Texte intégral
Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs,
L'intervention du ministre de l'intérieur devant l'assemblée générale de votre association est une excellente tradition, puisqu'elle permet au ministre de s'exprimer sur la politique du Gouvernement et sur le rôle de l'Etat devant un auditoire particulièrement attentif. Je suis heureux de pouvoir, à mon tour, m'adresser à vous, même si je le fais à la fin d'une année marquée par des événements dramatiques.
Il y a un an, en pleine polémique sur le rôle du corps préfectoral sous l'Occupation, Jean-Pierre Chevènement vous avait invités à puiser dans le souvenir des membres du corps préfectoral entrés dans la Résistance "l'exemple du courage, de la volonté, de l'abnégation qui, même dans l'ordinaire des jours, sont au cur du service de l'Etat." On ne peut relire ces mots sans évoquer la mémoire de Claude Erignac, pris pour cible parce qu'il symbolisait, par excellence, l'esprit de la République et de l'Etat de droit. Cette tragédie a rappelé la grandeur de votre mission, qui ne se compare à aucune autre, mais aussi le respect et l'attachement que portent les Français au corps préfectoral.
Le même respect, le même attachement à l'égard de ceux qui sont au service désintéressé de l'Etat se sont manifestés lors de l'accident thérapeutique qui a frappé Jean-Pierre Chevènement le 2 septembre dernier. Le Premier Ministre m'a alors demandé d'assurer l'intérim des fonctions de ministre de l'intérieur. C'est dans ce climat d'incertitude que j'ai bien évidemment accepté la mission difficile que me confiait le Premier Ministre.
Depuis le 2 septembre, nous avons tous suivi avec un optimisme et un soulagement grandissants le spectaculaire rétablissement de Jean-Pierre Chevènement, dont nous savons maintenant avec certitude qu'il sera bientôt à nouveau parmi nous et parfaitement en mesure de reprendre avec le caractère, l'intelligence et le talent que nous lui connaissons la place qui est la sienne.
Je veux vous dire ici, avec solennité que, chargé par cet intérim d'assurer la continuité de l'action gouvernementale, j'ai trouvé auprès de vous et de tous les fonctionnaires du ministère de l'intérieur un esprit de dévouement et de responsabilité qui donne à cette évidence un peu désincarnée qu'est la continuité de l'Etat sa réalité humaine. Et puisque c'est de l'Etat et de sa réforme que je veux vous entretenir aujourd'hui, la démonstration que nous avons pu ainsi faire ensemble de la solidité de nos institutions donne à cette démarche un gage particulièrement éclatant de confiance et d'optimisme.
Soyez-en très sincèrement et très vivement remerciés.
Devant cette même assemblée générale, Jean-Pierre Chevènement vous avait annoncé la relance de la réforme de l'Etat et s'était engagé sur un plan de revalorisation de votre rémunération et sur une clarification des règles d'utilisation des moyens de représentation de l'Etat. Sur ce terrain-là comme sur d'autres, le Gouvernement a fait ce qu'il avait annoncé.
Dès le 1er janvier prochain, le corps préfectoral sera doté d'un véritable régime indemnitaire composé de deux volets :
*l'indemnité forfaitaire pour frais de représentation, déjà existante, portée à son maximum, soit 15 % du traitement brut;
*une indemnité de responsabilité, selon un taux proportionnel à la classe des emplois, allant de 39 000 F annuels pour un sous-préfet sur un poste de classe 5 à 100 000 F pour un préfet hors-classe.
Cette mise à niveau de votre régime indemnitaire est à mes yeux une mesure d'équité. La Cour des comptes elle-même s'est encore récemment étonnée que les membres du corps préfectoral soient pratiquement les hauts-fonctionnaires les plus mal payés de l'administration territoriale alors même que, toute considération de mérite mise à part, ils sont sans conteste ceux dont la disponibilité et la responsabilité personnelles sont le plus sollicitées. Quant à la revalorisation indiciaire, elle ne pourra être menée indépendamment d'une réflexion d'ensemble sur la haute fonction publique, à laquelle votre association participe activement.
Toutefois, dès la préparation du projet de loi de finances 2000, et là encore pour rattraper le retard subi par le corps préfectoral, le ministère de l'intérieur demandera le classement en hors-échelle B des emplois fonctionnels de sous-préfet sur des postes de classe 1.
La clarification des règles d'utilisation des moyens de représentation de l'Etat est une contrepartie nécessaire à cette revalorisation. L'utilisation de deniers publics sur un compte personnel était devenue une anomalie qui, comme vous le savez, servait d'alibi au blocage de votre régime indemnitaire. En outre, les économies réalisées sur les frais de représentation et sur le parc automobile profiteront intégralement aux moyens de fonctionnement des préfectures.
Mais, au-delà de ces nécessités de circonstances, il s'agit aussi d'indiquer clairement l'esprit dans lequel le corps préfectoral aborde une nouvelle étape de la réforme de l'Etat, dans laquelle il est appelé à jouer un rôle décisif.
Avant d'examiner plus précisément la place qui revient au corps préfectoral dans cette réforme, je voudrais auparavant rappeler pourquoi elle est nécessaire et comment le Gouvernement l'envisage.
J'entendais récemment un parlementaire de l'opposition dire de la réforme de l'Etat qu'on en parlait toujours sans jamais la faire. Cette vision me semble doublement erronée, parce que la réforme de l'Etat ne commence pas aujourd'hui et parce qu'il est peu probable que l'on puisse un jour la déclarer achevée. Mais il est vrai que l'effort permanent de réforme, d'adaptation, de modernisation connaît des phases d'accélération, comme en 1982 avec la décentralisation et des phases d'hésitation, comme celle qu'a subi, depuis 1992, la mise en uvre de la charte de la déconcentration. J'y reviendrai. Le sujet est en outre si complexe qu'on ne peut s'attendre à un "grand soir" de la réforme de l'Etat.
Car réformer l'Etat, ce n'est pas seulement moderniser, c'est donner à la modernisation un sens, une orientation politique. Celle du Gouvernement, le Premier Ministre l'a dit clairement, vise à refonder, partout où la nécessité s'en fait sentir, le pacte républicain. Tout n'avance pas du même pas, mais c'est bien le même objectif politique que nous poursuivons à travers le projet de limitation du cumul des mandats, la réforme de l'institution judiciaire, la lutte contre les exclusions, le projet de loi sur la coopération intercommunale et celui sur les droits des citoyens dans leurs relations avec l'administration. Il s'agit de remettre les institutions de la République au service de l'unité nationale et de la cohésion sociale chaque fois qu'elles ne sont plus en mesure de jouer ce rôle, parce qu'elles ont vieilli ou parce que la société et ses problèmes ont changé.
