Texte intégral
QUESTION : La rupture ou l'accompagnement ? La méthode Sarkozy, nouvelle illustration : "il faut cesser la repentance permanente", disait-il hier soir sur France 3 à propos de la controverse sur la loi du 23 février 2005, mentionnant le rôle positif de la colonisation ; ou la façon Villepin, accompagnement social - même si la CGT met le Premier ministre en cause sur la question d'EDF ce matin - et mesures sur l'égalité des chances. Après six mois d'exercice du nouveau Gouvernement, le Premier ministre et le ministre de l'Intérieur bénéficient l'un et l'autre de sondages positifs. Mais la synthèse qui vient de s'opérer au sein de l'UMP sur la question du soutien au candidat à la présidentielle est-elle plus convaincante que celle au Parti socialiste. Invité de Question directe, D. de Villepin. Bonjour, monsieur le Premier ministre. Parole d'ancien Premier ministre à l'actuel Premier ministre, L. Fabius : "EDF supprime des emplois pour faire monter les cours de son action". Qu'en dites-vous ?
Dominique de VILLEPIN : Je lui laisse la responsabilité de son propos. Cela me paraît un peu simple et un peu rapide, d'autant que cette décision a été prise avant l'augmentation du capital d'EDF. Donc, je crois qu'il faut se méfier des explications qui sont utilisées, détournées, pour appuyer des démonstrations idéologiques, alors que nous sommes devant des problèmes bien réels : comment une grande entreprise comme EDF fait-elle pour être compétitive ? Comment fait-elle pour se moderniser ? Comment fait-elle pour rester une grande entreprise mondiale dans le domaine énergétique ? Nous le voyons, il faut des investissements lourds et très lourds. Et c'est pour cela que nous avons appuyé le mouvement d'augmentation de capital, pour disposer de cet argent frais qui va permettre véritablement à EDF de se développer et de nous apporter une sécurité énergétique, électrique, pour les prochaines années. Alors, il y a un certain nombre de dispositions qui sont prises dans le domaine de l'emploi : ne pas remplacer certains départs en retraite, cela fait partie des exigences du monde d'aujourd'hui, de s'adapter, de gérer. Et cela, bien évidemment, ne fait que compliquer la tâche de l'État qui est là pour se battre en permanence sur le front de l'emploi et prendre en compte la cohérence globale indispensable de notre économie. C'est ce que nous faisons. Il y a une mobilité, aujourd'hui, sur le marché de l'emploi, et en permanence, nous devons faire en sorte que le ressort de création d'emplois permette justement de faire face à ces nouveaux risques qui apparaissent. Ce n'est pas seulement la France qui est dans cette situation. Nous ne sommes plus dans les années soixante, où l'on entrait dans une entreprise jeune et on terminait sa carrière dans cette même entreprise. Nous ne sommes plus dans une époque où l'on avait un métier à vingt ans et l'on exerçait toujours le même, à soixante ans. Donc, dans ce monde qui change, nous avons besoin d'idées nouvelles. Et c'est ce que j'ai discuté avec les partenaires sociaux tout au long des dernières semaines.
QUESTION : Mais est-ce que c'était écrit, cela ? Quand la responsable de la CGT disait : "Mais oui, c'était écrit ; c'était même à la page 126, et au fond, tout cela était déjà préparé". Est-ce que c'est vrai ? Est-ce que cela répond à une stratégie d'EDF ou pas ?
Dominique de VILLEPIN : Cela répond à une stratégie d'EDF et à une nécessité pour EDF, puisque cela fait vingt ans que cette politique est menée pour permettre l'adaptation et la modernisation de l'entreprise. De grâce, comprenons que l'économie, c'est la vie ; il y a des décisions qui doivent être prises tous les jours et qui s'imposent tous les jours, et qui doivent être prises en fonction de l'intérêt général de l'entreprise. Donc, je pense que ce n'est pas de gaieté de coeur, bien sûr, que ces décisions sont prises, mais elles supposent en permanence des arbitrages entre des postes qui sont plus nécessaires que jamais et d'autres fonctions, où l'on peut, au contraire, limiter le nombre d'emplois. Donc, c'est la vie quotidienne. En investissant dans de nouveaux domaines, il y aura de nouveaux emplois qui seront créés, et c'est bien cette vie-là qui doit être encouragée.
QUESTION : Puisque l'on en est à une sorte de bilan, après six mois d'exercice au poste de Premier Ministre, où est le point d'équilibre entre la façon dont vous envisagez votre philosophie politique, c'est-à-dire l'accompagnement social, et le fait que, par exemple au MEDEF, on considère que vous intervenez peut-être trop, et même que - je cite les mots d'un représentant du MEDEF - "il ne faudrait pas que nous passions du paritarisme au tripartisme -, parce que vous avez, en effet appelé à nouveau les partenaires sociaux à se réunir pour réfléchir sur l'après-4 octobre. Et là, le MEDEF a l'air d'apprécier à moitié votre engagement ?
Dominique de VILLEPIN : L'État a une responsabilité et le Gouvernement, bien sûr. Il n'est pas question pour moi de nier cette responsabilité. Et c'est pour cela qu'après la grève du 4 octobre, j'ai proposé que nous nous retrouvions pour réfléchir sur trois grands sujets. La sécurisation des parcours professionnels - c'est au c?ur de ce que nous venons d'évoquer sur EDF : comment faire en sorte que, alors que les parcours d'emploi sont différents d'il y a vingt ans, que nous puissions tirer des fils, rassurer, prévoir des programmes de formation, valider les acquis de l'expérience ? Autant de questions qui se posent aux partenaires sociaux et qui se posent au Gouvernement. Et nous devons mettre ensemble notre énergie, pour apporter des réponses pour les plus jeunes, pour les seniors, pour ceux qui sont en difficulté et qui ont du mal à rentrer sur le marché de l'emploi. Ce sont tous ces dispositifs qu'à travers le plan d'urgence pour l'emploi, nous avons voulu prendre en compte. Et nous proposerons, au début de l'année prochaine, une deuxième étape de ce plan pour l'emploi, pour apporter, là encore, de nouvelles réponses. Donc sécurisation des parcours professionnels, c'est la première question que nous nous sommes posée avec les partenaires sociaux. Deuxième question, comment faire en sorte d'améliorer le pouvoir d'achat des Français. Et puis troisièmement, comment faire en sorte pour que l'égalité sur le marché du travail puisse être vraiment respecté, comment lutter contre les discriminations. Donc nous le voyons bien, il y a un intérêt collectif. Alors, je comprends que certains puissent, au MEDEF, souhaiter que l'Etat reste sur l'Aventin, à côté, et ne se mêle pas de tout cela. Mais c'est ma responsabilité que de faire en sorte, quand il y a des injustices, quand il y a des insuffisances, quand il y a besoin de stimuler et de donner une nouvelle impulsion, c'est mon rôle que d'assurer cette cohérence. Et je serai fidèle à cette responsabilité qui est la mienne.
QUESTION : Maintenant, les décisions sur les deux sujets qui occupent vraiment l'opinion et qui, d'ailleurs, ne sont peut-être pas aussi éloignés que cela l'un de l'autre : faut-il ou pas corriger la loi de février 2005, celle qui pose la question de la colonisation ?
Dominique de VILLEPIN : Nous voyons bien que dans notre pays, il n'y a pas une mémoire, mais des mémoires. Et ces mémoires, elles sont à vif, parfois même écorchées et souffrantes. Nous devons prendre en compte le regard de chacun, l'expérience, l'itinéraire de chacun. Par ailleurs, ces mémoires, nous le savons, sont encore non seulement à vif, mais elles sont en question, elles s'interrogent. Et nous avons besoin d'aller les uns vers les autres, pour nous rassembler, pour comprendre...
QUESTION : A-t-on fait le travail de réflexion, par exemple sur la question de l'esclavage, que l'on voit de plus en plus émerger dans le débat ?
Dominique de VILLEPIN : Pas suffisamment, et c'est là où il faut, en permanence, écouter, s'interroger, se rassembler, être appuyé par les travaux des historiens. Et c'est une situation, que nous connaissons en France, qui est très différente de celle des autres pays étrangers. Quand les Britanniques célèbrent ou commémorent Trafalgar, ils sont tous ensemble, rassemblés autour de cette bataille britannique. Quand, dans notre cas, il s'agit de commémorer une autre bataille, pensons à Austerlitz récemment, eh bien, ce n'est pas la même chose. C'est donc une spécificité française. A partir de là, que fait-on ?
QUESTION : La loi, justement, elle est abrogée ou pas ?
Dominique de VILLEPIN : Il y a d'abord une première règle, qui me paraît essentielle : c'est regarder notre Histoire en face. Il ne faut pas faire un exercice d'illusionnisme. L'Histoire est là, il faut la regarder en face et cette mémoire...
