Déclaration de M. Dominique Perben, ministre des transports, de l'équipement, du tourisme et de la mer, sur le bilan du secteur du transport aérien pris entre "concurrences" et "réglementations" et sur la réforme de l'organisation du secteur aéroportuaire, Paris le 23 mars 2006.

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Circonstance : Colloque "Avenir transport : le transport aérien entre concurrences et réglementations" à Paris le 23 mars 2006

Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs,
C'est avec plaisir que je me retrouve pour la seconde fois parmi vous pour ouvrir un colloque d'Avenir Transports.

Vous avez aujourd'hui choisi pour thème de réflexion : ''Le transport aérien entre concurrences et réglementations''. C'est un thème aussi riche que primordial. Tous les acteurs du transport aérien qui sont aujourd'hui ici rassemblés, et que je salue, vont pouvoir faire le point et échanger leurs vues sur quelques questions essentielles pour l'avenir de ce secteur d'activité.

Faut-il considérer que les termes de concurrence et de réglementation sont antinomiques ? Faut-il considérer qu'il s'agit là des deux forces contre lesquels les acteurs du transport aérien auraient à se battre au quotidien : une concurrence synonyme de baisse des prix, une réglementation synonyme de hausse des coûts ?

En réalité, nous le savons bien, concurrence et réglementation sont complémentaires. Elles sont l'une et l'autre nécessaires pour assurer un développement dynamique et sain du transport aérien.
I.- Les concurrences
Le choix du pluriel pour les mots « concurrence » et « réglementation » est judicieux. S'agissant de concurrence tout d'abord, c'est bien à plusieurs formes de concurrence que se trouvent confrontés les transporteurs européens :

? A l'intérieur du marché européen, la concurrence est ouverte depuis l'adoption du 3ème paquet. Tout transporteur européen peut ouvrir les liaisons qu'il souhaite.
? A l'extérieur de celui-ci, c'est-à-dire pour les services aériens entre l'Europe et les pays tiers, les compagnies doivent disposer de droits de trafic et être désignées avant d'assurer une nouvelle liaison. Sur ces axes, la concurrence est dès lors relativement encadrée, je veux dire, atténuée.
Si la libéralisation du transport aérien remonte à la fin des années 70 aux Etats-Unis, elle est aujourd'hui un fait qui dépasse largement les continents américain et européen :

? De nombreux pays fondent désormais leur développement sur ce mode d'organisation.

? Les compagnies aériennes porte-drapeaux, jusqu'ici vecteurs de l'indépendance des Etats, ont cédé la place à des entreprises mondiales. Les compagnies sont soucieuses de gagner des parts d'un marché globalisé. Elles s'évadent donc de plus en plus de leur marché naturel.

C'est pourquoi la concurrence s'accentue, et le terrain de jeu s'élargit :

? Celui-ci s'étend de jour en jour, avec l'émergence de pays économiquement très dynamiques . Les compagnies de la région du Golfe ont pris en peu d'années une place importante dans le transport de passagers depuis la France et les autres pays européens. Celles de la Chine et de l'Inde prévoient, à leur tour, achats d'appareils, ouverture de lignes, investissements aéroportuaires à un rythme soutenu.

? Le transport européen est également confronté à la concurrence des compagnies charters originaires des pays du pourtour méditerranéen. Les conditions économiques avantageuses dans lesquelles elles opèrent les rendent particulièrement efficaces.

? Le transport français, en particulier, est de plus en plus concurrencé par les compagnies à bas coûts, y compris sur les liaisons intérieures. Il l'est tout autant par le TGV, dont la place dans le transport de passagers sur le territoire national ne cesse de grandir. Toutefois, il s'agit là non seulement d'un élément de concurrence, mais également de complémentarité avec le transport aérien au bénéfice des passagers, chaque mode devant trouver sa place, en fonction de ses atouts.
Dans ce cadre de plus en plus concurrentiel, le transport aérien européen et notamment français se doit d'anticiper, d'identifier ses véritables atouts afin d'ancrer solidement sa croissance :

? Le dynamisme du transport aérien n'est en effet plus à démontrer. Surmontant tous les obstacles rencontrés depuis septembre 2001, le secteur a retrouvé son allure de croisière, fondant son développement sur une amélioration de sa productivité, pour contrebalancer l'augmentation des cours du pétrole.

? A l'évidence, tous les acteurs n'ont cependant pas su trouver les ressources humaines et financières pour s'adapter. Nous avons eu malheureusement, en France notamment, à déplorer des disparitions d'entreprises, créant des problèmes humains liés à des suppressions d'emplois.

II.- Les réglementations
Deuxième élément du thème choisi pour votre colloque, la « réglementation », qui recouvre également des réalités multiples :

? Les autorités publiques doivent maintenir une grande vigilance sur les activités de transport aérien. En effet, comme pour tous les modes de transport, ces activités ne sauraient être réduites à leur seule composante économique, si fondamentale soit-elle.

