Discours de M. Christian Paul, secrétaire d'Etat à l'outre-mer, sur la proposition de loi organique tendant à rééquilibrer la représentation des îles au sein de l'Assemblée territoriale de la Polynésie française, Paris, le 22 novembre 2000.

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Circonstance : Présentation de la proposition de loi organique destinée à améliorer l'équité des élections à l'Assemblée de la Polynésie française au Sénat, Paris, le 22 novembre 2000

Texte intégral

Monsieur le Président,
Monsieur le Président de la commission des lois,
Monsieur le Rapporteur,
Mesdames et Messieurs les Sénateurs,
J'étais, il y a un mois, à la fin du mois d'octobre, en Polynésie française et j'ai pu, de manière très concrète, me rendre compte, en me rendant de Papeete à Rangiroa puis à Tikehau, de l'importance et de la difficulté du débat que nous allons avoir aujourd'hui. La Polynésie est un territoire impressionnant, par ses dimensions, ses distances, les modes de communication qui sont nécessaires, certes mais aussi par le caractère peu homogène de la répartition de la population.
L'on y constate plusieurs déséquilibres ou survivance d'anciens modes d'administration en terme de fonctionnement, d'organisation ou d'expression de la démocratie :
déséquilibre à l'Assemblée territoriale dans la répartition des sièges de conseiller territorial. C'est l'objet de la proposition de loi qui vous est soumise ; j'y reviendrai en détail.
survivance de textes anciens en matière d'autonomie communale. Les lois de décentralisation ne sont pas applicables en Polynésie qui fonctionne encore sous le régime de la tutelle ;
s'agissant des élections pour les conseils municipaux c'est là encore la survivance d'anciens textes qui conduit à ce que l'opposition n'y soit pas représentée.
l'absence d'échelon intermédiaire entre commune d'une part et gouvernement et assemblée territoriale d'autre part, m'a été souvent présenté comme un déficit qu'il faudrait combler ;
Sur les aspects communaux le Gouvernement souhaite - et l'ensemble des parlementaires de Polynésie que j'ai rencontrés sur place en sont d'accord - mettre en chantier la réforme du statut communal durant la présente législature.
L'association des maires ainsi que l'assemblée territoriale adhérent à cette perspective à laquelle il faudra donner un contenu.
- plus généralement j'ai perçu en Polynésie une demande de démocratie, une demande que l'intérêt général soit affirmé, une demande de République tout simplement.
Mais pour revenir à l'objet de cette séance, j'ai pu constater que le renforcement de la représentativité des élus et l'équilibre dans la répartition des sièges constituait un objectif partagé par tous, aussi bien à Paris - M. LANIER votre rapporteur vient de nous le montrer une nouvelle fois- qu'à Papeete, où je l'ai constaté moi-même.
La " proposition de loi organique destinée à améliorer l'équité des élections à l'assemblée de la Polynésie française ", déposée par Monsieur le député Emile VERNAUDON, a été
adoptée en première lecture à l'Assemblée nationale le 22 juin dernier.
Compte-tenu du déséquilibre constaté, c'est un véritable " devoir démocratique " qu'une réforme de la répartition des sièges à l'assemblée de la Polynésie française intervienne avant les prochaines élections territoriales en mai 2001 et c'est pourquoi le Gouvernement avait déclaré l'urgence sur ce texte. M. LANIER, dans son rapport pour la commission des lois du Sénat, rappelle que j'ai toujours été hostile à la transformation des règles du jeu à quelques semaines des scrutins. Le député ne fera pas mentir le secrétaire d'Etat. Je vous le confirme à nouveau. Mais, en ce qui concerne la Polynésie, nous sommes d'une part, encore à six mois du scrutin territorial mais c'est surtout, d'autre part, la présence du consensus sur la nécessité de corriger le déséquilibre dans la représentation de la circonscription des Iles du Vent qui nous conduit à faire progresser la démocratie en rééquilibrant la représentation des différentes circonscriptions. Chaque parlementaire de Polynésie a d'ailleurs déposé une proposition de loi visant à corriger ce déséquilibre. Le Gouvernement n'est donc pas à l'initiative de cette modification mais s'agissant d'une question d'équité dans la représentation des populations, il ne peut que soutenir la démarche et faire tout pour qu'elle s'applique le plus rapidement possible.
Mesdames et Messieurs les Sénateurs, aujourd'hui la représentation des habitants des différentes circonscriptions électorales au sein de l'assemblée de la Polynésie française n'est pas satisfaisante.
Le nombre des sièges de l'assemblée et leur répartition au sein de 5 circonscriptions ont été fixés par la loi du 18 décembre 1985. L'assemblée est composée de 41 membres, élus selon la répartition suivante :
Iles du Vent (Tahiti et Moorea pour l'essentiel) : 22 conseillers
Iles Sous-le-Vent : 8
Iles Australes : 3
Iles Marquises : 3
Iles Tuamotu Gambier : 5
Or, avec près de 165.000 habitants au dernier recensement de 1996, les Iles du Vent représentent près de 74 % de la population mais ne disposent que de 53,6 % des sièges.
Il est donc indispensable de rééquilibrer la répartition des sièges au profit des Iles du Vent.
Or, vous le savez, et votre rapporteur, M. Lucien LANIER, l'a longuement développé, la représentation des différentes circonscriptions doit répondre à deux exigences fortes :
le principe d'égalité qui impose que le suffrage de chaque électeur pèse d'un poids identique ;
l'élection doit se faire sur des bases essentiellement démographiques. Cela ne signifie bien sûr pas qu'une stricte proportionnalité doit être respectée : la démocratie n'est pas un exercice de mathématique. Le Conseil constitutionnel a reconnu au législateur notamment, dans la décision du 8 août 1985 sur la Nouvelle-Calédonie, la possibilité de tenir compte d'impératifs précis d'intérêt général.
On peut ainsi penser que la représentation d'archipels éloignés par un nombre minimum d'élus s'inscrit dans cette jurisprudence, mais seulement en complément de la prise en compte du poids démographique réel de ces îles.
Cette réforme n'est pas seulement un devoir démocratique, c'est aussi une exigence constitutionnelle.
Car pour le conseil constitutionnel, le critère de la population reste essentiel. Il a été appliqué aussi bien pour l'élection de députés dans une décision des 1er et 2 juillet 1986 que pour celle des membres du conseil municipal de la ville de Marseille (décision du 7 juillet 1987). Il est appliqué par le Conseil d'Etat pour le contrôle du découpage cantonal (28 janvier 1987, Tanguy et Guillou).
Aussi, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, la nécessité de procéder à un rééquilibrage de la représentation au profit des îles du Vent, est une exigence constitutionnelle à satisfaire avant les prochaines élections.

