Texte intégral
V. Astruc : D. de Villepin avait commencé l'année, il faut s'en souvenir, en demandant aux journalistes de distiller chaque jour quelques gouttes d'humour et de tendresse. Alors, franchement, on aurait bien aimé le faire ce matin, mais vraiment l'actualité ne prête pas vraiment à sourire !
D. de Villepin : C'est vrai !
V. Astruc : Grippe aviaire - deuxième cas -, chikungunya, les suites du meurtre d'I. Halimi, sans oublier la très aride bataille contre le chômage. Après l'Assemblée et le 49-3, c'est le Sénat qui s'empare aujourd'hui du fameux CPE. D. de Villepin va-t-il réussir à faire, selon sa propre expression, "entrer la France dans la modernité" ?
B. Toussaint : Bonjour, monsieur le Premier ministre et merci d'avoir accepté notre invitation. On est ravi de vous accueillir.
D. de Villepin : Merci de m'accueillir.
B. Toussaint : V. Astruc a raison : l'actualité est malheureusement dramatique, voire tragique. Comme d'habitude avec nos invités politiques, on va feuilleter la presse, et j'ai tout de suite envie de vous montrer la Une de Libération, qui titre sur "L'union sacrée" à propos de l'assassinat d'I. Halimi. On parlera de l'émotion, de l'hommage dans un instant, mais l'information est tombée trop tard pour qu'elle soit dans la presse : c'est l'arrestation de Fofana, le cerveau présumé de ce gang de Bagneux. J'aimerais vous demander tout de suite des informations plus précises, plus concrètes sur ce qui se passe. En gros, va-t-il être extradé bientôt ? C'est la question qu'on se pose tous ce matin...
D. de Villepin : Il est de nationalité française, il a été arrêté par la police ivoirienne, les enquêteurs français sont sur place, donc nous pensons qu'il pourrait être rapatrié en France dans les toutes prochaines heures. C'est un drame odieux, il est donc important que justice puisse être rendue très rapidement...
V. Astruc : Comment s'est passée la coopération avec les autorités ivoiriennes ?
D. de Villepin : Les indications que nous avons, à ce stade, montrent que les choses se sont bien passées, puisque la coopération entre la police ivoirienne et les enquêteurs s'est déroulée dans de bonnes conditions, très rapidement l'arrestation a pu avoir lieu. Il s'agit maintenant de rapatrier en France cet auteur présumé.
V. Astruc : Pour revenir au meurtre d'I. Halimi, quelle signification doit-on donner à votre présence et à celle du président de la République aujourd'hui, à la synagogue, en mémoire d'I. Halimi ?
D. de Villepin : C'est d'abord, devant un acte odieux, barbare, qui a ému l'ensemble de la communauté nationale, le signe du rassemblement. Devant la montée de telles violences, devant des actes aussi effroyables, il est important que chacun puisse se retrouver. Nous avons vécu la douleur de cette famille, les épreuves, le caractère ignoble de cet acte accompagné de tortures. Donc c'est la marque du recueillement, du rassemblement. Je crois que dans des moments dramatiques, un pays tout entier peut se retrouver tous ensemble avec la même exigence, le même espoir.
V. Astruc : Soutiendrez-vous la manifestation de dimanche ?
D. de Villepin : Le Gouvernement s'associera, bien sûr, à cette manifestation. Je serais moi-même à La Réunion, mais je crois que...
B. Toussaint : Des ministres y participeront-ils ?
D. de Villepin : Des ministres, je le dis... Le Gouvernement s'associera, des ministres y participeront donc. Je crois que c'est dans des moments forts de la vie de la République, dans des épreuves aussi fortes, que la communauté se retrouve, se rassemble et que nous fortifions notre unité nationale.
B. Toussaint : Justement, comment rassurer la communauté juive ? Il y a les signes forts comme aller ce soir à la synagogue, à la manifestation, mais est-ce que cela suffit, est-ce qu'il ne faut pas faire plus de choses et du concret ? Comment rassurer ?
D. de Villepin : Vous savez, la première demande, c'est la vérité. J'étais au dîner du Crif, il y a quelques jours. Le président du Crif a demandé à ce que toute la lumière soit faite, et je lui ai dit que la vérité serait faite pour la famille d'I. Halimi, elle serait faite pour l'ensemble de la communauté juive mais aussi pour toute la communauté nationale. Nous avons ce devoir de vérité et c'est pour cela que nous souhaitons que l'ensemble des coupables puissent être très très rapidement traduits devant la justice.
L. Mercadet : Est-ce que vous n'avez pas l'impression qu'un tabou, qu'une digue mentale est en train de lâcher autour de l'antisémitisme en France avec ce meurtre, par exemple ?
V. Astruc : Parce que c'est de l'antisémitisme primaire, c'est l'amalgame "juif = argent"...
D. de Villepin : Vous savez, nous sommes devant une enquête de justice. Il appartiendra au juge d'établir la réalité des faits. Le juge a retenu, parmi les mobiles possibles, l'antisémitisme. Il faudra bien évidemment au terme des différents interrogatoires, au terme de l'instruction, préciser l'ensemble de cela. Ce que nous marquons, c'est notre émotion, notre rassemblement, notre volonté de dépasser tous les clivages pour être ensemble.
B. Toussaint : Encore un mot sur cette affaire : comment expliquez-vous le fait que l'an dernier, il y ait eu une baisse très significative des actes antisémites, moins 47 % en 2005, et qu'en même temps, il y ait ce meurtre odieux et un sentiment aussi exprimé par la communauté juive depuis quelques jours qui est en contradiction avec ces chiffres ?
D. de Villepin : Qu'il y ait le sentiment à travers un tel crime et qu'un profond malaise s'exprime, c'est tout à fait naturel. Mais une fois de plus, je le dis, il appartiendra à l'enquête, il appartiendra au juge d'instruction de préciser l'ensemble des accusations. Des circonstances aggravantes ont été retenues pour fait de religion, liées donc à l'antisémitisme. Je crois qu'il est important de laisser la justice faire sereinement son travail. Nous marquons notre esprit de rassemblement.
B. Toussaint : La justice a fait son travail dans une autre affaire, un autre dossier, c'est la Une d'Aujourd'hui en France et du Parisien, et c'est l'autre grand coup de tonnerre de la soirée d'hier : c'est l'acquittement des deux personnalités qui étaient considérées comme les commanditaires présumés de l'assassinat du préfet Erignac, J. Castela et V. Andriuzzi. Ils ont été condamnés à trente ans en première instance, acquittés hier soir. Est-ce que là, on n'est pas face à un désaveu profond de l'enquête qui a été menée dans cette affaire ?
V. Astruc : Et des magistrats antiterroristes ?
D. de Villepin : Là encore, décision de justice : il ne m'appartient pas de commenter une décision de justice...
B. Toussaint : Bien sûr.
D. de Villepin : Mais je veux d'abord penser à madame Erignac, à ses enfants. J'ai eu l'occasion de les rencontrer souvent comme ministre de l'Intérieur... Donc je pense à eux et je pense à la douleur qu'est pour eux ce parcours judiciaire. Il y aura dans quelques mois, le procès d'Y. Colonna...
V. Astruc : Mais du coup, des doutes pèsent sur sa culpabilité !
D. de Villepin : Ce que je souhaite c'est que le procès d'Y. Colonna soit l'occasion d'établir toute la lumière, de faire toute la vérité sur l'ensemble de ces procédures, et qu'à tête reposée, nous puissions reprendre les éléments de ce récent procès, pour comprendre ce qui s'est passé exactement.
V. Astruc : Mais dans ces conditions, faut-il rouvrir une enquête pour élucider le meurtre du préfet Erignac ?
D. de Villepin : Une fois de plus, dans quelques mois, le procès d'Y. Colonna sera l'occasion, sera le rendez-vous qui nous permettra d'en savoir plus, de faire toute la lumière. Et puis je le redis, à tête reposée, nous pourrons revenir sur les circonstances, sur les événements qui ont pu permettre aujourd'hui une telle décision.
V. Astruc : Des aveux aussi de N. Sarkozy qui, on se souvient, avait arrêté à grand fracas...
D. de Villepin : Vous savez, nous le voyons : nous sommes confrontés en ce moment à une multiplication de sujets dramatiques, douloureux ou très difficiles. Nous allons passer en revue les difficultés en matière de santé, avec la grippe aviaire, le chikungunya... Face à de tels événements, il est très important que nous ayons la sérénité, l'exigence bien sûr, l'exigence de transparence, l'exigence de vérité, mais aussi la sérénité. Plus les choses sont difficiles, et c'est vrai pour vous les médias, c'est vrai pour nous les responsables politiques, il faut du sang-froid, il faut de la mesure, il faut être capable d'expliquer à nos concitoyens et mettre en perspective. On peut toujours ajouter un peu de sel sur les plaies...