Cette démarche, somme toute assez simple dans son principe, se heurte bien entendu à des positions politiques conservatrices qui ne voient de salut que dans la réduction de l'Etat et dans l'avènement de la société de marché. Mais elle se heurte aussi aux attentes, aussi fortes que contradictoires, des Français à l'égard de l'Etat.
Deux études de la SOFRES menées l'année dernière montrent en effet qu'une large majorité de Français (61 %) estime que l'Etat n'intervient pas assez dans la vie sociale, mais qu'ils sont tout aussi nombreux à le juger "éloigné des Français", "inefficace" et "partial"
Au milieu de cette image brouillée de l'Etat et de ses rapports avec les citoyens, l'administration territoriale que vous incarnez garde à leurs yeux des qualités de proximité et d'efficacité indéniables. Ces qualités tiennent en particulier à la capacité d'adaptation dont l'administration territoriale a su faire preuve, tant face au bouleversement institutionnel que fut la décentralisation, qu'à l'émergence de problèmes et de besoins nouveaux, en particulier dans le domaine social. Il y a enfin, et je tiens à la saluer ici, une capacité de mobilisation des agents de l'Etat, tout particulièrement ceux des préfectures, à faire face aux situations exceptionnelles, aux crises, aux urgences.
Cette faculté d'adaptation empirique ne paraît cependant pas suffisante pour permettre à l'Etat de faire face à un risque de dilution de ses missions dans la complexité sociale, technique et juridique. Je m'explique :
Il n'y a plus aujourd'hui de politique publique dont la conception et la mise en uvre ne nécessitent la mobilisation de partenaires et l'organisation de procédures de concertation, de négociation et de coopération. Et je ne parle pas là seulement des actions de développement économique, qui fonctionnent sur ce mode depuis déjà longtemps, je ne parle pas seulement du domaine social ou de la politique de la ville, dont le vocabulaire fait une place de choix à toutes les variantes du partenariat, mais je pense aussi aux politiques qui sont au cur des compétences de l'Etat, et en particulier aux contrats locaux de sécurité.
Cette évolution est profonde, parce qu'elle obéit à plusieurs nécessités. Elle résulte en premier lieu de ces deux lames de fond que sont la décentralisation et la construction européenne, qui ont privé l'Etat du monopole des moyens publics. Elle répond à l'évolution des mentalités qui exige que toute décision collective passe par une phase de concertation. Elle permet de faire face à la complexification croissante des problèmes soumis à la décision publique, dont l'Etat ne peut avoir seul la connaissance et l'expertise. Elle procède enfin d'un souci de qualité des décisions prises, des opérations financées et des services rendus.
Cette évolution se conjugue avec la spécialisation des normes juridiques et techniques et la prolifération des instances et autorités chargées de les concevoir, de les interpréter et d'en contrôler l'application.
Nous voilà dans un univers où ni l'autorité de la décision, ni la valeur de l'expertise, ni le pouvoir de financer ne sont plus l'apanage exclusif de l'Etat. Soucieux de s'adapter à cet environnement, l'Etat court le risque de se diluer, de troquer la pesanteur bureaucratique contre celle des comités et des commissions dans lesquels il ne serait qu'un partenaire comme les autres, réservant la capacité d'arbitrage au pouvoir judiciaire et l'exercice de l'autorité à celle de la chose jugée.
Ces risques ne sont pas abstraits; ils sont d'ores et déjà au cur des interrogations que vous portez sur votre activité quotidienne et sur le sens de votre mission.
Je voudrais à cet égard m'arrêter un instant sur les poursuites engagées contre des fonctionnaires du ministère de l'intérieur auxquels la protection de l'Etat a été accordée.
Depuis le 1er janvier 1992, il y a eu 47 mises en cause pénales, dont 23 préfets, 8 sous-préfets, 12 agents du cadre national des préfectures et 4 fonctionnaires de l'administration centrale.
Sur les 35 affaires terminées, 10 ont été abandonnées en cours de route par désistement, irrecevabilité ou nullité de procédure, 9 se sont conclues par des non-lieu, 14 ont abouti à des décisions de relaxe et 2 ont donné lieu à des condamnations à des peines d'amende, sans que l'intégrité personnelle et professionnelle des fonctionnaires concernés soit au demeurant en cause.
L'administration centrale s'est mobilisée et organisée pour défendre ses fonctionnaires et chacun sait ici ce que l'on doit aux services de la DLPAJ. Mais, par-delà les situations individuelles, c'est le fonctionnement même de la décision publique qui est entré dans une profonde mutation.
Des attentes plus fortes de la part des citoyens, des missions plus complexes, un environnement incertain : telle est la toile de fond de la réforme de l'Etat, le contexte dans lequel doivent être appréciées les propositions contenues dans le rapport de Gilbert Santel, délégué interministériel à la réforme de l'Etat, à l'issue des réflexions de huit groupes de travail installés au printemps dernier par mon collègue Emile Zuccarelli.
Je voudrais souligner, avant d'en venir à l'examen de ces propositions, que ces groupes, au sein desquels le corps préfectoral a joué un rôle très actif, n'ont pas travaillé en vain. Lors de leur installation, le projet du Gouvernement était en effet de parvenir à un schéma ouvert de réorganisation des services déconcentrés, dans lequel chaque préfet de département aurait eu, à l'issue d'une concertation locale, une certaine marge de manuvre. Or, les conclusions de groupes de travail, reprises dans le rapport de Gilbert Santel, ont conduit à reconsidérer le principe même de la démarche et le Gouvernement, jouant pleinement le jeu de la concertation, a revu son approche de la réforme. Il est vrai que nous étions instruits, en cette matière, par l'échec du précédent Gouvernement dont le projet de réorganisation expérimentale des services dans cinq départements s'était heurté à une résistance déterminée des ministères concernés.
Ce que je retiens de ces propositions, c'est que l'amélioration de l'efficacité de l'Etat, pour faire face aux difficultés que je viens d'évoquer, pour mettre en uvre des politiques interministérielles et améliorer le service rendu aux citoyens, n'a pas pour préalable la modification des structures administratives mais passe d'abord par l'intensification de la coopération entre ces structures. Pour résumer cette analyse de façon très schématique, on peut dire qu'aucun organigramme n'est susceptible de répondre à la complexité et à la variété des problèmes et des objectifs et que, ce qui compte, c'est de mieux faire travailler ensemble, sur des objectifs partagés, les différentes composantes de l'Etat territorial.
