Déclaration de Mme Catherine Colonna, ministre déléguée aux affaires européennes, sur le droit des marques au niveau international, à l'Assemblée nationale le 4 avril 2006.

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Circonstance : Adoption du projet de loi autorisant l'approbation du Traité sur le droit des marques, à l'Assemblée nationale le 4 avril 2006

Texte intégral


Monsieur le Président,
Monsieur le Rapporteur,
Mesdames et Messieurs les Députés,

Dans le contexte actuel de mondialisation, les entrepreneurs qui désirent obtenir une protection efficace de leurs marques à l'échelon international sont confrontés à un certain nombre de complications dues à la multiplicité des exigences formelles actuellement en vigueur dans la communauté internationale et à l'absence de concordance des règles de fond exigées par les différents systèmes nationaux de propriété industrielle.
Le Traité sur le droit des marques a été négocié, sous l'égide de l'organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI), afin de remédier à ces inconvénients. Il a pour but d'harmoniser et de simplifier les procédures administratives nationales en matière de dépôt et d'enregistrement des marques. Il vise à imposer certaines règles fondamentales et à réduire les exigences formelles en les énumérant souvent de manière exhaustive. Les simplifications portent sur les obstacles majeurs que rencontrent les propriétaires de marques qui cherchent à obtenir à l'échelon international l'enregistrement de ces dernières ou à en maintenir la validité.
L'approbation de ce Traité sur le droit des marques n'implique aucune modification des dispositions actuelles législatives ou réglementaires du Code de la propriété intellectuelle qui sont conformes à nos engagements internationaux.
Le Traité offre cependant un grand intérêt dans la mesure où il propose à des Etats ayant des pratiques administratives longues et coûteuses de s'aligner sur les pratiques efficaces, déjà en vigueur dans un grand nombre de pays.
Il en résultera, pour les déposants français, une plus grande sécurité juridique, un raccourcissement des délais ainsi qu'une réduction des coûts de leurs procédures à l'étranger, susceptible de favoriser le développement de nos échanges internationaux.
La ratification de ce Traité par la France est, par ailleurs, d'autant plus souhaitable que notre pays vient de signer, le 28 mars dernier, le Traité révisé sur le droit des marques. Ce nouvel instrument, adopté à l'issue d'une conférence diplomatique qui s'est tenue à Singapour, sous l'égide de l'OMPI, modifie le présent Traité de 1994 en poursuivant les efforts de simplification et d'harmonisation des procédures des offices de propriété intellectuelle concernant les marques.
Telles sont, Monsieur le Président, Monsieur le Rapporteur, Mesdames et Messieurs les Députés, les principales observations qu'appelle le Traité sur le droit des marques (ensemble une annexe), adopté à Genève le 27 octobre 1994, qui fait l'objet du projet de loi aujourd'hui proposé à votre approbation.
M. Jacques Remiller, rapporteur de la commission des Affaires étrangères Comme vient de l'indiquer Mme la Ministre, le Traité sur le droit des marques dont nous sommes saisis a été conclu il y a plus de dix ans, en 1994, et il est entré en vigueur depuis le 1er août 1996. Contrairement à ce que laisse entendre son intitulé, ce Traité n'est pas l'instrument qui fixe les grands principes du droit international des marques. Il n'en constitue qu'une première étape, puisqu'il se borne à harmoniser et simplifier les procédures administratives nationales. Modeste, cet objectif est cependant important, dans la mesure où il propose à des Etats ayant des pratiques administratives longues et coûteuses de s'aligner sur les pratiques efficaces déjà en vigueur dans un grand nombre de pays. A cette fin, il définit le maximum exigible d'un déposant voulant enregistrer une marque dans son pays, tant au stade de l'enregistrement initial que de son renouvellement ou de sa modification. Les deux principes clés du Traité sont donc la protection des entreprises et la simplification des démarches.