B. Toussaint : C'est ce que l'on va faire et c'est pour cela que vous êtes là aussi. Juste avant qu'on passe justement au dossier santé, je voudrais vous donner une dernière information : Y. Fofana a reconnu sa participation au meurtre, c'est ce qu'indiquent à l'instant des policiers ivoiriens et français à Abidjan, l'information est donnée par l'AFP. Il a reconnu sa participation. On en sait pas plus pour l'instant. Concernant la grippe aviaire, vous avez mangé du poulet hier, on l'a vu partout...
V. Astruc : Etait-il bon ?
D. de Villepin : Très bon...
B. Toussaint : Cela a été un geste fort. Un deuxième cas de grippe aviaire a été confirmé dans la nuit. Je voudrais savoir où en sont les autres expertises ?
D. de Villepin : Le deuxième canard sauvage est le résultat de la deuxième expertise. Et, en toute transparence, s'il y avait des faits nouveaux, des cas nouveaux, nous le dirions. Ce qui est important, c'est qu'aucun élevage n'est touché à l'heure où je parle - aucun élevage en France, aucun élevage dans l'Union européenne.
V. Astruc : Mais est-ce que tôt ou tard, justement, les élevages seront touchés ?
D. de Villepin : Alors, c'est une possibilité. Ce qui est certains, c'est que nous avons prévu ces différents cas de figure et nous avons donc les procédures, les réactions qui nous permettrons de réagir à chaque étape. Il y aura abattage des élevages qui seront concernés. L'important pour nous est de tout faire pour que la sécurité de l'ensemble de la chaîne alimentaire soit préservée, que la confiance des consommateurs soit préservée, que la traçabilité de chaque volaille soir préservée, parce que c'est la seule et meilleure garantie que nous puissions apporter.
L. Mercadet : Il y a quand même une baisse des ventes, donc comment fait-on quand on est face à une psychose pour l'arrêter, puisque c'est totalement irrationnel ? Qu'est-ce qu'on peut faire ?
D. de Villepin : Eh bien, face à l'irrationnel, on essaie de rentrer dans le concret ! C'est pour que j'ai été, hier, dans la Dombes, c'est pour cela que jour après jour, nous essayons d'expliquer la réalité de ce qu'est cette épizootie. Aujourd'hui, il s'agit d'une transmission qui se fait d'un animal à un autre animal, il n'y a pas de risque de transmission tel que nous pouvons le craindre. Ce serait alors de la pandémie, nous ne sommes pas du tout dans ce cas de figure. Donc il s'agit de faire en sorte que tout risque soit écarté ou minimisé par des mesures de précaution, par des mesures de contrôles, par des mesures de surveillance. J'ai vérifié hier, sur le terrain, ce qui s'était passé pour le premier canard, nous allons faire la même chose pour le deuxième canard, tout près de Bourg-en-Bresse. Il s'agit là de faire un premier périmètre de trois kilomètres, un périmètre de protection, et un périmètre plus grand de dix kilomètres, de surveillance, et dans cette zone...
V. Astruc : Mais allez-vous donner de l'argent à la filière agricole et combien ?
D. de Villepin : Alors, nous avons apporté une première aide d'urgence de onze millions d'euros, et je l'ai dit hier, la solidarité nationale s'exprimera en direction des éleveurs et des aviculteurs. Cette décision sera prise au terme des différents rendez-vous, que D. Bussereau aura avec les éleveurs et l'ensemble de la filière avicole.
B. Toussaint : Pas de nouvelles aides pour l'instant, pour être clair...
D. de Villepin : Les aides seront déterminées en liaison avec les éleveurs et la profession, donc D. Bussereau va les rencontrer dans les prochains jours pour faire le point des besoins.
B. Toussaint : Vous serez dimanche à La Réunion. C'est un autre dossier, c'est une autre psychose, parce que là, on voit que le tourisme est frappé de plein fouet... Mais avant de voir les conséquences économiques, Le Figaro parle ce matin de 77 morts et de 130.000 personnes touchées par cette épidémie... C'est quand même énorme ce qui se passe là-bas. Est-ce qu'on n'a quand même pas tardé à réagir face à ce qui ressemble alors à une énorme affaire et à une catastrophe sanitaire ?
L. Mercadet : Les premiers cas remontent à mars 2005 !
V. Astruc : Et l'épidémie a vraiment sévi à partir de décembre et la guerre aux moustiques a été déclarée fin janvier.
B. Toussaint : Tardé ou pas ?
D. de Villepin : Non, la montée en puissance et les risques croissants qui sont apparus derrière cette épidémie de chikungunya ont conduit, à chaque étape, le Gouvernement a amplifié les mesures et à mettre en place sur place un dispositif, il faut le rappeler, qui n'est pas simple...
B. Toussaint : Pas de retard à l'allumage donc, pour être clair, encore une fois ?
D. de Villepin : Nous avons accompagné, il y a eu environ 12.000 à 15.000 personnes touchées en 2005 et la véritable explosion s'est produite au tournant de l'année, puisque nous sommes aujourd'hui autour de 120-130.000 de personnes touchées.
V. Astruc : Les socialistes disent que vous venez à l'île de La Réunion bien trop tard...
D. de Villepin : Mais ils sont dans leur rôle. Je crois, il faut le dire, que ce n'est pas la polémique qui réglera les problèmes. Donc je crois que dans ces moments-là, comme sur beaucoup d'autres sujets, c'est davantage l'esprit de rassemblement qui doit présider.
V. Astruc : Concrètement, qu'allez-vous faire ?
D. de Villepin : Nous sommes devant une épidémie, nous sommes devant un risque lié à une maladie tropicale, qui est une maladie tropicale mal connue. Ce n?est pas comme quand vous avez une maladie bien connue qui se répand et que l'on pourrait vous reprocher de ne pas avoir utilisé les bons moyens. Là, nous sommes en permanence en train de perfectionner un dispositif, tout en sachant que nous n'avons pas les outils qui permettraient, très rapidement, d'éradiquer ce mal. Donc, cela veut dire quoi ? Cela veut dire d'abord qu'il faut démoustiquer l'ensemble de l'île. Nous n'avons pas cessé, dans le courant de l'année 2005 et au tournant de cette année, de multiplier les moyens. Nous avons aujourd'hui 3.600 personnes qui sont sur le terrain. Alors, je veux bien qu'on dise que le Gouvernement ne fait rien mais je crois que cela ne correspond pas à la vérité.
B. Toussaint : Non, ce n?est pas ce qui a été dit : c'est que cela été fait trop tard.
D. de Villepin : Mais nous avons engagé 500 militaires dès la fin de l'année. Donc la mobilisation existe...
B. Toussaint : Donc maintenant, que fait-on ? Une fois que vous serez à La Réunion, dimanche...
D. de Villepin : On opère les mesures de démoustication, on accroît et on intensifie, ce que nous n'avons pas cessé de faire, les moyens médicaux mis à la disposition de l'ensemble de ceux qui sont malades, et on fait en sorte que chaque cas puisse être suivi. Vous avez parlé de 77 morts, il faut le rappeler, qui sont liés directement ou indirectement, parce que bien évidemment, c'est un virus qui, sur des personnes affaiblies, peut provoquer la mort, sans qu'on sache exactement si c'est la cause première de la mort. Donc c'est extrêmement délicat... Et cela veut dire aussi qu'il faut intensifier la recherche autour de ce virus, pour connaître exactement la meilleure façon de l'éradiquer, voire trouver une solution, tel un vaccin. Donc c'est le travail que nous avons lancé et puis il y a tout l'aspect économique dans l'île, l'aspect touristique...
V. Astruc : Effectivement, autant pour la grippe aviaire, on peut dire "Mangez du poulet !", là, peut-on dire "Allez à l'île de La Réunion en vacances" ?
D. de Villepin : C'est bien pour ça que nous engageons cette opération de démoustication, pour faire en sorte que le vecteur de la maladie...
V. Astruc : Là, vous dites aux gens de ne pas aller en vacances à l'Ile de La Réunion quand même ?
B. Toussaint : Il faut être prudent, quand même !
D. de Villepin : Si vous y allez - vous pouvez parfaitement y aller, la preuve c'est que j'y vais !
V. Astruc : Vous y allez, oui!
D. de Villepin : Il y a un certain nombre de précautions à prendre, voilà. Il faut utiliser des produits...
V. Astruc : Il faut s'embaumer !
L. Mercadet : II faut mettre de la pommade ! Voilà, bon, cela fait partie des mesures d'usage...
B. Toussaint : Dans la même semaine, vous mangez du poulet et vous allez à La Réunion ! Il faut faire attention quand même !
