Déclaration de M. François Baroin, ministre de l'outre-mer, sur le projet de loi sur l'immigration clandestine, sur la situation des clandestins outre-mer et notamment sur les mesures de contrôle prises à Mayotte, à l'Assemblée nationale le 2 mai 2006.

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Texte intégral

Monsieur le Président,
Monsieur le Président de la commission des lois,
Monsieur le Rapporteur,
Mesdames et Messieurs les Députés,
L'immigration clandestine en outre-mer est bien évidemment un sujet complexe et délicat. Il l'est d'autant plus au regard de territoires eux-mêmes complexes.
Le soleil lointain d'Outre-Mer voile souvent des réalités humaines tragiques.
Il existe d'un côté une situation inacceptable : une immigration irrégulière, alimentée par les filières clandestines, qui déstabilise des territoires fragiles, qui bouleverse les équilibres sociaux et économiques ultramarins. Et d'un autre côté, le nécessaire respect de la dignité humaine. Il s'agit de trouver le juste équilibre entre une action renforcée, une plus grande fermeté lorsque cela s'impose et une exigence d'humanisme.
Bien souvent, l'insularité de ces territoires - à l'exception naturellement de la Guyane -, l'exiguïté provoquée par une forte densité de population, un taux de chômage deux à trois fois supérieur à celui de la moyenne nationale, exacerbent les tensions ; la pression migratoire est de plus en plus mal acceptée.
Je prendrai l'exemple de Mayotte : sur une population de 160 000 habitants, on estime à 45 000 le nombre de personnes en situation irrégulière. Avec une proportion identique, cela signifierait qu'en métropole, on compterait 18 millions d'étrangers en situation irrégulière...
De misérables embarcations se transforment en tombeaux pour des Comoriens qui voyaient notre pays comme un Eldorado. Des femmes mahoraises refusent la scolarisation de petits anjouanais.
Que reste-t-il alors de notre pacte social ? Que reste-t-il alors des fondements-mêmes de notre République et du vouloir-vivre ensemble ?
Au-delà du fonctionnement de notre société, l'immigration clandestine à Mayotte, par son ampleur doit être regardée comme posant la question même de notre souveraineté.
L'immigration clandestine affaiblit notre pacte républicain outre-mer, elle affaiblit l'image de la France. Cette image, cette réalité, sont celles de la générosité, de l'ouverture, de la solidarité, de la tolérance.
C'est au nom de cet idéal humaniste que nous avons le droit, et même le devoir d'adresser des messages forts et clairs.
Si, au sein de la République, la liberté est la règle, il n'y a pas de liberté sans règle : c'est ce que nous disons à toutes celles et tous ceux qui souhaitent vivre sur notre territoire. Ces règles, ce sont celles qui servent à préserver notre cohésion sociale. Elles sont celles des mesures législatives que je vous présente aujourd'hui avec le Ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et qui s'imposent au regard de la situation que nous vivons outre-mer.
Ces mesures sont le fruit du travail du Comité Interministériel de Contrôle de l'Immigration présidé par le Premier Ministre, des propositions de vos collègues Louis-Carabin et Beaugendre et des propositions de la mission d'information sur l'immigration à Mayotte. Je tiens à saluer ici le travail de cette mission qui s'est rendue sur place et particulièrement son président René Dausière et son rapporteur Didier Quentin.
Ces mesures législatives s'inscrivent dans notre cadre constitutionnel qui permet, au titre de l'article 73 de la Constitution pour les départements et les régions d'Outre-Mer d'adapter notre législation aux « caractéristiques et contraintes particulières de ces collectivités ». Pour Mayotte, il s'agit au titre de l'article 74, d'élaborer une législation conforme à ses intérêts propres au sein de la République.
Bien évidemment au nom du principe d'identité législative, l'intégralité du projet de loi pour ses titres I à V s'applique aux départements d'Outre-Mer ainsi qu'à Saint-Pierre et Miquelon. Enfin il vous est proposé, conformément à l'article 38 de la Constitution, d'autoriser le gouvernement à prendre par ordonnances les mesures nécessaires à l'application des dispositions de ce projet de loi dans les Collectivités d'Outre-mer, en Nouvelle-Calédonie et dans les TAAF. Bien évidemment, pour la Nouvelle-Calédonie, la Polynésie Française, les îles Wallis-et-Futuna il sera procédé à une consultation préalable des assemblées délibérantes avec ce souci constant du consensus nécessaire à la vie politique et sociale outre-mer.