Des propositions du rapport Santel, qui vont faire dans les semaines qui viennent l'objet d'un examen interministériel, je retiens pour ma part les idées suivantes :
Je suis tout d'abord frappé de voir les fonctionnaires réclamer eux-mêmes la clarification des enjeux et des objectifs de leurs missions. L'existence même de cette revendication fait voler en éclats la fiction d'un appareil administratif exécutant mécaniquement les instructions données par les ministres. Non seulement parce que les orientations gouvernementales ne s'appliquent pas, à un moment donné, à la totalité de l'activité administrative, mais aussi parce que ces orientations nécessitent un travail de traduction sur le territoire, auquel il vous revient de donner un sens.
En second lieu, j'observe que la modernisation de l'Etat est attendue à travers celle des comportements et des méthodes de travail, c'est-à-dire, en un mot, à travers celle du management. Comme vous le savez, les différentes administrations ont en la matière des expériences et des cultures fort inégales. Là encore, votre responsabilité est au premier plan. Là encore, elle s'incarne dans l'image que vous donnez de l'Etat, non seulement dans vos fonctions de représentation, mais aussi dans la manière dont vous faites votre métier de patron. C'est, en ce qui vous concerne, un mot dont vous n'avez pas à rougir
Troisième idée, enfin : l'organisation et les modes de coopération entre services de l'Etat doivent être décidés à l'échelon déconcentré, sous la responsabilité du préfet. Nous rompons ainsi avec deux siècles d'uniformité administrative, d'une part parce que le caractère instantané des communications bouleverse la donne, mais surtout parce que, pour que les citoyens soient égaux devant l'Etat, celui-ci doit venir vers eux et s'adapter à eux.
Clarification des objectifs, évolution des méthodes, déconcentration des décisions d'organisation ; ces trois idées conduisent à la démarche qui sera au centre de la réforme de l'administration territoriale : le projet territorial de l'Etat.
De quoi s'agit-il ? D'élaborer un document de diagnostic et d'objectifs, traduisant les priorités ministérielles et interministérielles en fonction des réalités du territoire, et servant de référence commune à l'ensemble des services de l'Etat, avec un horizon de trois à cinq ans.
Ce projet doit être le résultat d'un travail collégial, et par conséquent survivre aux mutations de hauts fonctionnaires; il comporte des indicateurs de réalisation des objectifs poursuivis; il prévoit de manière précise les modalités de coopération entre services. Il sert de base commune aux documents de programmation ou de prévision élaborés entre administrations centrales et services déconcentrés et contribue par conséquent à établir un point d'équilibre entre la logique verticale des administrations et la logique territoriale de l'action collective.
Cette démarche n'a en elle-même rien d'inouï : management par objectif et projet de service sont des notions déjà bien connues. La nouveauté consiste à l'appliquer à l'administration territoriale, du département ou de la région, considérée comme un ensemble. La difficulté, ou l'enjeu, est d'en faire autre chose qu'un exercice formel, de lui donner de la consistance et, si l'on peut dire, une âme.
Pour ce qui est de la consistance, un certain nombre d'outils vous y aideront. Ceux qui sont prévus par la charte de la déconcentration mais qui n'ont pas trouvé à s'appliquer, faute d'un cadre méthodologique adéquat. D'autres, comme la globalisation des crédits déconcentrés, tant en crédits de fonctionnement qu'en crédits d'intervention. En matière de fonctionnement, c'est devenu une évidence de dire que la globalisation est la seule façon intelligente de faire des économies. En ce qui concerne les crédits d'intervention, la même logique finira par prévaloir : on est plus efficace quand on a la responsabilité de ses décisions. Et il faut, là aussi, savoir tirer les conséquences de la décentralisation : en face de collectivités locales qui savent donner de la visibilité politique à leurs investissements, l'Etat doit être en mesure de montrer concrètement où va l'argent public, et il doit le faire dans les délais qui sont ceux de l'action et non ceux de ce qu'on appelle les circuits administratifs.
Quant à l'âme du projet, elle dépend pour l'essentiel, et vous le savez bien, de la qualité des hommes.
A cet égard, la gestion des carrières au sein du corps préfectoral doit répondre à une double exigence. Soyons clairs : la représentation du Gouvernement et la responsabilité opérationnelle permanente donnent à la fonction préfectorale un caractère exceptionnel, que je soulignais au début de mon propos, et cela n'est pas sans conséquence sur la gestion du corps, qui ne peut obéir aux mêmes règles que celle des autres corps de hauts-fonctionnaires. Mais la dimension politique de votre fonction ne signifie pas qu'il faille se priver d'exigences proprement professionnelles, sans quoi la légitimité du corps préfectoral à diriger l'administration territoriale pourrait s'en trouver fragilisée.
La professionnalisation reposera sur quatre orientations que le directeur général de l'administration est chargé de mettre en uvre :
1) La diversification du recrutement, qui permettra notamment l'entrée dans le corps préfectoral de chefs de services déconcentrés de l'Etat. Je sais que cette perspective provoque certaines inquiétudes parmi vous, en raison du goulot d'étranglement démographique que connaît actuellement le corps au niveau des postes de première catégorie. Il ne s'agit nullement de bouleverser l'équilibre du recrutement mais de donner à l'ensemble des corps de hauts-fonctionnaires un signe du caractère interministériel du recrutement dans le corps préfectoral.
2) Corollaire de la diversification, le développement des carrières alternées : au-delà de la mobilité statutaire des administrateurs civils et des sous-préfets, le principe de l'alternance des carrières entre des postes territoriaux et des postes d'administration centrale ou de détachement doit être étendu aux préfets en cours de carrière et non uniquement sur des postes de débouchés. L'évolution du métier de préfet nécessitera d'acquérir une réelle autorité de compétence, une "dominante professionnelle" dans des domaines comme la gestion des ressources humaines, l'expertise juridique ou le développement économique.
3) L'intégration de la formation continue dans le déroulement des carrières devient un impératif pour les préfets et les sous-préfets comme pour tous les autres fonctionnaires. Là encore, le développement des compétences ne peut reposer exclusivement sur l'expérience.
4) La mise en uvre d'une réelle évaluation personnelle des hauts-fonctionnaires. La pratique systématique de l'entretien d'évaluation et son exploitation sont indispensables à la mise en uvre d'une gestion prévisionnelle des carrières et à la constitution de viviers de futurs cadres supérieurs, telles que la pratiquent déjà d'autres grandes administrations. Encore une fois, il ne s'agit pas de restreindre le pouvoir de nomination du Gouvernement, mais de lui permettre de l'exercer sur une population de haut niveau.
