Déclaration de M. Christian Estrosi, ministre délégué à l'Aménagement du territoire, sur le projet de rénovation des commissions départementales d'organisation et de modernisation des services publics, l'amélioration de l'accès au haut débit et le développement de la polyvalence des services publics en zone rurale, Paris le 10 janvier 2006.

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Circonstance : Principaux passages de l'intervention de Christian Estrosi lors du débat sur le thème "Aménagement du territoire, services publics et services au public", au Conseil économique et social le 10 janvier 2006

Texte intégral

« Monsieur le Président du Conseil économique et social, Monsieur le Président de la section des économies régionales et de l'aménagement du territoire, Monsieur le rapporteur, Mesdames et Messieurs, pour ne rien vous cacher, je suis un peu ému de prendre la parole devant vous cet après-midi puisque la dernière fois que j'ai pénétré dans cet hémicycle, je me trouvais aux côtés de mon ami Philippe Dechartre. Je conserve un précieux souvenir de mon expérience passée, pendant près de quatre ans, sur les bancs de cette assemblée dont je n'ai cessé, depuis, de vanter les mérites. J'en ai retiré un enrichissement personnel exceptionnel par la diversité des talents des hommes et des femmes qui s'expriment dans cette assemblée et qui représentent la France, la vraie France, celle à laquelle nous croyons, celle à laquelle vous croyez, celle dans laquelle tant de nos concitoyens espèrent. Je vous remercie pour cette grande diversité qui s'est toujours exprimée ici avec beaucoup de hauteur de vue, d'esprit et de réserve. Elle nous est précieuse au sein du gouvernement.
En tant qu'ancien membre de la section des économies régionales et de l'aménagement du territoire, je côtoyais l'actuel président Hubert Ghigonis dont je salue le dynamisme. A l'époque, l'on m'avait demandé de rédiger un rapport sur la coopération transfrontalière au service de l'aménagement du territoire. Il n'avait pas été voté à l'unanimité, mais quasiment. Je vous souhaite, monsieur le rapporteur, d'atteindre les mêmes objectifs. A l'époque, sans le savoir, le Conseil économique et social me préparait à la mission qui m'est aujourd'hui confiée. Je lui en serai toujours et ô combien reconnaissant.
Me voilà aujourd'hui représentant le gouvernement, et plus particulièrement Nicolas Sarkozy, ministre d'Etat, ministre de l'Intérieur et de l'aménagement du territoire, qui m'a demandé de l'excuser auprès de vous et de vous adresser ses sentiments les plus chaleureux.
Mon estime pour votre assemblée, dont je ne cesse de rappeler qu'elle est l'une des trois chambres constitutionnelles, est d'abord fondée sur la qualité de son travail, sur la qualité des femmes et des hommes dont je croise à nouveau les regards. Vous portez des expériences professionnelles et humaines très diverses, vous êtes le miroir des différentes composantes économiques et sociales de la collectivité nationale. En ces temps de questionnement sur notre identité, sur la pérennité des valeurs qui fondent la nation, il me semble que votre assemblée est plus que jamais essentielle à la réflexion sur l'avenir de notre pacte républicain.
A ce titre, en rassemblant les représentants au plus haut niveau à la fois des usagers, des syndicats, des entreprises publiques et du monde agricole, le CES est un outil précieux d'analyse et de propositions sur le sujet qui nous intéresse aujourd'hui : aménagement du territoire, services publics et services au public.
Je dois dire que c'est une aubaine pour un ministre de l'aménagement du territoire de découvrir, en prenant ses fonctions, que le CES s'est saisi, depuis déjà six mois, de la question. Il était important pour moi, en juin dernier, et, je ne vous la cache pas, très rassurant, de savoir que mon action pourrait bénéficier sous peu des résultats de votre travail. Non pas que je fusse réjoui que vous l'ayiez fait à ma place, mais parce que j'attendais votre contribution et votre soutien, de pied ferme. Comme vous avez pu vous en rendre compte au cours des derniers mois, cette question est au centre de l'action que le gouvernement mène en matière d'aménagement du territoire. J'étais donc très curieux et impatient d'entendre ce que nous venons d'entendre.