Ce diagnostic est largement partagé. J'en veux pour preuve la multiplication des propositions de loi qui se sont fait jour, émanant, le rapporteur l'a évoqué de tous les parlementaires de Polynésie française. Ainsi, votre collègue Monsieur Gaston FLOSSE avait déposé une proposition de loi organique en ce sens.
Cette proposition ne pouvait prospérer, compte tenu du risque constitutionnel : l'assemblée territoriale avait certes formulé un vu par une délibération de mai 1999 mais il ne s'agissait que d'un vu et non d'un avis formel sur la proposition de loi.
C'est pourquoi l'Assemblée nationale a pris l'initiative d'examiner la proposition de loi déposée par M. Emile VERNAUDON qui attribue, à effectif de l'assemblée constant, 29 sièges aux Iles du Vent au lieu de 22 actuellement et aux Iles sous le Vent 5 sièges, aux Marquises 2 sièges, aux Australes 2 sièges et 3 sièges aux Tuamotu-Gambier.
Aujourd'hui votre commission des lois propose, en s'inspirant d'une autre proposition qui avait été formulée par deux députés, de porter à 30 sièges, soit 8 sièges supplémentaires, la représentation des îles du Vent tout en maintenant le nombre de sièges actuellement attribués aux archipels. Ce chiffre a été accueilli favorablement par l'assemblée de la Polynésie française et le conseil économique, social et culturel.
L'objectif poursuivi est toujours de rechercher une solution qui permette d'aller vers l'égalité des suffrages, en accordant une plus forte représentation aux îles du Vent tout en assurant une plus juste représentation des archipels éloignés pour tenir compte des spécificités du territoire. La position adoptée a pour conséquence, à la différence du vote des députés, d'augmenter le nombre de membres de l'assemblée territoriale.
La proposition de loi organique adoptée par l'Assemblée nationale le 22 juin 1999 peut être considérée comme l'une des solutions susceptible de répondre à l'objectif fixé.
Tout en conservant le nombre actuel des sièges, soit quarante et un, la redistribution des sièges permet de parvenir à un équilibre plus satisfaisant. Elle est réalisée par le transfert de sept sièges aux îles du Vent qui éliraient 29 conseillers (22 + 7). Elle assure le rééquilibrage démographique recherché. Les îles du Vent disposeraient d'un peu plus de 70 % de sièges pour près de 74 % de la population.
Les écarts par rapport à la moyenne seraient très sensiblement réduits. De ce point de vue les exigences du Conseil Constitutionnel seraient satisfaites. Les archipels continueraient de bénéficier d'une représentation supérieure à celle que commanderait la simple proportionnalité par rapport à leur population. Et je ne crois pas, Monsieur le rapporteur, que rééquilibrer ainsi la représentation des circonscriptions les plus peuplées aille " à contre-courant de l'histoire ", pour reprendre votre expression. Elle va vers plus d'équité et répond à l'exigence d'égalité devant le suffrage universel.
Le Gouvernement avait accueilli favorablement une telle solution.
Il est de toute façon indispensable de renforcer la légitimité de l'assemblée délibérante de la Polynésie française qui bientôt sans doute verra son statut modifié conformément au vu des deux assemblées après l'approbation de la modification constitutionnelle par le Parlement réuni en Congrès.