La réforme de l'administration territoriale et la modernisation de l'institution préfectorale ne sauraient bien entendu laisser les préfectures et leurs personnels à l'écart du mouvement. Je le répète, les agents du cadre national des préfectures ont répondu présent lorsque l'action du Gouvernement a reposé sur eux. Des missions d'urgence sociale à la mise ne place de la pastille verte en passant par la régularisation des demandeurs de papier, ils ont été mobilisés tout au long de l'année et ils ont fait la démonstration de leur sens du service public et de l'intérêt général dans des conditions parfois difficiles.
Pourtant ces personnels, notamment les cadres, ont souvent le sentiment de ne pas avoir toute leur place dans l'organisation de l'administration territoriale, ou de n'en avoir que la portion congrue, après le corps préfectoral et les corps de fonctionnairetes de services déconcentrés de l'Etat. Le moment est venu de sortir de ce malaise discret mais persistant. Le projet territorial de l'Etat devra permettre de redéfinir la place des préfectures et d'offrir à leurs agents des perspectives de carrière.
Il y a, à la base de ce malaise, l'idée selon laquelle les services des préfectures seraient des généralistes, ou encore des spécialistes de l'interministériel. Or, cette idée est insuffisante, parce que la réalité des missions de l'Etat nécessite le développement de compétences et de métiers de plus en plus spécialisés :
En premier lieu, l'expertise juridique, la maîtrise du contentieux et le contrôle de légalité doivent constituer un pilier de l'administration territoriale. Cela concerne de nombreux services de l'Etat, mais il ne fait pas de doute que chaque préfet doit avoir auprès de lui une véritable "force d'action rapide" juridique. C'est la réponse au risque de voir la régulation par le droit, et donc l'exercice de l'autorité, échapper à l'Etat. Les directeurs d'administration centrale du ministère de l'intérieur ont commencé à réfléchir à cette question : il faut déboucher sur des propositions opérationnelles dès 1999.
Je souhaite en second lieu que nous renforcions sensiblement notre capacité à gérer les crises. Vous me direz que c'est un métier que vous faites depuis toujours. Mais c'est un métier de plus en plus "pointu", parce que les situations de crise se produisent dans les domaines les plus variés, qui vont de la délinquance des mineurs dans les transports en commun à la sécurité alimentaire, parce que la mise en scène des situations de crise par les médias est désormais inévitable et instantanée, parce que l'intolérance de la population aux risques de toute nature est de plus en plus grande, avec les conséquences que cela comporte en terme de mise en cause pénale. Les services de défense et de protection civile ne devront donc pas rester à l'écart du projet territorial de l'Etat. Par ailleurs, l'ensemble des membres du corps préfectoral recevra une formation à la gestion de crise. Enfin, nous avons entrepris de réfléchir à l'évolution de l'échelon zonal, dont l'organisation actuelle n'est pas satisfaisante.
Au-delà des périodes de crises, la communication devient une partie intégrante de l'action de l'Etat. Chaque préfecture a son chargé de communication, sa lettre d'information. Quelques-unes unes disposent d'un système d'information territorial, voire d'un site Internet. Il vous faut franchir une étape significative dans la professionnalisation de ces missions. L'unité de l'Etat que vous incarnez ne résistera pas longtemps à une communication désordonnée ou conduite en amateur, et cela vaut autant pour la communication destinée au public que pour la communication interne à l'administration. L'avènement de la société de l'information pose, lui aussi, de redoutables problèmes à l'exercice de l'autorité, et il vous faudra en maîtriser l'aspect technologique.
Enfin, la logistique des moyens de l'Etat, à commencer par les moyens immobiliers, peut être, elle aussi, une source d'économie et d'efficacité.
Ces orientations sont prioritaires, mais elles ne sont pas exhaustives, puisque ce sera le jeu du projet territorial de parvenir à la bonne combinaison entre les priorités ministérielles. Je vous invite avant tout à convaincre vos collaborateurs que cette réforme est l'occasion de revaloriser leur rôle au sein de l'administration territoriale.
Mais cette phase de réflexion et de concertation doit aussi pour vous l'occasion, si vous ne l'avez déjà entrepris, de réduire le fossé symbolique et psychologique qui sépare encore le cadre national des préfectures du corps préfectoral. Vous aurez besoin, pour jouer la partie délicate qui commence, de collaborateurs motivés et proches de vous davantage que de subordonnés obéissants et discrets. Le ministre de l'intérieur ne peut commander votre style de management. Permettez-moi seulement d'en souligner les enjeux.
L'administration centrale ne restera pas non plus à l'écart de la réforme. Mais à chaque jour suffit sa peine et si j'en parle peu aujourd'hui, c'est parce que le travail de réflexion est en cours, dans le cadre du programme pluriannuel de modernisation.
La modernisation doit, dans le ministère plus qu'ailleurs, être au service de la déconcentration. Celle de l'administration centrale devra lui permettre de mieux jouer son rôle de soutien de l'administration territoriale. Mais, puisque cette dernière réclame une clarification de ses objectifs, l'administration centrale doit également fournir au ministre les moyens d'un réel pilotage stratégique. Nous avons commencé de le faire en créant la délégation aux affaires internationales et le centre d'études et de prévisions ainsi qu'en dotant la sous-direction de l'administration territoriale d'un bureau chargé de suivre les dossiers de l'échelon régional.
Dernière pièce de l'édifice, mais aussi clé de voûte de sa réussite, l'évaluation des actions, des structures et des hommes. Définir le moment et les moyens de l'évaluation doit devenir un réflexe dans tout processus de décision, quels qu'en soient le niveau ou la nature. Mais c'est, là encore, un métier qui ne s'improvise pas. Quant à l'évaluation des hommes, elle doit encore progresser en qualité. Je souhaite que l'inspection générale de l'administration, qui n'est jamais absente des démarches de modernisation et d'adaptation, y compris lorsqu'il s'agit de l'Euro ou du bogue de l'an 2000, s'attache tout particulièrement à cette question, en particulier en ce qui l'administration territoriale, tant pour évaluer celle-ci que pour l'assister dans ses propres démarches d'évaluation.
A l'heure où nous entrons dans la phase active de préparation du bicentenaire du corps préfectoral, la feuille de route que je viens de parcourir devant vous, pleine de questions et de difficultés, est aussi pleine d'avenir. Cette commémoration ne sera pas nostalgique, mais elle ne sera pas insouciante. Vous pouvez être légitimement fiers de votre histoire, vous pouvez être raisonnablement assurés de votre permanence, mais vous ne pourrez vous prévaloir de l'une comme de l'autre qu'en démontrant aussi votre capacité à maîtriser le changement.
Je vous remercie.
