Discours de Mme Christine Lagarde, ministre déléguée au commerce extérieur, sur le rôle de la francophonie dans la construction de la "gouvernance mondiale", Hong Kong le 12 décembre 2005.

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Circonstance : 6ème Conférence de l'OMC à Hong Kong (Chine) du 12 au 18 décembre 2005 - Rencontre des ministres du commerce et des chefs des délégations francophones

Texte intégral

Mesdames et Messieurs les Ministres,
Mesdames et Messieurs les chefs de délégation,
Monsieur l'Administrateur général,
Chers collègues,
Je tiens tout d'abord à remercier la Francophonie d'avoir pris l'initiative de nous réunir au tout début de cette semaine cruciale.
Avant d'aborder le sujet qui nous rassemble tous à Hong-Kong, pour le 6ième cycle de négociations commerciales de l'OMC, je voudrais appeler de mes v?ux un renforcement du rôle et de l'influence de la francophonie dans le système mondial commercial.
La Francophonie a un poids économique de tout premier plan : elle rassemble 50 pays, près de 500 millions de personnes et pèse 12 % de la production mondiale et de 17 % des échanges.
Les pays de la francophonie partagent bien plus que ces quelques chiffres.
La francophonie est un lieu de rencontre et de diversité, véritable trait d'union entre l'ancien monde, le nouveau monde et les continents en développement.
Enfin, la francophonie, c'est surtout l'héritage d'une langue et de valeurs communes. Les valeurs de sa devise, bien sur, égalité, complémentarité, et solidarité mais également le respect de la diversité sous toutes ses formes et sa volonté de contribuer au développement durable, dans les pas de Léopold Sédar Senghor, qui rappelait que « nous n'héritons pas de la terre de nos parents, nous l'empruntons à nos enfants».
Ces valeurs se traduisent par une approche de la mondialisation singulière dans le monde actuel, de plus en plus global et de plus en plus plat (« the world is flat »).
Au delà des différences d'appréciation et de position qui existent au sein de la francophonie au sujet des negociations commerciales, nous avons en commun, me semble-t-il, de ne pas vouloir donner de manière automatique un blanc-seing à une mondialisation sans règles, corollaire d'un monde dominé par les marchés et les plus puissants. En effet, si nous reconnaissons les effets positifs de la mondialisation, nous sommes également attentifs aux problèmes et questions qu'elle pose, car nous savons que la mondialisation peut aussi générer des inégalités entre pays et qu'elle ne répond pas toujours aux attentes et problèmes des pays en développement.
Ce sont ces valeurs qui ont conduit la francophonie à jouer un rôle croissant dans la construction de la gouvernance mondiale. Le succès récent de la convention sur la diversité culturelle en est une illustration éclairante. Cette convention symbolise et incarne la volonté des Etats d'affirmer et de reconnaître le rôle essentiel des politiques culturelles au plan international. Cette victoire est aussi celle de la francophonie puisque la francophonie a activement soutenu ce projet depuis ses origines.
Pour toutes ces raisons, il me semble que la francophonie a une partition essentielle à jouer dans le concert des nations.
C'est pourquoi, je nous invite à réfléchir aux moyens et actions que nous pourrions mettre en ?uvre pour valoriser tout le potentiel de la Francophonie et lui permettre d'avoir toute l'influence qu'elle mérite et dont le monde de demain a besoin. Si nous laissons la place libre, elle sera prise par d'autres qui feront valoir leur vision du monde, je pense bien évidemment au Commonwealth. Je souhaite vivement, au-delà de la réunion de ce jour et de la Conférence de Hong Kong, que nous puissions continuer ce dialogue et, pourquoi, pas lancer des travaux communs dans cette direction.
Mais revenons à l'actualité immédiate. Vous êtes tous parfaitement au point de l'état de la négociation, aussi serai-je brève. La France, l'Union Européenne dans son ensemble, veulent faire de Hong-Kong une étape déterminante qui nous permettrait de conclure le cycle d'ici 2007.
Les principes qui guident l'action de la France sont connus : priorité au développement et reconnaissance de la diversité des modèles de croissances.
Nous devons remettre le développement au c?ur du cycle. Cette priorité au développement a été rappelée, il y a 10 jours à Bamako, par le Président Chirac lors du 23ème sommet des chefs d'Etat d'Afrique et de France. Le commerce ne peut pas tout, mais il peut certainement contribuer de manière très significative à avancer un idéal, celui d'un monde plus ouvert, mais aussi plus équitable. Nous devons cette semaine faire des propositions concrètes pour que cet idéal devienne enfin réalité. Il conviendra avant tout de traiter les difficultés les plus urgentes que nous expriment les pays les plus pauvres dans ce qu'on appelle, de plus en plus, le « paquet développement ».