D. de Villepin : La responsabilité politique, c'est d'abord d'aller sur le terrain et de faire face aux difficultés que connaissent nos compatriotes. Donc c'est exactement ce que nous faisons. Je rappelle que X. Bertrand y était il y a quelques semaines. L. Bertrand a examiné l'ensemble des problèmes de la filière touristique. F. Baroin y est aujourd'hui. Et nous préparons l'ensemble des mesures qui pourraient être annoncées, de manière à permettre à La Réunion de faire face à ce cap difficile sur le plan économique.
V. Astruc : Si on parlait de vous ! Les Français semblent de moins en moins avoir confiance en vous, si l'on croît cinq sondages consécutifs...
B. Toussaint : Le dernier, CSA-La Vie-France Info, c'est moins 11 %
D. de Villepin : Compte tenu des sujets que nous avons évoqués, ça ne vous surprend pas, je pense que vous avez la réponse à la question que vous voudriez poser...
B. Toussaint : Je me demande si on a vraiment abordé le sujet qui fâche ! Je pense qu'il va arriver maintenant !
V. Astruc : Mais les Français ne croient-ils pas à la baisse du chômage ou s'inquiètent-ils de votre CPE ?
D. de Villepin : Non, je crois que les Français ont compris qu'il y avait un mouvement fort qui était engagé sur la baisse du chômage, et j'ai eu l'occasion de le rappeler à l'Assemblée nationale...
V. Astruc : Donc c'est le CPE, alors !
D. de Villepin : On peut toujours dire que la baisse est due à des raisons magiques. Quand vous avez une baisse sur dix mois consécutifs, elle n'est pas due, cette baisse, à des radiations, puisqu'il y a eu moins de radiations en 2005 qu'en 2004... C'est bien qu'il y a un mouvement, une mobilisation, des mesures qui donnent des résultats. Quand vous avez 350.000 contrats "nouvelles embauches" qui sont signés aujourd'hui, c'est bien qu'il y a des embauches nouvelles ! Et quand j'entends monsieur Strauss-Kahn dire qu'il n'y a que 30 % de ces contrats "nouvelles embauches" qui correspondent à de nouveaux emplois, je dis : "Mais bravo !".
V. Astruc : Mais alors, pourquoi les Français ont-ils de moins en moins confiance en vous ?
D. de Villepin : Mais quand vous avez une situation difficile, vous avez une inquiétude, les gens veulent toucher du doigt des résultats... Ces résultats, ils estiment qu'ils ne sont pas suffisants et ils ont raison. C'est pour cela que nous voulons les amplifier. Et je pars, parce que c'est toujours la règle de base de la politique, en tout cas de celle que j'entends mener, je pars d'un diagnostic. Alors, on peut être d'accord ou ne pas être d'accord sur ces diagnostics. Ce diagnostic est que la situation qui est celle des jeunes dans notre pays est insupportable. 23 % de jeunes chômeurs dans notre pays, 40 % pour les non-qualifiés....
B. Toussaint : Ils manifestent aujourd'hui contre le CPE...
D. de Villepin : Attendez, ne généralisons pas : quelques-uns manifestent contre le CPE...
B. Toussaint : Quelques centaines, quelques milliers, absolument.
L. Mercadet : Ce qui a l'air de choquer beaucoup de gens, peut-être pas une majorité mais beaucoup, c'est que l'on puisse licencier sans motivation. L. Parisot faisait une comparaison amusante l'autre jour, en disant, que la vie est précaire, l'amour est précaire, donc le travail est précaire. Mais justement, en amour, quand on est quitté c'est pénible ; mais être quitté sans explication, c'est carrément insupportable ! Donc là, pour le CPE, est-ce qu'on ne pourrait pas l'aménager, en prévoyant une nécessité de motivation ?
D. de Villepin : Vous avez raison de souligner ce point, mais d'abord, il faut préciser qu'il y a, dans le contrat "première embauche" un droit de préavis qui existe et qui est renforcé à la mesure du temps que vous passez du temps dans l'entreprise, comme d'ailleurs l'ensemble des droits - l'indemnité de rupture, l'indemnité de chômage, l'indemnité de formation. Donc à mesure du temps passé, vous voyez ces garanties qui sont confortées. La deuxième chose qui est importante et qui modifie la perception, c'est qu'on ne peut pas licencier pour n'importe quel motif, et en particulier pas pour un motif abusif. Je rappelle qu'il y a eu "un" contentieux à ce jour...
V. Astruc : Qui a été jugé avant-hier !
D. de Villepin : "Une" décision des Prud'hommes.
B. Toussaint : Oui, mais enfin, cela ne fait que commencer...
L. Mercadet : Mais c'est la première et elle condamne l'employeur...
D. de Villepin : Savez-vous combien il y a de salariés qui, pour motif individuel de licenciement, passent devant les Prud'hommes chaque année ? 150.000 ! 150.000 ! Et il faut savoir que les règles qui valent pour le CDI classique, comme pour tous les contrats, c'est-à-dire de licenciement abusif, valent bien évidemment pour le contrat "première embauche". On ne peut pas licencier une jeune fille parce qu'elle est enceinte. On ne peut pas licencier quelqu'un parce qu'il appartient à un syndicat ou en raison de sa confession. Cela vaut pour tout le monde !
V. Astruc : Mais est-ce qu'on peut licencier quelqu'un qui réclame le paiement de ses heures sup', un des cas qui a été signalé ?
D. de Villepin : Exactement, c'est un cas abusif et les Prud'hommes le disent. Donc vous voyez bien que la règle...
L. Mercadet : Donc vous refusez de retoquer le texte, on ne retouche pas ?
D. de Villepin : Mais expliquons une fois de plus: le contrat "première embauche" répond à une situation extrêmement difficile et douloureuse que connaissent les jeunes. J'ai entendu F. Hollande - et ça été la grande surprise pour moi à l'Assemblée nationale -, dans le fond, mettre en doute la situation de ces jeunes, me dire qu'après tout, il n'y a pas peut-être pas autant de jeunes que cela qui sont dans la difficulté, que beaucoup sont en CDI ! Quand vous constatez qu'effectivement les chiffres donnés par F. Hollande, de huit à onze ans, sont contestés, alors on peut se dire qu'effectivement, ce n'est pas la peine de se mobiliser et de proposer quelque chose de neuf si tout va bien ! Malheureusement, les choses ne sont pas telles. Et ce que nous voulons, c'est permettre aux jeunes d'avoir le pied à l'étrier, leur permettre de rentrer sur le marché de l'emploi.
B. Toussaint : C'est au-delà de ça. Vous leur demandez de changer, vous leur dites qu'ils ne vivront plus comme leurs parents, vous leur dites que les temps ont changé...
L. Mercadet : C'est un peu un signal que l'on rentre dans la vie par la porte de la précarité, c'est un peu un signal officiel, c'est une révolution
V. Astruc : Que dites-vous aux jeunes ? Qu'ils doivent assumer que le monde a changé ?
D. de Villepin : Ce que je dis aux jeunes, d'abord, oui, le monde a changé, puisqu'il y a trente ans vous rentriez dans une entreprise à vingt ans et vous en sortiez à soixante-cinq ans... Ce qui a changé, c'est qu'aujourd'hui vous mettez de huit à onze ans pour rentrer dans un emploi stable. Et ce que je vous propose c'est au maximum [deux ans], parce que la période de deux ans est une période maximale qui intègre les périodes de stages que vous auriez fait dans l'entreprise, un éventuel CDD ou un contrat de professionnalisation... Donc c'est au maximum deux ans pour rentrer durablement sur le marché du travail, avec des garanties, avec l'acquisition d'une expérience, avec un droit à la formation... Donc tout ceci se situe véritablement dans un parcours d'embauche, un véritable parcours d'emploi. Les stages désormais seront rémunérés au bout de trois mois. Nous renforçons l'alternance. Donc vous le voyez, nous traitons l'ensemble des problèmes à chaque étape. Donc il ne s'agit pas d'ajourer de la précarité, la précarité est là !