(source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le 7 septembre 2001)
Mesdames, Messieurs,
L'intervention du ministre de l'intérieur devant l'assemblée générale de votre association est une excellente tradition, puisqu'elle permet au ministre de s'exprimer sur la politique du Gouvernement et sur le rôle de l'Etat devant un auditoire particulièrement attentif. Je suis heureux de pouvoir, à mon tour, m'adresser à vous, même si je le fais à la fin d'une année marquée par des événements dramatiques.
Il y a un an, en pleine polémique sur le rôle du corps préfectoral sous l'Occupation, Jean-Pierre Chevènement vous avait invités à puiser dans le souvenir des membres du corps préfectoral entrés dans la Résistance "l'exemple du courage, de la volonté, de l'abnégation qui, même dans l'ordinaire des jours, sont au cur du service de l'Etat." On ne peut relire ces mots sans évoquer la mémoire de Claude Erignac, pris pour cible parce qu'il symbolisait, par excellence, l'esprit de la République et de l'Etat de droit. Cette tragédie a rappelé la grandeur de votre mission, qui ne se compare à aucune autre, mais aussi le respect et l'attachement que portent les Français au corps préfectoral.
Le même respect, le même attachement à l'égard de ceux qui sont au service désintéressé de l'Etat se sont manifestés lors de l'accident thérapeutique qui a frappé Jean-Pierre Chevènement le 2 septembre dernier. Le Premier Ministre m'a alors demandé d'assurer l'intérim des fonctions de ministre de l'intérieur. C'est dans ce climat d'incertitude que j'ai bien évidemment accepté la mission difficile que me confiait le Premier Ministre.
Depuis le 2 septembre, nous avons tous suivi avec un optimisme et un soulagement grandissants le spectaculaire rétablissement de Jean-Pierre Chevènement, dont nous savons maintenant avec certitude qu'il sera bientôt à nouveau parmi nous et parfaitement en mesure de reprendre avec le caractère, l'intelligence et le talent que nous lui connaissons la place qui est la sienne.
Je veux vous dire ici, avec solennité que, chargé par cet intérim d'assurer la continuité de l'action gouvernementale, j'ai trouvé auprès de vous et de tous les fonctionnaires du ministère de l'intérieur un esprit de dévouement et de responsabilité qui donne à cette évidence un peu désincarnée qu'est la continuité de l'Etat sa réalité humaine. Et puisque c'est de l'Etat et de sa réforme que je veux vous entretenir aujourd'hui, la démonstration que nous avons pu ainsi faire ensemble de la solidité de nos institutions donne à cette démarche un gage particulièrement éclatant de confiance et d'optimisme.
Soyez-en très sincèrement et très vivement remerciés.
Devant cette même assemblée générale, Jean-Pierre Chevènement vous avait annoncé la relance de la réforme de l'Etat et s'était engagé sur un plan de revalorisation de votre rémunération et sur une clarification des règles d'utilisation des moyens de représentation de l'Etat. Sur ce terrain-là comme sur d'autres, le Gouvernement a fait ce qu'il avait annoncé.
Dès le 1er janvier prochain, le corps préfectoral sera doté d'un véritable régime indemnitaire composé de deux volets :
*l'indemnité forfaitaire pour frais de représentation, déjà existante, portée à son maximum, soit 15 % du traitement brut;
*une indemnité de responsabilité, selon un taux proportionnel à la classe des emplois, allant de 39 000 F annuels pour un sous-préfet sur un poste de classe 5 à 100 000 F pour un préfet hors-classe.
Cette mise à niveau de votre régime indemnitaire est à mes yeux une mesure d'équité. La Cour des comptes elle-même s'est encore récemment étonnée que les membres du corps préfectoral soient pratiquement les hauts-fonctionnaires les plus mal payés de l'administration territoriale alors même que, toute considération de mérite mise à part, ils sont sans conteste ceux dont la disponibilité et la responsabilité personnelles sont le plus sollicitées. Quant à la revalorisation indiciaire, elle ne pourra être menée indépendamment d'une réflexion d'ensemble sur la haute fonction publique, à laquelle votre association participe activement.
Toutefois, dès la préparation du projet de loi de finances 2000, et là encore pour rattraper le retard subi par le corps préfectoral, le ministère de l'intérieur demandera le classement en hors-échelle B des emplois fonctionnels de sous-préfet sur des postes de classe 1.
La clarification des règles d'utilisation des moyens de représentation de l'Etat est une contrepartie nécessaire à cette revalorisation. L'utilisation de deniers publics sur un compte personnel était devenue une anomalie qui, comme vous le savez, servait d'alibi au blocage de votre régime indemnitaire. En outre, les économies réalisées sur les frais de représentation et sur le parc automobile profiteront intégralement aux moyens de fonctionnement des préfectures.
Mais, au-delà de ces nécessités de circonstances, il s'agit aussi d'indiquer clairement l'esprit dans lequel le corps préfectoral aborde une nouvelle étape de la réforme de l'Etat, dans laquelle il est appelé à jouer un rôle décisif.
Avant d'examiner plus précisément la place qui revient au corps préfectoral dans cette réforme, je voudrais auparavant rappeler pourquoi elle est nécessaire et comment le Gouvernement l'envisage.
J'entendais récemment un parlementaire de l'opposition dire de la réforme de l'Etat qu'on en parlait toujours sans jamais la faire. Cette vision me semble doublement erronée, parce que la réforme de l'Etat ne commence pas aujourd'hui et parce qu'il est peu probable que l'on puisse un jour la déclarer achevée. Mais il est vrai que l'effort permanent de réforme, d'adaptation, de modernisation connaît des phases d'accélération, comme en 1982 avec la décentralisation et des phases d'hésitation, comme celle qu'a subi, depuis 1992, la mise en uvre de la charte de la déconcentration. J'y reviendrai. Le sujet est en outre si complexe qu'on ne peut s'attendre à un "grand soir" de la réforme de l'Etat.
Car réformer l'Etat, ce n'est pas seulement moderniser, c'est donner à la modernisation un sens, une orientation politique. Celle du Gouvernement, le Premier Ministre l'a dit clairement, vise à refonder, partout où la nécessité s'en fait sentir, le pacte républicain. Tout n'avance pas du même pas, mais c'est bien le même objectif politique que nous poursuivons à travers le projet de limitation du cumul des mandats, la réforme de l'institution judiciaire, la lutte contre les exclusions, le projet de loi sur la coopération intercommunale et celui sur les droits des citoyens dans leurs relations avec l'administration. Il s'agit de remettre les institutions de la République au service de l'unité nationale et de la cohésion sociale chaque fois qu'elles ne sont plus en mesure de jouer ce rôle, parce qu'elles ont vieilli ou parce que la société et ses problèmes ont changé.
