Interview de MM. Bernard Accoyer, président du groupe parlementaire UMP à l'Assemblée nationale, et Josselin de Rohan (UMP), à Europe 1 le 7 mars 2006, sur la volonté du gouvernement de maintenir le contrat première embauche(CPE) face à l'opposition.

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Média : Europe 1

Texte intégral

Q- A vous deux, vous représentez l'ensemble de la majorité à l'Assemblée nationale et au Sénat. Vous votez l'égalité des chances, c'est le CPE, dans vos assemblées. Aujourd'hui, le pays tourne au ralenti. A quoi sert le Parlement, J. de Rohan, puisque c'est-à-dire la rue qui va décider ?
R- J. de Rohan : Ce n'est pas la rue qui décide dans un pays démocratique. Le Parlement s'est prononcé sur le texte sur l'égalité des chances qu comportait un article sur le CPE. Il a été discuté très longuement à l'Assemblée et voté à l'Assemblée, et il a été discuté pendant 90 heures au Sénat, fait l'objet d'un très grand nombre d'amendements et sans aucun artifice de procédure.
Q- Pourtant, B. Thibault, la CGT, les syndicats pensent qu'ils vont rassembler 500.000 personnes aujourd'hui dans les rues de France pour protester contre le CPE et obtenir qu'il disparaisse.
R- B. Accoyer : La légitimité qui est celle de cette mesure forte pour l'emploi des jeunes n'est pas discutable : le Parlement s'est prononcé. En réalité, la gauche est en train d'abuser la jeunesse, elle lui ment parce qu'elle ne lui a jamais rien proposé de durable, toujours des mesures précaires, toujours des discours, toujours des emplois subventionnés avec de l'argent public du déficit, des dettes qui, finalement, seraient un jour payés par les jeunes eux-mêmes. Et c'est cela qui est inacceptable. Nous voulons dire la vérité, simplement dire la vérité, aux jeunes : avec cette mesure, il y a que des avantages alors que la gauche ne propose toujours strictement rien.
Q- Mais vous savez que les économistes, les Français quand ils sont sondés déclarent que le CPE crée peu d'emploi et qu'il augmentera la précarité. D'autre part, la gauche politique, les syndicats et même le Medef sont plutôt hostiles - ou une grande partie du Medef. Qu'est-ce qui vous donne l'impression que vous pouvez avoir raison contre la plupart des forces qui s'expriment ?
R- J. de Rohan : D'abord, la présentation selon laquelle l'ensemble du patronat serait hostile à cette mesure est tout de même assez biaisée. D'abord, parce que madame Parisot elle-même a reconnu que le CPE avait quelques vertus. Ensuite, parce que le président de la CGPME me l'a dit sur tous les tons, et les PME sont jusqu'à présent les principaux employeurs en France, y compris les artisans. Voilà du côté patronal. Quant aux économistes, je tiens à votre disposition une bonne batterie d'économistes qui approuvent la mesure.
Q- Et moi, je vous en donnerais une autre qui la désapprouve.
R- J. de Rohan : Comme ça, cela prouve que les économistes sont partagés.
Q- Donc aujourd'hui - je demande à l'un et l'autre - vous ne demandez pas au Gouvernement le retrait du texte controversé ?
R- J. de Rohan : Certainement pas. Ce texte a été voté, discuté très largement dans nos assemblées. Le suffrage universel, jusqu'à présent, a quand même établi la légalité et nous sommes pour la légalité.
R- B. Accoyer : La vérité, c'est que de ne rien faire, de rester immobile comme le voudrait l'opposition, comme le voudraient certains syndicats, ce serait le pire coup porté à la jeunesse. Comment pouvoir accepter, dans un monde où tout change, où le taux de chômage en France est le plus élevé, malheureusement, de toutes les catégories d'âge, pourrions nous accepter, nous qui sommes en responsabilité, de ne rien faire ? C'est bien pour cela qu'il n'est pas question que la majorité - et nous le savons et nous le soutenons -, le Gouvernement puissent revenir sur cette mesure.
Q- Mais qu'est-ce qui vous rend sûr de ces mesures au point d'encourager ici, ce matin, le gouvernement Villepin à ne pas céder ?
R- J. de Rohan : Parce qu'il faut avoir des convictions et que de renoncer toujours, d'hésiter sans arrêt, de dire "on pourrait faire autrement", "on pourrait payer avec de l'argent public" - que l'on n'a pas ! - d'hypothétiques emplois qui ne déboucheraient sur rien, ce n'est plus acceptable. C'est le discours de la gauche, nous le rejetons.