QUESTION : Et même les questions qui dérangent ?
Dominique de VILLEPIN : Mais peut-être même surtout les questions qui dérangent ! Nous devons les regarder en face, nous devons trouver aussi les moyens de les regarder avec sérénité. Et c'est là où l'historien est indispensable. Nous sommes un pays qui aime l'Histoire, nous avons besoin d'être enrichis par le regard et les travaux des historiens. Mais première règle : ce n'est pas aux politiques, ce n'est pas au Parlement, que d'écrire l'Histoire ou de dire la mémoire. Là, je crois qu'il y a une règle à laquelle nous devons être fidèles. Et nous le voyons à travers l'article 4 de cette loi de 2005 : ce n'est pas au Parlement de se livrer à cet exercice.
QUESTION : Vous regrettez qu'il l'ait fait ?
Dominique de VILLEPIN : Je pense que ce n'est pas son rôle. Donc effectivement, il faut en tirer les conséquences, dans ce cas présent ou dans d'autres cas. Ne nous laissons pas entraîner sur ce terrain d'une réécriture de l'Histoire et de mémoire. Il n'y a pas d'Histoire officielle en France. Et à partir de là, il est très important de rester fidèle aux règles républicaines. C'est à l'Inspection générale de l'Education nationale de faire les programmes et les enseignants sont libres, dans le cadre de ces programmes, de leur enseignement. Donc, vous le voyez bien, trouvons la sérénité nécessaire, au cours des prochains jours et des prochaines semaines, pour tous ensemble nous parler. J'ai écouté les uns et les autres. J'ai écouté Aimé Césaire, j'ai écouté Edouard Glissant, Patrick Chamoiseau... Il y a beaucoup d'amis parmi ceux-là. Et ce qu'ils disent, c'est qu'il y a des souffrances qu'il faut prendre en compte, qu'il faut écouter, il y a des mots qui peuvent blesser, il y a une Histoire dont il faut se souvenir. Effectivement, dans l'Histoire de la colonisation, ceux qui ont été jetés dans le ventre des galions, qui ont traversé l'Atlantique pour être amenés au c?ur des plantations, ce sont des souvenirs qui sont vivants. Et quand vous allez à la Guadeloupe ou à la Martinique, vous le voyez. Et quand vous allez à Gorée, regardez ces embarcadères, vous le touchez du doigt.
QUESTION : Ou quand on va à Bordeaux ou à Nantes, sur les quais...
Dominique de VILLEPIN : Mais bien sûr. Tout cela sécrète encore de grandes douleurs. Donc je pense que le rôle de la République - et c'est pour cela que je parle tant de la République et que je suis tellement attaché à la République, c'est parce que la République, c'est à la fois des principes, qui eux nous rassemblent tous, où que nous soyons, et qui que nous soyons, notre couleur de peau, notre sensibilité, notre religion, des principes d'égalité, des principes de liberté, des principes de fraternité, dont nous sommes tous fiers, les uns et les autres. Mais c'est aussi une vie en commun, c'est aussi une main tendue en permanence vers celui qui souffre, vers celui qui n'a pas les mêmes chances, vers celui qui est au bord du chemin. Cette double règle de principes communs et de main tendue, d'une compréhension, d'une tolérance, d'un respect, je le redis : mettons au c?ur de notre vie démocratique, la tolérance et le respect, dans le dialogue. Parlons-nous. C'est pour cela que je comprends très bien que Nicolas Sarkozy ait choisi de différer son voyage. Un temps d'apaisement, un temps de parole aussi, un temps de dialogue, que des gestes soient faits qui permettent véritablement d'avancer tous ensemble. Et la vérité...
QUESTION : Et la repentance ? Considérez-vous que c'est un acte politique fort ou en abuse-t-on ?
Dominique de VILLEPIN : La repentance ne doit pas être un exercice en soi. Vous savez, si l'on doit regarder vers le passé, si l'on doit s'instruire du passé, c'est pour devenir meilleur. Un simple acte de contrition ne suffit pas. Il faut changer notre regard, changer notre attitude. Et c'est en cela que l'Histoire est un exercice national indispensable. Changer un certain nombre d'idées reçues, changer un certain nombre de comportements, prôner dans les banlieues - ce que nous savons tous - l'importance d'un regard. Un regard blesse. Pourquoi ? Parce que celui-là même qui n'a pas toujours confiance en lui, celui-là même qui est blessé, un regard le remet en cause, le bafoue. Nous devons faire en sorte, parce que nous sommes un pays humaniste, parce que nous sommes un pays de traditions, de retrouver ces vérités-là. Et sachez qu'à travers le monde, quelle image a-t-on de la France ? Justement, l'image d'un pays des droits de l'homme, l'image d'un pays d'humanisme, l'image d'un pays qui n'a cessé, au fil des dernières années, de dire qu'il y avait une clé dans le monde d'aujourd'hui, face à la violence : c'est le respect des identités. Que si nous voulions éviter un choc des civilisations, nous devions partir d'un dialogue. C'est ce que nous avons dit tout au long des crises des dernières années. Eh bien, appliquons chez nous, à nous-mêmes, ces grandes règles qui sont si importantes pour l'humanité toute entière.
QUESTION : Monsieur le Premier Ministre, après six mois à Matignon - je reprends les mots d'H. Jouan à 7h30 -, vous voilà considéré aujourd'hui, dans le pays et par une majorité de citoyens d'ailleurs, y compris par des sympathisants de gauche, comme réellement une alternative à Nicolas Sarkozy s'agissant de la présidentielle. Vous n'avez jamais dit si vous seriez candidat ou pas. Je ne vais pas vous le demander ce matin, parce que d'avance je sais que je n'aurai pas de réponse. Mais de fait, vous êtes placé comme tel. Comment le vivez-vous ? Etes-vous en situation d'être, en effet, une alternative par votre philosophie ou votre vision politique ?
Dominique de VILLEPIN : Je ne crois pas du tout que la question se pose en ces termes.
QUESTION : Vous ne le croyez pas vraiment ?
Dominique de VILLEPIN : Non, je ne crois pas du tout qu'elle se pose en ces termes, et je vais vous dire pourquoi. Parce que, d'abord j'ai été un observateur de la vie politique avant d'en être un acteur pendant des années. J'ai vu à l'époque ce qui s'est passé entre Edouard Balladur et Jacques Chirac, ce qui s'est passé entre Lionel Jospin et Jacques Chirac. Et je sais toutes les ambiguïtés des instruments de mesure et des regards des observateurs politiques sur le jeu politique. On veut croire que le regard que l'on porte sur un homme qui fait son travail à Matignon, qui se bat, qui utilise toute son énergie et sa volonté, que ce regard-là, cette appréciation-là, cette mesure à travers quelques sondages, suffisent à transporter cette échelle de mesure à une autre compétition qui est la plus haute, la plus noble des compétitions, qui est la compétition présidentielle. Eh bien l'on se trompe. Et vous savez à quel moment les choses apparaissent ? En général, quelques mois, quelques semaines avant l'élection présidentielle. Et c'est pour cela que, devant ma famille politique, alors même que je n'avais pas prévu d'aller devant le bureau politique, j'ai considéré que c'était mon devoir d'y aller. Mon devoir de chef de Gouvernement et mon devoir de chef de la majorité. Et j'ai dit deux choses : la première, nous avons tous pris un engagement devant les Français, et j'ai, moi, pris un engagement devant le président de la République : c'est de consacrer toute mon énergie à la mission qu'il m'a confiée. Dans un pays qui a une priorité, c'est l'emploi, c'est le rassemblement, c'et la réconciliation. Et je leur ai dit une deuxième chose : ce travail gouvernemental, si nous voulons pouvoir le poursuivre jusqu'au bout, évitons de mettre en place des mécaniques de division. Des primaires, c'est nécessairement dans notre famille une mécanique de division. Pourquoi ? Nous ne sommes pas constitués en courants, nous n'avons pas les traditions du Parti socialiste. Ce qui veut dire que nous n'avons pas de moyens de procéduriser des débats conflictuels, et parfois même un peu sanglants, et que nous ne pouvons pas cicatriser, c'est-à-dire, nous rassembler en quelques semaines pour faire gagner nos idées. Et donc, pas de primaires, pas d'investitures. Qu'à un moment donné il y ait le soutien à celui qui sera le mieux placé, celui qui pourra le mieux rassembler, c'est dans l'ordre des choses, et c'est ce qui s'est passé à chaque fois, c'est ce que nous avons appliqué à chaque fois lors des élections présidentielles. Donc, premier message, préserver le travail gouvernemental, et je suis heureux que l'année 2006 puisse être entièrement consacrée, il n'y aura pas de division, de querelles, de débats sur les modalités, les procédures de l'élection présidentielle. Nous servirons les Français. Deuxième exigence, c'est bien évidemment le rassemblement. Se rassembler, se rassembler tous autour d'un même objectif : répondre aux préoccupations immédiates des Français. Nombreux sont ceux qui, quand j'ai été nommé à Matignon, m'ont dit : mais c'est une période de fin d'action gouvernementale, vous n'aurez ni le temps, ni les moyens. Je pense exactement le contraire. Nous sommes dans une période difficile, voire très difficile de la vie nationale. Et nous avons un devoir qui est celui d'agir. D'agir et de ne pas remettre à demain. Parce que la conviction qui est la mienne, c'est que ne pas agir, s'en remettre à une sorte d'impuissance publique, c'est faire en sorte que l'élection présidentielle de 2007 soit alors un moment de surenchère, et donc pas un grand moment de démocratie. Nous l'avons connu aux dernières élections, et nous avons vu à quoi cela conduisait. Donc, je veux montrer que la politique, cela sert à quelque chose. Je veux montrer que l'action politique peut servir les Français, qu'elle peut donner des résultats. Donc, vous le voyez, ces deux messages étaient très importants : s'entendre, travailler, c'est bien l'exigence que je me suis fixée, et je suis heureux que toute ma famille politique l'ait compris.