Je commencerai par une rapide remarque de pure forme. Elle tient en quelques mots et relève d'un constat très simple : votre avis consacre six pages à l'examen de la situation et dix-sept à ses propositions. C'est pour moi une très heureuse surprise. Six pages de problèmes pour dix-sept de solutions, c'est un équilibre, ou plutôt un déséquilibre qui me convient. Je redoute de plus en plus les experts dans l'art de poser les problèmes et les spéculations des sociologues.
Je tiens à saluer tous les intervenants qui m'ont paru aller à l'encontre des penseurs mondains. Mme Donnedu, au nom du groupe de la CGT, nous a parlé du modèle social. Plus que jamais, les Français n'ont pas peur du changement mais l'espèrent. M. Saubert, au nom du groupe de la CFE-CGC, a rappelé que les citoyens n'étaient pas associés à la réflexion. Je partage ce sentiment. M. Vandeweeghe, au nom du groupe de la CFDT, a fait remarquer que le marché, seul, ne peut garantir que les services publics soient rendus dans le respect de l'intérêt général. Il nous a parlé de l'attractivité du territoire et de la mutualisation des moyens. Mme Douvin, du groupe des personnalités qualifiées, a évoqué les exigences de qualité du service rendu quel que soit le prestataire. Quant à M. Roulleau, il a mentionné les échanges entre jeunes et moins jeunes. Au nom du groupe de l'artisanat, M. Martin a évoqué le diagnostic partagé et l'association des acteurs des territoires, en citant un certain nombre d'exemples. M. Vasseur, au nom du groupe de l'agriculture, a insisté sur la souplesse et sur l'adaptabilité nécessaires face à la diversité des situations locales.
Comment toutes ces interventions ne pourraient-elles pas nous rassembler et nous unir ? C'est ensemble que nous devons rechercher des solutions, dans une période où bon nombre de nos concitoyens finissent par douter de la capacité de l'Etat et de l'ensemble des intervenants de notre pays à apporter de vraies réponses pragmatiques en termes de modernisation des services publics, et plus encore des services au public.
En réalité, je suis convaincu que nous sommes tous d'accord, en tous cas sur le constat. Je crois que le temps de l'action est venu. Je suis donc particulièrement reconnaissant, à votre rapporteur, Jean-Alain Mariotti, d'avoir travaillé dans ce sens. Et comme un ministre est là pour agir - tout du moins, est ce ma conception de la fonction ? vous comprendrez aisément que je consacre mon propos à réagir à certaines propositions et à vous dire comment je compte en tirer partie pour mon action.
En tête de vos propositions, vous faites du refus de l'immuabilité un principe. Ce principe est un principe de réalité. En effet, le monde rural change, tout comme la demande de services change aussi. Surtout, la population rurale change. Des néo-ruraux viennent confirmer une tendance qui se dessine depuis une quinzaine d'années : la ruralité se repeuple lentement, mais sûrement, et cette tendance ne cesse de s'amplifier. Nous n'aurions rien compris si nous n'avions pas saisi l'opportunité de cette tendance migratoire pour l'accompagner et soutenir ce retour à l'équilibre territorial. Mais les conséquences de ce qu'on ne fait pas sont les plus graves. Pour aider les préfets dans leur travail de concertation, nous avons fait réaliser par l'institut CSA un sondage sur les attentes des Français ruraux en matière de services. Le résultat est édifiant. On y apprend que la fermeture d'une perception n'est pas forcement vécue comme un drame par l'habitant du village. Lui, ce qu'il réclame, c'est un médecin près de chez lui, une supérette ou un commerce muti-services pas trop loin, et une station service à une distance compatible avec l'autonomie de sa voiture. Cette enquête nous apprend aussi que le critère de qualité passe souvent avant celui de proximité, que des nouveaux besoins apparaissent, qui répondent à de nouveaux modes de vie. Je pense aux crèches, par exemple.