Q- Vous savez que les syndicats - la CGT encore tout à l'heure -, les partis de gauche ont prévenu qu'il y aura après le 7 mars de nouvelles étapes, de nouvelles protestations et de nouveaux rendez-vous dans les rues. Cela vous fait-il pas changer ?
R- J. de Rohan : Je vous ferais remarquer que des manifestations, nous en avons eu beaucoup à propos de la réforme des retraites. Nous en avons eu à propos de la loi Fillon ; eh bien la loi sur les retraites a été adoptée. Aujourd'hui, on voit bien que c'était indispensable. La gauche n'avait rien à proposer dans ce domaine comme d'ailleurs dans le domaine de l'Education nationale, où son action a été plutôt néfaste pendant tout le temps où elle était au pouvoir.
Q- Ça, c'est de la polémique. Comment on en sort ce matin ? Que proposeriez-vous ? Est-ce qu'il faut aménager le texte, ouvrir une discussion avec les organisations syndicales maintenant ?
R- B. Accoyer : Il faut assumer nos responsabilités : nous soutenons le Gouvernement, le Gouvernement fait quelque chose, il y a une polémique purement politicienne, c'est une question de respect de la démocratie. La légitimité démocratique, jusqu'à ce jour en France, c'est quand même ce qui prévaut. Ce n'est pas une minorité qui représentera au maximum moins de 1 % des Français qui peut décider. Allez dans les universités et vous verrez qu'il y a beaucoup plus de jeunes qui veulent continuer à travailler !
Q- Justement, est-ce que vous comprenez que les étudiants qui manifestent, bloquent l'entrée des facultés aujourd'hui ?
R- B. Accoyer : Oui, parce qu'il y a un vrai problème démocratique : c'est qu'avec une minorité, en France, on fait le contraire de ce que souhaite la majorité. Nous avons connu ça en 1968, nous y étions dans les universités. C'est à nouveau la même chose et les dangers qui sont encourus par cette attitude sont toujours aussi graves.
Q- Le président de la République a fait entendre son soutien à D. de Villepin. La presse a observé que deux ministres concernés, J.-L. Borloo et G. Larcher sans parler des autres, n'ont pas fait preuve de beaucoup d'empressement à défendre le CPE.
R- J. de Rohan : Je ne peux pas vous laisser dire ça. J'étais au Sénat
pendant dix jours et les ministres dont vous parlez sont montés au
créneau avec beaucoup d'ardeur pour défendre ce texte. Et G.
Larcher, qui était là la plupart du temps, a fait preuve d'un très grand
dynamisme.
Q- Donc la presse se trompe...
R- J. de Rohan : Je ne partage pas son point de vue, c'est mon droit.
Q- L'UMP déclarait hier qu'elle était à 200 % avec le Gouvernement. Pourquoi a-t-elle laissé si longtemps D. de Villepin ?
R- J. de Rohan : Je ne trouve pas du tout que D. de Villepin était seul. Les deux groupes parlementaires ont soutenu sans faille D. de Villepin.
Q- Oui, mais vous savez que même dans les circonscriptions ? pardon de vous arrêter -, les élus donnaient l'impression de manquer de conviction et qu'ils croyaient peu au projet de loi.
R- B. Accoyer : Je ne suis absolument pas d'accord avec vous sur ce point. Je suis tout le temps dans les circonscriptions, j'ai vu les jeunes de l'UMP, je vois leur mobilisation, je vous la mobilisation des élus, des militants et du mouvement UMP lui-même, qui soutiennent activement la mesure. Non, il n'y a aucune divergence au sein de la majorité sur ce point et nous en sommes heureux.
Q- Vous connaissez l'un et l'autre très bien D. de Villepin, tous les mardis vous êtes ensemble au petit déjeuner de Matignon. Pourquoi est-il en première ligne chaque fois qu'il y a des risques ? Et de sa part, est-ce que c'est une analyse ou c'est son caractère ?
R- J. de Rohan : "On ne gouverne pas innocemment", disait Saint-Just. Et de toute façon...
Q- ...Attention, vous savez où cela l'a mené !
R- J. de Rohan : Oui, mais gouverner c'est prendre des risques. Il n'y a pas de pire attitude que celle de ne rien faire. Aujourd'hui, parce qu'il prend des risques, et puis parce qu'il faut réaliser un certain nombre de réformes, D. de Villepin s'expose. Il a sa majorité avec lui parce que c'est un combat courageux, il faut le reconnaître, mais nous n'avons pas le choix. C'est ou l'immobilisme, ce qui est détestable, ou prendre des risques. A tout prendre, il vaut mieux prendre des risques.