QUESTION : Une toute dernière chose avant dans un instant les questions des auditeurs. Que répondez-vous à ceux qui considèrent que, c'est un pari politique de préférer la rencontre avec le pays au soutien des militants ?
Dominique de VILLEPIN : Quand vous êtes Premier Ministre, vous êtes Premier Ministre de tous les Français, et ce n'est pas quelque chose qui s'invente en un jour. Se préoccuper de la sensibilité de chacun, prendre en compte les exigences de chacun, c'est la tâche première du Président de la République. Et plus vous avancez dans la responsabilité politique, plus vous devez être capable de prendre sur vous-même cette exigence, cet impératif national, cette attention à chacun. Et c'est pour cela qu'au c?ur de l'action qui est la mienne, je veux à la fois les principes républicains, et en même temps l'accompagnement personnalisé. Regardez tout ce que nous faisons dans le domaine de l'emploi, c'est faire en sorte que la situation de chacun - seniors, jeunes, chômeurs de longue durée - puisse bénéficier d'un accompagnement personnalisé à travers l'ANPE, à travers les missions locales. Jeunes des banlieues, qui vont être reçus, ceux qui sont le plus en difficulté, au cours des prochains mois. C'est ce que nous faisons en matière d'Education. Il n'y a pas toujours de solution unique, il y a des solutions qui doivent s'adapter au caractère et aux difficultés de chacun. Nous le faisons dans le domaine de l'Education nationale. C'est pour cela que j'ai proposé l'apprentissage à 14 ans, dans le respect de la responsabilité de l'Education nationale qui jouera tout son rôle pour défendre le socle commun de connaissances. Alors, je le vois bien dans un pays idéologique, vous avez à peine ouvert la bouche, que d'ores et déjà il y a un reproche, une critique, que l'on a envie de vous faire. Je crois qu'il faut être fort pour pouvoir admettre, écouter, entendre toutes ces critiques, et enrichir en permanence vos projets. C'est pour cela que la crise doit nourrir la réflexion, doit nourrir la proposition. Et c'est comme cela que la France avance.
QUESTION : C'est vrai que sur la question de l'apprentissage à 14 ans, il y aura sûrement, dans quelques minutes, des questions des auditeurs de France Inter. Dominique de Villepin, Premier Ministre, qui reste donc en notre compagnie, en votre compagnie, pour répondre à vos questions dans un instant.
[8h45 - Radiocom, c'est à vous...]
Stéphane PAOLI : Bienvenue à vous tous et à vos questions sur l'actualité de la matinée. Dominique de Villepin, le Premier ministre, est resté pour vous répondre. Bonjour Jean-Luc, bienvenue à vous. Merci de nous appeler. Vous êtes en ligne dans l'Aude.
Jean-Luc : Bonjour, merci d'avoir choisi la question, mes respects Monsieur le Premier ministre. Je suis un des huit millions de français sous le seuil de pauvreté. Le chômage diminue, mais la misère s'accroît. Après avoir réduit l'ISF, quand et de combien augmenterez-vous ma retraite, minimum vieillesse moins de 600 ? par mois, qui n'a pas bougé depuis plus d'un an ?
Dominique de VILLEPIN : Je crois qu'il faut replacer votre question en perspective. En effet, ce que nous souhaitons, c'est encourager le plus possible le retour à l'emploi. Donc, tout est fait, dans les mesures que nous avons prises, pour permettre à chacun ce retour à l'emploi, l'accompagner, faire en sorte que ceux qui, comme vous, sont bénéficiaires de minima sociaux, puissent retrouver un emploi, retrouver une activité et nous avons voulu, même, rendre compatible le maintien du minima social et les revenus issus de l'activité, pendant une période qui justement inciterait, parce que nous savons tous qu'au moment de la reprise d'activité, il y a un certain nombre de frais nouveaux qui rendent les choses plus difficiles pendant ce temps de transition. Donc, nous sommes très attentifs, en ce moment, à essayer de faire en sorte que les minima sociaux, dans notre pays, puissent véritablement s'accompagner de cet effort collectif pour aller dans le sens de l'activité, aller dans le sens de l'emploi, ce qui constitue l'élément clef de la stabilité sociale, l'élément clef de l'intégration sociale. Donc, vous le voyez bien, il y a bien sûr une dimension financière, et nous sommes mobilisés pour faire en sorte que chacun puisse subvenir à ses besoins, que chacun puisse voir la réponse à ses difficultés, et vous le savez, à côté des minima sociaux, s'y ajoutent, de la part des collectivités locales, des aides complémentaires qui permettent justement de répondre à toute sorte de difficultés, aides, justement, pour la taxe d'habitation, aides pour ce qui est de l'accompagnement de recherche sociale ; donc, il y a toute une série d'éléments nouveaux, mais la clef pour nous, c'est la reprise de l'activité, c'est le retour à l'emploi, parce que je crois que c'est la clef de la stabilité dans notre pays.
Stéphane PAOLI : Bonjour Richard, bienvenue à vous aussi, merci de nous appeler. Vous êtes en ligne dans les Pyrénées Orientales.
Richard : Bonjour Monsieur le Premier ministre. Ma question c'est : ? Est-ce que vous pensez que vous avez résolu le problème des banlieues ? ? Pour ma part, je ne pense pas, avec les "mesurettes" que vous avez prises. Alors, pensez-vous annoncer d'autres mesures pour que vraiment, vraiment, on sorte de cette escalade de violences, que vos mesures gouvernementales font des dégâts énormes dans la... Je suis très très ému parce que...
Stéphane PAOLI : On entend votre émotion, Richard, mais donc au fond, vous êtes perplexe sur les mesures qui ont été prises par le gouvernement et par le Premier ministre. Alors, Dominique de Villepin ?
