Interviews de M. Alain Madelin, président de Démocratie libérale, dans "Le Monde" du 13 janvier 2001, sur sa proposition d'un "revenu familial garanti" ou "impôt négatif" pour les familles à revenu modeste, et dans "Le Figaro" du 13, intitulée "Pour un impôt négatif à la française".

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Média : Emission Forum RMC Le Figaro - Emission la politique de la France dans le monde - Le Figaro - Le Monde

Texte intégral

Interview dans "Le Monde" :
Pourquoi la France serait-elle condamnée à copier en tous points le modèle anglo-saxon ?Elle s'est déjà soumise au principe de la " share holder value " (le profit pour l'actionnaire) ; elle s'est convertie aux stock-options ; elle avance à petits pas vers les fonds de pension. Et voilà, maintenant, qu'elle prend le virage de l'impôt négatif
Défendre l'introduction en France du système de l'impôt négatif n'équivaut pas, à défendre le système anglo-saxon ou à recommander qu'on le copie. Le projet d'impôt négatif pour lequel je milite depuis longtemps s'insère dans le contexte français pas dans le contexte américain. Ce que je propose c'est un revenu familial minimum garanti qui constitue un vrai filet de sécurité pour tous les Français et qui permette, par une allocation dégressive, jusqu'à un certain seuil, de compléter la feuille de paie, favorisant ainsi chaque fois qu'on le peut, la reprise du travail pour celles et ceux qui sont enfermés dans l'assistance. Il s'agit d'importer l'esprit de l' " impôt négatif " mais d'en adapter les modalités à une situation française caractérisée par l'existence de 8 minimum sociaux de base et par l'existence d'un salaire minimum. Je constate heureusement que l'idée progresse en France, même si, compte tenu de ses origines libérales et anglo-saxonnes il sent encore le souffre pour les idéologues socialistes. Aujourd'hui c'est un projet de bon sens.La preuve, il a fait son chemin , au-delà des Etats-Unis ou de la Grande-Bretagne : la Belgique par exemple, vient de les mettre en uvre.
Il existe effectivement, d'un pays à l'autre, plusieurs versions de l'impôt négatif. Laquelle a votre préférence ?
A mon sens, la version française doit avoir pour ambition de résoudre trois grands problèmes que connaît notre pays. D'abord notre système d'aides sociales est devenu, au fil des ans, trop complexe, trop illisible et source d'injustices et d'effets pervers auxquels il faut remédier. Ensuite, il faut briser l'enfermement dans la dépendance et dans une culture d'assistance d'une partie grandissante des Français. Enfin, il faut alléger le coût, aujourd'hui, beaucoup trop élevé, des emplois à faible valeur ajoutée.
Concrètement, que préconisez-vous ?
Le revenu familial garanti que je propose n'est pas une disposition qui se surajoute au dispositif existant mais une vraie réforme qui exige une remise à plat à la fois de notre fiscalité et de notre et de notre système d'aide sociale. Il faut donc que ce revenu minimum garanti s'inscrive dans un projet plus vaste. Un projet qui prévoit un redéploiement et une plus grande lisibilité de nos aides sociales, de sorte qu'elles deviennent plus équitables, mais aussi une refonte fiscale d'envergure. Ce n'est qu'à ces deux conditions que le revenu garanti peut réussir.
Quelle réforme fiscale ?
Je pense, en particulier, à une fusion de la CSG et de l'impôt sur le revenu, la CSG devenant, la première tranche proportionnelle d'un impôt sur le revenu simplifié, allégé et retenu à la source. La technique du crédit d'impôt n'a de sens que si on réintègre cet impôt caché qui n'ose pas dire son nom et que représente la CSG dans l'impôt sur le revenu. Quel jugement portez-vous sur le dispositif annoncé par Lionel Jospin ? C'est du bricolage. La " prime pour l'emploi " annoncée par le premier ministre n'est pas une réforme mais un dispositif improvisé dans l'urgence pour apporter une solution de rechange à une disposition fiscale rejetée par le Conseil Constitutionnel.
Peut-êtreIl reste que l'idée de l'impôt négatif gagne du terrain, y compris à gauche. N'êtes vous pas amer parce que l'on est en train de vous voler votre fond de commerce ?
Non. Si je pouvais convertir Messieurs Jospin, Emmanuelli et Hue à cette réforme, je ne me sentirais pas pillé mais utile, car j'aurais contribué à faire avancer une bonne idée.
Qu'avez-vous pensé du récent rapport du Conseil d'Analyse Economique, défendant également l'idée d'un impôt négatif et réalisé par un ancien collaborateur de Dominique Strauss Kahn ?
Ce rapport n'est pas le seul. Il y en a eu de nombreux autres qui, de l'OCDE au Plan, préconisent tous des solutions voisines. J'en conclu que cette idée est une bonne idées qui fait son chemin. Il n'y a pourtant pas si longtemps, dénoncer, comme je le faisais, les trappes à pauvreté, était considéré comme un propos scandaleux. L'idée a aussi visiblement fait son chemin à l'Elysée.
Si Jacques Chirac s'est récemment converti, lui aussi, à cette idée d'impôt, est-ce seulement pour placer la majorité dans l'embarras, ou parce qu'il en a tardivement découvert les mérites ?
Je salue toutes les conversions, celle de Laurent Fabius aussi bien que celle de Jacques Chirac. Même dans l'opposition, certains font pourtant de la résistance et préconisent plutôt une politique d'allégement de charges sociales A dépenses sociales constantes et même croissantes, ce que l'on baptise " allègement de charges sociales " ne constitue en réalité qu'un transfert de charges sociales qui comporte de nombreux effets pervers, à commencer par le risque, en raison des effets de seuil, de tirer les salaires vers le bas. Il existe des bas salaires à faible valeur ajoutée pour lesquels une réduction du coût du travail se justifie. Mais dans les industries à forte valeur ajoutée, l'intervention de l'Etat équivaut à une subvention non justifiée en faveur de ces entreprises.