Dans le même esprit, le gouvernement vous demande de ratifier un certain nombre d'ordonnances relatives aux conditions d'entrées et de séjour des étrangers et au droit d'asile.
Mesdames et Messieurs les Députés,
La France n'a pas assez anticipé la proportion des flux migratoires auxquels elle a à faire face aujourd'hui en outre-mer. Elle n'a donc pas réagi à temps. Il faut être conscient de la situation à laquelle nous sommes confrontés : ni l'armée française ni la police ne suffiront à surveiller l'ensemble si vaste des côtes et des fleuves de Guyane ; on ne pourra pas ériger des barrières autour de la Guadeloupe ou la Martinique.
La tentation de venir en France, pour tant de Comoriens, ou tant de Haïtiens, sera toujours aussi forte, précisément parce que c'est la France. Nous ne pourrons pas lutter efficacement contre l'immigration irrégulière sans réévaluer les outils de coopération avec les pays au niveau de développement inférieur au nôtre. Beaucoup reste encore à faire en ce domaine. Ce sont des actions qui prendront évidemment du temps. Il faudra bien des années, par exemple, avant que disparaisse l'écart de PIB par habitant entre Mayotte et les Comores, qui est actuellement de un à neuf.
Pour cela, nous devons veiller à mieux coordonner nos différents instruments d'intervention. Il s'agit là d'un chantier majeur pour les années à venir, à mener de pair avec une action diplomatique vigoureuse.
C'est l'honneur de notre pays que de conduire des politiques de développement qui ne peuvent se résumer à « abonder des fonds dans un puits qui n'en a pas ».
Mesdames et Messieurs les Députés,
Permettez-moi de vous expliciter les grandes lignes des mesures législatives que nous vous présentons et leurs objectifs.
Il s'agit en premier lieu de faciliter pour les forces de l'ordre la recherche et l'interpellation des clandestins, en luttant contre les filières organisées.
Des contrôles d'identité en vue de lutter contre l'arrivée de clandestins seront désormais permis dans une bande terrestre bien déterminée en Guadeloupe et Mayotte (art. 78). Cette mesure est expérimentée pour une durée de cinq ans au terme duquel un bilan sera effectué. De même, des contrôles sommaires des véhicules pourront être effectués dans des conditions similaires.
Le combat contre les filières sera intensifié : les forces de l'ordre disposeront d'un fondement juridique pour détruire, en Guyane, les embarcations fluviales non-immatriculées et immobiliser les véhicules terrestres autres que particuliers servant à transporter illégalement des clandestins toujours en Guyane ainsi qu'en Guadeloupe et à Mayotte (art. 71).
Par ailleurs, pour tenir compte des particularités géographiques de Mayotte, le projet de loi vise à porter de quatre à huit heures le délai dont disposent les forces de l'ordre pour procéder à leur placement en centre de rétention administrative (art. 79).
Ce projet de loi modernise en second lieu notre droit pour rendre nos procédures administratives plus efficaces. Il s'agit de se donner les moyens de faire face à la pression migratoire, de gérer avec plus de cohérence les mesures d'interdiction du territoire et d'expulsion, ainsi que d'adopter une démarche volontariste de lutte contre le travail clandestin.
Ainsi, le projet de loi vise à étendre le caractère non suspensif des recours contre les arrêtés de reconduite à la frontière à l'ensemble des communes de la Guadeloupe (art. 67). Cette mesure, qui sera expérimentée sur une durée de cinq ans, permettra d'éloigner rapidement les étrangers en situation irrégulière.
Ce texte prévoit, de plus, l'extension à l'ensemble du territoire de la République des mesures d'interdiction du territoire et des mesures de reconduite à la frontière et d'expulsion prononcées en outre-mer (art. 69), et de limiter l'autorisation de travail accordée à l'étranger sur le fondement d'un titre de séjour au seul département pour lequel elle a été délivrée (art. 72).