Dominique de VILLEPIN : D'abord, permettez-moi de rappeler brièvement la philosophie de l'action que je veux mener dans les banlieues. Bien sûr, je le sais, aucune mesure spécifique ne suffit à répondre à la crise que nous avons connue, et c'est bien pour cela qu'il faut agir sur plusieurs registres en même temps. Il y a bien sûr le respect de la règle, l'exigence de fermeté face à des comportements de délinquance qui sont inacceptables dans notre pays et nous avons vu ces violences, et vous le savez, pour la première fois dans l'histoire de la République, nous avons souhaité qu'à chaque violence correspondent des sanctions adaptées, et c'est pour cela qu'il y a eu près de 5 000 interpellations, 800 personnes qui ont été incarcérées, mais je le sais, il n'y a pas de réponse sécuritaire à des problèmes qui, pour une part, relèvent véritablement de difficultés sociales. Et c'est bien pour cela que j'ai voulu, très rapidement, apporter les bases d'une réponse sociale. Et j'ai voulu le faire dans deux domaines. D'abord dans le domaine de l'éducation, parce que nous le savons, l'éducation c'est la clef de tout. Faire vivre l'égalité des chances, faire en sorte que ceux qui rencontrent le plus de difficultés puissent retrouver une perspective. Nous le savons, il y a 15 000 personnes qui ne vont pas à l'école, 15 000 enfants qui ne vont pas à l'école en France, alors même que l'école est obligatoire jusqu'à 16 ans. Il y a 150 000 personnes qui sortent de l'école sans diplôme ni qualification. Cela, je ne peux pas l'accepter et c'est pour cela que j'ai souhaité qu'il y ait des rendez-vous à l'école, et d'abord un rendez-vous dans la classe de CE1, pour évaluer les connaissances en écriture et en lecture et tout de suite mettre en place des mesures d'accompagnement qui permettront de répondre, justement, à ces difficultés. Ce rendez-vous, lors de la classe de CE1, il faudra aussi l'avoir en fin de primaire, en fin de secondaire et c'est pour cela que j'attache tant d'importance à ce qu'il y ait un véritable service public d'orientation qui permettra à chacun de trouver la voie qui est la sienne. Je veux, par ailleurs, une diversité des propositions offertes aux enfants. Ils n'ont pas tous la même vocation, pas tous les mêmes aspirations, et quand un enfant, non seulement s'ennuie à l'école, mais qu'il, visiblement, refuse d'y participer, il faut pouvoir lui offrir autre chose. Alors, il y a toute sorte de systèmes qui ont été initiés : cela va du système sport études, et j'ai voulu que l'apprentissage puisse être une des solutions, dans le respect de l'Éducation nationale, parce que celui qui, à 14 ans, sera dans cette année d'ouverture, d'initiation à l'apprentissage, il continuera à apprendre, il continuera à se voir enseigner le socle de connaissances ; il ira soit dans un lycée professionnel, soit dans un centre d'apprentissage où il recevra, en liaison avec les professeurs de l'Éducation nationale, l'enseignement indispensable, et nous vérifierons qu'année après année, jusqu'à l'âge de 16 ans, il continue et qu'il ait véritablement acquis ses connaissances. Mais ce que nous voulons, c'est pouvoir l'intéresser, pouvoir lui apprendre quelque chose, pouvoir le valoriser. Vous savez, en recevant nombre d'enseignants, d'éducateurs, de ceux qui sont justement au contact de ces enfants dans les quartiers, il y a une chose qui m'a frappé : beaucoup d'enfants ont le sentiment, tout au long de leur scolarité, de ne jamais réussir quelque chose. Comment faites-vous pour apprendre, quand ce que vous faites n'est jamais récompensé, quand vous n'êtes jamais valorisé ? Eh bien j'estime qu'il faut que chacun puisse exprimer ses qualités, et l'école doit reconnaître la diversité des personnalités, des tempéraments, des sensibilités. Il n'y a pas une seule façon d'être intelligent. La revalorisation du travail manuel dans notre pays, la capacité que vous avez, à un moment donné, à faire quelque chose que vous aimez, ceci doit être encouragé, et quand j'ai visité des centres de formation, d'apprentissage, j'ai entendu, plus que nulle part ailleurs, des enfants me dire : ? nous sommes heureux, nous sommes fiers de ce que nous faisons ? et 80 % d'entre eux trouvent un emploi à la sortie. Alors, sachons utiliser les talents, sachons récompenser les qualités de chacun, que chacun trouve sa voie. Sortons de l'idéologie, des idées très simples qui enferment mais qui au bout du compte mutilent, donc je crois qu'il est temps de s'ouvrir.
Alors, je le dis bien, donc, éducation, mais aussi emploi. Il faut que nous luttions contre cette situation inacceptable : 40 % des jeunes, dans un certain nombre de quartiers, sont au chômage, c'est évidemment inacceptable ; et j'ai proposé que ces jeunes puissent être reçus dans les prochaines semaines, par les ANPE ou les missions locales, et que dans les trois mois il leur soit proposé, soit un emploi, soit un contrat de formation, soit un stage. Donc là, nous avons une mobilisation générale qui doit s'engager. Vous savez, je n'ai pas attendu hier pour le faire, j'ai décidé, dès mon arrivée, que l'ANPE recevrait 57 000 jeunes chômeurs de longue durée, 174 000 personnes bénéficiaires de l'Allocation spécifique de solidarité ; nous continuons à nous mobiliser et nous le faisons donc dans les zones urbaines sensibles. Mais il faut aussi valoriser les capacités économiques qui existent dans ces quartiers et autour de ces quartiers, et c'est pour cela que je veux redonner un coup de fouet aux zones franches urbaines ; 15 zones franches urbaines supplémentaires seront créées et nous allons créer un différentiel d'incitation dans ces zones franches, très fort, et je veux, là aussi, qu'il y ait un partenariat entre les grandes entreprises et les petites entreprises qui s'installent dans ces zones, pour qu'elles puissent les accompagner et elles seront fiscalement incitées pour le faire.
Et enfin, parce que c'est un des grands chantiers, et celui-là, voyez-vous, il vous concerne, comme il me concerne, comme il concerne tous nos concitoyens : c'est la lutte contre les discriminations. La première souffrance dans notre pays vient du regard, d'une main qui n'est pas tendue, d'une personne qui change de trottoir parce qu'elle a peur. Il faut faire en sorte que nos comportements, nos mentalités, changent. Ça, eh bien, cela se fait bien sûr dans l'entreprise. 300 entreprises ont signé la charte de la diversité, pour justement que, dans l'entreprise, les recrutements reflètent la diversité de notre pays. Cela implique, bien sûr, un certain nombre de changements. C'est pour cela que je veux encourager le CV anonyme, ce sont des expérimentations qui me paraissent devoir être encouragées ; c'est pour cela que je veux sanctionner quand il y a des actes inacceptables dans notre pays, et c'est pour cela que la HALDE, la Haute autorité de lutte contre les discriminations, que le Président de la République a créée, aura un pouvoir de sanction. Donc, vous le voyez, c'est un combat qui est un grand combat. Le Président de la République a marqué très clairement la mobilisation nationale qu'il entendait être celle de chacun, et nous devons, parce que c'est cela aussi, la République, et la démocratie, nous devons marquer des points, vite, nous devons obtenir des résultats rapidement. Et je le redis, on peut toujours se dire, dans ces cas là ? c'est à l'État de tout faire ?, et on lève la tête en haut et on regarde et on dit : ? que l'État règle tout ! ? Eh bien l'État se mobilise, l'État veut mener cette bataille, mais il faut le faire avec chacun, avec tous ; c'est l'affaire des entreprises, c'est l'affaire des associations, c'est l'affaire des collectivités locales, c'est l'affaire de chacun d'entre nous.
Stéphane PAOLI : Bonjour Martine. Bienvenue à vous. Merci de nous appeler, vous êtes en ligne à Lyon.
Martine : Bonjour. Je remercie déjà France Inter pour toute la satisfaction qu'elle peut me procurer de m'adresser à Monsieur le Premier ministre et j'espère que toute la mesure et l'humanité dont cette personne fait preuve sera reconnue en temps voulus. Voilà, je voulais simplement dire que l'éducation était la clef de tout, que la première récompense était de la façon dont on s'adresse aux gens, la première souffrance c'était les regards et les mots. Alors, moi, je voudrais être très claire et nette, en tant qu'enseignante, et demander à monsieur de Villepin pourquoi il ne se démarque pas, je dis bien des mots et non pas de l'action de monsieur Sarkozy ? Voilà, c'est très bref. Pourquoi il ne se démarque pas des mots - il le fait, mais il le fait de façon très fine et d'une façon que je pense, les principaux protagonistes ne peuvent pas entendre, c'est-à-dire les jeunes. Voilà. Je voulais simplement lui demander pourquoi il ne se démarque pas de ses mots. Les mots que monsieur de Villepin emploie, je pense, expliquent, certainement la monté, de sa cote comme on peut dire, dans l'opinion publique, alors pourquoi... ce serait peut-être quelque chose de très simple, qui permettrait de faire baisser une certaine pression parce que beaucoup d'analystes et d'observateurs disent que, en fait, on n'a rien réglé, on parle des mesures, certains appellent cela des "mesurettes". Voilà. Donc, je voudrais parler des mots et non...
Dominique de VILLEPIN : Merci madame. Dans toute société comme dans toute famille, nous avançons en marchant et il nous faut régler des problèmes de nature très différente, et nous avons tous nos sensibilités, nous avons tous notre façon et nos mots à nous de nous exprimer. Mais, bien évidemment, notre façon de nous exprimer, les gestes que nous faisons, les regards qui sont les nôtres, ne peuvent pas ignorer la perception des autres. Et ce travail là, il faut que bien sûr chacun le fasse. Je le fais moi-même, je l'ai dit lors de ma conférence de presse, qu'il n'y a pas de jour où dix fois par jour je ne tourne sept fois ma langue dans ma bouche, et je crois que la responsabilité de l'exercice du gouvernement, comme toute responsabilité... C'est vrai dans une entreprise, c'est vrai dans une association, c'est vrai dans notre vie familiale : combien de fois vous dites quelque chose sans vouloir blesser et c'est mal compris, et cela suscite des heurts, ça suscite des tensions. Donc, je crois que c'est un mouvement de pédagogie. Il appartient à chacun, en permanence, de faire le point. C'est un travail nécessaire. Moi, j'anime une équipe, je veux que chacun apporte le meilleur et je veux que cette équipe se rassemble, je veux que cette équipe agisse, je veux que cette équipe soit soucieuse, toujours, de mieux prendre en compte les préoccupations des Français et ce que je souhaite, c'est qu'évidemment, jour après jour, elle soit plus en phase, plus respectueuse, de ce que nous sommes les uns et les autres, de cette diversité française, dans un monde difficile. Cette tolérance, ce respect, il nous appartient à chacun de le faire vivre.