V. Astruc : Ah, la précarité elle est là, oui
D. de Villepin : La précarité elle est là !
V. Astruc : Et vous dites aux jeunes de faire avec !
D. de Villepin : Mais pas du tout, je dis aux jeunes : vous allez avoir moins de précarité avec le contrat "première embauche", puisque dans le système actuel, il faut de huit à onze pour rentrer sur le marché de l'emploi ; là dans un parcours de deux ans qui consolide votre expérience, qui consolide vos droits, qui vous insère dans l'entreprise et qui reconnaîtra vos qualités et vos capacités, vous pouvez vous situer dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée, qui est respectueux de votre personne...
B. Toussaint : Et pourquoi ne pas aller au bout de cette logique, c'est-à-dire que les règles du CNE et du CPE soient appliquées à tout le monde et à tous les contrats ?
V. Astruc : Pour que ce soit clair, au moins !
B. Toussaint : Est-ce qu'il n'y a pas une logique ?
D. de Villepin : Je m'étais engagé, en créant le contrat "nouvelles embauches", à ne pas passer à sa généralisation sans avoir une évaluation, une concertation, un dialogue avec les partenaires sociaux. Nous avons constaté la situation très difficile que connaissent les jeunes, je la considère comme inacceptable. Nous avons regardé ce qui se faisait chez nos voisins, et à partir de là nous avons proposé...
V. Astruc : Mais on se dit que vous traitez les PME, vous traitez les jeunes, et pourquoi pas les autres ?
D. de Villepin : Mais que font les partenaires sociaux ? Ils se sont réunis pour traiter la situation très difficile des seniors et ils ont offert quoi ? Un CDD senior, pour ceux qui ont plus de 57 ans, de dix-huit mois renouvelable. Donc vous le voyez bien, le contrat "première embauche" non seulement apporte des garanties nouvelles, mais il répond aussi à des interrogations, à des difficultés auxquelles sont confrontés les jeunes. C'est vrai en matière de crédits, c'est vrai en matière de logement, avec le système Loca-Pass... Donc c'est très concrètement un moyen d'insertion sur le marché de l'emploi, de façon à justement éviter que les jeunes, qui se voient en permanence reprocher leur manque d'expérience, reprocher leur méconnaissance de la réalité de l'entreprise, puissent rentrer dans l'entreprise.
B. Toussaint : C'est les risques du métier quoi, en gros ?! Cela pourrait être un autre slogan du CPE !
D. de Villepin : Mais pas du tout. C'est une réponse dans le cadre d'un parcours et qui apporte une amélioration considérable par rapport à la situation que connaissent les jeunes aujourd'hui. Je veux préciser, parce que c'est un point très important, que ce contrat "première embauche" est dirigé en priorité à ceux qui rencontrent le plus de difficultés sur le marché de l'emploi...
B. Toussaint : Bien sûr.
V. Astruc : Pas les diplômés qui, eux, aspirent à un CDI !
D. de Villepin : Ceux qui bénéficiaient d'un CDI classique continueront à bénéficier d'un CDI classique...
B. Toussaint : On a beau être Premier ministre, on n'échappe pas au " J'aime, j'aime pas ", un questionnaire que nous proposons chaque jour...
D. de Villepin : Dans mon cas, c'est plutôt "j'aime", parce qu'il n'y pas beaucoup de choses que je n'aime pas !
B. Toussaint : Attention, il ne faut jamais dire ce genre de choses Nous avons quelques questions d'actualité, d'autres actualités à vous soumettre et donc vous pouvez répondre par "j'aime ou j'aime pas".
V. Astruc : "J'aime, j'aime pas" la nouvelle campagne de pub de RTL, qui va s'afficher sur votre écran... "Vivre ensemble", un couple, N. Sarkozy et vous...
D. de Villepin : Je l'ai vue...
V. Astruc : Alors, vous aimez ?
D. de Villepin : Je trouve que les photos sont sympathiques. Je ne suis pas sûr que les responsables politiques aient vocation à devenir des mannequins publicitaires...
B. Toussaint : Plus sérieusement, je crois que l'on ne vous a pas demandé votre avis ?
D. de Villepin : Non, on ne m'a pas demandé mon avis. Donc je trouve, une fois de plus, que les photos successives sont plutôt sympathiques et souriantes.
Après tout, cela fait du bien ! Mais je ne suis pas du tout convaincu que les responsables politiques aient vocation à faire la publicité de quelle que marque que ce soit...
V. Astruc : Vous n'allez quand même pas censurer ?
D. de Villepin : Non, ce n'est pas l'esprit qui est le mien. Je crois que la réflexion devrait conduire ceux qui engagent ce type de publicité à considérer que la politique, ce n'est pas un produit.
B. Toussaint: Mais sinon, écoutez-vous RTL ou... ?
D. de Villepin : J'écoute toutes les radios !
B. Toussaint : Alors, deuxième question : "j'aime, j'aime pas" l'ivresse du pouvoir ?
D. de Villepin : Je n'aime pas du tout l'ivresse du pouvoir, mais j'aimerais beaucoup voir le film de C. Cabrol et j'adore I. Huppert !
B. Toussaint : Ah, vous êtes le premier à répondre à avoir trouvé le piège !
V. Astruc : "J'aime, j'aime pas" "Les Bronzés 3" ?
D. de Villepin : Alors, j'adore "Les Bronzés", je n'ai pas vu "Les Bronzés 3"...
V. Astruc : Et irez-vous le voir ?
D. de Villepin : Mais j'adore P. Leconte et l'ensemble des acteurs des "Bronzés". Bien sûr que j'irais le voir, oui !
B. Toussaint : "J'aime, j'aime pas" la "France d'après", slogan inventé par N. Sarkozy ?
D. de Villepin : J'aime toutes les France et surtout celles que l'on construit tous ensemble.
B. Toussaint : Parce que la "France d'après", cela veut dire que vous êtes la "France d'avant" ! C'est un peu bizarre, cela ne vous pas heurté ?
D. de Villepin : Non, cela veut aussi qu'il y a une "France d'après", mais c'est très bien, il faut une France pour tous les goûts !
V. Astruc : "J'aime, j'aime pas" la "ségolènemania", S. Royal ?
D. de Villepin : S. Royal, vous savez, est une camarade de promotion...
B. Toussaint: Oui, c'est vrai, à l'ENA !
L. Mercadet : Vous vous entendiez bien avec elle, à l'époque, à l'ENA ?
D. de Villepin : Très bien, très bien...
V. Astruc : Vous qui aviez fait un rêve, il y a deux jours, d'une "opposition moderne", il se trouve que dans Le Parisien d'aujourd'hui, S. Royal que si la gauche revient au pouvoir...
D. de Villepin : Elle ne remettra pas tout en cause...
V. Astruc : Ah bien, voilà, vous l'avez lu !
D. de Villepin : Oui, vous voyez !
V. Astruc : Est-ce une gauche "moderne", ça ?
D. de Villepin : Je trouve que c'est une réaction pragmatique, en tout cas c'est une réaction qui montre que l'idéologie n'embrume pas tous les esprits...
B. Toussaint : Et "j'aime, j'aime pas" dire des gros mots ?
D. de Villepin : Je m'en veux beaucoup : il m'arrive de dire des gros mots, qui ne sont d'ailleurs pas des très très gros mots, mais enfin, cela m'arrive et je le regrette bien sûr !
B. Toussaint : On n'a pas parlé de la présidentielle... C'est quand quatorze mois tout juste normalement, cela pourrait être un 22 ou un 23 avril. On peut définir trois catégories potentielles : il y a ceux qui ont dit "j'y vais", ceux qui ont dit "je n'y vais pas" et ceux qui ont dit "ce n'est pas le moment d'en parler". Je crois savoir que vous êtes dans cette dernière catégorie... Je me demande simplement quand ce sera quand "le moment d'en parler" ?
D. de Villepin : Eh bien, écoutez, vous voyez qu'on a au menu de nos préoccupations beaucoup de choses qui sont aujourd'hui beaucoup plus pressantes et beaucoup plus graves dans l'esprit des Français... Donc répondons aux préoccupations de nos compatriotes.
B. Toussaint : Et un ultime post-scriptum : I. Betancourt, quatre ans aujourd'hui, il y a un concert de soutien à Rouen, ce soir, avec Renaud et plusieurs artistes. Est-ce que je peux vous demander juste un mot sur cette otage franco-colombienne, dont malheureusement on déplore toujours l'absence ?
D. de Villepin : Oui, quatre ans, c'est une véritable tragédie. J'espère que nous aurons très vite de nouvelles preuves de la survie d'Ingrid. Mais je pense à elle tous les jours, c'est un drame horrible auquel elle est confrontée. Et avec sa famille, nous souhaitons son retour le plus vite possible.
B. Toussaint : On va s'arrêter là dessus, tous mobilisés pour 1. Betancourt, on pense beaucoup à sa famille également ce matin. Merci beaucoup, D. de Villepin !