? Le transport aérien est-il en mesure de se passer de réglementation ?

A cette question, je crois que l'on peut d'emblée apporter un élément de réponse : garant de l'intérêt général, l'État se doit d'être très vigilant lorsqu'en particulier la sécurité ou la sûreté sont en cause. Il en va de même s'il s'agit de l'environnement, ou des droits du passager aérien.

Dans un contexte de libéralisation, ces principes s'imposent tout particulièrement :

? L'État, mais aussi, dans beaucoup de ces domaines aujourd'hui, la Commission européenne, interviennent, bâtissant un cadre que l'on peut quelquefois trouver rigide. Mais il a le mérite de placer à égalité tous les acteurs européens. On peut cependant s'interroger sur la progression plus lente de l'harmonisation sociale en Europe.

? La sécurité des vols est essentielle, pour les passagers en premier lieu, mais aussi pour les compagnies aériennes elles-mêmes.

En novembre dernier, la France a pris l'initiative de présenter un Mémorandum à la commission européenne. Son but est de renforcer les règles de sécurité applicables aux compagnies de pays tiers, à la suite d' accidents dramatiques, comme celui de Charm el Cheikh et, plus récemment, du Venezuela.

Ce mémorandum a inspiré la position européenne défendue à la dernière Conférence sur la sécurité des directeurs généraux de l'aviation civile.

Nul ne contestera que la puissance publique adopte une réglementation concernant la sûreté. La question du financement de ces mesures est en revanche plus controversée. Des réponses différentes ont été formulées. Cependant, en règle générale, c'est bien le secteur aérien lui-même qui les finance.
Autre question d'actualité : la France va bientôt ouvrir la voie à une nouvelle contribution à la solidarité internationale, plus précisément au financement d'un Fonds de développement pour la lutte contre les pandémies. A compter du 1er juillet prochain, une taxe sera prélevée sur les billets d'avion dans cet objectif :
? Lors de la Conférence de Paris qui s'est tenue le 28 février dernier, un certain nombre de pays ont affiché leur intention de mettre en oeuvre une contribution internationale de solidarité sur les billets d'avion. Ils rejoignent ainsi le Chili, le Royaume-Uni et la France. D'autres pays ont également déclaré envisager de suivre leur exemple. La France souhaite effectivement être rejointe par de nombreux pays dans cette démarche importante pour le développement des pays défavorisés. De plus, le transport aérien ne doit pas rester le seul instrument de financement innovant.

En matière de défense de l'environnement, le transport aérien se doit de contribuer à limiter les effets de son activité, que sont les émissions de gaz polluants et le bruit autour des aéroports. C'est dans cet esprit que les autorités françaises contribuent, à Bruxelles, aux réflexions du groupe de travail Aviation, suscité par la Commission. Celle-ci a pour objectif l'élaboration, pour l'automne prochain, de lignes directrices en vue d'intégrer le transport aérien dans le protocole de Kyoto. En parallèle, la France, par l'intermédiaire de ses représentants à l'OACI, contribue aux recherches menées pour prendre en compte de manière juste et équilibrée les émissions de l'aviation dans le même protocole.

L'intervention des pouvoirs publics me paraît également nécessaire, compte tenu des spécificités du secteur, pour ce qui est de la protection des consommateurs :

Comme vous le savez, les droits des passagers sont de plus en plus pris en compte par la réglementation, en particulier par la réglementation communautaire. C'est le bon niveau pour prendre des mesures en ce domaine. Je voudrais en particulier citer trois textes importants.

? C'est, tout d'abord, le règlement européen sur l'indemnisation et l'assistance due aux passagers en cas de refus d'embarquement, à la suite de surréservations, d'annulations et de retards importants, qui est entré en vigueur en février 2005.

? C'est ensuite le règlement sur l'établissement d'une liste communautaire de transporteurs aériens qui font l'objet d'une interdiction d'exploitation dans la Communauté, et l'information des passagers sur leur transporteur effectif.

? La liste noire européenne vient d'être validée par la commission européenne, c'est un pas très important qui vient d'être franchi.
Toutefois, le volet concernant l'information des passagers n'entrera en vigueur que pendant l'été. J'ai donc souhaité anticiper ces changements par un décret. Il vient d'être publié, afin que tout voyageur qui achètera un billet d'avion ou un forfait touristique soit informé dès maintenant du nom de la compagnie qui va effectivement le transporter.

? C'est enfin un règlement sur les droits des passagers aériens à mobilité réduite. Il est actuellement en cours de finalisation.

