Texte intégral
France Inter
Il y a tout juste cent ans aujourd'hui, la loi sur la séparation des Eglises et de l'Etat était promulguée. Cent ans après, le débat sur la laïcité est toujours présent en France. La loi de 1905 est unanimement saluée aujourd'hui, mais certains voudraient la toiletter, l'adapter à la France de 2005. Faut-il modifier cette loi de 1905 pour l'adapter à notre temps, notamment à l'émergence de l'islam, inexistant en France en 1905. M. Valls ?
Manuel Valls
D'abord, la loi de 1905 est une loi qui est au c?ur de la République, elle est et reste indispensable et elle affirme d'abord la liberté de conscience, la liberté de croire et de ne pas croire. Mais je fais partie de ceux qui pensent qu'il faut en tout cas répondre à un problème nouveau, qui est l'apparition évidemment des religions, des cultes, qui n'existaient pas en 1905. Je pense évidemment à l'islam, mais aussi au bouddhisme et à l'hindouisme, et à une forme d'inégalité de traitement, notamment pour ce qui concerne les lieux de cultes.
France Inter
F. Baroin, votre opinion ? Faut-il réviser cette loi, l'adapter aux temps modernes ?
François Baroin
Non, car on a eu un grand débat quand même, impulsé par le président de la République, qui a animé très vigoureusement la société française, qui d'abord, a réactualisé ce concept qui était un peu vieillissant, qui lui a redonné de l'élan et qui a permis aux générations contemporaines de prendre conscience que le respect de la pratique de la foi, du culte, dans une république comme la nôtre, signifiait quelque chose, une formidable ouverture et une exigence de tolérance. Et enfin, nous avons déjà évolué. J'ai été l'un des premiers à demander une loi sur les signes religieux à l'école, dans un rapport que j'avais remis à J.-P. Raffarin à l'époque, qui était Premier ministre, parce que nous devions protéger des consciences en formation, nos enfants, sur ce point. En revanche, la loi de 1905, dans son équilibre et dans ses modifications qu'elle a déjà vécues au cours des décennies passées, donne beaucoup de souplesse aux maires, aux acteurs, pour permettre aux nouvelles religions émergées depuis 1905 de vivre, d'exister et de coexister, de cohabiter avec les autres.
France Inter
Quelle souplesse ? M. Valls, estimez-vous que vous avez suffisamment de souplesse pour aider par exemple, les musulmans à Evry ?
Manuel Valls
Heureusement, à Evry, il y a une grande mosquée, celle d'Evry-Courcouronnes, il y a aussi une cathédrale?
France Inter
Qui a financé cette mosquée, sa construction ?
Manuel Valls
Cette mosquée a été essentiellement financée par la Ligue islamique mondiale et par le royaume du Maroc. Elle est formidablement bien gérée par son recteur. Il y a aussi une cathédrale, dont le musée d'art sacré a été financé par l'Etat, par la région, et par l'établissement public de la ville d'Evry. Il y a une pagode en construction, qui recherche des financements. Donc en tout état de cause, on voit bien qu'il y a des religions qui ont un certain nombre de ressources financières, qui sont surtout beaucoup d'édifices construits au cours des siècles, et d'autres qui sont aujourd'hui en difficulté?
France Inter
Mais alors pourquoi voulez-vous modifier cette loi de 1905 ?
Manuel Valls
Parce que je crois que, d'une manière générale, en revanche, pour l'islam, tout le monde n'a pas la chance d'avoir la grande mosquée qui existe sur le territoire dont je sois l'élu. Je préfère un financement public, transparent, à travers soit une modification de la loi, soit la fondation qui a été mise en place, plutôt que le financement qui vient de l'étranger, et notamment d'Arabie Saoudite, financements qui sont en train de modifier la face de l'islam dans le monde. Donc je plaide pour un islam de France aidé par les politiques, et donc aidé aussi par les pouvoirs publics.