Beaucoup d'entre vous ont évoqué le service médical de proximité. La plupart du temps, ils l'ont évoqué par le biais des médecins libéraux, donc de la médecine privée. Permettez-moi de vous dire, quitte à en choquer certains et à en satisfaire d'autres que, pour moi, la meilleure réponse apportée, c'est une mixité du médecin public, du médecin rural et du médecin libéral. En matière de démographie médicale, que constate-t-on en effet ? Que les médecins sont déracinés de nombreuses zones rurales, mais aussi de zones sensibles, et ils ne sont pas assez nombreux pour s'y maintenir. Or, pour qu'un cabinet de médecin libéral ou d'infirmière libérale s'installe ou poursuive son activité dans certaines zones et territoires de notre pays, il faut qu'ils soient au minimum deux pour assurer les permanences, les remplacements, et pouvoir se relayer. Très souvent, dans ces zones, on constate que les hôpitaux ruraux ont une trop petite capacité, qu'ils sont en perte de vitesse, et sont d'ailleurs démédicalisés depuis un certain nombre d'années sur décision de l'ARH. Dès lors, pourquoi ne pas donner aux médecins l'opportunité d'être à la fois médecins libéraux dans leur cabinet et médecins publics dans l'hôpital rural, tout en mettant l'hôpital rural en relation avec le centre hospitalier régional universitaire ? Ils pourront alors y faire des diagnostics, des expertises, des soins postopératoires, exercer un vrai métier en devenir dans le domaine de la santé publique, dans un certain nombre de territoires de France. Pour moderniser le service public, il faut savoir aborder l'ensemble de ces sujets, sans aucun tabou.
Cette enquête nous apprend surtout que, si la France rurale a des visages multiples, ses aspirations le sont aussi. Prenons en acte. Mais d'abord, je voudrais m'arrêter sur la demande de concertation, qui fait partie des nouvelles demandes de la population. Nos concitoyens demandent à être entendus, l'expression démocratique évolue, les Français ne sont plus en génuflexions devant les pouvoirs publics : ils veulent régulièrement donner leur avis. Les nouveaux moyens de communication permettent une grande réactivité des acteurs publics, et c'est tant mieux. Il faut que la population soit systématiquement associée au débat. Votre projet d'avis propose d'établir, dans tous les cas, un dialogue concerté, en associant l'Etat, les opérateurs et les usagers. Il propose une révolution culturelle visant à associer étroitement les usagers aux décisions touchant au service public.
Je fais mienne cette proposition. Elle rejoint un constat unanimement partagé par la conférence Durieu et la totalité des préfets. La concertation institutionnelle telle qu'elle est prévue dans les commissions départementales d'organisation et de modernisation des services publics ne répond que partiellement aux espoirs mis en elles. C'est pourquoi, le 2 août dernier, avec le ministre de l'intérieur, nous avons co-signé une circulaire adressée à tous les préfets des départements de France, en leur donnant instruction, d'interdire pendant près de six mois toute fermeture d'un service public sur les territoires les plus fragiles. Loin de nous l'idée de prendre un moratoire de plus. Il s'agit pour nous également d'engager une concertation, pour que les acteurs locaux, les acteurs de terrains, se saisissent de leurs propres projets de modernisation sur la base desquels nous interviendrons. Nous soutiendrons les propositions des territoires.
Mais, depuis un certain nombre d'années, force est de constater qu'on regarde le territoire national de manière unilatérale, notamment à travers les schémas nationaux. On est à Paris et on décide de tout depuis Paris, comme si la France était uniforme. C'est ainsi que le ministre de l'équipement, avec son schéma national et depuis un certain nombre d'années, donne des instructions pour réorganiser toutes les DDE sur le même modèle. C'est ainsi que le Garde des sceaux, avec la carte judiciaire, demande depuis des années de réorganiser sur le même modèle les greffes des tribunaux d'instance, dans les zones fragiles, et que l'on déplore la fermeture d'un certain nombre de greffes de tribunaux d'instance. Je pourrais vous décliner le procédé pour chaque grande administration et ministère : tout cela se fait sans la moindre concertation au plan local, et aboutit aux fermetures d'école. Et tout cela a des conséquences sur la fermeture d'autres services publics, et de fil en aiguille sur les entreprises.
Il était temps de mettre un terme à ce processus et de veiller à créer de véritables synergies autour d'une réelle modernisation. Les schémas nationaux tuent la France. La France des villes n'est pas celle des campagnes, la France des montagnes n'est pas celle des littoraux. Il faut tenir compte de la réalité, de la diversité et de la richesse du territoire national et que chacun, par rapport à son histoire, son authenticité, son identité, puisse faire des propositions pour la réorganisation et la modernisation de ses services au public. Autant de départements, autant de modalités !