Q- D. de Villepin se montre très stoïque dans l'adversité, quand on le voit à l'extérieur. Sa glissade dans les sondages, est-ce qu'elle va continuer ou croyez-vous possible à un rebond ? Pensez-vous que jusqu'à présent, N. Sarkozy aide beaucoup au redressement politique de D. de Villepin ?
R- B. Accoyer : D'abord, s'agissant de D. de Villepin, il a du courage et il faut aujourd'hui du courage...
Q- Du courage ou de l'entêtement ?
R- B. Accoyer : ...Il faut du courage pour prendre les mesures et aller effectivement devant ceux qui disent qu'on aurait dû faire autrement. C'est tellement facile de parler. Quant à l'UMP et son président N. Sarkozy, je vous mets au défi sur ce texte - et d'ailleurs dans bien d'autres domaines - de trouver des déclarations qui auraient montré une certaine réserve quant à l'action gouvernementale. Il y a une unité. Certains diront que c'est de la langue de bois, mais non ! Regardez la gauche, et là vous verrez ce que c'est éclatement complet. Il n'y a, en réalité, aucune alternative à l'action courageuse, déterminée et qui sera efficace, du Gouvernement.
Q- Donc, D. de Villepin peut réussir et rester dans la compétition présidentielle ?
R- J. de Rohan : Ce n'est pas le problème. Dans l'immédiat, il est à la tête du Gouvernement, il a à faire passer un certain nombre de réformes. Ce n'est pas facile. Dans la tempête, j'observe qu'il a du sang froid et du courage.
Q- Ce soir, les députés reprennent un autre débat passionné : le projet de loi sur les droits d'auteur, adapter la création et la consommation culturelle au numérique. Le Gouvernement a retiré l'article 1, il va être supprimé ce soir. Alors, cela veut dire ?...
R- B. Accoyer : Cela veut dire que le Gouvernement a entendu le Parlement, une bonne partie des députés de l'UMP, et qu'il a travaillé pendant deux mois. Il a trouvé maintenant une nouvelle rédaction qui respecte le droit des auteurs, la liberté des internautes et qui apporte, on le verra ce soir dans les discussions, des réponses à toutes les questions.
Q- Mais je lis qu'entre la gauche et vous, ça va barder à l'Assemblée !
R- B. Accoyer : C'est vrai, la gauche n'ayant rien à proposer sur le fond, c'est sur la forme que maintenant elle manifeste, dans la rue, dans les hémicycles. Je trouve que c'est assez inquiétant parce qu'une vraie démocratie, nous aurions besoin d'avoir une gauche qui propose des choses concrètes. Or elle ne propose rien.
Q- Sur le téléchargement, le Gouvernement écoute, recule, s'adapte, retire, pourquoi pas sur le CPE ?
R- J. de Rohan : Parce qu'il y a pas de raison qu'une mesure qui est adaptée à notre économie soit retirée. C'est une bonne mesure.
Q- L'un et l'autre, vous applaudissez le patriotisme économique dont se réclame le Gouvernement. Beaucoup en Europe reprochent à la France, et d'ailleurs à l'Espagne et à l'Allemagne, de porter un mauvais coup à l'esprit européen en choisissant le nationalisme. Est-ce qu'on est dans cette situation : "pour être européen, il faut d'abord être national" ?
R- J. de Rohan : Non. Ce qu'il faut, c'est avoir des entreprises qui aient une masse critique, qui soient capables de répondre au défi de la mondialisation. Et aujourd'hui, la fusion, par exemple entre Suez et Gaz de France, c'est quelque chose qui est parfaitement logique sur le plan économique, il y a des synergies très fortes. Et qu'il y ait en France un groupe qui devienne le premier producteur de gaz naturel liquide du monde, c'est quelque chose dont il faut se réjouir.
Q- J'allais oublier : les sénateurs ont voté en première lecture, après 90 heures sur l'égalité des chances, y compris la nuit, il revient à l'Assemblée : quand le texte sera-t-il voté ?
R- B. Accoyer : Cet après midi. Il sera voté dans l'après midi.
Q- Et appliqué quand ?
R- B. Accoyer : Il y a des décrets quelques semaines plus tard.
Q- Les temps sont difficiles pour vous ?
R- J. de Rohan : Quand on gouverne, on a toujours des difficultés. Quand on est une majorité, on doit soutenir le Gouvernement qui est le sien, même dans la difficulté.
Est-ce que vous êtes sûr d'avoir le moral ?
B. Accoyer : Oui, nous avons le moral parce que nous sommes constamment sur le terrain et qu'on voit bien que les Français attendent des mesures concrètes.Source: premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 8 mars 2006