France Inter
Ce que vous dites clairement, c'est que vous craignez que des financements étrangers financent un islamisme intégriste ?
Manuel Valls
Je crois qu'il faut savoir ce que nous voulons, et je fais partie de ceux qui pensent qu'il faut un islam de France, avec des financements publics transparents, mais aussi évidemment la formation d'imams français.
François Baroin
Je suis à 100% d'accord sur les objectifs définis par M. Valls. Il faut de la transparence, il faut des règles, il faut l'absence de doutes sur l'organisation du culte musulman quant à ses objectifs politiques. Et il n'est pas contestable, quand vous avez des organisations que tout le monde connaît bien, ici ou là, et qui financent sous le manteau, sans se préoccuper de savoir si derrière l'objectif n'est pas de déstabiliser la cohésion sociale sur certains de nos territoires plus que de permettre aux musulmans de pratiquer leur culte sur notre territoire, il faut être attentifs. Simplement, on a déjà des moyens. C'est vrai que la fondation initiée par D. de Villepin est une piste intéressante. Je la préfère nettement à la révision de la loi de 1905. Je pense par ailleurs, que l'on peut aller plus loin. D'abord, vous savez que les maires peuvent mettre en place ou proposer des signatures de baux emphytéotiques, c'est-à-dire à très longue durée, ce qui permet ensuite à la communauté musulmane de construire son lieu de culte. Cela prend la forme d'une mosquée ou cela prend la forme d'un lieu de prière, c'est possible... Et puis dans le rapport - pardon de me citer, mais enfin, c'est auprès des mauvais auteurs que l'on trouve peut-être les meilleures citations ! -, j'avais proposé un "don spiritualité", c'est-à-dire une logique de défiscalisation, d'un soutien financier apporté par les musulmans ou par ceux qui veulent soutenir leur culte. C'est vrai pour les musulmans comme pour les autres religions?
France Inter
Cette loi de 1905 proclame la liberté religieuse, mais si une religion, en l'occurrence, l'islam, n'a pas les moyens d'exercer sa religion, parce qu'elle n'a pas les locaux suffisants, il n'y a pas vraiment de liberté. Or en France, on parle "d'islam de garages", "d'islam des caves", et l'on sait que les musulmans manquent de locaux. Et cela peut à ce moment-là favoriser le sentiment d'exclusion et l'extrémisme ?
François Baroin
C'est évident. C'est même la raison pour laquelle il faut faire refaire remonter les lieux de prière. Il n'est pas acceptable, c'est une forme d'irrespect pour les musulmans, en responsabilité, de les laisser dans les caves ou dans des petits logements de 30 ou 40 m2, et au moment du Ramadan les laisser dans les couloirs des immeubles HLM, dans nos quartiers en difficultés? Ce n'est pas tenable. Il faut des lieux de prière. Ensuite, il faut s'adapter à chaque commune et en fonction de son territoire. Est-ce un grand lieu de prière ? Est-il plus central ? Sont-ce plusieurs lieux de prière, parce que l'agglomération est très étendue ? Je crois que cela, c'est le pragmatisme qui doit permettre dans une discussion, avec les représentants de la communauté d'avancer.
France Inter
L'Etat ne doit-il pas s'en mêler, selon vous, pas de financements ?
Manuel Valls
Mais l'Etat s'en mêle déjà d'une certaine manière?
France Inter
Indirectement, oui, à travers des avantages?
Manuel Valls
Oui?
François Baroin
La loi de 1905, dans son article 2, met en place des aumôneries dans les hôpitaux, dans les écoles, dans les prisons? L'Etat s'en mêle !