Nous avons ainsi décidé que les réorganisations de services devaient être impérativement précédées de l'accord formel des collectivités locales concernées. Les responsables des services sont obligés d'entrer dans une vraie concertation avec les maires. Prenez l'exemple des écoles : comment un maire peut-il continuer à admettre qu'un inspecteur d'Académie vienne l'informer en juin que son école sera fermé, en septembre faute d'élèves ? Dans la charte que je suis en train de préparer avec le président Durieu au nom de l'association des maires de France, qui sera signée d'ici trois semaines, j'impose notamment qu'un système d'alerte soit imposé en matière d'éducation nationale, que l'inspecteur d'Académie soit obligé de rencontrer le maire deux ans avant toute prise de décision. Voilà comment nous entendons réactiver la concertation avec l'ensemble des acteurs.
Les réorganisations qui aboutissent à une amélioration se poursuivent toujours, car elles sont conformes à la logique des organisateurs de réseau et aux objectifs de qualité, d'accessibilité du service à la population. Les maires y sont particulièrement attentifs. Soyons tout à fait francs, quitte à choquer certains : je préfère une concertation informelle qui aboutit, à une concertation institutionnelle qui bloque. Le problème, à Paris, c'est que, où que l'on soit, on ne voit que Paris. Ainsi, le Parisien a tendance à considérer qu'il y a en tout et pour tout deux France : Paris et la province.
La vérité est autre, et la solution très simple : il faut rompre avec le mode de fonctionnement actuel des commissions départementales. J'ai donc proposé au Premier ministre de rénover complètement ces instances. Je veux les alléger de manière à rendre leurs travaux vraiment efficaces. La commission départementale doit devenir un vrai lieu de dialogue. C'est comme cela que les acteurs locaux pourront nous dire si oui ou non l'organisation d'un service répond bien aux demandes des habitants et non simplement à des contraintes administratives léguées par l'histoire. Cette nouvelle commission départementale sera opérationnelle dans le courant de ce 1er trimestre 2006.
Pour terminer sur la concertation, je vais mettre en oeuvre, d'ici la fin du mois, la charte sur les services publics qui sera signée entre l'Etat, les élus locaux et les grands opérateurs de réseaux, afin de formaliser les règles de concertation et de réorganisation des services, ce qui permettra d'aller toujours dans le sens d'une amélioration de la qualité et de l'accessibilité. Cela va dans le sens de votre projet d'avis. Accessibilité, le mot est lâché. J'adhère pleinement à votre projet d'avis. C'est bien d'accessibilité qu'il faut parler et non de proximité, parce que c'est ce que réclament les habitants. Privilégier l'accessibilité sur la proximité physique, c'est l'idée qui revient d'une façon générale. Certes, accessibilité veut parfois dire proximité. Par exemple, pour l'accès au médecin généraliste réclamé par les personnes âgées, ou pour l'accès à l'école primaire, du point de vue des parents d'élèves. Mais à l'heure où chaque foyer français dispose d'au moins une voiture et où 40 % des foyers, c'est-à-dire près d'un foyer sur deux est équipé d'Internet, le concept d'accessibilité doit être entendu de façon diverse. Il ne relève pas de la seule proximité géographique. Il y a donc pour moi un préalable à l'amélioration de l'accès aux services qui est l'accès au haut débit.
Plusieurs orateurs sont intervenus sur ce sujet. Je veux le dire avec force : mon ambition est qu'en 2007, la France puisse desservir 100 % des foyers en haut débit. À cette fin, nous venons de lancer un appel d'offres en WIMAX, qui nous permettra d'équiper les zones blanches de telle sorte que d'ici 2007 l'objectif puisse être atteint. Au-delà, je souhaite le tout numérique d'ici 2007 pour l'ensemble du territoire.
Lorsque nous évoquons ensemble un sujet de cette envergure, force est de constater que nous sommes malheureusement déjà en retard d'une guerre. En 2002, un million et demi de foyers étaient reliés à Internet. Aujourd'hui, on compte près de huit millions et demi d'abonnés, et dans peu de temps, dix millions. Voilà la réalité. Dans le même temps, la conception du numérique a considérablement évolué, notamment pour nos entreprises, et chacun demande le très haut débit. Avec l'entrée de deux mille zones d'activité d'entreprises d'ici la fin de l'année 2006, nous serons en mesure d'apporter cent mégabits. Sur l'ensemble de notre territoire, nous proposons dès 2006 le deux mégabits symétrique pour toute entreprise qui voudrait s'implanter en tout lieu du territoire national pour la téléphonie mobile. Pour le moment, la feuille de route est respectée, mais je mesure le chemin qui reste à parcourir. Car aujourd'hui, c'est la téléphonie mobile de troisième, voire de quatrième génération, notamment avec l'UMTS, qu'il faut mettre en place. Or, nous sommes dans l'incapacité de pouvoir l'apporter à la plupart de nos territoires.