Stéphane PAOLI : Merci monsieur le Premier ministre.(Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 12 décembre 2005)
Dominique de VILLEPIN : Je lui laisse la responsabilité de son propos. Cela me paraît un peu simple et un peu rapide, d'autant que cette décision a été prise avant l'augmentation du capital d'EDF. Donc, je crois qu'il faut se méfier des explications qui sont utilisées, détournées, pour appuyer des démonstrations idéologiques, alors que nous sommes devant des problèmes bien réels : comment une grande entreprise comme EDF fait-elle pour être compétitive ? Comment fait-elle pour se moderniser ? Comment fait-elle pour rester une grande entreprise mondiale dans le domaine énergétique ? Nous le voyons, il faut des investissements lourds et très lourds. Et c'est pour cela que nous avons appuyé le mouvement d'augmentation de capital, pour disposer de cet argent frais qui va permettre véritablement à EDF de se développer et de nous apporter une sécurité énergétique, électrique, pour les prochaines années. Alors, il y a un certain nombre de dispositions qui sont prises dans le domaine de l'emploi : ne pas remplacer certains départs en retraite, cela fait partie des exigences du monde d'aujourd'hui, de s'adapter, de gérer. Et cela, bien évidemment, ne fait que compliquer la tâche de l'État qui est là pour se battre en permanence sur le front de l'emploi et prendre en compte la cohérence globale indispensable de notre économie. C'est ce que nous faisons. Il y a une mobilité, aujourd'hui, sur le marché de l'emploi, et en permanence, nous devons faire en sorte que le ressort de création d'emplois permette justement de faire face à ces nouveaux risques qui apparaissent. Ce n'est pas seulement la France qui est dans cette situation. Nous ne sommes plus dans les années soixante, où l'on entrait dans une entreprise jeune et on terminait sa carrière dans cette même entreprise. Nous ne sommes plus dans une époque où l'on avait un métier à vingt ans et l'on exerçait toujours le même, à soixante ans. Donc, dans ce monde qui change, nous avons besoin d'idées nouvelles. Et c'est ce que j'ai discuté avec les partenaires sociaux tout au long des dernières semaines.
QUESTION : Mais est-ce que c'était écrit, cela ? Quand la responsable de la CGT disait : "Mais oui, c'était écrit ; c'était même à la page 126, et au fond, tout cela était déjà préparé". Est-ce que c'est vrai ? Est-ce que cela répond à une stratégie d'EDF ou pas ?
Dominique de VILLEPIN : Cela répond à une stratégie d'EDF et à une nécessité pour EDF, puisque cela fait vingt ans que cette politique est menée pour permettre l'adaptation et la modernisation de l'entreprise. De grâce, comprenons que l'économie, c'est la vie ; il y a des décisions qui doivent être prises tous les jours et qui s'imposent tous les jours, et qui doivent être prises en fonction de l'intérêt général de l'entreprise. Donc, je pense que ce n'est pas de gaieté de coeur, bien sûr, que ces décisions sont prises, mais elles supposent en permanence des arbitrages entre des postes qui sont plus nécessaires que jamais et d'autres fonctions, où l'on peut, au contraire, limiter le nombre d'emplois. Donc, c'est la vie quotidienne. En investissant dans de nouveaux domaines, il y aura de nouveaux emplois qui seront créés, et c'est bien cette vie-là qui doit être encouragée.
QUESTION : Puisque l'on en est à une sorte de bilan, après six mois d'exercice au poste de Premier Ministre, où est le point d'équilibre entre la façon dont vous envisagez votre philosophie politique, c'est-à-dire l'accompagnement social, et le fait que, par exemple au MEDEF, on considère que vous intervenez peut-être trop, et même que - je cite les mots d'un représentant du MEDEF - "il ne faudrait pas que nous passions du paritarisme au tripartisme -, parce que vous avez, en effet appelé à nouveau les partenaires sociaux à se réunir pour réfléchir sur l'après-4 octobre. Et là, le MEDEF a l'air d'apprécier à moitié votre engagement ?
Dominique de VILLEPIN : L'État a une responsabilité et le Gouvernement, bien sûr. Il n'est pas question pour moi de nier cette responsabilité. Et c'est pour cela qu'après la grève du 4 octobre, j'ai proposé que nous nous retrouvions pour réfléchir sur trois grands sujets. La sécurisation des parcours professionnels - c'est au c?ur de ce que nous venons d'évoquer sur EDF : comment faire en sorte que, alors que les parcours d'emploi sont différents d'il y a vingt ans, que nous puissions tirer des fils, rassurer, prévoir des programmes de formation, valider les acquis de l'expérience ? Autant de questions qui se posent aux partenaires sociaux et qui se posent au Gouvernement. Et nous devons mettre ensemble notre énergie, pour apporter des réponses pour les plus jeunes, pour les seniors, pour ceux qui sont en difficulté et qui ont du mal à rentrer sur le marché de l'emploi. Ce sont tous ces dispositifs qu'à travers le plan d'urgence pour l'emploi, nous avons voulu prendre en compte. Et nous proposerons, au début de l'année prochaine, une deuxième étape de ce plan pour l'emploi, pour apporter, là encore, de nouvelles réponses. Donc sécurisation des parcours professionnels, c'est la première question que nous nous sommes posée avec les partenaires sociaux. Deuxième question, comment faire en sorte d'améliorer le pouvoir d'achat des Français. Et puis troisièmement, comment faire en sorte pour que l'égalité sur le marché du travail puisse être vraiment respecté, comment lutter contre les discriminations. Donc nous le voyons bien, il y a un intérêt collectif. Alors, je comprends que certains puissent, au MEDEF, souhaiter que l'Etat reste sur l'Aventin, à côté, et ne se mêle pas de tout cela. Mais c'est ma responsabilité que de faire en sorte, quand il y a des injustices, quand il y a des insuffisances, quand il y a besoin de stimuler et de donner une nouvelle impulsion, c'est mon rôle que d'assurer cette cohérence. Et je serai fidèle à cette responsabilité qui est la mienne.
QUESTION : Maintenant, les décisions sur les deux sujets qui occupent vraiment l'opinion et qui, d'ailleurs, ne sont peut-être pas aussi éloignés que cela l'un de l'autre : faut-il ou pas corriger la loi de février 2005, celle qui pose la question de la colonisation ?
Dominique de VILLEPIN : Nous voyons bien que dans notre pays, il n'y a pas une mémoire, mais des mémoires. Et ces mémoires, elles sont à vif, parfois même écorchées et souffrantes. Nous devons prendre en compte le regard de chacun, l'expérience, l'itinéraire de chacun. Par ailleurs, ces mémoires, nous le savons, sont encore non seulement à vif, mais elles sont en question, elles s'interrogent. Et nous avons besoin d'aller les uns vers les autres, pour nous rassembler, pour comprendre...
QUESTION : A-t-on fait le travail de réflexion, par exemple sur la question de l'esclavage, que l'on voit de plus en plus émerger dans le débat ?
Dominique de VILLEPIN : Pas suffisamment, et c'est là où il faut, en permanence, écouter, s'interroger, se rassembler, être appuyé par les travaux des historiens. Et c'est une situation, que nous connaissons en France, qui est très différente de celle des autres pays étrangers. Quand les Britanniques célèbrent ou commémorent Trafalgar, ils sont tous ensemble, rassemblés autour de cette bataille britannique. Quand, dans notre cas, il s'agit de commémorer une autre bataille, pensons à Austerlitz récemment, eh bien, ce n'est pas la même chose. C'est donc une spécificité française. A partir de là, que fait-on ?
QUESTION : La loi, justement, elle est abrogée ou pas ?
Dominique de VILLEPIN : Il y a d'abord une première règle, qui me paraît essentielle : c'est regarder notre Histoire en face. Il ne faut pas faire un exercice d'illusionnisme. L'Histoire est là, il faut la regarder en face et cette mémoire...
QUESTION : Et même les questions qui dérangent ?
Dominique de VILLEPIN : Mais peut-être même surtout les questions qui dérangent ! Nous devons les regarder en face, nous devons trouver aussi les moyens de les regarder avec sérénité. Et c'est là où l'historien est indispensable. Nous sommes un pays qui aime l'Histoire, nous avons besoin d'être enrichis par le regard et les travaux des historiens. Mais première règle : ce n'est pas aux politiques, ce n'est pas au Parlement, que d'écrire l'Histoire ou de dire la mémoire. Là, je crois qu'il y a une règle à laquelle nous devons être fidèles. Et nous le voyons à travers l'article 4 de cette loi de 2005 : ce n'est pas au Parlement de se livrer à cet exercice.