Enfin, j'ai souhaité prendre des mesures efficaces contre le travail clandestin qui mine les fondements de l'économie ultramarine et renforce les filières clandestines. L'emploi non déclaré de personnels de maison, pratique tolérée jusqu'à maintenant à Mayotte et qui s'est banalisée, doit cesser. On ne peut se plaindre de l'immigration clandestine et dans le même temps y avoir recours pour son usage privé. Ce type de comportement n'a plus sa place dans notre République. Par conséquent, ce projet de loi rend applicable les mesures de contrôle contre le travail dissimulé prévues par le code du travail de la collectivité départementale de Mayotte aux employés de maison, qui s'en trouvaient jusqu'à présent exclues (art. 77). Sous le contrôle du juge, les officiers de police judiciaire seront autorisés à procéder à des visites domiciliaires, à perquisitionner et à saisir des pièces à conviction dans les lieux de travail, même lorsqu'il s'agit de locaux habités.
Enfin, après un débat vigoureux et utile, nous vous proposons, pour Mayotte précisément, de modifier les règles de reconnaissance de paternité.
Je tiens à vous rassurer sur un point : pour ce qui concerne l'état civil à Mayotte, j'ai décidé de reconduire pour 5 ans les travaux de la Commission de révision de l'état-civil. Mon département ministériel prend par ailleurs en charge, dans les communes mahoraises, la mise aux normes de sécurité des locaux, la formation du personnel ainsi que la maintenance du matériel informatique en versant une dotation annuelle de 300 000 euros jusqu'en 2008.
Afin de lutter contre ces reconnaissances de complaisance accordées moyennant finances, le projet de loi propose de mettre à la charge personnelle du père ayant reconnu un enfant les frais de maternité de la femme étrangère en situation irrégulière (art. 73). Le nombre de reconnaissance de paternité est, en effet, passé de 882 en 2000 à 3752 en 2002. Il est également prévu une réforme de la procédure dite de « dation de nom » qui emporte les mêmes effets que la reconnaissance d'un enfant (art. 74) et qui connaît une augmentation exponentielle (multiplication par 4 entre 2000 et 2005).
Le projet de loi renforce par ailleurs les pouvoirs du procureur qui pourra s'opposer à l'enregistrement de la reconnaissance de paternité ou demander une enquête lorsque des indices sérieux laissent présumer une reconnaissance frauduleuse (art. 75). Enfin, est prévu un renforcement des sanctions pénales à l'encontre des tentatives et des reconnaissances frauduleuses de paternité à Mayotte (art. 75).
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Députés,
Il y a encore quelques mois en métropole, on ne parlait pas ou parlait peu de l'immigration irrégulière outre-mer. On n'en connaissait ni l'ampleur ni les conséquences sur son tissu social, sur son système éducatif ou sur l'insécurité.
Ce débat, je l'ai souhaité et je l'ai lancé en conscience et en responsabilité. Je me réjouis de l'intérêt que l'on porte désormais à ce petit bout de France qu'est Mayotte. Je me réjouis que l'on parle enfin des difficultés de la Guyane et de la Guadeloupe. Je me réjouis que seulement quelques mois après nous prenions des mesures législatives qui viendront compléter les actions déjà entreprises avec le Ministre d'Etat sous l'autorité du Premier ministre pour renforcer les moyens humains et matériels de lutte contre l'immigration clandestine.
Aujourd'hui, c'est à la représentation nationale de prendre à bras le corps ce problème. Je serai tout au long de cette discussion très attentif à vos observations et propositions. Merci Monsieur le Rapporteur Mariani, pour votre rapport précis et cartographié. Les collectivités concernées ont données, pour la plupart d'entre-elles un avis favorable à ces mesures. Je souhaite que vous puissiez, Mesdames et Messieurs les Députés, aboutir à ce consensus que nos concitoyens ultramarins attendent.
Et je ne doute pas que pour y arriver, la diversité de l'outre-mer réunie au sein de l'Assemblée nationale y contribuera pour une grande part. Source http://www.outre-mer.gouv.fr, le 4 mai 2006