Manuel Valls
Et la loi de 1905 est elle-même souple, elle était elle-même le fruit d'ailleurs d'un compromis et d'une volonté d'apaisement. Par exemple, elle permet, à travers les associations de loi de 1905, de gérer les cultes. C'était évidemment le cas, et c'est le cas pour les cultes catholiques. Appliquons déjà aussi la loi. Et notamment pour les lieux de culte musulman, il faut que ce soit la loi de 1905 qui préside à la gestion de ces lieux de culte et non pas la loi des associations de 1901. Cela permettrait aussi une plus grande transparence et également un meilleur contrôle. La loi est intéressante, elle est souple, il faut l'adapter à la réalité. Si il faut des modifications, des adaptations ou de nouveaux instruments comme la fondation, à condition qu'elle marche, évidemment cela peut être intéressant?
François Baroin
Oui, il y a un détournement. C'est-à-dire que la loi de 1901, qui permet la création d'associations, fait que les gens qui ne peuvent pas être financés sur leur culte, s'orientent vers la création d'associations culturelles. Et là, il y a un peu de perte en ligne et on ne sait pas toujours très bien ce qui se passe. Donc là, il faut de la clarté.
France Inter
En tout cas, cette loi de 1905 créait des changements politiques assez étonnants, puisque l'on voit ce matin quand même, un député socialiste soutenir ouvertement une initiative de N. Sarkozy - c'est plutôt rare -, puisque N. Sarkozy souhaite réviser cette loi de 1905.
Manuel Valls
Mais je vais faire comme F. Baroin : je crois que je l'ai dit avant N. Sarkozy ! Donc cela n'a pas beaucoup d'importance ! Au fond, je crois que nous partageons avec F. Baroin les mêmes objectifs...
François Baroin
Absolument.
Manuel Valls
Nous considérons tous que la loi de 1905 est très importante, c'est un pilier de la République, les Français y sont très attachés. En même temps, essayons de l'adapter plus simplement aux réalités. Et elle été révisée une dizaine de fois depuis 1905.
France Inter
C'est quand même assez étonnant, on a vraiment célébré ce centenaire dans la discrétion. Pas un mot de J. Chirac, pas un mot de D. de Villepin. On a envoyé le Garde des Sceaux, P. Clément, la semaine dernière, cette semaine, sous la Coupole. C'est bizarre pour une loi aussi importante ?
François Baroin
En réalité, ce débat sur l'anniversaire, on l'a eu au moment de la reprise de l'élan. Lorsque J. Chirac a créé la commission Stasi, pour engager une grande réflexion, on a eu le grand débat. Il y a eu des colloques, il y a eu des prises de positions, on a eu un débat à l'Assemblée nationale, voté d'ailleurs, il faut le dire à nos auditeurs, à la quasi-unanimité, gauche et droite. La laïcité n'est pas de droite ou de gauche, elle est républicaine. Après, chacun se retrouve dans ses fondamentaux ou pas.
Manuel Valls
Oui, c'est un des acquis de ce siècle. Et c'est dommage qu'on ne la célèbre pas plus. Dans ma commune, hier soir, à Evry, il y avait 500 personnes pour un débat, après avoir assisté à la diffusion du film sur la séparation, qui est tout à fait extraordinaire et très pédagogique.
François Baroin
Oui, ce film est puissant?
Manuel Valls
Il faut donc continuer à débattre, il ne faut pas s'arrêter, au-delà des commémorations, parce que c'est un débat d'actualité. J'ai participé à des débats tout à fait passionnants dans des lycées et des collèges, parce que la jeunesse a besoin aussi de pédagogie et de rentrer dans ces débats qui fondent au fond notre identité.
France Inter
Une question d'actualité : faut-il tout simplement abroger la loi du 23 février 2005, reconnaissant le rôle positif de la présence française Outre-Mer, notamment en Afrique du Nord ? Le ministre du Tourisme, L. Bertrand, l'a demandé hier. Ce matin, sur France Inter, le ministre de l'Outre-mer, F. Baroin, est-il prêt à faire la même demande : on abroge cet article de loi ?