Cette démarche, somme toute assez simple dans son principe, se heurte bien entendu à des positions politiques conservatrices qui ne voient de salut que dans la réduction de l'Etat et dans l'avènement de la société de marché. Mais elle se heurte aussi aux attentes, aussi fortes que contradictoires, des Français à l'égard de l'Etat.
Deux études de la SOFRES menées l'année dernière montrent en effet qu'une large majorité de Français (61 %) estime que l'Etat n'intervient pas assez dans la vie sociale, mais qu'ils sont tout aussi nombreux à le juger "éloigné des Français", "inefficace" et "partial"
Au milieu de cette image brouillée de l'Etat et de ses rapports avec les citoyens, l'administration territoriale que vous incarnez garde à leurs yeux des qualités de proximité et d'efficacité indéniables. Ces qualités tiennent en particulier à la capacité d'adaptation dont l'administration territoriale a su faire preuve, tant face au bouleversement institutionnel que fut la décentralisation, qu'à l'émergence de problèmes et de besoins nouveaux, en particulier dans le domaine social. Il y a enfin, et je tiens à la saluer ici, une capacité de mobilisation des agents de l'Etat, tout particulièrement ceux des préfectures, à faire face aux situations exceptionnelles, aux crises, aux urgences.
Cette faculté d'adaptation empirique ne paraît cependant pas suffisante pour permettre à l'Etat de faire face à un risque de dilution de ses missions dans la complexité sociale, technique et juridique. Je m'explique :
Il n'y a plus aujourd'hui de politique publique dont la conception et la mise en uvre ne nécessitent la mobilisation de partenaires et l'organisation de procédures de concertation, de négociation et de coopération. Et je ne parle pas là seulement des actions de développement économique, qui fonctionnent sur ce mode depuis déjà longtemps, je ne parle pas seulement du domaine social ou de la politique de la ville, dont le vocabulaire fait une place de choix à toutes les variantes du partenariat, mais je pense aussi aux politiques qui sont au cur des compétences de l'Etat, et en particulier aux contrats locaux de sécurité.
Cette évolution est profonde, parce qu'elle obéit à plusieurs nécessités. Elle résulte en premier lieu de ces deux lames de fond que sont la décentralisation et la construction européenne, qui ont privé l'Etat du monopole des moyens publics. Elle répond à l'évolution des mentalités qui exige que toute décision collective passe par une phase de concertation. Elle permet de faire face à la complexification croissante des problèmes soumis à la décision publique, dont l'Etat ne peut avoir seul la connaissance et l'expertise. Elle procède enfin d'un souci de qualité des décisions prises, des opérations financées et des services rendus.
Cette évolution se conjugue avec la spécialisation des normes juridiques et techniques et la prolifération des instances et autorités chargées de les concevoir, de les interpréter et d'en contrôler l'application.
Nous voilà dans un univers où ni l'autorité de la décision, ni la valeur de l'expertise, ni le pouvoir de financer ne sont plus l'apanage exclusif de l'Etat. Soucieux de s'adapter à cet environnement, l'Etat court le risque de se diluer, de troquer la pesanteur bureaucratique contre celle des comités et des commissions dans lesquels il ne serait qu'un partenaire comme les autres, réservant la capacité d'arbitrage au pouvoir judiciaire et l'exercice de l'autorité à celle de la chose jugée.
Ces risques ne sont pas abstraits; ils sont d'ores et déjà au cur des interrogations que vous portez sur votre activité quotidienne et sur le sens de votre mission.
Je voudrais à cet égard m'arrêter un instant sur les poursuites engagées contre des fonctionnaires du ministère de l'intérieur auxquels la protection de l'Etat a été accordée.
Depuis le 1er janvier 1992, il y a eu 47 mises en cause pénales, dont 23 préfets, 8 sous-préfets, 12 agents du cadre national des préfectures et 4 fonctionnaires de l'administration centrale.
Sur les 35 affaires terminées, 10 ont été abandonnées en cours de route par désistement, irrecevabilité ou nullité de procédure, 9 se sont conclues par des non-lieu, 14 ont abouti à des décisions de relaxe et 2 ont donné lieu à des condamnations à des peines d'amende, sans que l'intégrité personnelle et professionnelle des fonctionnaires concernés soit au demeurant en cause.
L'administration centrale s'est mobilisée et organisée pour défendre ses fonctionnaires et chacun sait ici ce que l'on doit aux services de la DLPAJ. Mais, par-delà les situations individuelles, c'est le fonctionnement même de la décision publique qui est entré dans une profonde mutation.
Des attentes plus fortes de la part des citoyens, des missions plus complexes, un environnement incertain : telle est la toile de fond de la réforme de l'Etat, le contexte dans lequel doivent être appréciées les propositions contenues dans le rapport de Gilbert Santel, délégué interministériel à la réforme de l'Etat, à l'issue des réflexions de huit groupes de travail installés au printemps dernier par mon collègue Emile Zuccarelli.
Je voudrais souligner, avant d'en venir à l'examen de ces propositions, que ces groupes, au sein desquels le corps préfectoral a joué un rôle très actif, n'ont pas travaillé en vain. Lors de leur installation, le projet du Gouvernement était en effet de parvenir à un schéma ouvert de réorganisation des services déconcentrés, dans lequel chaque préfet de département aurait eu, à l'issue d'une concertation locale, une certaine marge de manuvre. Or, les conclusions de groupes de travail, reprises dans le rapport de Gilbert Santel, ont conduit à reconsidérer le principe même de la démarche et le Gouvernement, jouant pleinement le jeu de la concertation, a revu son approche de la réforme. Il est vrai que nous étions instruits, en cette matière, par l'échec du précédent Gouvernement dont le projet de réorganisation expérimentale des services dans cinq départements s'était heurté à une résistance déterminée des ministères concernés.
Ce que je retiens de ces propositions, c'est que l'amélioration de l'efficacité de l'Etat, pour faire face aux difficultés que je viens d'évoquer, pour mettre en uvre des politiques interministérielles et améliorer le service rendu aux citoyens, n'a pas pour préalable la modification des structures administratives mais passe d'abord par l'intensification de la coopération entre ces structures. Pour résumer cette analyse de façon très schématique, on peut dire qu'aucun organigramme n'est susceptible de répondre à la complexité et à la variété des problèmes et des objectifs et que, ce qui compte, c'est de mieux faire travailler ensemble, sur des objectifs partagés, les différentes composantes de l'Etat territorial.
