Interview de M. François Bayrou, président de l'UDF, à LCI le 12 juillet 2006, sur la situation politique en matière d'immigration, de politique étrangère et européenne, sur la privatisation d'EDF et le bilan de Jacques Chirac, président de la République.

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Texte intégral

Q- Le 14 juillet, comme c'est de tradition, le Président de la République va s'exprimer à la télévision, après qu'il a déjà, le 26 juin, indiqué qu'il renouvelait sa confiance à D. de Villepin, qu'il gouvernerait jusqu'au bout et avoir tracé la feuille de route du Gouvernement. Qu'est-ce que vous attendez, vous, de cette prestation ?
R- Ce que j'attendrais, c'est que J. Chirac dise aux Français : « Je suis Président de la République depuis onze ans, voilà ce que je pense qu'il faut faire pour remettre la France d'aplomb ». Onze ans c'est une très longue période et l'état du pays, vous le voyez bien, en tout cas l'état du pays politique est aujourd'hui ce que vous savez et ce que tous les Français savent. J'imagine que le président de la République, au long de ces onze ans, a appris des choses qu'il n'a pas dites, ou en tout cas a discerné une partie des causes de la crise que nous avons sous les yeux, je voudrais qu'il les dise aux Français. Au lieu de s'enfermer dans cette distance qui a été si souvent la sienne, il me semble qu'il pourrait prendre les Français comme des interlocuteurs à part entière, des citoyens à part entière et leur dire ce qu'il faut changer.
Q- Plus précisément, sur tel ou tel sujet et notamment est-ce que vous attendez qu'il dise, qu'il précise sa pensée sur les problèmes de l'immigration qui sont aujourd'hui à l'ordre du jour avec le problème de l'expulsion ou non des sans papiers et des enfants scolarisés des sans-papiers.
R- Le Président de la République est nécessairement le premier symbole, celui qui exprime l'esprit national. Et l'esprit national, vous le voyez bien sur ces problèmes de l'immigration, a une crise. Les Français considèrent que l'immigration doit être régulée, maîtrisée, qu'il y en a sans doute trop. Ils voient se multiplier les lois, les unes après les autres, toujours annoncées à grand son de trompe. Et puis, dans la réalité, ils s'aperçoivent que rien n'est maîtrisé et ce n'est pas facile - je ne suis pas en train de dire que c'est facile. Et que, deuxièmement, les yeux des enfants à expulser sont insupportables pour un peuple comme le nôtre avec ses valeurs et ses traditions. Voilà la crise. Et, naturellement, j'attends que - ou j'attendrais - que le Président de la République s'exprime sur cette crise.
Q- On dit que seraient exclus de la grâce présidentielle du 14 juillet les manifestants anti CPE. Cela vous choque ou vous trouvez ça normal ?
R- Je suis pour que les mesures de grâce, quand elles sont prises, soient des mesures générales. Je suis contre le fait que les mesures de grâce soient des mesures particulières. Je suis contre le fait que l'on trie à l'intérieur et, franchement, les manifestants anti CPE, s'ils ont commis des actes graves, il faut être naturellement ferme en face de ces actes graves. Si ce sont simplement l'entraînement des manifestations, cela mériterait qu'on y réfléchisse.
Q- Alors si vous étiez, vendredi, à la place du Président de la République, onest devant une situation internationale très troublée avec des foyers de tension très importants. Je vais vous poser la question : que diriez-vous, par exemple, si vous étiez en charge des affaires, sur l'affaire du Proche-Orient et l'opération " Pluie d'été " à Gaza ?
R- Je dirais qu'Israël est aujourd'hui dans une crise profonde de son identité, que c'est la tradition d'Israël d'essayer de récupérer des soldats qui ont été abandonnés et que cependant, un risque est pris avec la paix de cette région de manière durable. Et je regarderais qui peut faire pression. Et j'essayerais de bâtir cette pression, cette influence dont nos pays manquent trop et vous savez bien la réponse à cette question. Si l'on veut avoir du poids dans une situation comme celle-là, il faut qu'un jour l'Europe existe. Et je me tournerais vers les autres pays européens, en tout cas ceux qui ont une grande influence dans la région - je pense à la Grande-Bretagne - et je bâtirais avec elle une action, je bâtirais avec elle une influence. Pour l'instant, vous le savez bien, l'influence de l'Europe dans cette région se borne à signer des chèques. C'est elle qui signe des chèques, c'est elle qui reconstruit chaque fois que l'on détruit, mais elle n'a pas de réelle influence. C'est probablement un des traits les plus inquiétants, en tout cas un des manques les plus importants de la situation qui est la nôtre aujourd'hui.
Q- Le même raisonnement vous conduirait à chercher une attitude européenne commune vis-à-vis de la guerre civile qui est en train de se développer en Irak et de la présence américaine ?