François Baroin
Non, je serais ravi de vous faire un scoop qui animera toute la journée sur ce point. Ma position est différente. D'abord, rappeler les faits : il n'y a pas d'histoire officielle, je crois que c'est important. D. de Villepin l'a rappelé chez vous hier. Ensuite, dire que c'est une initiative parlementaire et pas celle de l'UMP. Enfin, rappeler que sur ce point, on a réveillé des souffrances qui sont une vraie réalité.
France Inter
Justement, on tourne autour du pot. Pourquoi ne dites-vous pas clairement qu'il faut l'abroger ?
François Baroin
Tout simplement, parce que c'est une initiative parlementaire. Je suis un ancien parlementaire et j'ai beaucoup de respect. Je dirais que s'il doit y avoir des modifications, c'est aux parlementaires de trouver eux-mêmes des voies de sortie.
France Inter
Mais le Gouvernement peut faire un projet de loi et le soumettre au Parlement ?
François Baroin
Il le peut, mais c'est aussi un débat national. Et ma position est que c'est plutôt aux parlementaires de trouver les moyens et les voies de sortie. Je suis persuadé qu'ils peuvent prendre des initiatives.
France Inter
M. Valls, un mot là-dessus ?
Manuel Valls
Il y a quinze jours, les socialistes proposaient un texte pour abroger l'article 4. L'UMP l'a rejeté, un ministre du Gouvernement était là et n'a pas soutenu cette proposition, c'est dommage. On aurait évité l'approfondissement de ces blessures dont vient de parler justement F. Baroin.
France Inter
Mais quand le texte a été voté en février, vous étiez assez discrets incontestablement. C'est une annulation qui vient un petit peu tard?
Manuel Valls
Les socialistes sont passés à côté de ce débat, qui portait sur les rapatriés. Je crois qu'il était important d'y revenir. Et je suis évidemment d'accord avec F. Baroin, sur l'idée que ce sont des sujets délicats, et qu'il ne faut pas que le Parlement écrive une histoire officielle.
(Source http://www.outre-mer.gouv.fr, le 28 décembre 2005)
Il y a tout juste cent ans aujourd'hui, la loi sur la séparation des Eglises et de l'Etat était promulguée. Cent ans après, le débat sur la laïcité est toujours présent en France. La loi de 1905 est unanimement saluée aujourd'hui, mais certains voudraient la toiletter, l'adapter à la France de 2005. Faut-il modifier cette loi de 1905 pour l'adapter à notre temps, notamment à l'émergence de l'islam, inexistant en France en 1905. M. Valls ?
Manuel Valls
D'abord, la loi de 1905 est une loi qui est au c?ur de la République, elle est et reste indispensable et elle affirme d'abord la liberté de conscience, la liberté de croire et de ne pas croire. Mais je fais partie de ceux qui pensent qu'il faut en tout cas répondre à un problème nouveau, qui est l'apparition évidemment des religions, des cultes, qui n'existaient pas en 1905. Je pense évidemment à l'islam, mais aussi au bouddhisme et à l'hindouisme, et à une forme d'inégalité de traitement, notamment pour ce qui concerne les lieux de cultes.
France Inter
F. Baroin, votre opinion ? Faut-il réviser cette loi, l'adapter aux temps modernes ?
François Baroin
Non, car on a eu un grand débat quand même, impulsé par le président de la République, qui a animé très vigoureusement la société française, qui d'abord, a réactualisé ce concept qui était un peu vieillissant, qui lui a redonné de l'élan et qui a permis aux générations contemporaines de prendre conscience que le respect de la pratique de la foi, du culte, dans une république comme la nôtre, signifiait quelque chose, une formidable ouverture et une exigence de tolérance. Et enfin, nous avons déjà évolué. J'ai été l'un des premiers à demander une loi sur les signes religieux à l'école, dans un rapport que j'avais remis à J.-P. Raffarin à l'époque, qui était Premier ministre, parce que nous devions protéger des consciences en formation, nos enfants, sur ce point. En revanche, la loi de 1905, dans son équilibre et dans ses modifications qu'elle a déjà vécues au cours des décennies passées, donne beaucoup de souplesse aux maires, aux acteurs, pour permettre aux nouvelles religions émergées depuis 1905 de vivre, d'exister et de coexister, de cohabiter avec les autres.