D. de Villepin : Merci à vous !
Source : Premier ministre, Service d?information du Gouvernement, le 27 février 2006
D. de Villepin : C'est vrai !
V. Astruc : Grippe aviaire - deuxième cas -, chikungunya, les suites du meurtre d'I. Halimi, sans oublier la très aride bataille contre le chômage. Après l'Assemblée et le 49-3, c'est le Sénat qui s'empare aujourd'hui du fameux CPE. D. de Villepin va-t-il réussir à faire, selon sa propre expression, "entrer la France dans la modernité" ?
B. Toussaint : Bonjour, monsieur le Premier ministre et merci d'avoir accepté notre invitation. On est ravi de vous accueillir.
D. de Villepin : Merci de m'accueillir.
B. Toussaint : V. Astruc a raison : l'actualité est malheureusement dramatique, voire tragique. Comme d'habitude avec nos invités politiques, on va feuilleter la presse, et j'ai tout de suite envie de vous montrer la Une de Libération, qui titre sur "L'union sacrée" à propos de l'assassinat d'I. Halimi. On parlera de l'émotion, de l'hommage dans un instant, mais l'information est tombée trop tard pour qu'elle soit dans la presse : c'est l'arrestation de Fofana, le cerveau présumé de ce gang de Bagneux. J'aimerais vous demander tout de suite des informations plus précises, plus concrètes sur ce qui se passe. En gros, va-t-il être extradé bientôt ? C'est la question qu'on se pose tous ce matin...
D. de Villepin : Il est de nationalité française, il a été arrêté par la police ivoirienne, les enquêteurs français sont sur place, donc nous pensons qu'il pourrait être rapatrié en France dans les toutes prochaines heures. C'est un drame odieux, il est donc important que justice puisse être rendue très rapidement...
V. Astruc : Comment s'est passée la coopération avec les autorités ivoiriennes ?
D. de Villepin : Les indications que nous avons, à ce stade, montrent que les choses se sont bien passées, puisque la coopération entre la police ivoirienne et les enquêteurs s'est déroulée dans de bonnes conditions, très rapidement l'arrestation a pu avoir lieu. Il s'agit maintenant de rapatrier en France cet auteur présumé.
V. Astruc : Pour revenir au meurtre d'I. Halimi, quelle signification doit-on donner à votre présence et à celle du président de la République aujourd'hui, à la synagogue, en mémoire d'I. Halimi ?
D. de Villepin : C'est d'abord, devant un acte odieux, barbare, qui a ému l'ensemble de la communauté nationale, le signe du rassemblement. Devant la montée de telles violences, devant des actes aussi effroyables, il est important que chacun puisse se retrouver. Nous avons vécu la douleur de cette famille, les épreuves, le caractère ignoble de cet acte accompagné de tortures. Donc c'est la marque du recueillement, du rassemblement. Je crois que dans des moments dramatiques, un pays tout entier peut se retrouver tous ensemble avec la même exigence, le même espoir.
V. Astruc : Soutiendrez-vous la manifestation de dimanche ?
D. de Villepin : Le Gouvernement s'associera, bien sûr, à cette manifestation. Je serais moi-même à La Réunion, mais je crois que...
B. Toussaint : Des ministres y participeront-ils ?
D. de Villepin : Des ministres, je le dis... Le Gouvernement s'associera, des ministres y participeront donc. Je crois que c'est dans des moments forts de la vie de la République, dans des épreuves aussi fortes, que la communauté se retrouve, se rassemble et que nous fortifions notre unité nationale.
B. Toussaint : Justement, comment rassurer la communauté juive ? Il y a les signes forts comme aller ce soir à la synagogue, à la manifestation, mais est-ce que cela suffit, est-ce qu'il ne faut pas faire plus de choses et du concret ? Comment rassurer ?
D. de Villepin : Vous savez, la première demande, c'est la vérité. J'étais au dîner du Crif, il y a quelques jours. Le président du Crif a demandé à ce que toute la lumière soit faite, et je lui ai dit que la vérité serait faite pour la famille d'I. Halimi, elle serait faite pour l'ensemble de la communauté juive mais aussi pour toute la communauté nationale. Nous avons ce devoir de vérité et c'est pour cela que nous souhaitons que l'ensemble des coupables puissent être très très rapidement traduits devant la justice.
L. Mercadet : Est-ce que vous n'avez pas l'impression qu'un tabou, qu'une digue mentale est en train de lâcher autour de l'antisémitisme en France avec ce meurtre, par exemple ?
V. Astruc : Parce que c'est de l'antisémitisme primaire, c'est l'amalgame "juif = argent"...
D. de Villepin : Vous savez, nous sommes devant une enquête de justice. Il appartiendra au juge d'établir la réalité des faits. Le juge a retenu, parmi les mobiles possibles, l'antisémitisme. Il faudra bien évidemment au terme des différents interrogatoires, au terme de l'instruction, préciser l'ensemble de cela. Ce que nous marquons, c'est notre émotion, notre rassemblement, notre volonté de dépasser tous les clivages pour être ensemble.
B. Toussaint : Encore un mot sur cette affaire : comment expliquez-vous le fait que l'an dernier, il y ait eu une baisse très significative des actes antisémites, moins 47 % en 2005, et qu'en même temps, il y ait ce meurtre odieux et un sentiment aussi exprimé par la communauté juive depuis quelques jours qui est en contradiction avec ces chiffres ?
D. de Villepin : Qu'il y ait le sentiment à travers un tel crime et qu'un profond malaise s'exprime, c'est tout à fait naturel. Mais une fois de plus, je le dis, il appartiendra à l'enquête, il appartiendra au juge d'instruction de préciser l'ensemble des accusations. Des circonstances aggravantes ont été retenues pour fait de religion, liées donc à l'antisémitisme. Je crois qu'il est important de laisser la justice faire sereinement son travail. Nous marquons notre esprit de rassemblement.
B. Toussaint : La justice a fait son travail dans une autre affaire, un autre dossier, c'est la Une d'Aujourd'hui en France et du Parisien, et c'est l'autre grand coup de tonnerre de la soirée d'hier : c'est l'acquittement des deux personnalités qui étaient considérées comme les commanditaires présumés de l'assassinat du préfet Erignac, J. Castela et V. Andriuzzi. Ils ont été condamnés à trente ans en première instance, acquittés hier soir. Est-ce que là, on n'est pas face à un désaveu profond de l'enquête qui a été menée dans cette affaire ?
V. Astruc : Et des magistrats antiterroristes ?
D. de Villepin : Là encore, décision de justice : il ne m'appartient pas de commenter une décision de justice...
B. Toussaint : Bien sûr.
D. de Villepin : Mais je veux d'abord penser à madame Erignac, à ses enfants. J'ai eu l'occasion de les rencontrer souvent comme ministre de l'Intérieur... Donc je pense à eux et je pense à la douleur qu'est pour eux ce parcours judiciaire. Il y aura dans quelques mois, le procès d'Y. Colonna...
V. Astruc : Mais du coup, des doutes pèsent sur sa culpabilité !
D. de Villepin : Ce que je souhaite c'est que le procès d'Y. Colonna soit l'occasion d'établir toute la lumière, de faire toute la vérité sur l'ensemble de ces procédures, et qu'à tête reposée, nous puissions reprendre les éléments de ce récent procès, pour comprendre ce qui s'est passé exactement.
V. Astruc : Mais dans ces conditions, faut-il rouvrir une enquête pour élucider le meurtre du préfet Erignac ?
D. de Villepin : Une fois de plus, dans quelques mois, le procès d'Y. Colonna sera l'occasion, sera le rendez-vous qui nous permettra d'en savoir plus, de faire toute la lumière. Et puis je le redis, à tête reposée, nous pourrons revenir sur les circonstances, sur les événements qui ont pu permettre aujourd'hui une telle décision.
V. Astruc : Des aveux aussi de N. Sarkozy qui, on se souvient, avait arrêté à grand fracas...
D. de Villepin : Vous savez, nous le voyons : nous sommes confrontés en ce moment à une multiplication de sujets dramatiques, douloureux ou très difficiles. Nous allons passer en revue les difficultés en matière de santé, avec la grippe aviaire, le chikungunya... Face à de tels événements, il est très important que nous ayons la sérénité, l'exigence bien sûr, l'exigence de transparence, l'exigence de vérité, mais aussi la sérénité. Plus les choses sont difficiles, et c'est vrai pour vous les médias, c'est vrai pour nous les responsables politiques, il faut du sang-froid, il faut de la mesure, il faut être capable d'expliquer à nos concitoyens et mettre en perspective. On peut toujours ajouter un peu de sel sur les plaies...