Des propositions du rapport Santel, qui vont faire dans les semaines qui viennent l'objet d'un examen interministériel, je retiens pour ma part les idées suivantes :
Je suis tout d'abord frappé de voir les fonctionnaires réclamer eux-mêmes la clarification des enjeux et des objectifs de leurs missions. L'existence même de cette revendication fait voler en éclats la fiction d'un appareil administratif exécutant mécaniquement les instructions données par les ministres. Non seulement parce que les orientations gouvernementales ne s'appliquent pas, à un moment donné, à la totalité de l'activité administrative, mais aussi parce que ces orientations nécessitent un travail de traduction sur le territoire, auquel il vous revient de donner un sens.
En second lieu, j'observe que la modernisation de l'Etat est attendue à travers celle des comportements et des méthodes de travail, c'est-à-dire, en un mot, à travers celle du management. Comme vous le savez, les différentes administrations ont en la matière des expériences et des cultures fort inégales. Là encore, votre responsabilité est au premier plan. Là encore, elle s'incarne dans l'image que vous donnez de l'Etat, non seulement dans vos fonctions de représentation, mais aussi dans la manière dont vous faites votre métier de patron. C'est, en ce qui vous concerne, un mot dont vous n'avez pas à rougir
Troisième idée, enfin : l'organisation et les modes de coopération entre services de l'Etat doivent être décidés à l'échelon déconcentré, sous la responsabilité du préfet. Nous rompons ainsi avec deux siècles d'uniformité administrative, d'une part parce que le caractère instantané des communications bouleverse la donne, mais surtout parce que, pour que les citoyens soient égaux devant l'Etat, celui-ci doit venir vers eux et s'adapter à eux.
Clarification des objectifs, évolution des méthodes, déconcentration des décisions d'organisation ; ces trois idées conduisent à la démarche qui sera au centre de la réforme de l'administration territoriale : le projet territorial de l'Etat.
De quoi s'agit-il ? D'élaborer un document de diagnostic et d'objectifs, traduisant les priorités ministérielles et interministérielles en fonction des réalités du territoire, et servant de référence commune à l'ensemble des services de l'Etat, avec un horizon de trois à cinq ans.
Ce projet doit être le résultat d'un travail collégial, et par conséquent survivre aux mutations de hauts fonctionnaires; il comporte des indicateurs de réalisation des objectifs poursuivis; il prévoit de manière précise les modalités de coopération entre services. Il sert de base commune aux documents de programmation ou de prévision élaborés entre administrations centrales et services déconcentrés et contribue par conséquent à établir un point d'équilibre entre la logique verticale des administrations et la logique territoriale de l'action collective.
Cette démarche n'a en elle-même rien d'inouï : management par objectif et projet de service sont des notions déjà bien connues. La nouveauté consiste à l'appliquer à l'administration territoriale, du département ou de la région, considérée comme un ensemble. La difficulté, ou l'enjeu, est d'en faire autre chose qu'un exercice formel, de lui donner de la consistance et, si l'on peut dire, une âme.
Pour ce qui est de la consistance, un certain nombre d'outils vous y aideront. Ceux qui sont prévus par la charte de la déconcentration mais qui n'ont pas trouvé à s'appliquer, faute d'un cadre méthodologique adéquat. D'autres, comme la globalisation des crédits déconcentrés, tant en crédits de fonctionnement qu'en crédits d'intervention. En matière de fonctionnement, c'est devenu une évidence de dire que la globalisation est la seule façon intelligente de faire des économies. En ce qui concerne les crédits d'intervention, la même logique finira par prévaloir : on est plus efficace quand on a la responsabilité de ses décisions. Et il faut, là aussi, savoir tirer les conséquences de la décentralisation : en face de collectivités locales qui savent donner de la visibilité politique à leurs investissements, l'Etat doit être en mesure de montrer concrètement où va l'argent public, et il doit le faire dans les délais qui sont ceux de l'action et non ceux de ce qu'on appelle les circuits administratifs.
Quant à l'âme du projet, elle dépend pour l'essentiel, et vous le savez bien, de la qualité des hommes.
A cet égard, la gestion des carrières au sein du corps préfectoral doit répondre à une double exigence. Soyons clairs : la représentation du Gouvernement et la responsabilité opérationnelle permanente donnent à la fonction préfectorale un caractère exceptionnel, que je soulignais au début de mon propos, et cela n'est pas sans conséquence sur la gestion du corps, qui ne peut obéir aux mêmes règles que celle des autres corps de hauts-fonctionnaires. Mais la dimension politique de votre fonction ne signifie pas qu'il faille se priver d'exigences proprement professionnelles, sans quoi la légitimité du corps préfectoral à diriger l'administration territoriale pourrait s'en trouver fragilisée.
La professionnalisation reposera sur quatre orientations que le directeur général de l'administration est chargé de mettre en uvre :
1) La diversification du recrutement, qui permettra notamment l'entrée dans le corps préfectoral de chefs de services déconcentrés de l'Etat. Je sais que cette perspective provoque certaines inquiétudes parmi vous, en raison du goulot d'étranglement démographique que connaît actuellement le corps au niveau des postes de première catégorie. Il ne s'agit nullement de bouleverser l'équilibre du recrutement mais de donner à l'ensemble des corps de hauts-fonctionnaires un signe du caractère interministériel du recrutement dans le corps préfectoral.
2) Corollaire de la diversification, le développement des carrières alternées : au-delà de la mobilité statutaire des administrateurs civils et des sous-préfets, le principe de l'alternance des carrières entre des postes territoriaux et des postes d'administration centrale ou de détachement doit être étendu aux préfets en cours de carrière et non uniquement sur des postes de débouchés. L'évolution du métier de préfet nécessitera d'acquérir une réelle autorité de compétence, une "dominante professionnelle" dans des domaines comme la gestion des ressources humaines, l'expertise juridique ou le développement économique.
3) L'intégration de la formation continue dans le déroulement des carrières devient un impératif pour les préfets et les sous-préfets comme pour tous les autres fonctionnaires. Là encore, le développement des compétences ne peut reposer exclusivement sur l'expérience.
4) La mise en uvre d'une réelle évaluation personnelle des hauts-fonctionnaires. La pratique systématique de l'entretien d'évaluation et son exploitation sont indispensables à la mise en uvre d'une gestion prévisionnelle des carrières et à la constitution de viviers de futurs cadres supérieurs, telles que la pratiquent déjà d'autres grandes administrations. Encore une fois, il ne s'agit pas de restreindre le pouvoir de nomination du Gouvernement, mais de lui permettre de l'exercer sur une population de haut niveau.