France Inter
Quelle souplesse ? M. Valls, estimez-vous que vous avez suffisamment de souplesse pour aider par exemple, les musulmans à Evry ?
Manuel Valls
Heureusement, à Evry, il y a une grande mosquée, celle d'Evry-Courcouronnes, il y a aussi une cathédrale?
France Inter
Qui a financé cette mosquée, sa construction ?
Manuel Valls
Cette mosquée a été essentiellement financée par la Ligue islamique mondiale et par le royaume du Maroc. Elle est formidablement bien gérée par son recteur. Il y a aussi une cathédrale, dont le musée d'art sacré a été financé par l'Etat, par la région, et par l'établissement public de la ville d'Evry. Il y a une pagode en construction, qui recherche des financements. Donc en tout état de cause, on voit bien qu'il y a des religions qui ont un certain nombre de ressources financières, qui sont surtout beaucoup d'édifices construits au cours des siècles, et d'autres qui sont aujourd'hui en difficulté?
France Inter
Mais alors pourquoi voulez-vous modifier cette loi de 1905 ?
Manuel Valls
Parce que je crois que, d'une manière générale, en revanche, pour l'islam, tout le monde n'a pas la chance d'avoir la grande mosquée qui existe sur le territoire dont je sois l'élu. Je préfère un financement public, transparent, à travers soit une modification de la loi, soit la fondation qui a été mise en place, plutôt que le financement qui vient de l'étranger, et notamment d'Arabie Saoudite, financements qui sont en train de modifier la face de l'islam dans le monde. Donc je plaide pour un islam de France aidé par les politiques, et donc aidé aussi par les pouvoirs publics.
France Inter
Ce que vous dites clairement, c'est que vous craignez que des financements étrangers financent un islamisme intégriste ?
Manuel Valls
Je crois qu'il faut savoir ce que nous voulons, et je fais partie de ceux qui pensent qu'il faut un islam de France, avec des financements publics transparents, mais aussi évidemment la formation d'imams français.
François Baroin
Je suis à 100% d'accord sur les objectifs définis par M. Valls. Il faut de la transparence, il faut des règles, il faut l'absence de doutes sur l'organisation du culte musulman quant à ses objectifs politiques. Et il n'est pas contestable, quand vous avez des organisations que tout le monde connaît bien, ici ou là, et qui financent sous le manteau, sans se préoccuper de savoir si derrière l'objectif n'est pas de déstabiliser la cohésion sociale sur certains de nos territoires plus que de permettre aux musulmans de pratiquer leur culte sur notre territoire, il faut être attentifs. Simplement, on a déjà des moyens. C'est vrai que la fondation initiée par D. de Villepin est une piste intéressante. Je la préfère nettement à la révision de la loi de 1905. Je pense par ailleurs, que l'on peut aller plus loin. D'abord, vous savez que les maires peuvent mettre en place ou proposer des signatures de baux emphytéotiques, c'est-à-dire à très longue durée, ce qui permet ensuite à la communauté musulmane de construire son lieu de culte. Cela prend la forme d'une mosquée ou cela prend la forme d'un lieu de prière, c'est possible... Et puis dans le rapport - pardon de me citer, mais enfin, c'est auprès des mauvais auteurs que l'on trouve peut-être les meilleures citations ! -, j'avais proposé un "don spiritualité", c'est-à-dire une logique de défiscalisation, d'un soutien financier apporté par les musulmans ou par ceux qui veulent soutenir leur culte. C'est vrai pour les musulmans comme pour les autres religions?
