Entretien de Mme Catherine Colonna, ministre déléguée aux affaires européennes, dans le quotidien polonais "Gazeta Wyborcza" du 13 janvier 2006, sur les relations franco-polonaises dans le cadre de l'Union européenne.

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Circonstance : Déplacement en Pologne, du 12 au 14 janvier 2005

Média : Gazeta Wyborcza

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Q - L'alliance polono-française créée au cours des négociations budgétaires pourra-t-elle durer ? Directement après le sommet de l'UE de décembre dernier, la presse britannique avertissait les Polonais qu'ils verront bien à quel point l'amour avec les Français pouvait être difficile?
R - Nous pouvons toujours compter sur les Britanniques ! Je suis convaincue que l'alliance polono-française durera. Nous avons été ensemble au cours du Sommet et l'Union européenne est dotée d'un budget. Pourquoi devrions-nous être ensemble à l'avenir ? Historiquement, les relations entre la Pologne et la France ont un caractère particulier. Après le 1er mai 2004, un élément nouveau est apparu : vous êtes entrés dans l'Union européenne et la Pologne, comme la France, appartient au groupe des plus grands pays.

Q - Qu'est-ce qui peut nous unir dans l'avenir ? La France compte-t-elle sur le soutien de la Pologne concernant la PAC ?
R - La Pologne et la France ont une très forte personnalité. Au même titre que la France, la Pologne veut prendre ses responsabilités en Europe. Le nouveau gouvernement polonais a montré qu'il était très attaché à la construction européenne, et l'élargissement de l'Union européenne s'est avéré être un grand succès. C'est sur cette base que nous devons bâtir notre coopération. Si nous parlons de choses concrètes, la Politique agricole commune, bien sûr, peut faire partie de ce qui nous unira dans l'avenir. La Pologne possède une agriculture importante qu'elle modernise et la PAC peut lui être très utile. Mais il y a également d'autres points, la vision commune d'un futur élargissement, les relations avec la Russie et l'Ukraine.

Q - Pensez-vous que le Triangle de Weimar polono-germano-français considéré, il n'y a pas si longtemps encore, comme une institution presque morte pourra jouer un rôle important dans l'UE ?
R - Nous souhaitons fermement développer la coopération au sein du Triangle de Weimar. Nous nous souvenons qu'il a été créé dans des circonstances politiques bien différentes, au début des années 90. Mais je ne suis pas d'accord avec ceux qui affirment que le Triangle appartient au passé. Il peut constituer une enceinte de qualité pour la création d'initiatives franco-germano-polonaises dans le domaine de certaines politiques communautaires, de la politique étrangère, de la défense, de la coopération scientifique par exemple.

Q - La France ne craint-elle pas qu'une telle coopération dans le cadre du Triangle de Weimar soit mal reçue par les Etats moins importants ?
R - Cela ne sera en aucun cas "un concert des Etats importants". Le Triangle de Weimar rappelle la coopération franco-allemande qu'on qualifie depuis longtemps de "moteur de l'Union". La France et l'Allemagne ont une responsabilité particulière en Europe, et leur coopération commencée dans les années 50 a donné sa forme à l'Union. Le Triangle non plus ne doit rien imposer mais proposer.

Q - Est-ce que pour rendre plus solide cette amitié, la France décidera de faire un geste et ouvrira pleinement, en mai 2006, son marché de travail aux Polonais et aux autres citoyens des nouveaux Etats membres ?
R - La décision définitive n'est pas encore prise, mais nous craignons que la situation de l'emploi chez nous ne soit pas suffisamment améliorée pour permettre une pleine ouverture. Nous allons, peut-être, décider d'ouvrir progressivement le marché du travail et de conclure des accords bilatéraux pour des secteurs particuliers. D'ores et déjà, les Polonais reçoivent plus de 10 % de tous les permis de travail délivrés aux étrangers de tous les pays du monde.

Q - Que pourra-t-il nous diviser ? La présence prolongée des soldats polonais en Irak ?
R - Bien sûr, on ne pourra pas éviter les sujets difficiles? Quant à l'Irak, il faut séparer deux choses, les raisons de l'intervention que nous n'avons pas acceptées et ce qui s'est passé en Irak après mars 2003. Actuellement, garantir la stabilité et l'unité de l'Irak est dans l'intérêt de nous tous.

Q - Cela veut dire que le fait que les Polonais resteront en Irak plus longtemps ne vous pose plus de problèmes ?
R - Cela est une décision souveraine du gouvernement polonais. Nous essayons également d'aider à améliorer la stabilité de l'Irak.