QUESTION : Vous regrettez qu'il l'ait fait ?
Dominique de VILLEPIN : Je pense que ce n'est pas son rôle. Donc effectivement, il faut en tirer les conséquences, dans ce cas présent ou dans d'autres cas. Ne nous laissons pas entraîner sur ce terrain d'une réécriture de l'Histoire et de mémoire. Il n'y a pas d'Histoire officielle en France. Et à partir de là, il est très important de rester fidèle aux règles républicaines. C'est à l'Inspection générale de l'Education nationale de faire les programmes et les enseignants sont libres, dans le cadre de ces programmes, de leur enseignement. Donc, vous le voyez bien, trouvons la sérénité nécessaire, au cours des prochains jours et des prochaines semaines, pour tous ensemble nous parler. J'ai écouté les uns et les autres. J'ai écouté Aimé Césaire, j'ai écouté Edouard Glissant, Patrick Chamoiseau... Il y a beaucoup d'amis parmi ceux-là. Et ce qu'ils disent, c'est qu'il y a des souffrances qu'il faut prendre en compte, qu'il faut écouter, il y a des mots qui peuvent blesser, il y a une Histoire dont il faut se souvenir. Effectivement, dans l'Histoire de la colonisation, ceux qui ont été jetés dans le ventre des galions, qui ont traversé l'Atlantique pour être amenés au c?ur des plantations, ce sont des souvenirs qui sont vivants. Et quand vous allez à la Guadeloupe ou à la Martinique, vous le voyez. Et quand vous allez à Gorée, regardez ces embarcadères, vous le touchez du doigt.
QUESTION : Ou quand on va à Bordeaux ou à Nantes, sur les quais...
Dominique de VILLEPIN : Mais bien sûr. Tout cela sécrète encore de grandes douleurs. Donc je pense que le rôle de la République - et c'est pour cela que je parle tant de la République et que je suis tellement attaché à la République, c'est parce que la République, c'est à la fois des principes, qui eux nous rassemblent tous, où que nous soyons, et qui que nous soyons, notre couleur de peau, notre sensibilité, notre religion, des principes d'égalité, des principes de liberté, des principes de fraternité, dont nous sommes tous fiers, les uns et les autres. Mais c'est aussi une vie en commun, c'est aussi une main tendue en permanence vers celui qui souffre, vers celui qui n'a pas les mêmes chances, vers celui qui est au bord du chemin. Cette double règle de principes communs et de main tendue, d'une compréhension, d'une tolérance, d'un respect, je le redis : mettons au c?ur de notre vie démocratique, la tolérance et le respect, dans le dialogue. Parlons-nous. C'est pour cela que je comprends très bien que Nicolas Sarkozy ait choisi de différer son voyage. Un temps d'apaisement, un temps de parole aussi, un temps de dialogue, que des gestes soient faits qui permettent véritablement d'avancer tous ensemble. Et la vérité...
QUESTION : Et la repentance ? Considérez-vous que c'est un acte politique fort ou en abuse-t-on ?
Dominique de VILLEPIN : La repentance ne doit pas être un exercice en soi. Vous savez, si l'on doit regarder vers le passé, si l'on doit s'instruire du passé, c'est pour devenir meilleur. Un simple acte de contrition ne suffit pas. Il faut changer notre regard, changer notre attitude. Et c'est en cela que l'Histoire est un exercice national indispensable. Changer un certain nombre d'idées reçues, changer un certain nombre de comportements, prôner dans les banlieues - ce que nous savons tous - l'importance d'un regard. Un regard blesse. Pourquoi ? Parce que celui-là même qui n'a pas toujours confiance en lui, celui-là même qui est blessé, un regard le remet en cause, le bafoue. Nous devons faire en sorte, parce que nous sommes un pays humaniste, parce que nous sommes un pays de traditions, de retrouver ces vérités-là. Et sachez qu'à travers le monde, quelle image a-t-on de la France ? Justement, l'image d'un pays des droits de l'homme, l'image d'un pays d'humanisme, l'image d'un pays qui n'a cessé, au fil des dernières années, de dire qu'il y avait une clé dans le monde d'aujourd'hui, face à la violence : c'est le respect des identités. Que si nous voulions éviter un choc des civilisations, nous devions partir d'un dialogue. C'est ce que nous avons dit tout au long des crises des dernières années. Eh bien, appliquons chez nous, à nous-mêmes, ces grandes règles qui sont si importantes pour l'humanité toute entière.
QUESTION : Monsieur le Premier Ministre, après six mois à Matignon - je reprends les mots d'H. Jouan à 7h30 -, vous voilà considéré aujourd'hui, dans le pays et par une majorité de citoyens d'ailleurs, y compris par des sympathisants de gauche, comme réellement une alternative à Nicolas Sarkozy s'agissant de la présidentielle. Vous n'avez jamais dit si vous seriez candidat ou pas. Je ne vais pas vous le demander ce matin, parce que d'avance je sais que je n'aurai pas de réponse. Mais de fait, vous êtes placé comme tel. Comment le vivez-vous ? Etes-vous en situation d'être, en effet, une alternative par votre philosophie ou votre vision politique ?
Dominique de VILLEPIN : Je ne crois pas du tout que la question se pose en ces termes.
QUESTION : Vous ne le croyez pas vraiment ?
Dominique de VILLEPIN : Non, je ne crois pas du tout qu'elle se pose en ces termes, et je vais vous dire pourquoi. Parce que, d'abord j'ai été un observateur de la vie politique avant d'en être un acteur pendant des années. J'ai vu à l'époque ce qui s'est passé entre Edouard Balladur et Jacques Chirac, ce qui s'est passé entre Lionel Jospin et Jacques Chirac. Et je sais toutes les ambiguïtés des instruments de mesure et des regards des observateurs politiques sur le jeu politique. On veut croire que le regard que l'on porte sur un homme qui fait son travail à Matignon, qui se bat, qui utilise toute son énergie et sa volonté, que ce regard-là, cette appréciation-là, cette mesure à travers quelques sondages, suffisent à transporter cette échelle de mesure à une autre compétition qui est la plus haute, la plus noble des compétitions, qui est la compétition présidentielle. Eh bien l'on se trompe. Et vous savez à quel moment les choses apparaissent ? En général, quelques mois, quelques semaines avant l'élection présidentielle. Et c'est pour cela que, devant ma famille politique, alors même que je n'avais pas prévu d'aller devant le bureau politique, j'ai considéré que c'était mon devoir d'y aller. Mon devoir de chef de Gouvernement et mon devoir de chef de la majorité. Et j'ai dit deux choses : la première, nous avons tous pris un engagement devant les Français, et j'ai, moi, pris un engagement devant le président de la République : c'est de consacrer toute mon énergie à la mission qu'il m'a confiée. Dans un pays qui a une priorité, c'est l'emploi, c'est le rassemblement, c'et la réconciliation. Et je leur ai dit une deuxième chose : ce travail gouvernemental, si nous voulons pouvoir le poursuivre jusqu'au bout, évitons de mettre en place des mécaniques de division. Des primaires, c'est nécessairement dans notre famille une mécanique de division. Pourquoi ? Nous ne sommes pas constitués en courants, nous n'avons pas les traditions du Parti socialiste. Ce qui veut dire que nous n'avons pas de moyens de procéduriser des débats conflictuels, et parfois même un peu sanglants, et que nous ne pouvons pas cicatriser, c'est-à-dire, nous rassembler en quelques semaines pour faire gagner nos idées. Et donc, pas de primaires, pas d'investitures. Qu'à un moment donné il y ait le soutien à celui qui sera le mieux placé, celui qui pourra le mieux rassembler, c'est dans l'ordre des choses, et c'est ce qui s'est passé à chaque fois, c'est ce que nous avons appliqué à chaque fois lors des élections présidentielles. Donc, premier message, préserver le travail gouvernemental, et je suis heureux que l'année 2006 puisse être entièrement consacrée, il n'y aura pas de division, de querelles, de débats sur les modalités, les procédures de l'élection présidentielle. Nous servirons les Français. Deuxième exigence, c'est bien évidemment le rassemblement. Se rassembler, se rassembler tous autour d'un même objectif : répondre aux préoccupations immédiates des Français. Nombreux sont ceux qui, quand j'ai été nommé à Matignon, m'ont dit : mais c'est une période de fin d'action gouvernementale, vous n'aurez ni le temps, ni les moyens. Je pense exactement le contraire. Nous sommes dans une période difficile, voire très difficile de la vie nationale. Et nous avons un devoir qui est celui d'agir. D'agir et de ne pas remettre à demain. Parce que la conviction qui est la mienne, c'est que ne pas agir, s'en remettre à une sorte d'impuissance publique, c'est faire en sorte que l'élection présidentielle de 2007 soit alors un moment de surenchère, et donc pas un grand moment de démocratie. Nous l'avons connu aux dernières élections, et nous avons vu à quoi cela conduisait. Donc, je veux montrer que la politique, cela sert à quelque chose. Je veux montrer que l'action politique peut servir les Français, qu'elle peut donner des résultats. Donc, vous le voyez, ces deux messages étaient très importants : s'entendre, travailler, c'est bien l'exigence que je me suis fixée, et je suis heureux que toute ma famille politique l'ait compris.