Comment accepter que 5 % seulement du territoire ait accès à la télévision numérique et que certains puissent recevoir dix-huit chaînes de télévision gratuite alors que ceux qui paient leur redevance n'en ont accès qu'à trois ou quatre ?
C'est pourquoi, en relation avec le CSA, nous prendrons les dispositions nécessaires pour assurer, d'ici 2007, 100 % de couverture et apporter dix-huit à vingt-quatre chaînes de télévision gratuite dans tous les foyers français. Par la même occasion, cela nous permettra de passer plus rapidement du système analogique au système numérique. Un aménagement du territoire qui fait du service public ou du service au public une priorité doit être en situation d'équiper tous les foyers français et de les traiter de la même manière.
Mais l'accessibilité passe aussi par la réalisation d'une polyvalence. C'est une piste intéressante, et je tiens à donner tous les moyens aux acteurs sociaux de tendre vers cette polyvalence de services et développer leur mutualisation. À cette fin, je veux en particulier m'appuyer sur les mairies. Monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les membres du Conseil économique et social, quel est le service public que vous êtes certains de trouver dans chacune des 36 000 communes de France ? Il y en existe un seul que vous êtes sûrs de trouver partout : la mairie. Pourquoi ne pas nous appuyer davantage sur ce service ? Voilà pourquoi il importe d'assurer la polyvalence et la mutualisation des moyens en matière de services publics et de services au public dans les plus petites communes où le seul service est la mairie, et qui ne compte bien souvent qu'un demi secrétaire de mairie. Pourquoi ne pas étendre les missions de ce fonctionnaire territorial ? Un agent, de quelque fonction publique qu'il soit, ne peut-il imprimer une carte grise, remplir un dossier d'APA pour le compte du conseil général, faire une inscription à l'université ou au lycée pour une famille, ou encore accuser réception d'un dossier de permis de construire, d'aménagement de clôture ou d'un mouvement de terrain, dès lors qu'il dispose d'un ordinateur ?
Nous ne devons pas avoir peur d'aborder le sujet de cette manière. Cela passe pour moi par deux actions : une action de labellisation de ces points d'accueil afin que l'usager soit assuré du délai de réponse à sa demande, et une action de formation afin que l'employé soit qualifié dans l'accueil et dans le fonctionnement des administrations.
Je crois comme vous, monsieur le rapporteur, qu'une partie de la résolution de l'accès aux services passe par une meilleure formation et une meilleure qualification, donc une revalorisation du statut et une meilleure rémunération. À cette fin, il faudra aussi installer dans un certain nombre de territoires de la République des membres de la fonction publique quelle qu'elle soit.
Nous allons aussi ouvrir toutes les portes du décloisonnement et de la polyvalence, en ouvrant les maisons de services publics aux services privés. Tout cela sera fait avant la fin du mois. Nous allons faciliter la création de groupements d'employeurs publics. Enfin nous allons assouplir les règles de cumul d'emplois publics permettant à une même agence de travailler plus facilement pour plusieurs administrations.
Je ne voudrais pas clore mes réactions sur vos propositions sans évoquer votre chapitre sur la façon de penser l'organisation des services publics en l'absence de cadre juridique prédéfini. Je me suis parfaitement reconnu dans votre proposition. Oui, il faut conforter le service public, et cela passe par une meilleure définition, voire une redéfinition des obligations de service public. Oui, le champ du service universel doit être évolutif et tenir compte des changements de technologies et de besoins. C'est pourquoi je souhaite que l'extension du service universel des télécommunications soit débattue dès les travaux préparatoires à la prochaine révision, qui aura lieu en 2008, de la directive européenne des services : le ministre d'Etat de l'intérieur et de l'aménagement du territoire est intervenu récemment en ce sens, en souhaitant en particulier l'inclusion à court terme de la téléphonie mobile dans le champ du service universel. Cela permettrait notamment de consolider l'action que nous menons actuellement dans le cadre d'un programme gouvernemental de résorption des zones blanches que j'évoquais.