B. Toussaint : C'est ce que l'on va faire et c'est pour cela que vous êtes là aussi. Juste avant qu'on passe justement au dossier santé, je voudrais vous donner une dernière information : Y. Fofana a reconnu sa participation au meurtre, c'est ce qu'indiquent à l'instant des policiers ivoiriens et français à Abidjan, l'information est donnée par l'AFP. Il a reconnu sa participation. On en sait pas plus pour l'instant. Concernant la grippe aviaire, vous avez mangé du poulet hier, on l'a vu partout...
V. Astruc : Etait-il bon ?
D. de Villepin : Très bon...
B. Toussaint : Cela a été un geste fort. Un deuxième cas de grippe aviaire a été confirmé dans la nuit. Je voudrais savoir où en sont les autres expertises ?
D. de Villepin : Le deuxième canard sauvage est le résultat de la deuxième expertise. Et, en toute transparence, s'il y avait des faits nouveaux, des cas nouveaux, nous le dirions. Ce qui est important, c'est qu'aucun élevage n'est touché à l'heure où je parle - aucun élevage en France, aucun élevage dans l'Union européenne.
V. Astruc : Mais est-ce que tôt ou tard, justement, les élevages seront touchés ?
D. de Villepin : Alors, c'est une possibilité. Ce qui est certains, c'est que nous avons prévu ces différents cas de figure et nous avons donc les procédures, les réactions qui nous permettrons de réagir à chaque étape. Il y aura abattage des élevages qui seront concernés. L'important pour nous est de tout faire pour que la sécurité de l'ensemble de la chaîne alimentaire soit préservée, que la confiance des consommateurs soit préservée, que la traçabilité de chaque volaille soir préservée, parce que c'est la seule et meilleure garantie que nous puissions apporter.
L. Mercadet : Il y a quand même une baisse des ventes, donc comment fait-on quand on est face à une psychose pour l'arrêter, puisque c'est totalement irrationnel ? Qu'est-ce qu'on peut faire ?
D. de Villepin : Eh bien, face à l'irrationnel, on essaie de rentrer dans le concret ! C'est pour que j'ai été, hier, dans la Dombes, c'est pour cela que jour après jour, nous essayons d'expliquer la réalité de ce qu'est cette épizootie. Aujourd'hui, il s'agit d'une transmission qui se fait d'un animal à un autre animal, il n'y a pas de risque de transmission tel que nous pouvons le craindre. Ce serait alors de la pandémie, nous ne sommes pas du tout dans ce cas de figure. Donc il s'agit de faire en sorte que tout risque soit écarté ou minimisé par des mesures de précaution, par des mesures de contrôles, par des mesures de surveillance. J'ai vérifié hier, sur le terrain, ce qui s'était passé pour le premier canard, nous allons faire la même chose pour le deuxième canard, tout près de Bourg-en-Bresse. Il s'agit là de faire un premier périmètre de trois kilomètres, un périmètre de protection, et un périmètre plus grand de dix kilomètres, de surveillance, et dans cette zone...
V. Astruc : Mais allez-vous donner de l'argent à la filière agricole et combien ?
D. de Villepin : Alors, nous avons apporté une première aide d'urgence de onze millions d'euros, et je l'ai dit hier, la solidarité nationale s'exprimera en direction des éleveurs et des aviculteurs. Cette décision sera prise au terme des différents rendez-vous, que D. Bussereau aura avec les éleveurs et l'ensemble de la filière avicole.
B. Toussaint : Pas de nouvelles aides pour l'instant, pour être clair...
D. de Villepin : Les aides seront déterminées en liaison avec les éleveurs et la profession, donc D. Bussereau va les rencontrer dans les prochains jours pour faire le point des besoins.
B. Toussaint : Vous serez dimanche à La Réunion. C'est un autre dossier, c'est une autre psychose, parce que là, on voit que le tourisme est frappé de plein fouet... Mais avant de voir les conséquences économiques, Le Figaro parle ce matin de 77 morts et de 130.000 personnes touchées par cette épidémie... C'est quand même énorme ce qui se passe là-bas. Est-ce qu'on n'a quand même pas tardé à réagir face à ce qui ressemble alors à une énorme affaire et à une catastrophe sanitaire ?
L. Mercadet : Les premiers cas remontent à mars 2005 !
V. Astruc : Et l'épidémie a vraiment sévi à partir de décembre et la guerre aux moustiques a été déclarée fin janvier.
B. Toussaint : Tardé ou pas ?
D. de Villepin : Non, la montée en puissance et les risques croissants qui sont apparus derrière cette épidémie de chikungunya ont conduit, à chaque étape, le Gouvernement a amplifié les mesures et à mettre en place sur place un dispositif, il faut le rappeler, qui n'est pas simple...
B. Toussaint : Pas de retard à l'allumage donc, pour être clair, encore une fois ?
D. de Villepin : Nous avons accompagné, il y a eu environ 12.000 à 15.000 personnes touchées en 2005 et la véritable explosion s'est produite au tournant de l'année, puisque nous sommes aujourd'hui autour de 120-130.000 de personnes touchées.
V. Astruc : Les socialistes disent que vous venez à l'île de La Réunion bien trop tard...
D. de Villepin : Mais ils sont dans leur rôle. Je crois, il faut le dire, que ce n'est pas la polémique qui réglera les problèmes. Donc je crois que dans ces moments-là, comme sur beaucoup d'autres sujets, c'est davantage l'esprit de rassemblement qui doit présider.
V. Astruc : Concrètement, qu'allez-vous faire ?
D. de Villepin : Nous sommes devant une épidémie, nous sommes devant un risque lié à une maladie tropicale, qui est une maladie tropicale mal connue. Ce n?est pas comme quand vous avez une maladie bien connue qui se répand et que l'on pourrait vous reprocher de ne pas avoir utilisé les bons moyens. Là, nous sommes en permanence en train de perfectionner un dispositif, tout en sachant que nous n'avons pas les outils qui permettraient, très rapidement, d'éradiquer ce mal. Donc, cela veut dire quoi ? Cela veut dire d'abord qu'il faut démoustiquer l'ensemble de l'île. Nous n'avons pas cessé, dans le courant de l'année 2005 et au tournant de cette année, de multiplier les moyens. Nous avons aujourd'hui 3.600 personnes qui sont sur le terrain. Alors, je veux bien qu'on dise que le Gouvernement ne fait rien mais je crois que cela ne correspond pas à la vérité.
B. Toussaint : Non, ce n?est pas ce qui a été dit : c'est que cela été fait trop tard.
D. de Villepin : Mais nous avons engagé 500 militaires dès la fin de l'année. Donc la mobilisation existe...
B. Toussaint : Donc maintenant, que fait-on ? Une fois que vous serez à La Réunion, dimanche...
D. de Villepin : On opère les mesures de démoustication, on accroît et on intensifie, ce que nous n'avons pas cessé de faire, les moyens médicaux mis à la disposition de l'ensemble de ceux qui sont malades, et on fait en sorte que chaque cas puisse être suivi. Vous avez parlé de 77 morts, il faut le rappeler, qui sont liés directement ou indirectement, parce que bien évidemment, c'est un virus qui, sur des personnes affaiblies, peut provoquer la mort, sans qu'on sache exactement si c'est la cause première de la mort. Donc c'est extrêmement délicat... Et cela veut dire aussi qu'il faut intensifier la recherche autour de ce virus, pour connaître exactement la meilleure façon de l'éradiquer, voire trouver une solution, tel un vaccin. Donc c'est le travail que nous avons lancé et puis il y a tout l'aspect économique dans l'île, l'aspect touristique...
V. Astruc : Effectivement, autant pour la grippe aviaire, on peut dire "Mangez du poulet !", là, peut-on dire "Allez à l'île de La Réunion en vacances" ?
D. de Villepin : C'est bien pour ça que nous engageons cette opération de démoustication, pour faire en sorte que le vecteur de la maladie...
V. Astruc : Là, vous dites aux gens de ne pas aller en vacances à l'Ile de La Réunion quand même ?
B. Toussaint : Il faut être prudent, quand même !
D. de Villepin : Si vous y allez - vous pouvez parfaitement y aller, la preuve c'est que j'y vais !
V. Astruc : Vous y allez, oui!
D. de Villepin : Il y a un certain nombre de précautions à prendre, voilà. Il faut utiliser des produits...
V. Astruc : Il faut s'embaumer !
L. Mercadet : II faut mettre de la pommade ! Voilà, bon, cela fait partie des mesures d'usage...
B. Toussaint : Dans la même semaine, vous mangez du poulet et vous allez à La Réunion ! Il faut faire attention quand même !