Le texte voté par l'Assemblée nationale constitue un réel progrès par rapport à la situation actuelle. La discussion doit toutefois se poursuivre entre les deux chambres.
Je voudrais enfin évoquer deux amendements qui ont été déposés sur un autre sujet dont on m'a beaucoup parlé lors de mon déplacement en Polynésie : la concomitance des élections municipales et des élections territoriales. Cet amendement poursuit un objectif là encore digne du plus grand intérêt sur le plan de la démocratie locale. Organiser le même jour des élections différentes peut permettre de faciliter la gestion administrative des élections, d'en réduire les coûts pour les candidats comme pour l'Etat et d'encourager les électeurs à se rendre aux urnes. Permettez-moi de relever, d'ailleurs, que si le Parlement n'avait pas repoussé les élections en 1996, par une proposition de loi de Pierre MAZEAUD, pour permettre que les élections territoriales n'aient lieu qu'après l'adoption du nouveau statut de la Polynésie, nous aurions eu en 2001, cette simultanéité des élections municipales et territoriales.
Ces éléments doivent, comme les autres, être versés dans les débats et le Gouvernement s'en remettra sur ce point à la sagesse du Parlement.
Il reste envisageable en effet, et j'en terminerai par là, que la représentation nationale recherche une solution qui puisse recueillir une large adhésion et qui rende le scrutin plus équitable tout en veillant à ne pas corriger un déséquilibre en créant un autre déséquilibre dans l'indispensable représentation des archipels. La démocratie commande et c'est l'ensemble des Polynésiens qui en bénéficieront.
Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les sénateurs, je vous remercie.

(Source http://www.outre-mer.gouv.fr, le 24 novembre 2000)