Déclaration de M. Alain Juppé, Premier ministre, sur les missions de la Commission Le Vert pour la réforme des régimes spéciaux de retraite dans le cadre du plan de réforme de la Sécurité sociale, Paris le 29 novembre 1995.

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Circonstance : Installation de la Commission de réforme des régimes spéciaux de retraite à l'hôtel matignon le 29 novembre 1995

Texte intégral

Monsieur le Président,
Messieurs,
- Il y a quinze jours, j'ai présenté aux Français le plan de réforme et de sauvegarde de la Sécurité sociale que le Gouvernement avais mis au point, au terme d'une concertation très approfondie.
- Ce plan est juste. Il répartit les efforts de manière équitable. Il ne touche pas les 5 millions de Français les plus modestes.
- Ce plan est également nécessaire. S'il n'est pas appliqué, la Sécurité sociale sera en cessation de paiement dans les prochains mois.
- Je suis donc déterminé - le gouvernement, avec le soutien unanime de sa majorité, est déterminé avec moi - à mettre en uvre cette réforme.
- Dans ce cadre, il faut réformer les régimes spéciaux de retraite qui sont eux aussi en difficulté.
Les réformer pour garantir leur équilibre demain et dans la durée.
Ce n'est pas la retraite de ceux qui ont cessé ou vont cesser bientôt leur activité qui est en cause. Elle est assurée, et c'est heureux. C'est la retraite de ceux qui arrêteront de travailler dans 15 ou 20 ans. C'est la retraite de nos enfants.
Ne rien faire maintenant, ce serait sacrifier l'avenir des agents des services publics qui cotisent aujourd'hui pour leurs aînés mais qui, en 2010 ou en 2015, subiront les conséquences d'une situation démographique très différente de celle que nous connaissons aujourd'hui : il y aura plus de retraités, vivant plus longtemps : il y aura moins de cotisants, travaillant souvent moins longtemps, et c'est tant mieux.
Je le répète : ne rien faire maintenant, ce serait sans doute plus facile dans l'instant ; mais se serait irresponsable dans la durée.
- Alors que faire ?
* D'abord, y voir clair. Les régimes spéciaux de retraite, en vérité, sont mal connus. Ils sont divers et complexes. Ils comportent beaucoup de spécificités liées à l'histoire. Ils exigent donc une clarification.
Je ne prends qu'un exemple : les dépenses de retraite sont, par exemple confondues avec d'autres dépenses, dans le budget de la collectivité publique ou dans les comptes des entreprises concernées. Et donc la première mission de la commission que j'installe aujourd'hui sera de constituer une information qui n'est pas disponible aujourd'hui, ou qui n'est disponible que de manière tout à fait fragmentaire. C'est la raison d'ailleurs pour laquelle, vous avez sans doute remarqué, la loi d'habilitation qui a été présentée ce matin au Conseil des ministres exclut de son champ les régimes spéciaux de retraite et le système de pensions de la fonction publique, tout simplement parce qu'il faut faire ce travail de clarification préalable.
Pour faire ce travail, la commission bénéficiera du concours actif des différentes administrations ainsi que des responsables des entreprises concernées. Au sein de chacune d'entre elles, un correspondant sera désigné, chargé de fournir l'ensemble des données dont la commission souhaitera disposer.
* Deuxième mission : c'est l'établissement d'un dialogue immédiat, ouvert, approfondi avec l'ensemble des représentants des personnels concernés par les régimes spéciaux.
La première préoccupation de la commission, votre première préoccupation, Messieurs, devra être de les entendre, puis de travailler en étroite concertation avec eux pendant toute la durée de votre réflexion. Je souhaite que ces consultations puissent s'engager dès la fin de cette semaine par un premier contact avec les organisations syndicales de la fonction publique, de la SNCF, de la RATP.
La situation des régimes spéciaux, je l'ai dit, est diverse, de même qu'est diverse la situation des différentes catégories d'agents au sein de ces régimes. Il n'y aura de réforme acceptée, ce qui est évidemment l'objectif à atteindre, que si chacun a le sentiment d'avoir été entendu et compris, que si la spécificité des fonctions et des métiers qui sont propres à chaque secteur a bien été prise en considération.
Je pense, par exemple, aux travaux pénibles, aux sujétions d'horaire, aux contraintes de continuité du service public qu'il est à l'honneur d'un très grand nombre d'agents d'assumer. Toutes ces spécificités, auxquelles fait référence la notion de service actif, dans la fonction publique ou dans les entreprises publiques, devront être pleinement prises en compte dans vos échanges avec les partenaires sociaux comme dans vos réflexions et dans vos propositions.
* Troisième mission : préparer, en toute indépendance, les évolutions progressives qui seront à même d'assurer la sauvegarde des régimes spéciaux - puisque c'est bien de cela qu'il s'agit - de les sauvegarder, de les renforcer.
Je ne voudrais pas anticiper sur vos conclusions bien entendu, mais je voudrais vous rappeler les intentions du Gouvernement telles que je les ai exprimées le 15 novembre devant l'Assemblée nationale et le Sénat.