Ce débat est-il l'un des grands enjeux de 2002 ?
J'en suis convaincu et j'en ai d'ailleurs fait un des grands enjeux en laçant ma campagne pour l'élection présidentielle. Ce débat est majeur puisqu'il porte sur la refonte de notre système d'aide social et notre système fiscal, pour les rendre, tous les deux, plus lisibles, plus transparents, plus justes et plus efficaces.
(Source http://www.demlib.com, le 07 février 2001).
Interview dans "Le Figaro" :
En France, votre système d'aide sociale consiste à mettre les pauvres dans une bouteille et à bien visser le bouchon pour qu'ils ne s'échappent pas ". Ce jugement sévère est celui de Muhammad Yunus, le célèbre économiste du Bangladesh, connu dans le monde pour son action contre la pauvreté. Et celui que l'on a surnommé le " banquier des pauvres " de poursuivre : " la pauvreté n'est pas créée par les pauvres mais par le système. C'est à lui qu'il faut d'abord s'attaquer ".
Il est vrai que notre système social et fiscal s'est, au fil des ans, compliqué et alourdi. Il est aujourd'hui la source de nombreux effets pervers : un coût du travail trop élevé qui dissuade la création d'emplois à faible valeur ajoutée, notamment dans le secteur des services ; des exonérations de charges sur les bas salaires, qui, par leur effet de seuil, tirent les salaires vers le bas ; l'effet de " trappe à pauvreté " qui fait que la reprise d'un travail est découragée, compte tenu de la disparition des aides sociales -même si le système a été récemment atténué-, lorsque celle-ci n'entraîne qu'une faible augmentation et même parfois une perte de revenu.
C'est ainsi que l'on enferme des familles entières dans la dépendance et la pauvreté au risque d'une destruction familiale dangereuse et de la transmission d'une culture d'assistance de génération en génération.
De nombreux rapports sont venus appuyer ce constat. Celui de l'OCDE qui a dénoncé les " trappes à chômage ". Un rapport du Plan qui dressait un sévère réquisitoire contre le caractère à la fois " illisible " et " imprévisible " de notre protection sociale (plafond de ressources différents d'une prestation à l'autre, prise en compte inégale de la situation familiale, effets de seuils). Le Conseil d'Analyse Economique qui, à deux reprises, s'est prononcé en faveur d'un dispositif se rapprochant de ce qu'il appelle un " système idéal de l'impôt négatif " qui consiste à fixer un revenu familial de base. Au dessus, vous payez des impôts ; en dessous, c'est l 'administration fiscale qui vous verse une allocation compensatrice - l' "impôt négatif " - dans des conditions incitatrices à la reprise d'un travail.
L' "impôt négatif " est une idée libérale conçue et proposée depuis les années 60 par Milton Friedman aux Etats Unis. Elle a été mise en uvre dans de nombreux pays ces dernières années. Aux Etats Unis par l'administration Reagan avec l'Earned Income Tax Credit, en Angleterre par John Major puis Tony Blair avec le Working Families Tax Credit, et tout récemment en Belgique, pays qui nous est proche par son système social et fiscal par le gouvernement de Guy Verhofstadt .
En s'inspirant de la même idée d' "impôt négatif " mais en l'adaptant à la réalité française, cela fait longtemps que j'ai proposé la création d'une revenu familial garanti.
Le dispositif serait le suivant :
- Tout citoyen a droit à un revenu minimum garanti en fonction de sa situation et de la composition de son foyer familial.
- Jusqu'à un certain seuil de revenu familial, une allocation compensatrice dégressive est versée à ceux qui travaillent ou reprennent un travail. L'idée d'un tel revenu familial garanti n'a de sens que si elle s'inscrit dans une remise à plat de notre dispositif d'aide sociale et de notre fiscalité.
Le revenu familial garanti c'est d'abord un revenu minimum de base qui à vocation à se substituer de façon plus simple et plus équitable à nos minimum sociaux.
Pour qu'il puisse jouer aussi le rôle de crédit d'impôt favorisant la reprise du travail, il doit aller de pair avec une réforme de l'impôt sur le revenu qui ferait de la CSG, payée par tous les Français (et déjà reconnue comme un impôt par le Conseil Constitutionnel), la première tranche proportionnelle d'un impôt sur le revenu réformé, allégé, simplifié et retenu à la source.
Une telle réforme devrait aussi être accompagnée d'une modification de notre système de charges sociales. Pour transformer les exonérations de charges sur les bas salaires en franchise de charge sur les 4000 premiers francs du salaire. Pour mieux distinguer aussi ce qui relève de la solidarité nationale et donc de l'impôt, d'avec ce qui relève de l'assurance sociale, et donc de la cotisation.
Assurément l'idée d'une telle réforme fait aujourd'hui son chemin dans les esprits, mais elle est loin de s'inscrire dans l'action.
La " prime pour l'emploi " annoncée par le premier ministre n'est pas une réforme, mais un replâtrage imposé par l'urgence d'une solution de rechange à la ristourne de la CSG prévue dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale et justement condamnée par le Conseil Constitutionnel car ne tenant pas compte de la situation du revenu réel des familles.
Nul doute cependant que la création d'un revenu familial garanti serait un grand progrès social pour la France et l'occasion d'engager les vraies réformes fiscales et sociales dont nous avons besoin. Plus que jamais c'est là, à mes yeux, un débat clé de l'alternance de 2002.
(Source http://www.demlib.com, le 08 mars 2001).