction de l'ORD. Nous avons décidé, comme les autres membres de l'OMC, de confier au juge le traitement de nos litiges, conformément à des règles de droit acceptées en commun. C'est un progrès considérable.
*
Parlons donc maintenant de la forêt.
Nous appartenons à un monde multipolaire, dans lequel nous sommes des compétiteurs mais aussi des partenaires, et dans lequel nous pouvons également être ensemble des éclaireurs.
Nous sommes certainement des compétiteurs sur les marchés mondiaux et sur nos marchés domestiques parce que nous avons atteint des niveaux comparables de performance et que nous appartenons à ce qu'on pourrait appeler l'économie du savoir.
Cette compétition nous conduit d'ailleurs à adopter des attitudes symétriques. Certes, l'Europe aide son agriculture, parce que nous voulons maintenir notre tissu rural, mais il est difficile de considérer que les agriculteurs américains sont abandonnés à eux-mêmes.
Certes, les gouvernements européens ont aidé à lancer Airbus, mais il est difficile de croire que Boeing n'a pas profité des programmes fédéraux de recherche. Je rappelle d'ailleurs que le secteur aéronautique est un des exemples majeurs de la coopération industrielle transatlantique.
Compétiteurs et donc aussi partenaires. Rappelons quelques chiffres. Les Etats-Unis et l'Union européenne sont l'un pour l'autre le premier partenaire commercial: 20% de nos exportations s'y dirigent, et 19% de nos importations en proviennent. Pour les Etats-Unis les chiffres sont similaires, et l'ensemble de nos flux commerciaux représente 400 milliard d'euros par an, soit 7,5% des échanges mondiaux. Quant aux investissements, les chiffres sont encore plus frappants: les investissements américains en Europe représentent 59% des investissements étrangers et ceux de l'Europe 56% des investissements étrangers aux Etats-Unis.
Il est naturel que notre relation soit structurée dans un dialogue à visages multiples organisé par le Nouvel Agenda Transatlantique, dont nous allons célébrer le mois prochain les cinq ans. Je ne vais pas vous l'exposer dans le détail, mais, comme vous le savez, il comporte un volet politique qui prend petit à petit un relief nouveau grâce à l'émergence de PESC. Il comprend également un volet culturel, éducatif et scientifique. Et naturellement un volet économique, avec en particulier des dialogues entre sociétés civiles : consommateurs, syndicats et hommes d'affaires, et je serai d'ailleurs à Cincinnati pour clore le TABD (Transatlantic Business Dialogue) la semaine prochaine.
Malgré l'intérêt des travaux sur les accords de reconnaissance mutuelle en matière de normes ou sur la propriété intellectuelle, par exemple, je retiendrai trois dossiers qui, je l'espère, aboutiront à des conclusions importantes lors du sommet UE/Etats-Unis du 18 décembre.
D'abord dans le domaine de la société de l'information. L'Europe a proposé en particulier d'avancer ensemble sur la gouvernance électronique, le règlement de litiges, le fossé numérique, les réseaux de recherche. Je crois que les deux grandes zones les plus avancées dans la société de l'information doivent travailler ensemble pour répondre aux défis d'organisation qu'elle pose aux acteurs économiques, comme aux pouvoirs publics.
Deuxième dossier, les biotechnologies, le nouvel étage de la nouvelle économie, pourrait-on dire. Les experts sont en contact réguliers et nous en attendons des recommandations sur les OGM, en ligne avec le principe de précaution. Les interrogations des consommateurs, ravivée avec l'affaire du maïs Sarlink, outre-Atlantique, et en même temps les progrès réels que l'on peut attendre des biotechnologies doivent être équilibrés. A long terme, nos intérêts ne peuvent être que communs dans ce domaine.
Enfin dernier exemple qui va au-delà de la simple économie. Lors du sommet de mai, à Queluz, l'Europe et les Etats-Unis sont convenus d'une action accélérée contre trois maladies transmissibles, le SIDA, la tuberculose et le paludisme. Il s'agit d'une démarche globale, associant politique de santé, aide au développement et politique commerciale, de manière en particulier à baisser le prix des traitements. Le prochain sommet devrait permettre de concrétiser cette initiative.
Vous voyez que compétiteurs et partenaires, les Etats-Unis et l'Europe ont aussi vocation à être des éclaireurs.
Les Etats-Unis en ont l'habitude et même l'orgueil. Ils ont connu une expansion remarquable et jeté les bases de la nouvelle économie. Mais l'Europe n'a pas non plus à rougir.
Nous avons mis en uvre une nouvelle monnaie, un projet unique dans l'histoire des nations :
- nous avons renoué avec la croissance,
- développé à notre tour les NTIC,
- nous nous préparons à élargir l'Union, pour étendre la stabilité et la prospérité à l'ensemble de notre continent.
Enfin, nous avons, peut-être mieux que les Etats-Unis, pris en compte les défis globaux que notre planète doit affronter en matière de régulation, de développement et d'environnement.
C'est grâce à nos forces respectives que nous devons essayer de travailler ensemble et avec les pays en développement à lancer un nouveau cycle de négociations à l'OMC.
Se poser cette question peut sembler prématuré. Mais, c'est pourquoi ce colloque a été judicieusement organisé aujourd'hui, nous pouvons réfléchir plus librement à nos intérêts communs avant que de nouvelles équipes se mettent en place. J'en dirai donc quelques mots en conclusion.
On a reproché à l'Europe d'avoir voulu que soit lancé à Seattle un cycle trop large de négociations. Les causes de l'échec de la conférence sont ailleurs évidemment, en particulier dans le blocage par certains pays du processus de préparation de la conférence. Néanmoins, les critiques des ambitions européennes demeurent. Sont-elles fondées? Je ne le crois pas, car l'évolution économique du monde montre que les problèmes que nous voulons poser à l'OMC sont ceux auxquels nous sommes tous confrontés.
En matière d'environnement, il faut avant un contentieux éventuel résoudre le conflit potentiel entre les accords sur l'environnement qui comprennent des éléments commerciaux, et les règles de l'OMC. L'Union européenne a présenté des solutions de procédure dans cette direction. Il faut également baisser les barrières sur les biens et les services qui permettent de protéger l'environnement.
En matière de concurrence, il devient de plus en plus évident, qu'on pense aux places de marché sur Internet, que les pays doivent mettre en place des autorités de la concurrence, fonctionnant sur des bases similaires et coopérant entre elles. D'ailleurs, ce ne serait que généraliser à l'échelle globale les relations étroites et utiles entre autorités de la concurrence européenne et américaine.
Dans le domaine du commerce électronique, il faut non seulement favoriser, par des mesures d'ouverture commerciale, la diffusion des équipements et des technologies, mais également protéger la propriété intellectuelle, ou la vie privée des consommateurs.

Enfin, en ce qui concerne les normes sociales, il faudra trouver des possibilités d'évolution des positions toujours très opposées entre les différents pays, à moins d'attendre une évolution jurisprudentielle émanant de l'ORD, saisi au nom d'une interprétation extensive des dispositions de l'article XX du Gatt sur le travail forcé.
Les positions défendues par l'Europe, à Seattle, restent donc d'actualité. Elles correspondent aux besoins de régulation de l'économie mondiale et aux demandes de nos opinions publiques, au moins en Europe et aux Etats-Unis.
Je souhaite donc que la future administration américaine puisse nous rejoindre dans cette stratégie, finalement enracinée dans beaucoup de nos valeurs communes.
Je vous remercie.
(source http://www.commerce-exterieur.gouv.fr, le 17 novembre 2000)