Nous souhaitons que le paquet développement comprenne les points suivants :
- Les pays riches et les grands pays émergents doivent concrétiser leur engagement de Doha de donner un accès en franchise de droits et de quotas pour les produits des pays les moins avancés. C'est aussi une façon de répondre à l'érosion des préférences à laquelle vont être confrontés ces pays.
- Il faut renforcer le traitement spécial et différencié, en ciblant nos efforts sur les pays qui en ont vraiment besoin. Les mesures spécifiques aux PMA constituent à cet égard une priorité pour cette conférence ministérielle.
- Des décisions concrètes, ambitieuses et d'application immédiate doivent être trouvées pour répondre aux attentes des pays africains producteurs de coton. Il faudra cette semaine obtenir des engagements clairs permettant une élimination très rapide des subventions aux exportations et une baisse effective des soutiens qui perturbent les échanges. L'Union européenne a montré la voie en réformant sa politique cotonnière en 2004. La France, qui va engager 80M? sur le secteur cotonnier en Afrique de l'Ouest en 2005-2006, se bat par ailleurs pour une mobilisation générale des bailleurs de fonds sur ce secteur.
- La France et l'Union européenne sont prêtes à de nouveaux engagements sur l'aide au commerce, qui seront nécessaires pour accompagner les inévitables efforts d'ajustement. Mais l'aide au commerce ne saurait en aucun cas être un substitut à une négociation intégrant vraiment les préoccupations des pays les plus pauvres.
Ces décisions sont difficiles, mais elles sont possibles. Nous avons ainsi récemment réussi à mettre de côté nos égoïsmes nationaux en approuvant formellement les dispositions nécessaires dans l'accord ADPIC concernant l'accès aux médicaments des populations les plus pauvres. Ce succès est un signal encourageant pour le développement qui doit en appeler d'autres.
Notre second principe d'action : la France veut un cycle du développement qui soit respectueux de la diversité des modèles de croissance. Nous ne pensons pas qu'un seul modèle puisse répondre à la palette des situations rencontrées. Cette diversité est particulièrement marquée dans le secteur agricole. Grands exportateurs ou importateurs nets, agricultures extensives ou intensives, pays et populations rurales dont le revenu dépend des cours des produits de base, agricultures de plaine, de côte ou de montagne : reconnaître cette diversité, c'est se déclarer prêt à engager de bonne foi nos discussions sur les régimes d'accès et de subventions et fabriquer des compromis qui pourront être reconnus par nos peuples.
Il faut aussi admettre que certains de nos choix nationaux puissent avoir des effets néfastes pour l'économie des autres et vouloir y remédier. La France et l'Union européenne sont prêtes à en parler sans tabou et à prendre des engagements substantiels en matière agricole, comme l'Union européenne l'a prouvé en réformant sa politique agricole commune en 2003 dans le sens d'une réduction drastique des subventions qui faussent les échanges, et en acceptant en 2004 le principe de l'élimination des subventions aux exportations.
Mais la seule libéralisation agricole, qui profiterait avant tout aux grands pays agro- exportateurs, doit être progressive et n'est pas suffisante pour le développement : nous devrons avoir une exigence permanente d'équilibre entre la libéralisation agricole et la prise en considération des besoins de sécurité alimentaire et de développement rural de tous, y compris des pays pauvres; nous devrons tenir compte de l'érosion des préférences que subiront de nombreux pays sur leurs exportations agricoles vers l'Europe. La France veillera également avec vigilance au respect du mandat de négociation agricole donné par les Etats Membres de l'Union européenne à la Commission européenne.
Au-delà de l'agriculture, l'effet positif pour le développement du Cycle de Doha proviendra également de la libéralisation des marchandises et des services, de la facilitation du commerce, et de la libéralisation des échanges entre pays du Sud qui sont de plus en plus importants. J'observe d'ailleurs que ce sont sur ces points que se portent les attentes des entreprises, dans tous nos pays.
Le chemin à parcourir sera long, et nécessitera des compromis équilibrés, mais l'objectif est incontestable, assurer à nos populations une mondialisation plus équitable, à travers le développement du commerce. Comme le rappelait le Président Diouf dans le message introductif qui nous a été lu, le cadre multilatéral de l'OMC, fondé sur des règles du jeu claires et admises par tous, reste le plus adapté.
Dans ce contexte, la Francophonie doit se faire entendre et jouer le rôle important qui lui revient. Il s'agit d'assurer avec les nations du monde, que cet objectif de globalisation maîtrisée soit effectivement atteint.
Je vous remercie.

(source : http://www.minefi.gouv.fr, le 15 décembre 2005)