D. de Villepin : La responsabilité politique, c'est d'abord d'aller sur le terrain et de faire face aux difficultés que connaissent nos compatriotes. Donc c'est exactement ce que nous faisons. Je rappelle que X. Bertrand y était il y a quelques semaines. L. Bertrand a examiné l'ensemble des problèmes de la filière touristique. F. Baroin y est aujourd'hui. Et nous préparons l'ensemble des mesures qui pourraient être annoncées, de manière à permettre à La Réunion de faire face à ce cap difficile sur le plan économique.
V. Astruc : Si on parlait de vous ! Les Français semblent de moins en moins avoir confiance en vous, si l'on croît cinq sondages consécutifs...
B. Toussaint : Le dernier, CSA-La Vie-France Info, c'est moins 11 %
D. de Villepin : Compte tenu des sujets que nous avons évoqués, ça ne vous surprend pas, je pense que vous avez la réponse à la question que vous voudriez poser...
B. Toussaint : Je me demande si on a vraiment abordé le sujet qui fâche ! Je pense qu'il va arriver maintenant !
V. Astruc : Mais les Français ne croient-ils pas à la baisse du chômage ou s'inquiètent-ils de votre CPE ?
D. de Villepin : Non, je crois que les Français ont compris qu'il y avait un mouvement fort qui était engagé sur la baisse du chômage, et j'ai eu l'occasion de le rappeler à l'Assemblée nationale...
V. Astruc : Donc c'est le CPE, alors !
D. de Villepin : On peut toujours dire que la baisse est due à des raisons magiques. Quand vous avez une baisse sur dix mois consécutifs, elle n'est pas due, cette baisse, à des radiations, puisqu'il y a eu moins de radiations en 2005 qu'en 2004... C'est bien qu'il y a un mouvement, une mobilisation, des mesures qui donnent des résultats. Quand vous avez 350.000 contrats "nouvelles embauches" qui sont signés aujourd'hui, c'est bien qu'il y a des embauches nouvelles ! Et quand j'entends monsieur Strauss-Kahn dire qu'il n'y a que 30 % de ces contrats "nouvelles embauches" qui correspondent à de nouveaux emplois, je dis : "Mais bravo !".
V. Astruc : Mais alors, pourquoi les Français ont-ils de moins en moins confiance en vous ?
D. de Villepin : Mais quand vous avez une situation difficile, vous avez une inquiétude, les gens veulent toucher du doigt des résultats... Ces résultats, ils estiment qu'ils ne sont pas suffisants et ils ont raison. C'est pour cela que nous voulons les amplifier. Et je pars, parce que c'est toujours la règle de base de la politique, en tout cas de celle que j'entends mener, je pars d'un diagnostic. Alors, on peut être d'accord ou ne pas être d'accord sur ces diagnostics. Ce diagnostic est que la situation qui est celle des jeunes dans notre pays est insupportable. 23 % de jeunes chômeurs dans notre pays, 40 % pour les non-qualifiés....
B. Toussaint : Ils manifestent aujourd'hui contre le CPE...
D. de Villepin : Attendez, ne généralisons pas : quelques-uns manifestent contre le CPE...
B. Toussaint : Quelques centaines, quelques milliers, absolument.
L. Mercadet : Ce qui a l'air de choquer beaucoup de gens, peut-être pas une majorité mais beaucoup, c'est que l'on puisse licencier sans motivation. L. Parisot faisait une comparaison amusante l'autre jour, en disant, que la vie est précaire, l'amour est précaire, donc le travail est précaire. Mais justement, en amour, quand on est quitté c'est pénible ; mais être quitté sans explication, c'est carrément insupportable ! Donc là, pour le CPE, est-ce qu'on ne pourrait pas l'aménager, en prévoyant une nécessité de motivation ?
D. de Villepin : Vous avez raison de souligner ce point, mais d'abord, il faut préciser qu'il y a, dans le contrat "première embauche" un droit de préavis qui existe et qui est renforcé à la mesure du temps que vous passez du temps dans l'entreprise, comme d'ailleurs l'ensemble des droits - l'indemnité de rupture, l'indemnité de chômage, l'indemnité de formation. Donc à mesure du temps passé, vous voyez ces garanties qui sont confortées. La deuxième chose qui est importante et qui modifie la perception, c'est qu'on ne peut pas licencier pour n'importe quel motif, et en particulier pas pour un motif abusif. Je rappelle qu'il y a eu "un" contentieux à ce jour...
V. Astruc : Qui a été jugé avant-hier !
D. de Villepin : "Une" décision des Prud'hommes.
B. Toussaint : Oui, mais enfin, cela ne fait que commencer...
L. Mercadet : Mais c'est la première et elle condamne l'employeur...
D. de Villepin : Savez-vous combien il y a de salariés qui, pour motif individuel de licenciement, passent devant les Prud'hommes chaque année ? 150.000 ! 150.000 ! Et il faut savoir que les règles qui valent pour le CDI classique, comme pour tous les contrats, c'est-à-dire de licenciement abusif, valent bien évidemment pour le contrat "première embauche". On ne peut pas licencier une jeune fille parce qu'elle est enceinte. On ne peut pas licencier quelqu'un parce qu'il appartient à un syndicat ou en raison de sa confession. Cela vaut pour tout le monde !
V. Astruc : Mais est-ce qu'on peut licencier quelqu'un qui réclame le paiement de ses heures sup', un des cas qui a été signalé ?
D. de Villepin : Exactement, c'est un cas abusif et les Prud'hommes le disent. Donc vous voyez bien que la règle...
L. Mercadet : Donc vous refusez de retoquer le texte, on ne retouche pas ?
D. de Villepin : Mais expliquons une fois de plus: le contrat "première embauche" répond à une situation extrêmement difficile et douloureuse que connaissent les jeunes. J'ai entendu F. Hollande - et ça été la grande surprise pour moi à l'Assemblée nationale -, dans le fond, mettre en doute la situation de ces jeunes, me dire qu'après tout, il n'y a pas peut-être pas autant de jeunes que cela qui sont dans la difficulté, que beaucoup sont en CDI ! Quand vous constatez qu'effectivement les chiffres donnés par F. Hollande, de huit à onze ans, sont contestés, alors on peut se dire qu'effectivement, ce n'est pas la peine de se mobiliser et de proposer quelque chose de neuf si tout va bien ! Malheureusement, les choses ne sont pas telles. Et ce que nous voulons, c'est permettre aux jeunes d'avoir le pied à l'étrier, leur permettre de rentrer sur le marché de l'emploi.
B. Toussaint : C'est au-delà de ça. Vous leur demandez de changer, vous leur dites qu'ils ne vivront plus comme leurs parents, vous leur dites que les temps ont changé...
L. Mercadet : C'est un peu un signal que l'on rentre dans la vie par la porte de la précarité, c'est un peu un signal officiel, c'est une révolution
V. Astruc : Que dites-vous aux jeunes ? Qu'ils doivent assumer que le monde a changé ?
D. de Villepin : Ce que je dis aux jeunes, d'abord, oui, le monde a changé, puisqu'il y a trente ans vous rentriez dans une entreprise à vingt ans et vous en sortiez à soixante-cinq ans... Ce qui a changé, c'est qu'aujourd'hui vous mettez de huit à onze ans pour rentrer dans un emploi stable. Et ce que je vous propose c'est au maximum [deux ans], parce que la période de deux ans est une période maximale qui intègre les périodes de stages que vous auriez fait dans l'entreprise, un éventuel CDD ou un contrat de professionnalisation... Donc c'est au maximum deux ans pour rentrer durablement sur le marché du travail, avec des garanties, avec l'acquisition d'une expérience, avec un droit à la formation... Donc tout ceci se situe véritablement dans un parcours d'embauche, un véritable parcours d'emploi. Les stages désormais seront rémunérés au bout de trois mois. Nous renforçons l'alternance. Donc vous le voyez, nous traitons l'ensemble des problèmes à chaque étape. Donc il ne s'agit pas d'ajourer de la précarité, la précarité est là !
V. Astruc : Ah, la précarité elle est là, oui
D. de Villepin : La précarité elle est là !
V. Astruc : Et vous dites aux jeunes de faire avec !
D. de Villepin : Mais pas du tout, je dis aux jeunes : vous allez avoir moins de précarité avec le contrat "première embauche", puisque dans le système actuel, il faut de huit à onze pour rentrer sur le marché de l'emploi ; là dans un parcours de deux ans qui consolide votre expérience, qui consolide vos droits, qui vous insère dans l'entreprise et qui reconnaîtra vos qualités et vos capacités, vous pouvez vous situer dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée, qui est respectueux de votre personne...