France Inter
Cette loi de 1905 proclame la liberté religieuse, mais si une religion, en l'occurrence, l'islam, n'a pas les moyens d'exercer sa religion, parce qu'elle n'a pas les locaux suffisants, il n'y a pas vraiment de liberté. Or en France, on parle "d'islam de garages", "d'islam des caves", et l'on sait que les musulmans manquent de locaux. Et cela peut à ce moment-là favoriser le sentiment d'exclusion et l'extrémisme ?
François Baroin
C'est évident. C'est même la raison pour laquelle il faut faire refaire remonter les lieux de prière. Il n'est pas acceptable, c'est une forme d'irrespect pour les musulmans, en responsabilité, de les laisser dans les caves ou dans des petits logements de 30 ou 40 m2, et au moment du Ramadan les laisser dans les couloirs des immeubles HLM, dans nos quartiers en difficultés? Ce n'est pas tenable. Il faut des lieux de prière. Ensuite, il faut s'adapter à chaque commune et en fonction de son territoire. Est-ce un grand lieu de prière ? Est-il plus central ? Sont-ce plusieurs lieux de prière, parce que l'agglomération est très étendue ? Je crois que cela, c'est le pragmatisme qui doit permettre dans une discussion, avec les représentants de la communauté d'avancer.
France Inter
L'Etat ne doit-il pas s'en mêler, selon vous, pas de financements ?
Manuel Valls
Mais l'Etat s'en mêle déjà d'une certaine manière?
France Inter
Indirectement, oui, à travers des avantages?
Manuel Valls
Oui?
François Baroin
La loi de 1905, dans son article 2, met en place des aumôneries dans les hôpitaux, dans les écoles, dans les prisons? L'Etat s'en mêle !
Manuel Valls
Et la loi de 1905 est elle-même souple, elle était elle-même le fruit d'ailleurs d'un compromis et d'une volonté d'apaisement. Par exemple, elle permet, à travers les associations de loi de 1905, de gérer les cultes. C'était évidemment le cas, et c'est le cas pour les cultes catholiques. Appliquons déjà aussi la loi. Et notamment pour les lieux de culte musulman, il faut que ce soit la loi de 1905 qui préside à la gestion de ces lieux de culte et non pas la loi des associations de 1901. Cela permettrait aussi une plus grande transparence et également un meilleur contrôle. La loi est intéressante, elle est souple, il faut l'adapter à la réalité. Si il faut des modifications, des adaptations ou de nouveaux instruments comme la fondation, à condition qu'elle marche, évidemment cela peut être intéressant?
François Baroin
Oui, il y a un détournement. C'est-à-dire que la loi de 1901, qui permet la création d'associations, fait que les gens qui ne peuvent pas être financés sur leur culte, s'orientent vers la création d'associations culturelles. Et là, il y a un peu de perte en ligne et on ne sait pas toujours très bien ce qui se passe. Donc là, il faut de la clarté.
France Inter
En tout cas, cette loi de 1905 créait des changements politiques assez étonnants, puisque l'on voit ce matin quand même, un député socialiste soutenir ouvertement une initiative de N. Sarkozy - c'est plutôt rare -, puisque N. Sarkozy souhaite réviser cette loi de 1905.
Manuel Valls
Mais je vais faire comme F. Baroin : je crois que je l'ai dit avant N. Sarkozy ! Donc cela n'a pas beaucoup d'importance ! Au fond, je crois que nous partageons avec F. Baroin les mêmes objectifs...
François Baroin
Absolument.
Manuel Valls
Nous considérons tous que la loi de 1905 est très importante, c'est un pilier de la République, les Français y sont très attachés. En même temps, essayons de l'adapter plus simplement aux réalités. Et elle été révisée une dizaine de fois depuis 1905.
France Inter
C'est quand même assez étonnant, on a vraiment célébré ce centenaire dans la discrétion. Pas un mot de J. Chirac, pas un mot de D. de Villepin. On a envoyé le Garde des Sceaux, P. Clément, la semaine dernière, cette semaine, sous la Coupole. C'est bizarre pour une loi aussi importante ?