R- Je pense que dans le bilan de J. Chirac, il y a un point sur lequel il a eu raison et sur lequel je lui ai apporté mon soutien, sans faille et bien d'autres : c'est l'attitude face à la guerre en Irak. Le Président de la République avait raison quand il a dit que l'intervention américaine déstabiliserait encore plus une région et qu'elle ne permettrait pas de sortir à court terme ni à moyen terme du drame que cette région vit depuis si longtemps. Et donc, de ce point de vue-là, tout le monde le voit bien, ce qui manque, partout où il y a une crise - je pense au Soudan, au Darfour - partout où il y a une crise, où une voix différente de la voix américaine est requise, où on attend une voix différente de la voix américaine, d'ailleurs en coopération avec les Américains, partout, ce qui manque c'est l'Europe. Or nous avons connu, vous le savez bien un recul européen, pour les raisons que vous savez, on est aujourd'hui dans cette crise.
Q- Alors revenons aux affaires hexagonales. Après les vacances, session extraordinaire et le sujet de cette session extraordinaire, c'est le fameux projet de loi sur la fusion Gaz de France/Suez. La gauche se prépare à multiplier les amendements. Quelle va être l'attitude de votre formation politique ?
R- La fusion Gaz de France/Suez, si on la considère en elle-même, si on oublie tout ce qu'il y a autour, c'est une démarche compréhensible. Probablement qu'il y a du sens industriel, on peut discuter tel ou tel aspect, tout ça n'est jamais ni tout blanc, ni tout noir. Mais pour moi, la principale question qui n'a jamais été abordée, c'est, les relations entre l'opération Gaz de France et EDF. Et la réflexion sur EDF - vous savez que j'étais opposé à l'ouverture du capital sur EDF, je ne le suis pas sur Gaz de France, mais j'étais opposé à l'ouverture du capital sur EDF en raison des centrales nucléaires, de la production de l'électricité nucléaire et du prix de l'électricité en France - cette question n'a jamais été traitée. Nous allons profiter de l'été, nous, UDF pour poser cette question et trouver avant le 2 septembre ou en tout cas affirmer avant le 2 septembre les principes que nous voulons suivre. L'opération GDF/SUEZ, en elle-même, ne mérite pas la condamnation, vous voyez d'ailleurs que beaucoup, y compris des centrales syndicales y sont favorables. Mais c'est EDF qui est la question aujourd'hui.
Q- Donc cela signifie que vous voterez ou que ne voterez pas ce projet, vous ne vous prononcez pas aujourd'hui ?
R- Aujourd'hui, tant que je n'ai pas de réponse à la question de la stratégie pour EDF - et vous voyez toutes les interrogations qu'il y a autour de ce sujet ; le président de la Commission des Finances dit qu'il faut baisser les tarifs sur EDF, revenir aux tarifs ou permettre aux entreprises de revenir aux tarifs. Ces problèmes, qui sont techniques sont éminemment politiques. Ce n'est pas le gaz qui est pour moi aujourd'hui la principale question, c'est l'électricité.
Q- Alors deux curiosités de ma part, rapidement, vous me répondez par oui ou par non sur votre emploi du temps. D'abord est-ce que vous irez à la Garden party de l'Elysée ?
R- Non !
Q- Vous boudez ?
R- Non. Je suis toujours, le 14 juillet, dans les Pyrénées. Vous savez c'est impensable la Garden party de l'Elysée.
Q- Deuxième question, le Medef invite à ses Universités d'été, l'ensemble des candidats aux présidentielles, vous irez ?
R- Si je suis invité, j'irai.
Q- Dernière question, quelle est la réaction du républicain, mais aussi de l'historien que vous êtes sur la célébration du cas Dreyfus ? Au fond, vous, vous seriez partisan à ce qu'il aille au Panthéon ?
R- Non. D'abord on veut enfermer tout le monde au Panthéon, chaque fois qu'il y a une figure, je trouve que c'est d'une telle tristesse d'aller dormir au Panthéon pour ses derniers jours. On a fait ça pour ce pauvre A. Dumas qui était dans un cimetière de campagne, j'ai trouvé que c'était un peu cruel. Mais en dehors de ce goût modéré pour la " panthéonisation ", je pense qu'il est juste de célébrer l'affaire Dreyfus qui a été un grand moment national. Un moment où la France a pris conscience d'une partie des démons qui l'habitaient et où elle a réussi à les vaincre, grâce à des intellectuels qui n'ont jamais autant joué leur rôle. L'idée de la célébrer est donc juste, ce n'est pas pour autant qu'il faut faire de Dreyfus, du capitaine Dreyfus, l'objet d'une démarche au Panthéon qui ne me semble pas justifiée. Le Panthéon c'est pour des gens qui ont eux-mêmes changé l'histoire, mais qui malheureusement n'ont pas subi l'histoire.Source:premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 12 juillet 2006