B. Toussaint : Et pourquoi ne pas aller au bout de cette logique, c'est-à-dire que les règles du CNE et du CPE soient appliquées à tout le monde et à tous les contrats ?
V. Astruc : Pour que ce soit clair, au moins !
B. Toussaint : Est-ce qu'il n'y a pas une logique ?
D. de Villepin : Je m'étais engagé, en créant le contrat "nouvelles embauches", à ne pas passer à sa généralisation sans avoir une évaluation, une concertation, un dialogue avec les partenaires sociaux. Nous avons constaté la situation très difficile que connaissent les jeunes, je la considère comme inacceptable. Nous avons regardé ce qui se faisait chez nos voisins, et à partir de là nous avons proposé...
V. Astruc : Mais on se dit que vous traitez les PME, vous traitez les jeunes, et pourquoi pas les autres ?
D. de Villepin : Mais que font les partenaires sociaux ? Ils se sont réunis pour traiter la situation très difficile des seniors et ils ont offert quoi ? Un CDD senior, pour ceux qui ont plus de 57 ans, de dix-huit mois renouvelable. Donc vous le voyez bien, le contrat "première embauche" non seulement apporte des garanties nouvelles, mais il répond aussi à des interrogations, à des difficultés auxquelles sont confrontés les jeunes. C'est vrai en matière de crédits, c'est vrai en matière de logement, avec le système Loca-Pass... Donc c'est très concrètement un moyen d'insertion sur le marché de l'emploi, de façon à justement éviter que les jeunes, qui se voient en permanence reprocher leur manque d'expérience, reprocher leur méconnaissance de la réalité de l'entreprise, puissent rentrer dans l'entreprise.
B. Toussaint : C'est les risques du métier quoi, en gros ?! Cela pourrait être un autre slogan du CPE !
D. de Villepin : Mais pas du tout. C'est une réponse dans le cadre d'un parcours et qui apporte une amélioration considérable par rapport à la situation que connaissent les jeunes aujourd'hui. Je veux préciser, parce que c'est un point très important, que ce contrat "première embauche" est dirigé en priorité à ceux qui rencontrent le plus de difficultés sur le marché de l'emploi...
B. Toussaint : Bien sûr.
V. Astruc : Pas les diplômés qui, eux, aspirent à un CDI !
D. de Villepin : Ceux qui bénéficiaient d'un CDI classique continueront à bénéficier d'un CDI classique...
B. Toussaint : On a beau être Premier ministre, on n'échappe pas au " J'aime, j'aime pas ", un questionnaire que nous proposons chaque jour...
D. de Villepin : Dans mon cas, c'est plutôt "j'aime", parce qu'il n'y pas beaucoup de choses que je n'aime pas !
B. Toussaint : Attention, il ne faut jamais dire ce genre de choses Nous avons quelques questions d'actualité, d'autres actualités à vous soumettre et donc vous pouvez répondre par "j'aime ou j'aime pas".
V. Astruc : "J'aime, j'aime pas" la nouvelle campagne de pub de RTL, qui va s'afficher sur votre écran... "Vivre ensemble", un couple, N. Sarkozy et vous...
D. de Villepin : Je l'ai vue...
V. Astruc : Alors, vous aimez ?
D. de Villepin : Je trouve que les photos sont sympathiques. Je ne suis pas sûr que les responsables politiques aient vocation à devenir des mannequins publicitaires...
B. Toussaint : Plus sérieusement, je crois que l'on ne vous a pas demandé votre avis ?
D. de Villepin : Non, on ne m'a pas demandé mon avis. Donc je trouve, une fois de plus, que les photos successives sont plutôt sympathiques et souriantes.
Après tout, cela fait du bien ! Mais je ne suis pas du tout convaincu que les responsables politiques aient vocation à faire la publicité de quelle que marque que ce soit...
V. Astruc : Vous n'allez quand même pas censurer ?
D. de Villepin : Non, ce n'est pas l'esprit qui est le mien. Je crois que la réflexion devrait conduire ceux qui engagent ce type de publicité à considérer que la politique, ce n'est pas un produit.
B. Toussaint: Mais sinon, écoutez-vous RTL ou... ?
D. de Villepin : J'écoute toutes les radios !
B. Toussaint : Alors, deuxième question : "j'aime, j'aime pas" l'ivresse du pouvoir ?
D. de Villepin : Je n'aime pas du tout l'ivresse du pouvoir, mais j'aimerais beaucoup voir le film de C. Cabrol et j'adore I. Huppert !
B. Toussaint : Ah, vous êtes le premier à répondre à avoir trouvé le piège !
V. Astruc : "J'aime, j'aime pas" "Les Bronzés 3" ?
D. de Villepin : Alors, j'adore "Les Bronzés", je n'ai pas vu "Les Bronzés 3"...
V. Astruc : Et irez-vous le voir ?
D. de Villepin : Mais j'adore P. Leconte et l'ensemble des acteurs des "Bronzés". Bien sûr que j'irais le voir, oui !
B. Toussaint : "J'aime, j'aime pas" la "France d'après", slogan inventé par N. Sarkozy ?
D. de Villepin : J'aime toutes les France et surtout celles que l'on construit tous ensemble.
B. Toussaint : Parce que la "France d'après", cela veut dire que vous êtes la "France d'avant" ! C'est un peu bizarre, cela ne vous pas heurté ?
D. de Villepin : Non, cela veut aussi qu'il y a une "France d'après", mais c'est très bien, il faut une France pour tous les goûts !
V. Astruc : "J'aime, j'aime pas" la "ségolènemania", S. Royal ?
D. de Villepin : S. Royal, vous savez, est une camarade de promotion...
B. Toussaint: Oui, c'est vrai, à l'ENA !
L. Mercadet : Vous vous entendiez bien avec elle, à l'époque, à l'ENA ?
D. de Villepin : Très bien, très bien...
V. Astruc : Vous qui aviez fait un rêve, il y a deux jours, d'une "opposition moderne", il se trouve que dans Le Parisien d'aujourd'hui, S. Royal que si la gauche revient au pouvoir...
D. de Villepin : Elle ne remettra pas tout en cause...
V. Astruc : Ah bien, voilà, vous l'avez lu !
D. de Villepin : Oui, vous voyez !
V. Astruc : Est-ce une gauche "moderne", ça ?
D. de Villepin : Je trouve que c'est une réaction pragmatique, en tout cas c'est une réaction qui montre que l'idéologie n'embrume pas tous les esprits...
B. Toussaint : Et "j'aime, j'aime pas" dire des gros mots ?
D. de Villepin : Je m'en veux beaucoup : il m'arrive de dire des gros mots, qui ne sont d'ailleurs pas des très très gros mots, mais enfin, cela m'arrive et je le regrette bien sûr !
B. Toussaint : On n'a pas parlé de la présidentielle... C'est quand quatorze mois tout juste normalement, cela pourrait être un 22 ou un 23 avril. On peut définir trois catégories potentielles : il y a ceux qui ont dit "j'y vais", ceux qui ont dit "je n'y vais pas" et ceux qui ont dit "ce n'est pas le moment d'en parler". Je crois savoir que vous êtes dans cette dernière catégorie... Je me demande simplement quand ce sera quand "le moment d'en parler" ?
D. de Villepin : Eh bien, écoutez, vous voyez qu'on a au menu de nos préoccupations beaucoup de choses qui sont aujourd'hui beaucoup plus pressantes et beaucoup plus graves dans l'esprit des Français... Donc répondons aux préoccupations de nos compatriotes.
B. Toussaint : Et un ultime post-scriptum : I. Betancourt, quatre ans aujourd'hui, il y a un concert de soutien à Rouen, ce soir, avec Renaud et plusieurs artistes. Est-ce que je peux vous demander juste un mot sur cette otage franco-colombienne, dont malheureusement on déplore toujours l'absence ?
D. de Villepin : Oui, quatre ans, c'est une véritable tragédie. J'espère que nous aurons très vite de nouvelles preuves de la survie d'Ingrid. Mais je pense à elle tous les jours, c'est un drame horrible auquel elle est confrontée. Et avec sa famille, nous souhaitons son retour le plus vite possible.
B. Toussaint : On va s'arrêter là dessus, tous mobilisés pour 1. Betancourt, on pense beaucoup à sa famille également ce matin. Merci beaucoup, D. de Villepin !
D. de Villepin : Merci à vous !
Source : Premier ministre, Service d?information du Gouvernement, le 27 février 2006