François Baroin
En réalité, ce débat sur l'anniversaire, on l'a eu au moment de la reprise de l'élan. Lorsque J. Chirac a créé la commission Stasi, pour engager une grande réflexion, on a eu le grand débat. Il y a eu des colloques, il y a eu des prises de positions, on a eu un débat à l'Assemblée nationale, voté d'ailleurs, il faut le dire à nos auditeurs, à la quasi-unanimité, gauche et droite. La laïcité n'est pas de droite ou de gauche, elle est républicaine. Après, chacun se retrouve dans ses fondamentaux ou pas.
Manuel Valls
Oui, c'est un des acquis de ce siècle. Et c'est dommage qu'on ne la célèbre pas plus. Dans ma commune, hier soir, à Evry, il y avait 500 personnes pour un débat, après avoir assisté à la diffusion du film sur la séparation, qui est tout à fait extraordinaire et très pédagogique.
François Baroin
Oui, ce film est puissant?
Manuel Valls
Il faut donc continuer à débattre, il ne faut pas s'arrêter, au-delà des commémorations, parce que c'est un débat d'actualité. J'ai participé à des débats tout à fait passionnants dans des lycées et des collèges, parce que la jeunesse a besoin aussi de pédagogie et de rentrer dans ces débats qui fondent au fond notre identité.
France Inter
Une question d'actualité : faut-il tout simplement abroger la loi du 23 février 2005, reconnaissant le rôle positif de la présence française Outre-Mer, notamment en Afrique du Nord ? Le ministre du Tourisme, L. Bertrand, l'a demandé hier. Ce matin, sur France Inter, le ministre de l'Outre-mer, F. Baroin, est-il prêt à faire la même demande : on abroge cet article de loi ?
François Baroin
Non, je serais ravi de vous faire un scoop qui animera toute la journée sur ce point. Ma position est différente. D'abord, rappeler les faits : il n'y a pas d'histoire officielle, je crois que c'est important. D. de Villepin l'a rappelé chez vous hier. Ensuite, dire que c'est une initiative parlementaire et pas celle de l'UMP. Enfin, rappeler que sur ce point, on a réveillé des souffrances qui sont une vraie réalité.
France Inter
Justement, on tourne autour du pot. Pourquoi ne dites-vous pas clairement qu'il faut l'abroger ?
François Baroin
Tout simplement, parce que c'est une initiative parlementaire. Je suis un ancien parlementaire et j'ai beaucoup de respect. Je dirais que s'il doit y avoir des modifications, c'est aux parlementaires de trouver eux-mêmes des voies de sortie.
France Inter
Mais le Gouvernement peut faire un projet de loi et le soumettre au Parlement ?
François Baroin
Il le peut, mais c'est aussi un débat national. Et ma position est que c'est plutôt aux parlementaires de trouver les moyens et les voies de sortie. Je suis persuadé qu'ils peuvent prendre des initiatives.
France Inter
M. Valls, un mot là-dessus ?
Manuel Valls
Il y a quinze jours, les socialistes proposaient un texte pour abroger l'article 4. L'UMP l'a rejeté, un ministre du Gouvernement était là et n'a pas soutenu cette proposition, c'est dommage. On aurait évité l'approfondissement de ces blessures dont vient de parler justement F. Baroin.
France Inter
Mais quand le texte a été voté en février, vous étiez assez discrets incontestablement. C'est une annulation qui vient un petit peu tard?
Manuel Valls
Les socialistes sont passés à côté de ce débat, qui portait sur les rapatriés. Je crois qu'il était important d'y revenir. Et je suis évidemment d'accord avec F. Baroin, sur l'idée que ce sont des sujets délicats, et qu'il ne faut pas que le Parlement écrive une histoire officielle.
(Source http://www.outre-mer.gouv.fr, le 28 décembre 2005)