QUESTION : Une toute dernière chose avant dans un instant les questions des auditeurs. Que répondez-vous à ceux qui considèrent que, c'est un pari politique de préférer la rencontre avec le pays au soutien des militants ?
Dominique de VILLEPIN : Quand vous êtes Premier Ministre, vous êtes Premier Ministre de tous les Français, et ce n'est pas quelque chose qui s'invente en un jour. Se préoccuper de la sensibilité de chacun, prendre en compte les exigences de chacun, c'est la tâche première du Président de la République. Et plus vous avancez dans la responsabilité politique, plus vous devez être capable de prendre sur vous-même cette exigence, cet impératif national, cette attention à chacun. Et c'est pour cela qu'au c?ur de l'action qui est la mienne, je veux à la fois les principes républicains, et en même temps l'accompagnement personnalisé. Regardez tout ce que nous faisons dans le domaine de l'emploi, c'est faire en sorte que la situation de chacun - seniors, jeunes, chômeurs de longue durée - puisse bénéficier d'un accompagnement personnalisé à travers l'ANPE, à travers les missions locales. Jeunes des banlieues, qui vont être reçus, ceux qui sont le plus en difficulté, au cours des prochains mois. C'est ce que nous faisons en matière d'Education. Il n'y a pas toujours de solution unique, il y a des solutions qui doivent s'adapter au caractère et aux difficultés de chacun. Nous le faisons dans le domaine de l'Education nationale. C'est pour cela que j'ai proposé l'apprentissage à 14 ans, dans le respect de la responsabilité de l'Education nationale qui jouera tout son rôle pour défendre le socle commun de connaissances. Alors, je le vois bien dans un pays idéologique, vous avez à peine ouvert la bouche, que d'ores et déjà il y a un reproche, une critique, que l'on a envie de vous faire. Je crois qu'il faut être fort pour pouvoir admettre, écouter, entendre toutes ces critiques, et enrichir en permanence vos projets. C'est pour cela que la crise doit nourrir la réflexion, doit nourrir la proposition. Et c'est comme cela que la France avance.
QUESTION : C'est vrai que sur la question de l'apprentissage à 14 ans, il y aura sûrement, dans quelques minutes, des questions des auditeurs de France Inter. Dominique de Villepin, Premier Ministre, qui reste donc en notre compagnie, en votre compagnie, pour répondre à vos questions dans un instant.
[8h45 - Radiocom, c'est à vous...]
Stéphane PAOLI : Bienvenue à vous tous et à vos questions sur l'actualité de la matinée. Dominique de Villepin, le Premier ministre, est resté pour vous répondre. Bonjour Jean-Luc, bienvenue à vous. Merci de nous appeler. Vous êtes en ligne dans l'Aude.
Jean-Luc : Bonjour, merci d'avoir choisi la question, mes respects Monsieur le Premier ministre. Je suis un des huit millions de français sous le seuil de pauvreté. Le chômage diminue, mais la misère s'accroît. Après avoir réduit l'ISF, quand et de combien augmenterez-vous ma retraite, minimum vieillesse moins de 600 ? par mois, qui n'a pas bougé depuis plus d'un an ?
Dominique de VILLEPIN : Je crois qu'il faut replacer votre question en perspective. En effet, ce que nous souhaitons, c'est encourager le plus possible le retour à l'emploi. Donc, tout est fait, dans les mesures que nous avons prises, pour permettre à chacun ce retour à l'emploi, l'accompagner, faire en sorte que ceux qui, comme vous, sont bénéficiaires de minima sociaux, puissent retrouver un emploi, retrouver une activité et nous avons voulu, même, rendre compatible le maintien du minima social et les revenus issus de l'activité, pendant une période qui justement inciterait, parce que nous savons tous qu'au moment de la reprise d'activité, il y a un certain nombre de frais nouveaux qui rendent les choses plus difficiles pendant ce temps de transition. Donc, nous sommes très attentifs, en ce moment, à essayer de faire en sorte que les minima sociaux, dans notre pays, puissent véritablement s'accompagner de cet effort collectif pour aller dans le sens de l'activité, aller dans le sens de l'emploi, ce qui constitue l'élément clef de la stabilité sociale, l'élément clef de l'intégration sociale. Donc, vous le voyez bien, il y a bien sûr une dimension financière, et nous sommes mobilisés pour faire en sorte que chacun puisse subvenir à ses besoins, que chacun puisse voir la réponse à ses difficultés, et vous le savez, à côté des minima sociaux, s'y ajoutent, de la part des collectivités locales, des aides complémentaires qui permettent justement de répondre à toute sorte de difficultés, aides, justement, pour la taxe d'habitation, aides pour ce qui est de l'accompagnement de recherche sociale ; donc, il y a toute une série d'éléments nouveaux, mais la clef pour nous, c'est la reprise de l'activité, c'est le retour à l'emploi, parce que je crois que c'est la clef de la stabilité dans notre pays.
Stéphane PAOLI : Bonjour Richard, bienvenue à vous aussi, merci de nous appeler. Vous êtes en ligne dans les Pyrénées Orientales.
Richard : Bonjour Monsieur le Premier ministre. Ma question c'est : ? Est-ce que vous pensez que vous avez résolu le problème des banlieues ? ? Pour ma part, je ne pense pas, avec les "mesurettes" que vous avez prises. Alors, pensez-vous annoncer d'autres mesures pour que vraiment, vraiment, on sorte de cette escalade de violences, que vos mesures gouvernementales font des dégâts énormes dans la... Je suis très très ému parce que...
Stéphane PAOLI : On entend votre émotion, Richard, mais donc au fond, vous êtes perplexe sur les mesures qui ont été prises par le gouvernement et par le Premier ministre. Alors, Dominique de Villepin ?
Dominique de VILLEPIN : D'abord, permettez-moi de rappeler brièvement la philosophie de l'action que je veux mener dans les banlieues. Bien sûr, je le sais, aucune mesure spécifique ne suffit à répondre à la crise que nous avons connue, et c'est bien pour cela qu'il faut agir sur plusieurs registres en même temps. Il y a bien sûr le respect de la règle, l'exigence de fermeté face à des comportements de délinquance qui sont inacceptables dans notre pays et nous avons vu ces violences, et vous le savez, pour la première fois dans l'histoire de la République, nous avons souhaité qu'à chaque violence correspondent des sanctions adaptées, et c'est pour cela qu'il y a eu près de 5 000 interpellations, 800 personnes qui ont été incarcérées, mais je le sais, il n'y a pas de réponse sécuritaire à des problèmes qui, pour une part, relèvent véritablement de difficultés sociales. Et c'est bien pour cela que j'ai voulu, très rapidement, apporter les bases d'une réponse sociale. Et j'ai voulu le faire dans deux domaines. D'abord dans le domaine de l'éducation, parce que nous le savons, l'éducation c'est la clef de tout. Faire vivre l'égalité des chances, faire en sorte que ceux qui rencontrent le plus de difficultés puissent retrouver une perspective. Nous le savons, il y a 15 000 personnes qui ne vont pas à l'école, 15 000 enfants qui ne vont pas à l'école en France, alors même que l'école est obligatoire jusqu'à 16 ans. Il y a 150 000 personnes qui sortent de l'école sans diplôme ni qualification. Cela, je ne peux pas l'accepter et c'est pour cela que j'ai souhaité qu'il y ait des rendez-vous à l'école, et d'abord un rendez-vous dans la classe de CE1, pour évaluer les connaissances en écriture et en lecture et tout de suite mettre en place des mesures d'accompagnement qui permettront de répondre, justement, à ces difficultés. Ce rendez-vous, lors de la classe de CE1, il faudra aussi l'avoir en fin de primaire, en fin de secondaire et c'est pour cela que j'attache tant d'importance à ce qu'il y ait un véritable service public d'orientation qui permettra à chacun de trouver la voie qui est la sienne. Je veux, par ailleurs, une diversité des propositions offertes aux enfants. Ils n'ont pas tous la même vocation, pas tous les mêmes aspirations, et quand un enfant, non seulement s'ennuie à l'école, mais qu'il, visiblement, refuse d'y participer, il faut pouvoir lui offrir autre chose. Alors, il y a toute sorte de systèmes qui ont été initiés : cela va du système sport études, et j'ai voulu que l'apprentissage puisse être une des solutions, dans le respect de l'Éducation nationale, parce que celui qui, à 14 ans, sera dans cette année d'ouverture, d'initiation à l'apprentissage, il continuera à apprendre, il continuera à se voir enseigner le socle de connaissances ; il ira soit dans un lycée professionnel, soit dans un centre d'apprentissage où il recevra, en liaison avec les professeurs de l'Éducation nationale, l'enseignement indispensable, et nous vérifierons qu'année après année, jusqu'à l'âge de 16 ans, il continue et qu'il ait véritablement acquis ses connaissances. Mais ce que nous voulons, c'est pouvoir l'intéresser, pouvoir lui apprendre quelque chose, pouvoir le valoriser. Vous savez, en recevant nombre d'enseignants, d'éducateurs, de ceux qui sont justement au contact de ces enfants dans les quartiers, il y a une chose qui m'a frappé : beaucoup d'enfants ont le sentiment, tout au long de leur scolarité, de ne jamais réussir quelque chose. Comment faites-vous pour apprendre, quand ce que vous faites n'est jamais récompensé, quand vous n'êtes jamais valorisé ? Eh bien j'estime qu'il faut que chacun puisse exprimer ses qualités, et l'école doit reconnaître la diversité des personnalités, des tempéraments, des sensibilités. Il n'y a pas une seule façon d'être intelligent. La revalorisation du travail manuel dans notre pays, la capacité que vous avez, à un moment donné, à faire quelque chose que vous aimez, ceci doit être encouragé, et quand j'ai visité des centres de formation, d'apprentissage, j'ai entendu, plus que nulle part ailleurs, des enfants me dire : ? nous sommes heureux, nous sommes fiers de ce que nous faisons ? et 80 % d'entre eux trouvent un emploi à la sortie. Alors, sachons utiliser les talents, sachons récompenser les qualités de chacun, que chacun trouve sa voie. Sortons de l'idéologie, des idées très simples qui enferment mais qui au bout du compte mutilent, donc je crois qu'il est temps de s'ouvrir.