Q - Le litige très sérieux sur l'intervention en Irak nous oblige à poser la question de savoir si une politique étrangère commune de l'UE est possible ; ainsi qu'une politique commune de défense. Si oui, que deviendra l'OTAN ?
R - Tout d'abord, nous devons toujours nous rappeler que nous avons réussi à avancer rapidement. Nous avons commencé à zéro et, actuellement, l'Union européenne a réalisé la plus grande opération militaire et policière de son histoire en envoyant 7000 soldats en Bosnie-Herzégovine. Il est possible qu'elle reprenne bientôt de l'OTAN la responsabilité des opérations au Kosovo. Les citoyens expriment régulièrement leur attachement à une politique étrangère commune. Ils comprennent, en effet, que seule la voix d'une Europe unie pèsera sur la scène mondiale au moment où la Chine, l'Inde ou le Brésil s'affirment chaque jour davantage. L'OTAN n'est en rien menacée : la politique de défense de l'Union européenne et les activités de l'OTAN se complètent.

Q - L'Union peut bientôt être amenée à prendre une décision concernant l'Iran qui continue son programme nucléaire. Elle risque de se diviser en deux camps : celui des partisans d'une réaction très ferme ou celui d'une réaction modérée.
R - Non, l'Europe est unie. Nous avons exploré la voie du dialogue mais l'Iran n'a pas profité de cette occasion. Nous considérons donc tous que cette question devra être rapidement examinée par l'AIEA puis sans doute transmise au Conseil de Sécurité de l'ONU.

Q - Jusqu'où peut s'étendre l'élargissement de l'UE ? A-t-elle une frontière géographique ?
R - En 2006, l'Union européenne devra réfléchir à son avenir, y compris son futur élargissement. L'unification du continent a été, jusqu'à présent, aussi bien une décision politique que la raison d'être de la construction européenne - tous les pays ayant une identité européenne commune doivent pouvoir rejoindre l'Union. Nous devons, à présent, nous poser la question sur ce qu'est cette identité européenne. Les citoyens de nos Etats doivent comprendre pourquoi l'Union européenne devrait continuer à s'élargir, et quels pays sont concernés. De toute façon, à l'avenir, les Français devront décider par référendum tout nouvel élargissement.

Q - Et si l'Ukraine voulait adhérer ?
R - Actuellement, nous parlons uniquement d'une politique de voisinage et non pas d'une éventuelle adhésion de l'Ukraine. La réponse pourrait peut-être changer dans 10 ans, mais, aujourd'hui, c'est le voisinage. Et il me semble que les autorités ukrainiennes le savent parfaitement car nous le disons très ouvertement.

Q - L'Autriche qui depuis le 1er janvier préside l'Union européenne revient sur le débat de la Constitution européenne. Selon la France, faut-il revenir à l'ensemble ou à une partie de l'ancien texte du "traité constitutionnel" et le soumettre à nouveau au vote ? Ou peut-être faut-il recommencer les travaux ?
R - En juin 2005, l'Europe s'est donné un an pour réfléchir sur l'avenir de la Constitution européenne. En raison du débat sur le budget de l'Union européenne, le temps manquait au cours des mois derniers pour s'en occuper mais, actuellement, nous pouvons y revenir. Cela sera un des principaux thèmes de mes entretiens en Pologne.
Je n'imagine pas - je manque peut-être d'imagination - que l'on soumette aux Français le même texte auquel ils ont déjà dit "non". Les Français ne le comprendraient pas et le résultat du vote serait le même. Le prochain Conseil européen de juin sera une étape importante que nous préparons en dialoguant avec tous nos partenaires dont la Pologne.
Pour l'instant, nous pouvons choisir une solution temporaire consistant à porter des améliorations dans le cadre des traités déjà existants afin de rendre le fonctionnement de l'Union européenne plus efficace. Par exemple, dans le cadre des traités existants nous pouvons renforcer la politique étrangère commune ou mettre en ?uvre une politique énergétique commune.

Q - Puisque nous parlons des questions économiques, pourquoi la France est considérée comme un Etat qui bloque les réformes économiques de l'Union européenne ? Pourquoi s'oppose t-elle à la directive sur les services devant libéraliser le marché communautaire des services qui représente 70 % du PNB européen, pourquoi elle ne veut pas baisser les impôts ?
R - Le taux de croissance français est l'un des plus élevés dans la zone euro. Le chômage est en baisse et nous avons aussi entamé de grandes réformes de la fiscalité, de la recherche, et de l'emploi. La France change vraiment, tout en maintenant son attachement à ses valeurs sociales. En ce qui concerne la directive sur les services, la France est favorable à l'ouverture du marché des services notamment car elle est également exportatrice de services. Cependant, il y avait des erreurs dans le texte de la directive proposée par la Commission européenne. Les corrections apportées par le Parlement européen vont dans la bonne direction, mais il faut continuer les travaux.

Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 17 janvier 2006