On pourrait s'interroger sur la légitimité d'un traité international pour déterminer des procédures nationales. Cette démarche est liée au caractère fondamentalement international du droit des marques, tel qu'il s'est construit depuis la fin du XIXème siècle. Ainsi, les règles relatives à l'enregistrement international ont été forgées dès l'arrangement de Madrid, en 1891, complété par un protocole de 1989. Le système de Madrid permet au déposant d'obtenir la protection de sa marque dans tous les Etats liés par des conventions sur la propriété intellectuelle en n'effectuant qu'un seul dépôt dans son pays.
D'où l'intérêt de définir en amont une procédure d'enregistrement nationale simple et efficace. Un tel système est d'autant plus justifié que la mondialisation économique fait des marques au départ simples signes distinctifs d'une entreprise des identifiants au rôle stratégique. Il est en effet économiquement prouvé qu'un produit ou un service de marque est plus rentable et offre un avantage concurrentiel certain. Inutile de préciser qu'avec la concurrence toujours plus vive qui prévaut aujourd'hui, l'importance de ces actifs immatériels que sont les marques ne fait que croître : c'est tout le sens de la lutte contre la contrefaçon engagée par notre pays, cette activité coûtant chaque année 30 000 emplois à la France et 200 000 à l'Union européenne.
Au regard de ces enjeux, il peut paraître étonnant que notre pays n'ait pas encore approuvé le Traité sur le droit des marques. A dire vrai, cet état de fait s'explique aisément : l'ordre juridique interne est déjà conforme aux prescriptions internationales, notre pays se caractérisant par une législation nationale très protectrice de longue date pour les déposants. En outre, les quelques dispositions du droit français qui n'étaient pas conformes ont été modifiées par un décret du 25 février 2004.
En réalité, si l'approbation du Traité est éminemment souhaitable, c'est moins pour des motifs juridiques que pour des raisons politiques et diplomatiques. En effet, le Traité sur le droit des marques doit connaître des modifications importantes en 2006, afin que soient notamment prises en compte les évolutions technologiques. A ce titre, c'est sur la question du dépôt électronique des demandes d'enregistrement que devraient avoir lieu les avancées les plus notables. Au-delà, l'OMPI envisage de faire progresser les règles relatives au droit international des marques. Dans ces négociations aux enjeux économiques de premier plan, il importe que la France puisse faire valoir ses vues, la première condition étant qu'elle approuve le présent Traité. C'est pourquoi, dans sa séance du 8 juin 2005, la commission des affaires étrangères a recommandé cette approbation.
M. Guy Lengagne Le groupe socialiste votera ce texte, sur la recommandation de notre excellent rapporteur. L'on peut certes se demander pourquoi il a fallu attendre si longtemps pour ratifier ce Traité mais je ne m'y attarde pas. Une curiosité cependant : la Turquie, particulièrement active dans la contrefaçon des chemises Lacoste l'a-t-elle ratifié ? Mon idée n'est évidemment pas de mettre en cause le processus d'adhésion de la Turquie à l'Union européenne mais de renforcer la lutte contre la contrefaçon massive que subit ce fabricant national. A lire le rapport écrit de mon ami Remiller, je me demande aussi si cette approbation ne vient pas bien tard, après que les négociations essentielles menées sous l'égide de l'OMPI ont déjà eu lieu le mois dernier. N'y voyez pas malice, mais est-il bien logique de ratifier le 4 avril un texte dont les principaux enjeux ont été rediscutés du 13 au 31 mars ?
Sur le fond, je remarque que l'on a peu parlé de la publicité sur Internet, et, en particulier, des messages intrusifs tendant à promouvoir certains médicaments stimulants ou des neuroleptiques. Que peut-on faire pour les combattre ? Si l'on en croit Marc-Antoine Jamet, secrétaire général du groupe LVMH, Google et eBay sont les principaux vecteurs de la contrefaçon. Celle-ci peut concerner tous les produits, des chemises jusqu'aux batteries de téléphones portables, en passant par les cartouches d'encre pour les imprimantes. Cela pose un problème de responsabilité.
Je voudrais aussi évoquer les tentatives que font certains pour breveter le vivant et mettre sous une marque protégée comme telle les plantes qui peuvent encore être découvertes ici ou là. Il faut empêcher ces tentatives d'appropriation.