Enfin, s'agissant de la gestion des aéroports, le gouvernement, vous le savez, mène actuellement une réforme d'ensemble de l'organisation du secteur aéroportuaire :

? D'une part, les aéroports d'intérêt régional ou local de l'État vont être décentralisés, en application de la loi sur les responsabilités locales.
Aux côtés des exploitants aéroportuaires, les collectivités locales, par nature plus proches que l'État des utilisateurs et des besoins des économies locales, vont pouvoir pleinement jouer leur rôle pour améliorer les conditions d'accueil des transporteurs aériens.

? D'autre part, la loi relative aux aéroports d'avril 2005 a prévu des évolutions historiques concernant les grands aéroports : Aéroports de Paris a changé de statut : Elle est devenue une société anonyme, dont le capital devrait être ouvert dans quelques semaines, de façon minoritaire, au secteur privé.
Le régime de gestion des aéroports régionaux majeurs qui restent du ressort de l'État va évoluer, avec la mise en place de sociétés concessionnaires, dont une part du capital sera détenue par les opérateurs actuels.
Enfin, le dispositif de régulation économique des grands aéroports est profondément réformé. Il sera désormais fondé de manière préférentielle sur des contrats pluriannuels. Le premier d'entre eux a été récemment conclu entre Aéroports de Paris et l'État.

Pour ce qui concerne les principaux aéroports, cet ensemble de réformes va contribuer à un nouveau mode de relation entre l'administration, les opérateurs aéroportuaires et leurs usagers, plus responsable et plus réactif. Les entreprises aéroportuaires vont pouvoir développer une attitude de service. Elles pourront mieux prendre en compte les besoins de leurs clients :

? Ainsi, les contrats de régulation, à l'instar de celui d'Aéroports de Paris, faciliteront la réalisation des investissements nécessaires au développement du transport aérien. Ils incluront également des normes de qualité de service au bénéfice des utilisateurs de l'aéroport, aussi bien les compagnies aériennes que les passagers.

? Il est trop tôt, bien sûr, pour prendre pleinement la mesure des effets bénéfiques que le transport aérien pourra tirer de cette réforme . L'un des objectifs essentiels de ce nouveau dispositif est de faciliter l'amélioration de la performance opérationnelle et économique des entreprises aéroportuaires.

Ce cadre réglementaire, vous pouvez le penser, est contraignant pour le transport aérien. Il induit des charges d'exploitation. Mais il demeure indispensable, pour accompagner le développement d'un secteur économique au profit de ses acteurs. Il est indispensable également pour faire accepter la croissance du transport aérien par les riverains, pour redonner confiance aux passagers, après les récents accidents que nous avons subis.

S'agissant enfin des perspectives à moyen terme, de la place de la France et de l'Europe, de leurs ambitions dans le marché mondial, quelle politique doit être la nôtre ?
Tout d'abord, me semble-t-il, notre politique doit prendre en compte le contexte européen. D'autant plus que nous avons, avec le regroupement d'Air France-KLM, le premier groupe européen digne de ce nom. Le bon niveau de discussions est désormais, pour un certain nombre de pays, le niveau communautaire.

Je prendrai pour exemple la situation sur l'Atlantique Nord.

Sur mandat du Conseil, la Commission européenne a négocié un accord aérien communautaire avec les Etats-Unis. Dans ce projet d'accord, que nous espérons voir prochainement adopté, la France a particulièrement insisté sur l'importance d'une certaine convergence des règles applicables, en matière de concurrence notamment, de part et d'autre de l'Atlantique.

Ce projet d'accord prévoit une large libéralisation des services aériens entre l'Europe et les Etats-Unis, dans l'intérêt des passagers. Mais il me paraît primordial que les compagnies européennes ne soient pas confrontées, de part et d'autre de l'Atlantique, à des règles trop différentes, voire contradictoires, dans les domaines de la concurrence et des aides d'État particulièrement. Notre but, c'est d'éviter à tout prix d'aboutir à une situation concurrentielle qui favoriserait les compagnies américaines, et pénaliserait les compagnies européennes.


Mesdames et Messieurs,

Pour conclure mon propos, je souhaite vous dire que vous pouvez compter sur la vigilance du Gouvernement, et sur la mienne en particulier, pour que le bon équilibre soit trouvé entre l'amélioration des conditions de concurrence dans lesquelles sont aussi placées les entreprises françaises, et la sauvegarde de la compétitivité du transport aérien français.

J'attends beaucoup de vos débats, que je souhaite fructueux. Ils seront une contribution précieuse à nos analyses et à la définition de notre stratégie. Je remercie très sincèrement le président d'Avenir Transports de son initiative d'aujourd'hui. Elle va, grâce à votre réflexion commune, Mesdames et Messieurs, permettre de nourrir un débat ouvert, nécessaire à tous les citoyens et à leurs élus ! Source http://www.equipement.gouv.fr, le 28 mars 2006