Certains orateurs ont évoqué les pôles de compétitivité et les pôles d'excellence rurale. Bien évidemment, tout ce que nous évoquons ici doit relever d'une grande action transversale. Comment défendre le service public sans parler de compétitivité et d'attractivité des territoires ? Pour que chacun ait la volonté de pouvoir disposer d'un grand service public, ou au public, encore faut-il que le territoire lui assure une réelle attractivité. Les pôles de compétitivité, - qui furent pour moi un dossier tout à fait exceptionnel ? sont pour notre pays une aventure exceptionnelle. Les Etats-Unis, le Japon, l'Allemagne se sont dotés depuis près de dix ou quinze ans de cette politique de décloisonnement entre l'université, la recherche publique et privée et l'innovation industrielle. Mais nous n'imaginions pas, lorsque nous avons lancé un appel à candidatures pour quinze pôles de compétitivité dans notre pays, que nous recevrions cent cinq dossiers de candidature. Beaucoup ont dit qu'il s'agissait de saupoudrage. Non ! C'est une vraie politique au service de la création d'emplois, de l'innovation industrielle ainsi que de la compétitivité et de l'attractivité de nos territoires. Qui peut me dire aujourd'hui que la filière du décolletage dans la vallée de l'Arve, en Savoie, ferait concurrence au pôle de l'aéronautique, à Airbus, Dassault, la Snecma ou Thalès ? L'attractivité du territoire au service de l'innovation industrielle, c'est le pari de la réussite. La France qui gagne, la France qui bouge, qui a des idées, ce n'est pas que celle des grands projets scientifiques et des grands projets industriels, c'est aussi celle des talents et des intelligences que nous sommes capables de trouver et de valoriser sur un certain nombre de territoires ruraux. C'est pour cela que j'ai proposé la mise en place de trois cents pôles d'excellence rurale autour de la biodiversité, de l'écosystème, du tourisme, de la culture, de la télémédecine, des nouvelles technologies de l'information et de la communication au service du télétravail, des énergies renouvelables et de l'exploitation de nos ressources naturelles pour assurer la création de richesse et d'emplois sur l'ensemble de ces territoires, en complément des pôles de compétitivité.
Cette crise inouïe que nous avons connue avec trois semaines de violences urbaines au mois de novembre dernier a été pour certains un révélateur et a démontré à d'autres que notre pays, dans ce domaine, s'était enfermé depuis près de trente ans dans une certaine lâcheté qui consiste à privilégier les centres urbains anciens historiques, ou bien la ruralité au détriment d'un certain nombre de banlieues.
Le lieu au sein duquel nous nous trouvons doit veiller à cette véritable politique d'équité que je rappelais tout à l'heure. L'équité pour moi, est mieux que l'égalité, car elle consiste à donner plus à ceux qui ont moins et à veiller à un véritable équilibre des territoires.
En conclusion, je m'inscris volontiers dans l'esprit de votre chapitre consacré au respect dynamique des principes fondateurs du service public. Le respect de ces principes de continuité, d'égalité et d'adaptabilité, dites-vous, passe par une adaptabilité aux populations et aux territoires. Cette adaptabilité, je le disais il y a un instant, a pour moi un nom : c'est l'équité. C'est le principe fondamental que je veux mettre en oeuvre pour nos territoires, donc pour nos services au public sur les territoires. L'équité n'est pas un principe idéologique : c'est un principe d'action au service de notre bien commun. C'est pour cela que je ne suis pas surpris qu'il soit mis en avant par vos travaux, tant le CES est, de par sa composition, un vrai visage de la France et, de ce fait, le réflecteur d'un certain bon sens et d'un pragmatisme qui font souvent défaut à nos élites.
J'ai beaucoup appris parmi vous, en tant que ministre, je retire toujours des idées pertinentes de la lecture de vos rapports et je demande bien sûr à mes collaborateurs d'y puiser largement. Autant vous dire que je ne manquerai aucune occasion de revenir au sein de votre assemblée et que ma porte, en échange, est ouverte à tous vos membres et à tous vos rapporteurs.
Source http://www.ces.fr, le 2 mars 2006