Le rapporteur nous dit, à juste titre, que la contrefaçon fait perdre à la France quelque 30 000 emplois par an. Je pense donc que ce gouvernement, toujours désireux de diminuer le nombre de fonctionnaires, serait bien inspiré de ne pas faire baisser, voire d'augmenter celui des douaniers, qui sont en première ligne dans la lutte contre la contrefaçon. Tout le monde y gagnerait.
M. Bernard Schreiner Les marques jouent un rôle essentiel dans l'économie et il est impératif de les protéger. Il est également nécessaire d'harmoniser sur le plan international le droit des marques. Tel est l'objet du Traité qui est soumis à notre approbation, plus de dix ans après sa signature.
Ce texte constitue une première étape, car le droit de la propriété intellectuelle est appelé à connaître d'importantes évolutions dans les prochaines années. La France doit en être partie prenante.
Je ne reviendrai pas sur le contenu du Traité, j'insisterai seulement sur la nécessité de l'approuver, compte tenu des conséquences désastreuses de la contrefaçon. En tant que membre du Conseil de l'Europe, j'ai été amené à travailler sur ce sujet, en particulier sur la contrefaçon de médicaments. L'OMS estime que 8 à 10% des médicaments vendus dans le monde sont contrefaits ; ce chiffre atteint 25% dans certains pays africains ou asiatiques ; le Pakistan et le Nigeria détiendraient un record mondial avec un taux de 50% ! Dans l'Union européenne, la contrefaçon reste rare, mais elle augmente en Europe orientale et surtout en Russie.
La contrefaçon concerne bien d'autres domaines : pièces détachées pour voitures et même pour avions, jouets, matériel électroménager, CD, logiciels, produits de luxe... M. Copé, ministre du Budget, et M. Loos, ministre de l'industrie, ont donc lancé une grande campagne d'information sur ce marché parallèle, qui représente environ 10% du commerce mondial. Que de tromperies et de vols aux dépens des consommateurs ! Que de recettes fiscales et sociales perdues pour les Etats ! Que d'emplois détruits ! Ces contrefaçons se développent d'autant plus vite qu'elles dégagent, pour les réseaux criminels qui les organisent, d'énormes bénéfices, pour peu d'investissements.
Dans le domaine pharmaceutique, le phénomène est particulièrement grave, car les contrefaçons peuvent tuer. Un faux vaccin contre la méningite avait ainsi fait 2.500 morts au Nigeria. Et en Asie du sud-est, de faux comprimés contre le paludisme ont entraîné la mort de nombreuses personnes qui se croyaient à tort protégées.
C'est pourquoi le groupe UMP, au-delà de son approbation sans réserve du Traité, insiste sur la nécessité de renforcer notre vigilance face à la contrefaçon et d'adapter notre législation de façon à répondre à l'évolution de la criminalité organisée.
La discussion générale est close.
M. le Rapporteur La Turquie a ratifié le Traité, Monsieur Lengagne, le 1er janvier 2005. Vous et M. Schreiner avez raison de dire que tous les produits sont concernés par la contrefaçon, les médicaments mais aussi les moteurs d'avion, les vêtements de luxe et bien d'autres choses. Je me rappelle que deux heures avant le coup d'envoi de la finale de la Coupe de France, les douaniers avaient saisi des contrefaçons d'écharpes du club de Sedan, qui arrivaient de Belgique, Monsieur le Président. Je ne suis pas sûr que le nombre de douaniers soit en baisse, Monsieur Lengagne. Je rends hommage à leur travail ainsi qu'à celui des services de l'armée habilités à lutter contre la contrefaçon. Je salue aussi l'action en ce domaine de M. Copé et des autres ministres concernés.
M. le Président Je vous remercie de l'énergie que vous mettez à défendre la marque du club de Sedan.
Mme la Ministre déléguée J'ai déjà dit les principales raisons pour lesquelles le gouvernement estime qu'il faut ratifier ce traité. Je les résumerai en disant que cela apportera de la sécurité juridique à nos déposants et je renouvelle donc mon invitation à l'Assemblée.
M. le Président J'appelle maintenant l'article unique du projet de loi dans le texte du gouvernement.
L'article unique du projet de loi, mis aux voix, est adopté.
M. le Président A l'unanimité

Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 6 avril 2006