Nous n'entendons pas unifier les régimes de retraites qui sont nés d'une longue histoire, ni les intégrer dans le régime général. Leurs particularités seront maintenues, parce qu'elles répondent à des logiques de fonctions et de métiers - je l'ai dit - spécifiques. Le Gouvernement n'entend pas davantage remettre en cause les statuts des agents concernés. La retraite est un élément de ces statuts et elle ne sera pas extraite artificiellement.
Mais ce lien entre retraite et statut ne fait pas obstacle à l'examen objectif et équitable de l'ensemble des paramètres pris en compte pour le calcul des pensions. Ces paramètres, je l'ai dit, sont spécifiques. Il y en a qui sont positifs par rapport au régime général, d'autres qui sont plus pénalisants. Il faut en faire la balance.
Je souhaite ainsi que soient clarifiées les données d'équilibre de ces régimes, C'est en ce sens qu'il vous appartiendra de préciser les modalités selon lesquelles pourrait être créer une Caisse de retraite des agents de la fonction publique de l'Etat. C'est une innovation, mais ce n'est pas une innovation absolue puisque que cela existe déjà, vous le savez, pour les agents des collectivités locales sans que cela n'ait en aucune manière porté atteinte à leur statut.
Le gouvernement entend, enfin que les évolutions qui pourraient paraître souhaitables soient conduites au rythme qui doit être celui d'une réforme des retraites. Je l'ai dit en commençant : ce qui est en cause, ce n'est pas la retraite des agents publics qui sont aujourd'hui à la retraite, c'est l'avenir à moyen et à long terme, c'est-à-dire que nous nous situons dans la durée et pas dans l'immédiateté ou la brutalité.
Les propositions que la commission sera amenée à formuler ne seront, en tout état de cause, pas applicable avant le 1er janvier 1997.
Il va de soi que vous devez prendre comme donnée de base pour nos propositions une progressivité de mise en uvre analogue à celles qui ont été retenues pour la réforme en 1993 du régime général : je rappelle à cet égard que le passage de 37,5 ans à 40 ans de cotisations pour une retraite à taux plein s'échelonne sur 10 ans, à raison d'un trimestre par an.
Ce n'est donc pas en toute hypothèse, là non plus, le court terme.
Votre tâche va être lourde, le délai qui nous est imparti est court : 4 mois. Je voudrais vous remercier, Messieurs, très vivement, d'avoir accepté cette mission essentielle à l'avenir de notre service public.
Cette mission ne pouvait incomber qu'à de personnalités aux compétences variées et à l'expérience reconnue, indépendantes, rompues au dialogue social et fortes des responsabilités qu'elles exercent ou qu'elles ont exercées au sein de l'Etat ou du secteur public.
La présidence de la commission sera assurée par Dominique LE VERT, Conseiller d'Etat, ancien directeur général de la fonction publique et de l'administration.
Composeront cette commission : M. Bernard CIEUTAT, Conseiller maître à la Cour des Comptes, ancien chef de service à la direction du budget, ancien directeur général des finances du ministère de l'Education nationale. La fonction publique qui relève de ce ministère est nombreuse, comme chacun sait. M. François CAILLETEAU, inspecteur général des Finances, ancien directeur de la Fonction militaire et des Affaires sociales au ministère de la Défense, ancien chef du contrôle général des armées. Là encore, la dimension militaire est évidemment dans ces régimes spéciaux une donnée très importante. M. Jean-François CHADELAT, ancien directeur de l'ACOSS et actuellement directeur du fond de solidarité vieillesse. M. Bernard BRUNHES, ancien conseiller social de M. Pierre MAUROY, consultant en relations sociales. M. Guy THUILLIER, conseiller maître à la Cour des comptes, directeur d'études à l'Ecole pratique des hautes études sur l'histoire de l'administration, M. Raymond SOUBIE, ancien conseiller social de M. Jacques CHIRAC et de M. Raymond BARRE et, enfin, M. Philippe ROUVILLOIS, ancien Président directeur général de la SNCF et actuellement président du CEA Industrie.
Vous le voyez, ce qui constitue un point commun parmi toutes ses personnalités fort diverses par ailleurs, c'est leur culture du service Public dont elles sont imprégnées et qui est donc leur caractéristique commune.
C'est cette culture de service public qui m'assure que, dans la sérénité et l'objectivité, vous saurez, Messieurs éclairer les choix du Gouvernement pour garantir, dans l'équité, les retraites de demain au bénéfice de tous les agents des services publics de notre pays.
A travers vous, c'est à eux que j'aimerai m'adresser.
J'entends le message qu'ils expriment actuellement.
Je comprends leur inquiétude
Mais je ne veux pas leur mentir.
L'heure des vraies réformes a sonné pour la France. Les repousser une fois encore, comme on l'a fait sans cesse depuis 15 ans, ce serait à coup sûr accepter le déclin.
Et je sais que tous ces agents des services publics et des entreprises publiques aiment assez la France, qu'ils sont assez soucieux de l'avenir de leurs enfants pour ne pas accepter le déclin.
Je suis convaincu que si nous parlons ensemble, si nous nous expliquons ailleurs que dans la rue, nous trouverons le chemin des réformes qui sont incontournables.
Je souhaite de tout mon cur que ce dialogue s'instaure et qu'il réussisse.