Alors, je le dis bien, donc, éducation, mais aussi emploi. Il faut que nous luttions contre cette situation inacceptable : 40 % des jeunes, dans un certain nombre de quartiers, sont au chômage, c'est évidemment inacceptable ; et j'ai proposé que ces jeunes puissent être reçus dans les prochaines semaines, par les ANPE ou les missions locales, et que dans les trois mois il leur soit proposé, soit un emploi, soit un contrat de formation, soit un stage. Donc là, nous avons une mobilisation générale qui doit s'engager. Vous savez, je n'ai pas attendu hier pour le faire, j'ai décidé, dès mon arrivée, que l'ANPE recevrait 57 000 jeunes chômeurs de longue durée, 174 000 personnes bénéficiaires de l'Allocation spécifique de solidarité ; nous continuons à nous mobiliser et nous le faisons donc dans les zones urbaines sensibles. Mais il faut aussi valoriser les capacités économiques qui existent dans ces quartiers et autour de ces quartiers, et c'est pour cela que je veux redonner un coup de fouet aux zones franches urbaines ; 15 zones franches urbaines supplémentaires seront créées et nous allons créer un différentiel d'incitation dans ces zones franches, très fort, et je veux, là aussi, qu'il y ait un partenariat entre les grandes entreprises et les petites entreprises qui s'installent dans ces zones, pour qu'elles puissent les accompagner et elles seront fiscalement incitées pour le faire.
Et enfin, parce que c'est un des grands chantiers, et celui-là, voyez-vous, il vous concerne, comme il me concerne, comme il concerne tous nos concitoyens : c'est la lutte contre les discriminations. La première souffrance dans notre pays vient du regard, d'une main qui n'est pas tendue, d'une personne qui change de trottoir parce qu'elle a peur. Il faut faire en sorte que nos comportements, nos mentalités, changent. Ça, eh bien, cela se fait bien sûr dans l'entreprise. 300 entreprises ont signé la charte de la diversité, pour justement que, dans l'entreprise, les recrutements reflètent la diversité de notre pays. Cela implique, bien sûr, un certain nombre de changements. C'est pour cela que je veux encourager le CV anonyme, ce sont des expérimentations qui me paraissent devoir être encouragées ; c'est pour cela que je veux sanctionner quand il y a des actes inacceptables dans notre pays, et c'est pour cela que la HALDE, la Haute autorité de lutte contre les discriminations, que le Président de la République a créée, aura un pouvoir de sanction. Donc, vous le voyez, c'est un combat qui est un grand combat. Le Président de la République a marqué très clairement la mobilisation nationale qu'il entendait être celle de chacun, et nous devons, parce que c'est cela aussi, la République, et la démocratie, nous devons marquer des points, vite, nous devons obtenir des résultats rapidement. Et je le redis, on peut toujours se dire, dans ces cas là ? c'est à l'État de tout faire ?, et on lève la tête en haut et on regarde et on dit : ? que l'État règle tout ! ? Eh bien l'État se mobilise, l'État veut mener cette bataille, mais il faut le faire avec chacun, avec tous ; c'est l'affaire des entreprises, c'est l'affaire des associations, c'est l'affaire des collectivités locales, c'est l'affaire de chacun d'entre nous.
Stéphane PAOLI : Bonjour Martine. Bienvenue à vous. Merci de nous appeler, vous êtes en ligne à Lyon.
Martine : Bonjour. Je remercie déjà France Inter pour toute la satisfaction qu'elle peut me procurer de m'adresser à Monsieur le Premier ministre et j'espère que toute la mesure et l'humanité dont cette personne fait preuve sera reconnue en temps voulus. Voilà, je voulais simplement dire que l'éducation était la clef de tout, que la première récompense était de la façon dont on s'adresse aux gens, la première souffrance c'était les regards et les mots. Alors, moi, je voudrais être très claire et nette, en tant qu'enseignante, et demander à monsieur de Villepin pourquoi il ne se démarque pas, je dis bien des mots et non pas de l'action de monsieur Sarkozy ? Voilà, c'est très bref. Pourquoi il ne se démarque pas des mots - il le fait, mais il le fait de façon très fine et d'une façon que je pense, les principaux protagonistes ne peuvent pas entendre, c'est-à-dire les jeunes. Voilà. Je voulais simplement lui demander pourquoi il ne se démarque pas de ses mots. Les mots que monsieur de Villepin emploie, je pense, expliquent, certainement la monté, de sa cote comme on peut dire, dans l'opinion publique, alors pourquoi... ce serait peut-être quelque chose de très simple, qui permettrait de faire baisser une certaine pression parce que beaucoup d'analystes et d'observateurs disent que, en fait, on n'a rien réglé, on parle des mesures, certains appellent cela des "mesurettes". Voilà. Donc, je voudrais parler des mots et non...
Dominique de VILLEPIN : Merci madame. Dans toute société comme dans toute famille, nous avançons en marchant et il nous faut régler des problèmes de nature très différente, et nous avons tous nos sensibilités, nous avons tous notre façon et nos mots à nous de nous exprimer. Mais, bien évidemment, notre façon de nous exprimer, les gestes que nous faisons, les regards qui sont les nôtres, ne peuvent pas ignorer la perception des autres. Et ce travail là, il faut que bien sûr chacun le fasse. Je le fais moi-même, je l'ai dit lors de ma conférence de presse, qu'il n'y a pas de jour où dix fois par jour je ne tourne sept fois ma langue dans ma bouche, et je crois que la responsabilité de l'exercice du gouvernement, comme toute responsabilité... C'est vrai dans une entreprise, c'est vrai dans une association, c'est vrai dans notre vie familiale : combien de fois vous dites quelque chose sans vouloir blesser et c'est mal compris, et cela suscite des heurts, ça suscite des tensions. Donc, je crois que c'est un mouvement de pédagogie. Il appartient à chacun, en permanence, de faire le point. C'est un travail nécessaire. Moi, j'anime une équipe, je veux que chacun apporte le meilleur et je veux que cette équipe se rassemble, je veux que cette équipe agisse, je veux que cette équipe soit soucieuse, toujours, de mieux prendre en compte les préoccupations des Français et ce que je souhaite, c'est qu'évidemment, jour après jour, elle soit plus en phase, plus respectueuse, de ce que nous sommes les uns et les autres, de cette diversité française, dans un monde difficile. Cette tolérance, ce respect, il nous appartient à chacun de le faire vivre.
Stéphane PAOLI : Merci monsieur le Premier ministre.(Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 12 décembre 2005)