La réforme de l'administration territoriale et la modernisation de l'institution préfectorale ne sauraient bien entendu laisser les préfectures et leurs personnels à l'écart du mouvement. Je le répète, les agents du cadre national des préfectures ont répondu présent lorsque l'action du Gouvernement a reposé sur eux. Des missions d'urgence sociale à la mise ne place de la pastille verte en passant par la régularisation des demandeurs de papier, ils ont été mobilisés tout au long de l'année et ils ont fait la démonstration de leur sens du service public et de l'intérêt général dans des conditions parfois difficiles.
Pourtant ces personnels, notamment les cadres, ont souvent le sentiment de ne pas avoir toute leur place dans l'organisation de l'administration territoriale, ou de n'en avoir que la portion congrue, après le corps préfectoral et les corps de fonctionnairetes de services déconcentrés de l'Etat. Le moment est venu de sortir de ce malaise discret mais persistant. Le projet territorial de l'Etat devra permettre de redéfinir la place des préfectures et d'offrir à leurs agents des perspectives de carrière.
Il y a, à la base de ce malaise, l'idée selon laquelle les services des préfectures seraient des généralistes, ou encore des spécialistes de l'interministériel. Or, cette idée est insuffisante, parce que la réalité des missions de l'Etat nécessite le développement de compétences et de métiers de plus en plus spécialisés :
En premier lieu, l'expertise juridique, la maîtrise du contentieux et le contrôle de légalité doivent constituer un pilier de l'administration territoriale. Cela concerne de nombreux services de l'Etat, mais il ne fait pas de doute que chaque préfet doit avoir auprès de lui une véritable "force d'action rapide" juridique. C'est la réponse au risque de voir la régulation par le droit, et donc l'exercice de l'autorité, échapper à l'Etat. Les directeurs d'administration centrale du ministère de l'intérieur ont commencé à réfléchir à cette question : il faut déboucher sur des propositions opérationnelles dès 1999.
Je souhaite en second lieu que nous renforcions sensiblement notre capacité à gérer les crises. Vous me direz que c'est un métier que vous faites depuis toujours. Mais c'est un métier de plus en plus "pointu", parce que les situations de crise se produisent dans les domaines les plus variés, qui vont de la délinquance des mineurs dans les transports en commun à la sécurité alimentaire, parce que la mise en scène des situations de crise par les médias est désormais inévitable et instantanée, parce que l'intolérance de la population aux risques de toute nature est de plus en plus grande, avec les conséquences que cela comporte en terme de mise en cause pénale. Les services de défense et de protection civile ne devront donc pas rester à l'écart du projet territorial de l'Etat. Par ailleurs, l'ensemble des membres du corps préfectoral recevra une formation à la gestion de crise. Enfin, nous avons entrepris de réfléchir à l'évolution de l'échelon zonal, dont l'organisation actuelle n'est pas satisfaisante.
Au-delà des périodes de crises, la communication devient une partie intégrante de l'action de l'Etat. Chaque préfecture a son chargé de communication, sa lettre d'information. Quelques-unes unes disposent d'un système d'information territorial, voire d'un site Internet. Il vous faut franchir une étape significative dans la professionnalisation de ces missions. L'unité de l'Etat que vous incarnez ne résistera pas longtemps à une communication désordonnée ou conduite en amateur, et cela vaut autant pour la communication destinée au public que pour la communication interne à l'administration. L'avènement de la société de l'information pose, lui aussi, de redoutables problèmes à l'exercice de l'autorité, et il vous faudra en maîtriser l'aspect technologique.
Enfin, la logistique des moyens de l'Etat, à commencer par les moyens immobiliers, peut être, elle aussi, une source d'économie et d'efficacité.
Ces orientations sont prioritaires, mais elles ne sont pas exhaustives, puisque ce sera le jeu du projet territorial de parvenir à la bonne combinaison entre les priorités ministérielles. Je vous invite avant tout à convaincre vos collaborateurs que cette réforme est l'occasion de revaloriser leur rôle au sein de l'administration territoriale.
Mais cette phase de réflexion et de concertation doit aussi pour vous l'occasion, si vous ne l'avez déjà entrepris, de réduire le fossé symbolique et psychologique qui sépare encore le cadre national des préfectures du corps préfectoral. Vous aurez besoin, pour jouer la partie délicate qui commence, de collaborateurs motivés et proches de vous davantage que de subordonnés obéissants et discrets. Le ministre de l'intérieur ne peut commander votre style de management. Permettez-moi seulement d'en souligner les enjeux.
L'administration centrale ne restera pas non plus à l'écart de la réforme. Mais à chaque jour suffit sa peine et si j'en parle peu aujourd'hui, c'est parce que le travail de réflexion est en cours, dans le cadre du programme pluriannuel de modernisation.
La modernisation doit, dans le ministère plus qu'ailleurs, être au service de la déconcentration. Celle de l'administration centrale devra lui permettre de mieux jouer son rôle de soutien de l'administration territoriale. Mais, puisque cette dernière réclame une clarification de ses objectifs, l'administration centrale doit également fournir au ministre les moyens d'un réel pilotage stratégique. Nous avons commencé de le faire en créant la délégation aux affaires internationales et le centre d'études et de prévisions ainsi qu'en dotant la sous-direction de l'administration territoriale d'un bureau chargé de suivre les dossiers de l'échelon régional.
Dernière pièce de l'édifice, mais aussi clé de voûte de sa réussite, l'évaluation des actions, des structures et des hommes. Définir le moment et les moyens de l'évaluation doit devenir un réflexe dans tout processus de décision, quels qu'en soient le niveau ou la nature. Mais c'est, là encore, un métier qui ne s'improvise pas. Quant à l'évaluation des hommes, elle doit encore progresser en qualité. Je souhaite que l'inspection générale de l'administration, qui n'est jamais absente des démarches de modernisation et d'adaptation, y compris lorsqu'il s'agit de l'Euro ou du bogue de l'an 2000, s'attache tout particulièrement à cette question, en particulier en ce qui l'administration territoriale, tant pour évaluer celle-ci que pour l'assister dans ses propres démarches d'évaluation.
A l'heure où nous entrons dans la phase active de préparation du bicentenaire du corps préfectoral, la feuille de route que je viens de parcourir devant vous, pleine de questions et de difficultés, est aussi pleine d'avenir. Cette commémoration ne sera pas nostalgique, mais elle ne sera pas insouciante. Vous pouvez être légitimement fiers de votre histoire, vous pouvez être raisonnablement assurés de votre permanence, mais vous ne pourrez vous prévaloir de l'une comme de l'autre qu'en démontrant aussi votre capacité à maîtriser le changement.
Je vous remercie.
(source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le 7 septembre 2001)